UNIVERSITE DES SCIENCES ET T ECHNIQUES DU LANGUEDOC Master : Biologie, Géosciences, Agroressources, Environnement Spécialité : Ingénierie en Ecologie et Gestion de la Biodiversité Diversité des ignames sauvages et cultivées de Guyane française; Impact de la mise en culture sur leur morphologie et leur teneur en biomolécules par Paule TERES Stage de Master 1 réalisé sous la direction de Laurence PASCAL avec la collaboration avec Philippe Vernier, agronome CIRAD, UR Horticulture avec la collaboration de Lionel Chevelot, chimiste CNRS CENTRE D'ECOLOGIE FONCTIONNELLE ET EVOLUTIVE- UMR 5175 DEPARTEMENT BIOLOGIE DES POPULATIONS EQUIPE COEVOLUTION 1919 Route de Mende, 34293 Montpellier cedex 5 Soutenu le 12 juillet 2006 à Montpellier SOMMAIRE Introduction Matériels et Méthodes 1. Milieu d'étude 2. Caractérisation de la diversité végétale 3. Description morphologique 4. Recherches de biomolécules 5. Protection anti-herbivore Résultats 1. Caractérisation de la diversité des Dioscorea en Guyane 1.1. 1.2. 1.3. Description morphologique Description du lieu de récolte et des abattis Agrodiversité de l'igname 2. Pratiques culturales 2.1. 2.2. Modes de mise en culture Critères de choix de semence 3. Recherches de biomolécules 3.1. 3.2. Dosage du mucilage dans les tubercules Dosage des composés phénoliques dans les feuilles 4. Protection anti-herbivore 4.1. 4.2. Discussion Conclusion Annexes Bibliographie Protection chimique: les composés phénoliques Protection biotique: glandes nectarifères INTRODUCTION Carte 1: Répartition des différentes communautés en Guyane Avant d'entamer plus avant l'étude qui va être la nôtre concernant l'igname, il est important d'exposer ici les composants extérieurs qui influencent notre analyse. En effet, il parait nécessaire de consacrer un bref développement à l'histoire, à l'ethnologie ainsi qu'à la géographie de ce département. Tout d'abord, il faut constater que la Guyane offre une diversité culturelle très forte de part son histoire. En effet, les premiers occupants de la Guyane ont été les Amérindiens. Leur présence en Amazonie pourrait remonter à -6000 et -10.000 ans. Leur occupation en Guyane semblait être très récente, mais les dernières fouilles archéologiques ont révélé des vestiges datant de 1265 av. JC sur le site Soyouz. D’ores et déjà, il est acquis que deux occupations humaines distinctes se sont succédées sur ce site durant les 3 000 dernières années (com. pers. Sylvie Jéremie, directrice INRAP Guyane). Le peuple Amérindien n'est pas un peuple homogène. Il est constitué d'une mosaïque de tribus aux coutumes différentes. Ce peuple est réparti en trois groupes d’origine linguistique différente. Chacun de ces groupes possède une langue qui lui est propre et son installation en Guyane diffère dans le temps. Le groupe Karib est constitué de deux communautés distinctes: les Galibis et les Wayanas qui se sont installées depuis au moins 1000 ans. Le groupe Arawak, le plus ancien de Guyane (environ -3000 ans), est composé d’Arawaks et de Palikurs, alors que le groupe Tupi guarani comprenant les Wayapis et les Emerillons est présent seulement depuis 500 ans (Montabo, 2004). Le peuple Amérindien constitue dans son ensemble aujourd'hui environ 5% de la population guyanaise (chiffres INSEE au 1er janvier 2004). Au cours de l'histoire de nombreuses migrations en Guyane ont eu lieu (cf. carte1). Tout d'abord, des communautés originaires d’Afrique de l’Ouest arrivèrent en Guyane Hollandaise actuel Suriname- dès 1650 lors de la traite des esclaves. De 1765 à 1793, des rebellions éclatèrent à l’encontre des propriétaires esclavagistes et des groupes d’esclaves firent du marronnage (marronnage vient du mot espagnol "cimarron" qui signifie "fugitif"). Ils quittèrent donc les plantations pour se réfugier dans la forêt afin de se protéger de leurs maîtres. De cet événement sont nées les communautés Noirs-marron ou Bushinengué: Saramakas, Djukas, Paramakas et Alukus représentant 6% de la population totale guyanaise. 1 Carte 2: Relief guyanais Source: DEM SRTM Réalisation: ARUAG, 2005 Carte 3: Végétation de la Guyane Source: Gond, CIRAD Réalisation: ARUAG, 2006 Des vagues d'immigrations successives ont ensuite eu lieu provenant du continent asiatique. Ce sont essentiellement des populations venant de Chine du Sud qui sont arrivées au XIXe siècle, puis au XXe siècle et plus récemment, depuis 1977, des populations Laotiennes représentées par la communauté montagnarde Hmong. Ces communautés représentent respectivement 4% et 1% de la population guyanaise. Une immigration importante de créoles de la Martinique, arrivés après l'éruption de la Montagne Pelée en 1902, a augmenté la population créole guyanaise qui constitue à ce jour, le groupe culturel le plus important (38%). Les créoles sont le fruit de métissage entre divers groupes communautaires. Les métropolitains constituent 12% de la population. Depuis quelques décennies, d'autres populations sont venues s'installer en Guyane comme les Haïtiens, les Surinamiens, les Brésiliens, les Libanais. L’ensemble de ces dernières communautés représente 34% de la population actuelle. Nous constatons donc que la Guyane présente une grande diversité culturelle. Mais ce n'est pas la seule richesse de ce département. En effet, la Guyane est un territoire recouvert pour les 9/10 e par l'immense forêt amazonienne. Ce département est formé par le socle ancien du massif des Guyanes (cf. carte 2). Ce massif âgé de 2,1 milliards d'années est aplani du fait d'une longue érosion (Delor, 2001). De ce fait, nous observons deux zones. Une zone basse qui correspond au littoral avec des savanes arborées ou noyées et des lagunes avec mangroves et une zone haute, correspondant à l'intérieur des terres, couvertes de forêt équatoriale humide. Dans cette zone dite haute se trouve des massifs de collines où les sommets granitiques apparaissent à nu. Ce sont les inselbergs ou savanes roches. Nous constatons qu'au sein de la forêt guyanaise, il existe plusieurs écosystèmes. Récemment (février-mars 2006) une équipe de chercheurs de l'UMR AMAP (Montpellier) a effectué une campagne de bioprospection sur le mont d'Arawa (53°21'59'' Ouest, 2°48'59'' Nord) au sud de la Guyane sur une savane-roche. Ils ont remarqué que la composition floristique de cette zone forestière était différente de celle du littoral (cf.carte 3). Le littoral guyanais se scinde en trois parties, de l'Est qui s'étend jusqu'à la frontière du Brésil à l'Ouest jusqu'à la frontière du Suriname. Ces trois secteurs sont très différents de part le climat, le sol et donc la végétation. En effet, de St Georges de l'Oyapock à Cacao en passant par Régina, la pluviométrie est maximale avec plus de 4000mm d'eau par an, la végétation étant de la forêt sur la latérite (terre rouge), de Cayenne à Iracoubo en passant par Kourou, la pluviométrie varie de 2750 à 3250mm d'eau par an, la végétation est caractérisée 2 par des savanes et enfin d'Iracoubo à St Laurent du Maroni, la pluviométrie est minimale moins de 2650mm d'eau par an et la végétation est très particulière puisqu'il s'agit de forêt sur sable blanc. L’ensemble de ces paramètres, aussi bien culturels qu’environnementaux, a bien évidemment une influence importante sur l'agriculture qui est elle-même très diversifiée. En effet, sur les abattis (= zone de culture), nous trouvons de nombreuses cultures de fruits et de légumes dont des patates douces (Ipomea batatas), des dachines (Colocasia esculenta), du manioc (Manihot spp) et des ignames (Dioscorea spp) qui feront l’objet de cette étude. Les ignames sont des monocotylédones herbacées à tiges volubiles appartenant au genre Dioscorea famille des Dioscoréacées. Ce sont des plantes dioïques avec des feuilles cordiformes, lancéolées ou trifides suivant les espèces. Les inflorescences axillaires sont en grappe. Les tubercules sont de formes et de tailles variables. Le genre est représenté par plus de 600 espèces dont une dizaine sont couramment cultivées. Elles sont rencontrées essentiellement dans les zones intertropicales. (Degras, 1986) Depuis leurs découvertes, différentes espèces d'igname ont été domestiquées de manière indépendante dans trois régions du monde: en Asie du Sud, en Afrique de l’Ouest et en Amérique tropicale. On ne peut donc pas déterminer un seul centre d’origine de domestication de l’igname (Coursey, 1976). Dans ces régions, le tubercule des ignames