INTRODUCTION
Les débats entamés depuis quelques années sur les alternatives possibles au système
économique dominant ont fait porter un nouveau regard sur le concept de secteur informel. Celui-
ci s’est vu attribué le rôle d’une possible "alternative informelle" [LAUTIER, 2003] à la
mondialisation libérale ou capitaliste. Dans le cadre des pays en développement (PED), la même
potentialité lui est attribuée en terme de stratégie alternative de développement. Mais avant
d’ambitionner de telles perspectives pour ce secteur, encore faut-il savoir de quoi l’on parle. En
effet, après plus de 30 ans de débats, la notion reste encore floue et on ne sait trop quelles
politiques lui appliquer.
La genèse de la notion de secteur informel nous renvoie au début des années 1950 avec
l’apparition des analyses dualiste des économies en développement1 et la réflexion sur le
problème de l’absorption par le secteur moderne d’une offre de travail croissante dans les villes
(sous l’effet conjugué de la croissance démographique et de l’exode rural). Si le modèle de LEWIS
(1954) prévoyait l’absorption progressive du surplus de main d’œuvre du secteur traditionnel par
le secteur moderne, force est de constater, pourtant, la présence dans les zones urbaines de la
plupart des PED, d’actifs à la recherche d’un emploi. L’existence de ce sous-emploi, ou chômage
ouvert, dans un contexte d’extrême rareté des indemnisations a obligé les chômeurs urbains à
trouver des opportunités de revenus hors du système moderne afin de vivre ou survivre2. Keith
HART, étudiant les opportunités de revenus des ménages au Ghana, introduit alors pour la
première en fois en 1971 la notion de secteur informel ("informal sector"3). Son étude ne sera
publiée que deux ans plus tard en 1973 dans le Journal of Modern African Studies [HART, 1973].
Entre temps, en 1972, le Bureau International du Travail (BIT) publie le fameux "rapport Kenya"
sur la situation de l’emploi urbain, à Nairobi notamment, et donne un première définition du
secteur informel en identifiant sept caractéristiques principales (cf. section I). C’est le point de
départ de plusieurs années de débats, toujours en cours à l’heure actuelle, voyant s’affronter une
multitude de définitions et théories du secteur informel. Pour s’en convaincre il n’est qu’à
constater la multiplicité des appellations (une vingtaine environs) apportés au fil de ces intenses
débats pour désigner une même réalité (cf. Annexe 1).
A partir des années 1980, la mise en place des programmes d’ajustement structurel (PAS),
sous l’égide du Fonds Monétaire International (FMI) et de la Banque Mondial (BM), dans la
majorité des PED va favoriser une explosion du secteur informel. Au nom d’une doctrine libérale,
les PAS vont imposer le désengagement de l’Etat dans les économies en développement, tant par
ses investissements que par ses effectifs. A un moment où l’offre de travail est en pleine
croissance, la chute des salaires, la multiplication des licenciements et plus généralement
l’aggravation de la crise économique et social engendrée par ces politiques d’austérités vont
contribuer à faire du secteur informel le plus grands pourvoyeur d’emploi. Ce sont, en effet,
plusieurs millions d’individus à travers le monde (hommes, femmes, enfants, vieillards) qui,
poussés par un naturel et légitime instinct de survie, viennent grossir les rangs du secteur
informel. Ainsi, selon MALDONADO (1993), en Afrique près de deux citadins sur trois en vivent et
dans un avenir proche, ce secteur fournira 93 % des nouveaux emplois. L’Amérique latine
n’échappe pas non plus au phénomène, le secteur informel créer dans cette région bien plus
1 On peut ainsi rappeler l’approche classique d’Arthur LEWIS (1954) dont le modèle dualiste distinguait un secteur
moderne d’un secteur traditionnel, le développement se définissant alors comme un processus d’absorption du
surplus de main d’œuvre du secteur traditionnel par le secteur moderne.
2 Titre de l’ouvrage dirigé par P. HUGON et I. DEBLÉ (1982) : Vivre et survivre dans les villes africaines, PUF, coll.
Tiers Monde.
3 La traduction française a souvent été critiqué car le terme informel renvoie à l’absence de forme alors que
"informal" signifie irrégulier et renvoie donc plus à l’absence de caractère officiel [MARTINET, 1991].