est toujours abondamment consommé, car il est riche en produits amylacés (Trèche, 1989) et contient des vitamines, des protéines ainsi que des minéraux et des fibres. Il est important de signaler que lors des nombreuses vagues d'immigration en Guyane, chacune des communautés a introduit ses plantes d'origines. Les communautés originaires d’Afrique de l’Ouest ont introduit l'igname africaine du complexe Dioscorea cayennensis-rotundata ainsi que les pratiques culturales ancestrales d’origine. De même pour les communautés asiatiques qui ont amené avec elles leurs ignames locales, D. alata et D. bulbifera. En revanche, l'espèce américaine, D. trifida, originaire du bassin amazonien (Degras, 1986), est cultivée en Amazonie par les Amérindiens depuis au moins 3000 ans. A la grande diversité biologique trouvée dans les champs vient s’ajouter une grande diversité de pratiques culturales qui complexifie le système igname. En effet, chaque communauté cultive l’ensemble des espèces citées selon ses propres pratiques culturales. De plus, les peuples de forêt itinérants usent encore de système de récolte d’appoint appelé protoculture ou paraculture. (Dounias, 1993) 3 Les abattis sont de différents types selon l’ethnie considérée, il s’agit soit d’une forêt après un brûlis, soit d’une savane améliorée (apport biologique ou chimique), ou encore d’un jardin de case. Chaque pratique culturale influe sur les caractéristiques abiotiques (qualité du sol, tuteurisation, engrais, arrosage, …) et biotiques (par exemple la pression en herbivorie du champ). Chaque abatti constitue alors autant de milieux environnants venant s'ajouter aux différents milieux existant naturellement en Guyane. Chacun de ces milieux influe plus ou moins fortement sur la croissance, le cycle biologique et le développement de l’igname. Parmi, les différentes espèces rencontrées, nous nous intéressons plus précisément à l'espèce américaine D. trifida, espèce endémique du bassin amazonien, sous sa forme sauvage et cultivée. Ceci nous permet donc de mesurer l'impact de la domestication sur cette espèce, à l'inverse des études qui ont été menées en Afrique où l'igname cultivée D. rotundata est toujours domestiquée à partir d’ignames sauvages qui sont probablement des hybrides de plusieurs espèces sauvages D. praehensilis et D. abyssinica. (Dumont et al, 2005). Ce modèle reste toutefois très complexe car l'igname présente une plasticité phénotypique importante et semble pouvoir s’adapter rapidement à la variabilité des paramètres écologiques (Zinzou, 1999). Par ailleurs, il est apparu que plusieurs types de défenses peuvent agir indépendamment en fonction de l’environnement (Madden et Young 1992). La protection biotique présente chez le genre Dioscorea est une relation mutualiste plante-fourmi. Le rôle des fourmis dans la nature est fondamental, car elles participent positivement à la dynamique des écosystèmes en participant, entre autre, aux cycles biologiques de nombreuses plantes (dispersion des graines, pollinisation, protection) (Hölldobler & Wilson 1990). Les plantes attirent les fourmis grâce au nectar extrafloral produit par les nectaires extrafloraux portés par les feuilles. Ils sont présents chez près de 66 familles de plante à fleurs plus particulièrement dans les zones tropicales (Koptur 1992). Cependant, la protection biotique n'est pas la seule. En effet, la protection chimique occupe aussi une place importante dans la défense de la plante. Ce type de protection est issu du métabolisme secondaire par certains composés phénoliques qui sont les tanins condensés (Heil et al., 2002). Cette classe de molécule est connue pour son effet toxique. (Maicheix, 2005). La plante met donc en place une protection contre les herbivores qui peut être de deux ordres: biotique et chimique, selon les ressources présentes dans le milieu (Coley et al., 1985). L’espèce D. trifida retrouvée sous ses deux formes sauvage et cultivée, croissant dans des 4 Photo 1: Abatti sur latérite Hmong de Cacao Photo 2: Abatti en savane Hmong de Sinnamary Photo 3: Abatti sur sable blanc Djuka de Javouhey environnements aussi variés qu’une savane-roche ou un abatti, montre un grand intérêt pour étudier l’engagement de la plante dans une défense anti-herbivore de type biotique ou chimique. Cette étude, qui constitue une première approche de la compréhension de ce modèle complexe, consistera, autant que faire se peut dans le temps de stage imparti, à évaluer la réponse des plantes aux paramètres culturaux. Cette diversité de réponse est particulièrement pertinente à estimer afin d’optimiser le mode de culture dans le cadre notamment d’une production à finalité commerciale. De même, la diversité fonctionnelle, reflet d’une diversité biochimique, détermine des chimiotypes à l’origine d’une production de biomolécules. La valorisation de ces composés à haute valeur ajoutée est soumise aux facteurs qui influencent leur production, comprenant aussi bien les facteurs environnementaux que les paramètres culturaux. Pour mener à bien cette étude, nous avons choisi de tester ces paramètres sur quelques traits de l’igname comme la morphologie, la production de composés valorisables (composés phénoliques et mucilage), le mode de protection anti-herbivores, l'igname de référence étant D. trifida à son état sauvage et cultivé. 5 Carte 4: Découpage du milieu d'étude Questionnaire agronomique et ethnobotanique: Préparation du champs Conservation abatti, nouvelle défriche, brûlis taille de l'abatti orientation plantation (couchant, levant) type de sol date de réalisation technique de conservation (coupe des germes) lieu de conservation (locaux aérés, obscurité...) brunissement (oui/non) qualité recherchée Mise en semence Caractéristiques culinaires diversité des cultivars préparation (ajout de cendre) partie plantée (tubercule entier, tête, indifférent) position de la semence choix de la semence (quel critère ?) combien de variétés utilisées préparation du sol (butte, billon, fosse) estimation du nombre de pieds/champs caractéristiques organoleptiques utilisation (farine, tubercule entier) couleur de la chair à la cuisson rapidité de cuisson mode de cuisson: épluché (oui/non), rôti, bouilli, frit, vapeur conservation (cossette) Entretien Description des variétés désherbage (régulier?) utilisation d'engrais (chimique, naturel) maladies (traitement?) tuteurage (naturel, artificiel) critères de détermination (feuilles, tige, racine, couleur) nom vernaculaire, nom latin MATERIEL ET METHODES 1. Milieu d’étude La Guyane se scinde en 3 grands secteurs globalement définit selon la qualité du sol, la pluviométrie et la végétation en majeure partie (cf. carte 4). La réalité montre une découpe à échelle plus fine, qui n’est pas prise en compte dans cette première approche globale. La pluviométrie est un facteur qui fluctue beaucoup entre les différents secteurs. Le secteur 1 se défini par une forte pluviométrie, par des forêts sur latérite (sol rouge et acide) et par des cultures sur brûlis. Le secteur 2 diffère par la pluviométrie moyenne, par un milieu de type savane (terre marron) et par des abattis sur savane. Le secteur 3 est caractérisé par de faibles précipitations, par des forêts de sable blanc et par des cultures sur brûlis. Nous avons mis en place, avant les visites d'abattis, un questionnaire visant à répondre aux techniques employées pour préparer le champ, choisir les semences, pour la mise en culture, pour l'entretien, la conservation, la récolte et pour le choix des variétés utilisées ainsi que pour l'aspect culinaire et guttural. Le terme abatti est employé pour désigner une parcelle de terre cultivée où différentes espèces végétales ont été plantées toutes mélangées ensemble. La préparation de ce terrain doit passer par trois étapes obligatoires : l’abattage des arbres et arbustes, leur séchage (saison sèche) et leur brûlage. On peut donc aussi parler de « culture sur brûlis ». 2. Caractérisation de la diversité végétale Les visites se sont faite sur le littoral d'est en ouest ainsi qu'en forêt. Nous avons rencontrés différentes communautés comme les Palikurs (3 agriculteurs), les Créoles (2 agriculteurs), les Saramakas (2 agriculteurs), les Haïtiens (5 agriculteurs), les Djukas (3 agriculteurs) et les Hmongs (3 agriculteurs). Notre enquête n'est donc pas exhaustive par faute de temps. Après chaque visite, une planche d'herbier a été faite pour chaque variété récoltée afin de s'assurer du type d'espèce. En effet, toutes nos planches d'herbier ont été comparées avec les planches de référence de l'herbier de Cayenne. Une démarche de prospection a été également mise en place pour trouver de l'igname sauvage. L'espèce D.trifida a été récoltée en 3 lieux. D'une part, prés de St Georges de l'Oyapock (Savane roche 14 juillet) et dans la réserve des Nouragues (Savane roche de la Crique Cascade), cette espèce a été trouvée dans un écosystème particulier : sur savane roche. 6 Photo 4: Savane roche 14 juillet Prés de St Georges d'Oyapock Principaux caractères morphologiques Feuille Feuille Forme (cordiforme ou trifide) Phyllotaxie (alterne, opposée) Présence pétiole (si oui, couleur? ailes?) Enroulement (dextrogyre/lévogyre) Forme (carrée/ronde) Couleur Présence d'ailes (si oui, couleur) Présence d'épines? Tubercule Forme Couleur de la chair et de l'épiderme Présence ou absence de mucilage Brunissement (oui/non) La roche est du quartz blanc recouvert de lichens crustacés de couleur noir-violet (cf. photo4). Le sol est du humus de couleur noire en général très peu profond (de 5 cm à 10 cm). D'autre part, D.trifida a été récoltée en bord de route de Kaw (PK 1 du dégrad), le milieu n'était pas de la savane roche mais de la forêt secondaire sur latérite. Le sol était pentu et profond (plus de 20 cm). Les différents pieds se trouvent en milieu ouvert ou sous couvert végétal à l'orée de la forêt. L'ensoleillement est donc très important. 3. Description morphologique Nos planches d'herbier nous ont permis de faire une détermination en suivant les critères morphologiques défini par le descriptor de IPGRI (International Plant Genetic Ressources Institute, 1997). Description de la feuille: sa forme (simple ou composée), son limbe (cordiforme, lancéolée ou trifide), sa phyllotaxie (alterne ou opposée) et la présence ou l'absence de pétiole et si oui, la couleur de celui-ci et présence d'ailes. La tige: son enroulement (dextrogyre –enroulement vers la droite ou lévogyre), sa forme (ronde ou carrée), sa couleur, s'il y a présence ou absence d'ailes, et si oui la couleur de celles-ci et la présence ou l'absence d'épines. Le tubercule où l'on note sa forme, la couleur de sa chair et de son épiderme, la présence ou l'absence de mucilage et le brunissement qui apparaît après une coupe. (cf. tableau ci-contre) 4. Recherches de biomolécules 4.1. Matériel végétal Le dosage du mucilage s’effectue sur les tubercules récoltés sur les abattis ou à l'état sauvage. Pour le dosage des composés phénoliques ainsi que pour le dosage du carbone et de l'azote, ce sont des feuilles qui ont été récoltées sur abatti ou en milieu naturel. Des feuilles récoltées à différents stades de croissance sont regroupées dans un même échantillon pour homogénéisation, séchées et broyées. Le broyage permet l’obtention d’une poudre fine et homogène. 4.2. Dosage du mucilage dans les tubercules Le mucilage est un liquide visqueux contenant du sucre et de la pectine produit par les ignames. Cette molécule n'a pas encore été recherchée chez cette plante. Comme première approche, nous avons voulu observer la quantité présente dans le tubercule suivant les espèces présentes sur les abattis. Pour quantifier le mucilage présent dans les tubercules d'ignames, une précipitation à l'éthanol est faite, suivi d'une pesée après 24h et une après une semaine. 7 Photo 5: Différents surnageants Photo 6: Mucilage précipité dans de l'éthanol 96% Photo 7: Extrait brut à gauche Extrait hydrolysé à droite Nous obtenons ainsi la teneur en mucilage avant et après séchage afin de tenir compte de la rétention d’eau par ce composé. Nous avons, tout d'abord, pesé les tubercules d'ignames puis broyé dans un mortier avec une pincée de sable de Fontainebleau et 5 ou 10 ml d'eau distillée suivant le poids des échantillons. Le broyat est ensuite placé dans un tube à centrifugation. La centrifugation dure 20 mn à 3800 tours. Le surnageant est récupéré à l'aide d'une pipette. La précipitation du mucilage a lieu, en mettant en présence dans un tube à hémolyse, 1 ml de surnageant pour 3 ml d'éthanol 96%. Le mélange ainsi obtenu est vigoureusement agité, avant décantation. Le mucilage est ensuite déposé dans une feuille d'aluminium pesée au préalable. Les feuilles d'aluminium sont laissées à l'air libre durant une nuit et pesées. Nous obtenons le poids du mucilage et de l’eau retenue. Les feuilles d'aluminium sont ensuite mises dans une cloche sous vide durant une semaine et repesées. Ce poids représente le poids réel de mucilage contenu dans le tubercule. Les poids de mucilage sont calculés en mg ramenés à la quantité de mucilage dans le tubercule. Les résultats obtenus sont utilisés, dans un premier temps, pour observer le pouvoir de rétention d'eau par le mucilage et dans un second temps, pour estimer la teneur relative en mucilage contenue dans les différents tubercules. 4.3. Dosage des composés phénoliques dans les feuilles Pour déterminer le profil phénolique des feuilles d'igname, nous avons utilisé la technique de chromatographie sur couche mince à l'aide de réactifs chimiques. Dans un premier temps, nous nous sommes intéressé, à une étude chimiotaxonomique et dans un second temps, à l'impact de la mise en culture en comparant l'espèce D. trifida sauvage et cultivée. o Préparation des extraits bruts La préparation des extraits bruts permet de mettre en évidence les composés phénoliques présents dans chaque échantillon et plus particulièrement les tanins condensés. Nous avons pesé les échantillons (50 mg) que nous avons placés dans des tubes eppendorf. Puis, les échantillons sont mélangés à 1 ml de solution d'extraction (α-Glucolactone à 10-4M; 5-Méthoxyflavone à 10 -4M; Méthanol 80%) avant de passer aux ultrasons pendant 20 mn. Ensuite, les tubes sont centrifugés pendant 5 mn à 13400 tours/mn, pour obtenir les extraits bruts de chaque échantillon. o Préparation des extraits hydrolysés Des extraits hydrolysés sont obtenus par la technique de l'hydrolyse acide sur les extraits bruts. Cette hydrolyse permet de scinder des molécules complexes glycolsylées et d'obtenir d'une part des sucres, d'autre part des aglycones comme les flavonols. 250µl de chaque extrait brut sont prélevés puis hydrolysés par 500µl d'HCl (2N) dans 8 des tubes à hémolyses au bain marie à 100°C pendant 20 mn. 500µl d'eau distillée et 500µl d'acétate d'éthyle sont ensuite ajoutés, ce qui permet la formation de deux phases: la phase supérieure qui est organique et concentre les aglycones et la phase inférieure qui est aqueuse. o Préparation des plaques de chromatographie Au cours des premiers essais, nous avons pu constater que la concentration des différents extraits variait beaucoup. Un dosage spectrophométrique a été effectué afin d'observer l'absorbance et de déterminer la quantité de matériel à déposer sur plaque de cellulose pour chaque échantillon. (La référence était la catéchine, longueur d'onde: 280nm) Des dépôts de 5 à 20µl ont été déposés sur des plaques de cellulose de 10x10 cm (Merck). Par plaque, les extraits bruts de 7 échantillons et 2 témoins sont déposés: catéchine (10 -4M), et épicatéchine (10-3M) et pour les extraits hydrolysés 6 échantillons et 3 témoins (quercétine (103 -3 -4 M) et kaempférol (10 M), myricétine (10 M). Le solvant utilisé pour la migration est le BEE: Butanol, Ethanol, Eau (40:20:10). Pour l'extrait brut, la révélation a été réalisée par vaporisation d'une solution concentrée de DMACA. Ce réactif colore des tanins condensés de couleur différente suivant leur taille: les polymères en bleu-gris vert, les oligomères en vert bleu et les monomères en bleu intense. La révélation des composés phénoliques (type flavonols et dérivé caféique) a été faite par vaporisation au réactif de Neu pour les extraits hydrolysés. Ce réactif permet d'intensifier la fluorescence naturelle ou de rendre fluorescent un grand nombre de composés phénoliques avec une gamme de colorations très diversifiées (les flavonols: fluorescence jaune à orange et les dérivés caféiques: fluorescence bleue). 4.4. Dosage du carbone et de l'azote dans les feuilles Afin de pouvoir caractériser les différentes espèces étudiées, nous utilisons un analyseur élémentaire pour analyser deux éléments majeurs constitutifs de la matière organique: le carbone et l’azote. Les échantillons analysés sont des feuilles récoltées sur les abattis en 2006 et en 2005. L’analyse des végétaux est réalisable avec des prises d’essai de l’ordre de 2,5 à 3,5mg. Afin de calibrer l'analyseur élémentaire Thermo-Finnigan NC Soil analyzer EA1112, nous utilisons un échantillon étalon dont nous connaissons la quantité en azote et en carbone présents: l'atropine (C: 70,56% ; N: 4,84%). Nous pesons 4 standards d'atropine. Ensuite, nous pesons une atropine dite "inconnue" pour vérifier la justesse de calibration. Et enfin, nous introduisons tous les dix échantillons une atropine pour vérifier la justesse de l’appareil tout au long de l’analyse et corriger une éventuelle dérive. Nous déterminons, par la suite, le 9 pourcentage d'azote, de carbone présent par mg de feuilles séchées pour tous nos échantillons. L'expression de ces résultats est sous la forme d'un rapport: le rapport C/N. 5. Protection anti-herbivore 5.1 Protection chimique: les composés phénoliques Afin d’estimer l’implication des ignames dans la protection anti herbivores, nous avons recherchés les tanins dans les feuilles, composés phénoliques connus pour constituer une barrière chimique vis-à-vis des herbivores (Macheix, 2005). Les tanins existent sous deux formes: hydrolysables et condensés. Les tanins hydrolysables sont des polymères de l'acide gallique ou ellagique et les tanins condensés sont des oligomères et polymères de flavonoïdes. Les tanins ont été mis en évidence par chromatographie monodimensionnelle et révélés par la suite au DMACA (cf. § 3.3). Afin de quantifier les tanins présents dans les échantillons, un dosage colorimétrique au DMACA a été effectué au spectrophotomètre à une longueur d'onde de 640 nm. D'après la technique de McMurrough&McDowell (1978) et Treutter (1989), 100 µl d'extrait brut et 1 ml de solution de DMACA (0,1% de DMACA dans du méthanol-HCl 9:1 v/v) sont placés dans une cuve. Il faut attendre quelques minutes pour que le complexe coloré se forme. La lecture d'absorbance se fait par la suite. La référence utilisée est la catéchine (10-4M). Cette référence permet de faire une gamme étalon et de déterminer la concentration en catéchine des échantillons. 5.2 Protection biotique: glandes nectarifères Nous avons cherché à savoir s'il existait une différence entre les ignames sauvages et cultivées, en ce qui concerne leur protection biotique anti-herbivore. Pour estimer le degré de protection assuré par les fourmis, nous avons considéré le nombre de nectaires foliaires producteurs de nectar attractif, comme un bon critère d’implication des ignames dans un mutualisme de protection. L'étude de la répartition des nectaires extrafloraux des D.trifida sauvages et cultivées a été faite sur les planches d’herbier ramenées de Guyane ainsi que sur des feuilles séchées issues de plants de la serre du CEFE ramenés l'an dernier. Ceci nous permet de comparer l'espèce sauvage de l'espèce cultivée en milieu naturel et en serre. Nous avons dénombré, à l'aide d'une loupe binoculaire, le nombre de nectaires présents sur les feuilles, dont nous avons mesuré l'aire (cm²). Pour 3 feuilles de chaque plant, on a ainsi obtenu le nombre de nectaires en fonction de la surface (nombre de nectaires par cm 2 de feuille). 10 Dioscorea trifida Photo 8: Variété sauvage Savane 14 juillet Photo 9 : Variété cultivée Photo 10: Tige carrée ailée Réserve des Nouragues Photo 11: Chair du tubercule Dioscorea alata Photo 12: Chair de la variété "yam la main" Photo 13: Chair de la variété "igname blanc" RESULTATS 1. Caractérisation de la diversité des Dioscorea en Guyane Lors de la bioprospection, différentes espèces, sauvage et cultivées ont été ramenées de Guyane (cf. annexe: tableau de l'enquête). Avant la mission de terrain, une étude préalable à l'Herbier de Cayenne nous a permis de déterminer quatre espèces sauvages et quatre espèces cultivées de Dioscorea. Les espèces sauvages sont les suivantes: D. trifida, D. amazonum, D. polygonoides et D. pilosiuscula (cf. annexe). Seule l'espèce D. trifida a été trouvé lors de la prospection en savane roche où elle est l'espèce dominante et en lisière de forêt. Chacune des espèces décrites à l'Herbier de Cayenne a été récoltée sur les abattis: D. trifida, D. alata, D. cayenensis et D. rotundata. 4.3. Description morphologique Dioscorea trifida: Le nom commun de l'igname américaine est "l'igname indien" ou "l'igname violet". Les feuilles simples sont trilobées ou pentalobées, acumées, alternes, avec des nervures basilaires proéminentes sur la face inférieure (environ 9). La taille des feuilles varie entre 3 et 11 cm pour les feuilles de plantes sauvages(cf. photo 8) et de 5 à 20 cm chez les D.trifida cultivées(cf. photo 9). Le pétiole porte des ailes de couleur variable (vert foncé ou violacé). Au sommet de celui-ci se trouvent de nombreux poils. La tige carrée est également ailée (cf. photo 10). L'enroulement de la tige est lévogyre (s’enroule vers la gauche). La chair du tubercule peut être de 3 sortes: violet, blanc ou blanc/violet c'est-à-dire le tubercule est blanc au centre et violet sur le contour (cf. photo 11). La différence significative entre l'espèce sauvage et cultivée, est la taille des feuilles et du tubercule. En effet, le tubercule issu de l'agriculture est de taille moyenne (diamètre 5 cm, longueur de 15 à 20 cm) alors que chez le sauvage, il est de très petite taille (diamètre de 0,5 cm, longueur de 5 à 12 cm). D. alata: Lors des visites d'abattis, 2 variétés de D. alata ont été récoltées. La variété où le tubercule est blanc appelée "igname blanc" (cf. photo 12) et la variété où le tubercule est blanc/violet nommé "yam la main" qui fait référence à la forme digitée du tubercule (cf. photo 13.) Cette dernière variété n'a pas été décrite à l'herbier de Cayenne. 11 Photo 14: Différence entre le limbe des deux variétés de D.alata Photo 15: D. alata variété "yam la main" Tige ailée et base des pétioles violets Photo 16: Différence entre le limbe de D. rotundata (à gauche) et D. cayenensis (à droite) Les feuilles sont simples, pétiolées, opposées (cf. photo 14). Le limbe est cordé et acuminé à 6-9 nervures proéminentes basilaires sur la face inférieure. Le pétiole est ailé, la couleur 4 des ailes varie suivant la variété (cf. photo 15). D.alata variété blanche a des ailes vert clair alors que D.alata variété violette a des ailes violettes à la base et au sommet du pétiole. La tige est carrée, ailée. L'enroulement de la tige se fait par la droite (dextrogyre). On trouve également des ignames appartenant au complexe spécifique D. cayenensis-rotundata. A l'Herbier de Cayenne, ces deux espèces sont différenciées de la sorte: d'une part D. cayenensis ssp cayenensis et D. cayenensis ssp rotundata (cf. photo 16) D. cayenensis ssp cayenensis Lam. Le nom commun pour désigner cette espèce est "l'igname jaune". Les feuilles de couleur vert clair sont simples, larges et opposées. Le limbe est cordiforme, acuminé à 7-9 nervures. La tige ronde est dextrogyre et porte des petits piquants (0,3mm). D. cayenensis ssp rotundata Poir. Cette espèce est appelée "yam piquant". Les feuilles sont simples, opposées et de couleur vert foncé. Le limbe est cordé à la base. La tige est cylindrique et dextrogyre. Les axes secondaires présentent de petits piquants alors que la base de l'axe principal en a de plus conséquent. 4.4. Description du lieu de récolte et des abattis La première communauté interrogée est la communauté Palikur qui se situe dans le village Espérance à proximité de St Georges d'Oyapock. Ces agriculteurs cultivent des parcelles de forêts sur latérite qu'ils ont préalablement brûlé, c'est un abatti sur brûlis. Ils pratiquent la polyculture. Leurs cultures servent à leur propre consommation, seul le surplus de récolte est vendu. (cf. photos en annexe) La communauté Saramaka a été interrogée en deux endroits. Dans l'est, à Régina, village près de St Georges d'Oyapock (50 Km) et dans l'ouest, sur la route de St Laurent du Maroni. Ces deux abattis sont sur brûlis, mais les conditions environnementales sont très différentes. En effet, à Régina, les sols sont de la latérite et la pluie est importante alors que près de St Laurent du Maroni les sols sont du sable blanc et la pluie est plus faible. Comme chez les Palikurs, leur récolte est pour leur alimentation et non pour la vente. La communauté Hmong a été rencontrée en deux lieux. Tout d'abord, à Cacao, village se situant dans l'est à 80 Km de Cayenne. Le sol est constitué de latérite. La culture se fait sur 12 Nombre de pieds recensés Diversité des ignames cultivées en Guyane 6000 5000 4000 3000 2000 1000 0 D.trifida D.alata variété blanc D.alata variété violet D. cayennensis D.rotundata Figure 1 Répartition des cultures d'ignames par communautés 50% 40% 30% 20% 10% 0% H'mong Créole Palikur Djuka Saramaka Haitien Figure 2 Répartition spécifique par communauté 100% Trifida 80% Alata blanc 60% 40% Cayennensis Alata violet 20% Rotundata 0% Hmong Créole Palikur Djuka Figure 3 Saramaka Haitien abatti brûlé de grande taille. Et ensuite, Javouhey, un village de l'ouest, où le sol est composé de sable blanc. La technique sur brûlis est également employée. Les Hmong sont des agriculteurs tournés vers la vente à travers toute la Guyane. La communauté Créole a été visitée en 2 lieux: La Carapa (village entre Cayenne et Kourou) et à Sinnamary. Ces abattis sont sur savane. La terre est de couleur marron. Les agriculteurs interrogés étaient, l'un orienté vers le commerce, et l'autre cultivait pour sa consommation personnelle. La communauté Djuka et la communauté Haïtienne ont été interrogées dans l'ouest entre Mana, Javouhey et St Laurent du Maroni. Chacun de ces abattis était brûlés sur sable blanc. 4.5. Agrodiversité de l'igname Durant notre enquête, nous avons rencontrés dix-neuf agriculteurs, toutes communautés confondues. Dans un premier temps, nous regardons, quelle espèce est cultivée majoritairement en Guyane. En effet, nous avons, pour chaque abatti, relevé le nombre de pieds présents par espèce. Le nombre total de pieds recensés, toutes espèces confondues, est de 15123. D'après le graphe de la figure 1, nous constatons que la culture principale est l'igname D. cayenensis avec 5806 pieds (soit 38,4%) puis D.alata avec 5212 pieds (34,5%) et enfin D.trifida avec 3786 pieds (25%). La culture des espèces D.rotundata et D.alata violet est marginale respectivement 242 (1,6%) et 77 pieds recensés (0,5%). Dans un second temps, nous observons l'importance de la culture de l'igname suivant les différentes communautés. Le graphe de la figure 2 montre le pourcentage de pieds d'igname recensés ramenés à la taille de l’abatti. La distribution n'est pas homogène. En effet, la majorité des pieds d’igname recensés ont été vu sur des abattis Haïtien (45,5%) et Créole (33,3%) puis dans des abattis Hmong et Djuka (9,4%). La culture de l'igname dans les abattis Saramaka et Palikur est marginale (respectivement 2% et 0,4% de l’ensemble des plantes cultivées). Et enfin, nous nous sommes intéressé aux espèces majoritairement cultivées dans chacune des communautés. Les données sont représentées dans la figure 3. L'espèce D. trifida est majoritaire chez les Hmong, les Palikur et les Saramaka. En effet, cette espèce représente 67% des cultures d'ignames chez la communauté Hmong et Saramaka, et 79% chez la communauté Palikur. 13 Photo 17: Abatti avec des buttes Photo 18: Abatti avec des billons Pratiques culturales employées par les communautés 100% Engrais chimique 75% Cendre Tuteur 50% Butte 25% Fosse 0% Saramaka Djuka Créole Palikur Figure 4 Haitien Hmong L'espèce D. alata variété blanc est cultivée surtout par deux communautés: les Djuka 91% de leur récolte d'igname et les Créole à hauteur de 60%. L'espèce D. cayenensis est cultivée essentiellement par les Haïtiens représentant 77% de leur récolte en ignames. 5. Pratiques culturales employées 5.1. Modes de mise en culture Les différents paramètres environnementaux conduisent à des pratiques culturales variées. Lors de nos visites sur les abattis, nous avons relevé trois paramètres variant d'une communauté à une autre. Tout d'abord, au niveau de la préparation du sol, certains agriculteurs font des fosses d'autres des buttes et des billons. Une fosse est un trou dans lequel est déposé le tubercule ; ensuite ce trou est recouvert d'une butte de terre. La butte (cône isolé) ou le billon (forme allongée) est de la terre dressée sur la surface du sol où est déposé un tubercule d'igname (cf. photo 17,18). Le paramètre suivant est l'utilisation d'engrais chimiques ou de cendre. L'engrais employé est dans la plupart des cas de la cendre issu des arbres abattus lors de la création de la parcelle agricole. Enfin, le dernier paramètre est l'utilisation de tuteur. Certains agriculteurs en mettent ou laissent l'igname grimpée sur des troncs brûlés, d'autres n'utilisent pas de tuteur et l'igname se développe à même le sol. Dans le graphe de la figure 4, nous pouvons constater une différence de pratiques culturales entre les différentes communautés. Seules les communautés Saramaka, et Créole ont une pratique culturale de même allure, en utilisant de l'engrais organique, des tuteurs et des buttes. Les Hmong, les Djuka et les Haïtien sont les seuls à employer de l'engrais chimique. Les Hmong et les Haïtien ont des pratiques semblables à la différence que les Hmong utilisent plus d'engrais chimique et moins de tuteurs que les Haïtien. Les Palikur sont les seuls à pratiquer la technique de la fosse. Nous avons vu précédemment que la technique de la fosse été employée uniquement par les Palikurs. Ils utilisent cette technique afin de protéger leurs plants des prédateurs comme l'agouti (gros rongeur d'Amérique du sud). La communauté Hmong habite dans une région escarpée, afin de faciliter la récolte, les agriculteurs commencent par le bas du champ pour moins se baisser. 14 Concentration en mucilage frais en mg.g -1 4 3 2 1 0 D. trifida Sauvage D. trifida Cultivé D. cayennensis Figure 5 D.alata variété blanc D.alata variété violet D. rotundata 2.2. Critères de choix de la semence Calendrier des récoltes D'une manière plus générale, la date de plantation de l'igname varie d'un agriculteur à un autre. En effet, certain le plante en septembre-octobre, d'autre en décembre-janvier et d'autre toute l'année. Le tubercule reste en terre entre huit et douze mois selon la variété. Les agriculteurs utilisant des tuteurs, les mettent à l'extérieur de la butte ou du billon pour favoriser le développement du tubercule. Les plants sont orientés vers le levant afin d'avoir un ensoleillement maximal. L'écartement des pieds varie de 80 à 100 cm. Choix de la variété Le choix de la variété cultivée est fait selon différents critères. Les agriculteurs qui ont un abatti pour une autoconsommation vont favoriser le choix guttural alors que les agriculteurs tournés vers la vente s'intéressent au prix du kg de chaque variété. L'igname D.trifida est celui qui coûte le plus cher (5-6Euros/kg) du fait de la petite taille du tubercule ainsi que de la difficulté à le cultiver. L'igname D.alata et D.cayennensis ont le même prix (3/4euros/kg). Critères gustatifs Pour l'ensemble des communautés, à l'exception de certains agriculteurs Haïtiens, c'est l'igname indien qui est préféré pour son goût sucré et fin. Dans le but de rassasier, l'igname jaune est utilisée, en effet cette espèce a de gros tubercule riche en fibre et en amidon L'igname blanc et jaune se mange bouilli alors que l'indien se mange bouilli et rôti. Nous avons rencontré un agriculteur Palikur qui faisait une boisson fermentée avec l'espèce D. trifida ainsi qu'une haïtienne faisant des chips d'igname. 6. Recherches des biomolécules 6.1. Dosage du mucilage dans les tubercules Ces graphiques mettent en avant la quantité de mucilage présent en mg par gramme de tubercule. Une nette différence entre la quantité de mucilage frais et de mucilage sec est observable. Ceci montre le pouvoir de rétention d'eau par ce composé. En effet, les tubercules broyés frais de D. trifida sauvage ont une concentration maximale en mucilage de 1,34 mg.g-1 (écart-type: 0,69) alors que les autres espèces: D. trifida cultivée, D. cayenensis, D. alata variété blanc, D. alata variété violet ont une concentration moyenne de 0,36 mg.g-1 (écart-type: 0,35) et ceux de D. rotundata ont une concentration minimale de 0,12 mg.g-1 (écart-type: 0,20) (cf. figure 5). 15 Concentration en mucilage sec en mg.g -1 4 3 2 1 0 D. trifida Sauvage D. trifida Cultivé D. D.alata D.alata D. rotundata cayennensis variété blanc variété violet Figure 6 Type TC1 TC2 TC3 Dérivé Tryptophane TC4 TC5 TC6 Témoin: Epicatéchine TC7 Témoin: Catéchine Type Témoin: Kaempférol F1 AH Témoin: Quercétine Témoin: Myricétine F2 F3 Rf 0,07 0,30 0,34 0,36 0,45 0,49 0,54 0,57 0,59 0,73 Rf 0,77 0,63 0,80 0,64 0,54 0,68 0,67 Couleur Bleu-gris foncé Bleu gris clair Bleu foncé Violet Bleu pastel Vert gris Bleu turquoise intense Bleu clair Bleu vert Bleu clair Couleur Jaune Orange Bleu clair Jaune orangé Orange Jaune orangé Jaune orangé Tableau 1: Correspondance Rf et couleur suivant les spots observés Le graphe de la figure 6 montre la concentration en mucilage présent dans les tubercules. D. trifida sauvage présente toujours une concentration maximale de 1,44 mg.g-1 (écart-type: 1,09). D. cayenensis, D. alata variété blanc, D. alata variété violet montrent une concentration moyenne de 1,32 mg.g-1 (écart-type: 1,48). D. trifida cultivée et D.rotundata ont une concentration minimale de, respectivement, 0,77 et 0,27 mg.g-1 (écart-type de: 1,33 et 0,47). La teneur en eau est un paramètre important qui varie significativement suivant les espèces, surtout pour les variétés cultivées. En effet, ceci peut s'expliquer par la taille du tubercule. Les tubercules cultivés sont de taille relativement importante alors que les tubercules sauvages sont très fin et petit (diamètre avoisinant 5-6 mm). Donc les tubercules sauvages ne sont pas très riche en eau. 3.2 Dosage des composés phénoliques dans les feuilles Les composés phénoliques mis en évidence par les chromatographies appartiennent à la famille des flavonoïdes: des flavonols (F) de type quercétine ainsi que des dérivés d'acides hydroxycinamiques (AH) ainsi que des tanins condensés (TC) type oligomère et polymère. Pour chaque spot observé, le Rf a été défini ainsi que sa couleur (cf. tableau 1). La migration est plus ou moins importante. Ceci est fonction de la polarité de la molécule, c'està-dire de leur solubilité dans le solvant organique. Plus le Rf est grand, plus la migration est forte. Pour la révélation au DMACA, nous observons sept spots de tanin condensé (TC). Le spot TC1 qui est un polymère, puis les tanins TC2 à TC5 qui sont des oligomères et enfin les monomères TC6 à TC7 et le témoin: l'épicatéchine (Epi). Pour chacun des échantillons apparaît un spot violet qui est sans doute un dérivé du tryptophane (noyau indolique) (Treutter, 1989). La lecture de la chromatographie pour les flavonols est simplifiée du fait de l'hydrolyse acide. Les témoins déposés, nous permettent de définir le type de molécules. Nous observons trois spots de flavonols: F1, F2, F3 (couleur jaune orangé) et un spot bleu clair qui est un dérivé de l'acide caféique, probablement de l'acide hydroxycinnamique (AHC). Les spots de flavonols ont des Rf très proche entre eux et avec le témoin quercétine. Nous pouvons donc conclure que les flavonols présents sont des molécules de dérivé quercétine. 16 Tableau 2: Présence ou absence des spots suivant les différents espèces TC1 TC2 TC3 TC4 TC5 Epi TC6 TC7 D.trifida Sauvage D.trifida Sauvage D.trifida Sauvage D.trifida Sauvage D.trifida Sauvage X X D.trifida Cultivé D.trifida Cultivé D.trifida Cultivé D.trifida Cultivé D.trifida Cultivé X X X X X X D.trifida Cultivé D.rotundata D.rotundata D.rotundata D.cayennensis D.cayennensis X X X X X X X X X X X X X X X X X X X X X X X X X X X X X X X X X X X X X X X X X X X X X X X X D.alata variété blanc D.alata variété blanc D.alata variété violet D.alata variété violet D.alata variété violet F1 F2 F3 A H C X X X X X X X X X X X X X X X X X X X X X X X X Photo 19: Chromatographie révélée au DMACA, espèce D.trifida cultivée. Mise en évidence d'un effet terroir. L'approche chimiotaxonomique dessine des profils différents entre les différentes variétés étudiées (cf. tableau 2). Chacune des variétés présente des tanins type oligomère différents. Ces différents tanins n'ont pas été identifiés. Nous remarquons entre les D.trifida sauvages et cultivées, une différence entre deux tanins. L'espèce D.trifida sauvage possède le tanin TC3 alors que l'espèce D. trifida cultivée possède le tanin TC2. L'espèce D. trifida contient le tanin TC4 ainsi que des dérivés de la quercétine indépendamment du fait de leur état sauvage ou cultivé. Un caractère particulier est mis en avant chez les D.trifida sauvages. En effet, nous observons la présence ou l'absence totale de tanins et autres composés phénoliques chez les D.trifida récoltées dans la savane 14 juillet (près de St Georges) et dans la réserve des Nouragues. Un effet terroir est visible entre chaque individu de chacune des variétés. Ceci se remarque d'autant plus entre les D.trifida cultivées (cf. photo 19) issu de Régina (individu SR) et de Javouhey. Il y a aussi un effet variété car les cultivés, dans différents terroirs, présentent tous des composés TC4 que ne présentent pas les sauvages qui possèdent des TC2 jamais retrouvés dans les cultivés quelque soit leur lieu de culture. De nombreux composés phénoliques autres que des tanins se sont révélés par la chromatographie mais n'ont pas été caractérisés (cf. photos en annexe) 17 Nombre de nectaire par cm² Répartion des nectaires sur les feuilles de D.trifida sauvage et cultivée récolté en Guyane 15 12,5 10 7,5 5 2,5 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 Sauvage 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 Cultivée Figure 7 Nombre de nectaire par cm² Répartion des nectaires sur les feuilles de D.trifida sauvage et cultivée issu des serres 15 12,5 10 7,5 5 2,5 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 Sauvage 22 23 24 25 26 27 28 29 Cultivée Figure 8 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 4. Protection anti-herbivorie 4.1 Protection chimique: les composés phénoliques Nous observons une concentration en équivalent catéchine dans nos échantillons de D.trifida sauvage et cultivée. En effet, D. trifida sauvage a une concentration en équivalent catéchine de 4,7 E-4 alors que l'espèce cultivée a une concentration de 8E-4. La différence entre les deux variétés n'est pas significative (Test du Khi-deux, p-value = 0,989; N = 12). L'échantillonnage pour ce résultat est faible. Il devra donc être augmenté pour rendre le test du Khi-deux plus robuste. 4.2 Protection biotique: glandes nectarifères L'étude de la répartition des nectaires extrafloraux des D.trifida sauvages et cultivées a montré qu’ils étaient, pour tous les individus, localisées sur le limbe foliaire. Les observations ont mis en évidence que les individus sauvages D. trifida ont un plus grand nombre de nectaires par unité de surface que les individus cultivés de la même espèce. Cette différence n'est pas significative (Test du Khi-deux, p-value = 0,360; N = 27) (Figure 7). Nous observons également un effet de la mise en culture (Figure 8). En effet, après avoir mis en culture en serre, les plants d’ignames d’origine sauvage et cultivé dans des conditions de culture identique pendant un an, nous observons une réduction du nombre de nectaires foliaires dans de même proportion pour les espèces sauvages et cultivées. 18 DISCUSSION L'igname est une plante qui a été influencé par le mode de vie itinérant des communautés consommatrices. En effet, les Amérindiens étaient autrefois des nomades et ont développé un savoir et un savoir-faire uniques dans l’exploitation de leur principale ressource alimentaire végétale, l’igname. Ils laissaient soigneusement en place la tête des tubercules d’ignames sauvages rencontrés en forêt lors de leur itinérance, et ne prélevaient qu’une partie du tubercule pour leur consommation sur place. Cette stratégie, où les ignames sauvages sont gérées dans leur milieu naturel de manière à maintenir et à améliorer la production du tubercule, est appelée paraculture (Dounias 1993). Une fois, sédentarisé, une autre forme de domestication primitive a été mise en place, qui consiste à prélever des tubercules dans la forêt et à les replanter aux abords des habitations, ou à exploiter les ignames apparues spontanément dans les jachères et aux alentours des habitations. Cette pratique est désignée comme de la protoculture (Chevalier 1936). L'igname D. cayenensis est produit à hauteur de 38,4%, D. alata représente 34,5% et l'igname D. trifida 25% de la production totale de plantes recensées dans l’abatti. Les communautés immigrées ont très bien intégrées l'espèce D.trifida dans leur culture peut-être par choix guttural ou par facilité. L'espèce D. cayenensis est cultivée principalement par la communauté Haïtienne. En effet, cette espèce est traditionnellement cultivée en Haïti où elle est particulièrement appréciée pour ses fibres procurant un sentiment de satiété (com.pers. P. Vernier). La caractérisation des différentes pratiques culturales usitées en Guyane à montrer des différences entre les communautés au niveau des nombreux paramètres pris en compte (type d'engrais, utilisation tuteur et technique, technique de recouvrement du tubercule). Afin de voir l'impact de ces pratiques, il faudrait, en premier lieu élargir l'enquête à une dizaine d'agriculteurs par communauté et dans un second temps comparer chaque paramètre un à un. Les pratiques employées ainsi que l'environnement jouent un rôle modulateur sur le métabolisme primaire et secondaire. En effet, l'apport en nutriment du sol influence particulièrement ces deux métabolismes puisqu'ils ont les mêmes précurseurs des chaînes métaboliques. 19 Morphologie et plasticité phénotypique D’une manière générale, quelles que soient les variétés considérées, nous constatons, au sein des cultivars, une diversité morphologique plus ou moins importante concernant le plus souvent la forme du tubercule, la coloration de la chair et/ou la forme des feuilles, dont nous ne savons, à priori, si elle est attribuable à la plasticité phénotypique naturelle des ignames ou au regroupement de plusieurs clones dans un même cultivar appelé « groupe variétal » (Dansi et al. 1998; Hamon et Lebot 1998). Des analyses génétiques semblent être nécessaire pour comprendre cette grande variabilité entre les espèces et les cultivars. Par contre, en ce qui concerne l'espèce D. trifida, les différences morphologiques sont stables entre la forme cultivée et sauvage qui sont la taille du tubercule, et des feuilles notamment. L'impact de la mise en culture sur l'espèce sauvage est fort. Ceci souligne bien l'intérêt du modèle D. trifida qui va nous permettre d'affiner l'étude et d'amener des éléments de réponse sur la réponse des ignames à la mise en culture. Biomolécules et valorisation Les biomolécules mises en avant lors de notre étude, ont un intérêt économique important. Nous avons cherché à caractériser l'espèce la plus riche en mucilage et en composés phénoliques intéressant divers domaines comme la cosmétique, l’agroalimentaire ou encore la phytothérapie, en vue d'une production commerciale. Le mucilage des ignames peut servir dans de nombreux domaines tel que l'industrie alimentaire comme agent stabilisant ou clarifiant (enlève les microorganismes pendant la fermentation du vin, de la bière), comme gélifiant (épaississant de yaourt) ainsi qu'en cosmétologie en tant que hydratant grâce aux polysaccharides hydrosolubles qui ont des propriétés gélifiantes naturelles (ITERG, 2005) et également en phytothérapie comme a démontré Mazza (2000), le mucilage du lin pourrait avoir une valeur nutritionnelle en tant que fibre alimentaire, qui semble jouer un rôle dans la réduction des risques de diabète et de maladies coronariennes, la prévention du cancer du côlon et du rectum, et la réduction de l’incidence de l’obésité. Les composés phénoliques de type flavonoïdes ont d'abord été étudiés pour leurs effets protecteurs contre les pathogènes, bactéries ou virus qui infectent la plante, ou le rayonnement UV (Marcheix, 2005). Au sein de cette classe existent les flavonols type quercétine qui jouent un rôle pour la santé humaine puisqu'ils sont des antioxydants capables de piéger les radicaux libres générés en permanence par notre organisme ou formés en réponse à des agressions de notre environnement qui favorisent le vieillissement cellulaire. 20 Les anthocyanes sont des pigments rouges ou bleus très présents dans les fleurs et impliqués dans les mutualismes de pollinisation car sont de bon facteurs d’attraction des pollinisateurs. Ces pigments sont également retrouvés dans les feuilles de certaines plantes tropicales notamment et leur procurent une belle coloration bleue ou parfois violette. C’est ce que l’on retrouve dans les feuilles de D. alata variété « yam la main », qui montrent une belle couleur rose violette sur le pétiole et la tige notamment ainsi qu’au niveau du tubercule. Nos résultats quant à la recherche de composés phénoliques montrent bien la similitude existant entre la composition en F2 chez l’igname violet D. trifida et l’espèce D. alata « yam la main ». L’espèce D. alata blanche n’a pas de F2. Ce composé semble être à l’origine de la couleur violette retrouvée chez ces deux espèces. Il aurait été intéressant de doser ces mêmes flavonoïdes dans les tubercules, et corréler les résultats à l’intensité de la couleur violette de cet organe. Enfin, on retrouve les tanins composés bien connus pour leur astringence et leur pouvoir toxique qui jouent un rôle non négligeable dans la protection anti-herbivore des plantes, comme nous le détaillons plus loin. Pour l’ensemble de ces composés nous avons recherché quelle espèce était la plus riche en biomolécules à forte valeur ajoutée dans une optique de sélection en vue de production commerciale, et un effet plante a pu être mis en évidence. La production de mucilage est la plus importante pour l'espèce D. trifida sauvage et la moins importante pour l'espèce D. rotundata. Les composés phénoliques de type tanins sont produits majoritairement par D.trifida cultivée. Mise en culture et production de Biomolécules Par ailleurs, nous avons recherché l’impact des conditions de cultures sur la production de ces composés, connue pour être sensibles aux variations environnementales (Sagers et Coley, 1995). Dans le cadre de ce stage, nous avons recherché s'il y a un effet ou non de la mise en culture en comparant D. trifida sous ses deux formes : sauvage et cultivée. L’objectif global étant, dans un contexte plus vaste, de tester l'effet de chacun de ces paramètres environnementaux sur la production de biomolécules, afin d’optimiser les cultures et de pouvoir ainsi réduire la taille de la parcelle. La recherche de biomolécules que nous avons effectuée met incontestablement en avant l'impact de la mise en culture sur D. trifida. Les paramètres environnementaux jouent un rôle important dans le complexe « trifida sauvage versus cultivé » et différencient les deux formes de D. trifida, par leur morphologie nous l’avons vu, ainsi que par leur production en biomolécules. En effet, les recherches de composés phénoliques, et de mucilage mettent bien en avant la séparation entre sauvage et cultivé. 21 L'espèce D. trifida sauvage produit peu de tanins mais une quantité importante de mucilage alors que D. trifida cultivée fabrique une quantité très importante de tanins et peu de mucilage. Par contre, l'effet terroir entre les différents abattis, n'est que très peu visible car le nombre d'échantillons est trop faible. Protection anti-herbivore biotique versus chimique D’un point de vue écologique, de nombreuses espèces de fourmis sont attirées par la sécrétion de nectar foliaire et assurent la protection des zones juvéniles (méristèmes) contre les herbivores (Pascal, 1993; McKey, 1998; Di Giusto, 2001). Cette relation à bénéfice réciproque est un mutualisme de protection de type opportuniste car n’importe quelle espèce de fourmi peut venir patrouiller et consommer le nectar. La mise en culture de cette plante s’accompagne d'une très forte réduction du nombre de glandes nectarifères. La relation élaborée avec les fourmis consommatrices de nectar en est alors sévèrement affectée. Les individus sauvages présentent donc un nombre plus élevé de glandes que les cultivés. Les plantes s'étant développées en serre montrent également cette différence avec une diminution globale du nombre de glandes aussi bien chez les plants sauvages que cultivés. La protection biotique (assurée par les fourmis) est gérée par le métabolisme primaire car est soumise à la production de nectar sucré et la protection chimique (production de tanins dans les feuilles) par le métabolisme secondaire. Ces deux types de métabolismes utilisent les mêmes précurseurs et semblent donc interdépendants, entraînant parfois une interdépendance des deux types de protection anti-herbivore. La protection biotique et la protection chimique sont complémentaires. En effet, l'espèce D. trifida sauvage possède peu de tanins mais de nombreuses glandes nectarifères alors que l'espèce cultivée montre l'inverse. Ces deux métabolismes sont sensibles aux ressources du milieu (Berenbaum, 1995). En effet, Coley et collaborateurs (1985), ont défini "la théorie de la protection optimale" qui dit que lorsque la plante investit ces ressources dans sa croissance ou sa reproduction, il y aura alors une baisse de production de nectar mais aussi de métabolites secondaire. Le fonctionnement de la plante entière conditionne le métabolisme et par voie de fait le degré d’investissement dans la protection anti-herbivores. Nous comprenons donc bien que les ressources du milieu vont jouer un rôle capital sur cette protection de façon indirecte. L’impact du milieu et notamment de la mise en culture que nous soulignons dans nos travaux, s’explique très certainement par la gestion métabolique de la plante et son investissement dans sa protection. 22 CONCLUSION Une bioprospection a révélé une diversité des ignames présentes dans les abattis ainsi qu'une diversité des pratiques culturales parmi les différentes communautés guyanaises. Afin de conclure sur les effets des paramètres culturaux il est nécessaire d’effectuer un recensement plus important. Les études menées ont mis en évidence une différence entre l'espèce D.trifida sauvage et cultivée aux niveaux de la production de molécules issu des métabolismes primaire et secondaire. Effectivement, les ignames américaines cultivées ont tendance à investir plus d'énergie dans la production de composés phénoliques type tanins et flavonols, contrairement aux individus sauvages qui investissent plutôt dans des systèmes de défense anti-herbivores biotique par production de nectar sucré. La recherche de biomolécules a mis en évidence, un effet terroir ainsi qu'un impact de la mise en culture. Pour tester cette tendance, il faudrait analyser plus précisément par HPLC les différentes molécules. L'igname offre un potentiel chimique encore très peu étudié. En effet, en plus des nombreux composés phénoliques, l'igname possède des saponines qui une fois hydrolysé libèrent des triterpènes et des stéroïdes de type diosgénine (précurseur de la progestérone). Dans le cadre d'une future étude, il serait intéressant d'analyser cette classe de molécule. 23 ANNEXES Caractérisation de la diversité des Dioscorea en Guyane: Tableau de l'enquête Espèce sauvage Espèces cultivées Espèce NuméroCommunautés Lieu Tubercule D. trifida S1 / St Georges Blanc D. trifida S2 / St Georges Violet D. trifida S3 / St Georges Blanc D. trifida N1 / Nouragues Blanc D. trifida N2 / Nouragues Blanc D. trifida N3 / Nouragues Blanc D. trifida K1 / Kaw Blanc/Violet D. trifida K2 / Kaw Blanc D. trifida K3 / Kaw Blanc D. trifida PSG3 Palikur St Georges Violet D.trifida PSG4 Palikur St Georges Pas de tubercule D. trifida CS1 Créole Sinnamary Violet D. trifida CC4 Créole Carapa Violet D. trifida SR2 Saramaka Régina Blanc D. trifida SR3 Saramaka Régina Violet D. trifida SR4 Saramaka Régina Violet D. trifida SSL1 Saramaka St Laurent Blanc/Violet D. trifida DJ7 Djuka Javouhey Violet D. trifida DJ8 Djuka Javouhey Blanc D. trifida DJ9 Djuka Javouhey Blanc/Violet D. trifida DJ2 Djuka Javouhey Blanc/Violet D. trifida DJ4 Djuka Javouhey Violet D.trifida DJ3 Djuka Javouhey Blanc D. trifida HJ1 Haitien Javouhey Violet D.trifida HmS Hmong Sinnamary Blanc D. cayennensis PSG5 Palikur St Georges Jaune intense D. cayennensis CS4 Créole Sinnamary Jaune pale D. cayennensis SR6 Saramaka Régina Jaune intense D. cayennensis HK Haitien Kourou Jaune intense D. cayennensis HM7 Haitien Rte de Mana Jaune intense D. rotundata PSG1 Palikur St Georges Jaune D. rotundata PSG2 Palikur St Georges Pas de tubercule D. rotundata SR7 Saramaka Régina Jaune D. rotundata DJ1 Djuka Rte de Javouhey Jaune clair D. rotundata DJ5 Djuka Javouhey Jaune clair D. rotundata HM1 Haitien Mana Jaune D. alata CC3 Créole Carapa Blanc D. alata SR5 Saramaka Régina Blanc/Jaune très clair D. alata SSL2 Saramaka St Laurent Blanc D. alata DSL1 Djuka St Laurent Blanc/Jaune très clair D. alata HM4 Haitien Rte de Mana Blanc intense D.alata violet HmJ1 Hmong Javouhey Jaune,contour violet D.alata violet HmJ2 Hmong Javouhey Blanc/Violet D.alata violet HM3 Haitien Rte de Mana Jaune orangé,contour orange D.alata violet SR1 Saramaka Régina Orange intense,contour violet Herbier de Cayenne: Ignames sauvages de Guyane française Dioscorea trifida Dioscorea polygonoides Dioscorea amazonum Dioscorea pilosiuscula Description du lieu de récolte et des abattis Photo 3: Abatti Palikur - St-Georges Photo 3: Abatti Hmong (en pente) – Cacao Photo 5: Abatti Djuka – Javouhey Photo 2: Abatti Saramaka - Régina Photo 4: Abatti Créole – La Carapa Photo 6: Abatti Haitien – Javouhey Recherche de biomolécules Photo des différentes chromatographies Révélation des tanins au réactif DMACA Révélation des flavonols au réactif de Neu Structure des composés phénoliques mis en évidence - Flavonol type quercétine - Tanin hydrolysable type ellagique - Tanin condensé type gallique Approche fonctionnelle Un dosage de carbone/azote (C/N) a été réalisé dans le cadre d'une approche fonctionnelle. Le carbone et l'azote sont des éléments constitutifs importants des êtres vivants. En effet, le carbone provenant du gaz carbonique (CO2) atmosphérique alimente la croissance des plantes (photosynthèse). L'azote présent dans le sol est consommé par les plantes et dégradé sous forme d'ions ammonium et de nitrates. Nous avons déterminé la teneur, en pourcentage, du ratio C/N par mg de feuilles séchées pour chacun de nos échantillons. Ce rapport était initialement recherché comme un critère de description des différentes espèces et devait être corrélé aux données de photosynthèse que nous n’avons pas pu faire par manque de matériel dans les serres. En effet, la croissance de certaines espèces est très lente. Par manque de cohérence avec le reste des recherches effectuées, nous avons préféré mettre cette partie en annexe. Graphiques du dosage C/N Différents paramètres de variabilité ont été étudiés: suivant les 6 variétés, les 3 secteurs géographiques, l'utilisation d'engrais. L'utilisation d'engrais a été scindée en quatre catégories: engrais chimique, engrais organique, engrais chimique et organique et aucun engrais. Mais ces deux dernières, ne sont pas représentatives car seulement deux agriculteurs parmi les dixneuf interrogés utilisent ces pratiques. Les graphiques ne montrent pas une différence significative parmi les différents paramètres étudiés. - Suivant les différentes variétés recensées: Pourcentage (%) Pourcentage de C/N par mg de feuilles séchées 25 20 15 10 5 0 D. trifida cultivé D. trifida sauvage D. alata variété D. alata variété D. cayennensis blanc violet D. rotundata - Suivant les différents secteurs Pourcentage du rapport C/N par mg de feuilles séchées 25 20 15 10 5 0 Secteur 1 - Secteur 2 Secteur 3 Suivant l'apport dans le sol Pourcentage C/N 25 20 15 10 5 0 cendres engrais chimique cendre& engrais chimique aucun apport BIBLIOGRAPHIE Ouvrages de références Chevalier, 1936. 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Un inventaire de la diversité des Dioscorea a été fait sur les abattis ainsi qu'une description des pratiques culturales employées. L'impact de ces pratiques sur les différentes variétés d'igname recensée a été étudié. La recherche de biomolécules dans le tubercule (mucilage) ainsi que dans les feuilles (composés phénoliques) a mis en évidence un effet terroir. Une comparaison a été faite entre l'espèce D. trifida sauvage et cultivée au niveau de la protection anti-herbivore. La plante met en place une protection de deux ordres: biotique (mutualisme plante-fourmi) et chimique (tanins). Mots clés: igname, Dioscorea trifida, Guyane, mise en culture, composés phénoliques, mucilage, protection anti-herbivore. The object of this study concerns essentially the culture of the yam Dioscorea trifida by the several communities which populate the French Guyana and its counterpart who grows to the wild state. An inventory of the variety of Dioscorea was made on fields as well as a description of the culturales practices used. The impact of these practices on the various varieties show of listed yam was studied. The research for biomolecules in the tuber (mucilage) as well as in the leaves (phenolic compound) put in evidence an effect soil. A comparison was made between the specie D. trifida wild and cultivated for the antiherbivore protection . The plant sets up a protection of two orders: biotics (mutualism plantant) and chemical (tannin). Key-words: yam, Dioscorea trifida, French Guyana, setting in culture, phenolic compounds, mucilage, protection anti-herbivore