65- Le merveilleux pissenlit - Les cercles des jeunes naturalistes

La plante a une tige extrêmement courte, si courte qu'on la
dit plante acaule, c'est-à-dire sans tige. Tout juste de quoi fixer
une rosette de feuilles.
Le capitule floral est solitaire au bout d'une hampe ou scape
cylindrique et creux, dont la longueur est très variable. La hampe
est souvent rouge vin et chaque plant peut produire plusieurs
hampes. La hampe sort à l'aisselle d'une feuille. Elle contient un
latex blanc, âcre, collant et désagréable parce qu'il tache et que
ces taches sont difficile à enlever. Le latex forme une goutte
visqueuse au bout de la hampe qu'on arrache ou qu'on brise.
Les feuilles
L'extrême variabilité des feuilles du Pissenlit intrigue beau-
coup les botanistes. Les feuilles varient d'une région à l'autre et
même au sein d'un même peuplement. Impossible donc de se
baser sur un seul spécimen, il faut tabler sur une moyenne.
Le contour général de la feuille présente une forme oblongue
ou spatulée, obtuse ou aiguë à l'extrémité supérieure, amincie en
pétiole à la base. Le limbe est très régulièrement lobé, profondé-
ment découpé ou pinnatifide, ou simplement sinué-denté. Par-
fois, la feuille prend des proportions étonnantes; d'autres fois, elle
reste étroite, courte et malingre. Elle est pubescente dans le jeune
âge.
Remarquez la couleur de la graine. Quand on arrache une
feuille, des fibres viennent avec la graine; ces fibres très résistan-
tes sont des faisceaux de vaisseaux.
Le Pissenlit a ceci de particulier que les feuilles sortent très
tôt au printemps avant la floraison; elles sont blanchâtres avant
d'avoir pu atteindre la pleine lumière. Les connaisseurs parcou-
rent les champs au printemps, le dos plié à angle droit, un
couteau dans une amin et un sac dans l'autre; ils font la cueillette
des jeunes feuilles de Pissenlit pour en préparer une salade
amère, mais délicieuse.
La rosette de feuilles sait se tailler une place sous le soleil et
elle pousse volontier les herbes avoisinantes pour s'installer.
Le capitule
Le Pissenlit appartient à la famille des Composées, c'est-à-
dire que ses fleurs sont groupées en capitules. Relis, dans le
Feuillet 53 sur la Marguerite, l'explication de la structure d'un
capitule.
À la différence de la Marguerite, le Pissenlit est constitué
uniquement de fleurons ligulés; c'est donc une composée liguli-
flore.
Le réceptacle est plat et nu au moment de la floraison:
cependant, il s'arrondit en boule au moment de la fructification. Si
tu veux étudier la disposition des fleurons sur le réceptacle,
examine un réceptacle dont le vent a emporté tous les fruits.
Pour bien comprendre la structure du capitule du Pissenlit,
tranches-en un gros en plein centre dans le sens vertical. Cette
coupe te permet de voir la position des bractées de l'involucre et
celle des fleurons.
Les fleurs
Les fleurons du Pissenlit sont très nombreux (100-200). Ils ressem-
blent beaucoup aux fleurons ligulés du pourtour d'un capitule de
Marguerite. Les cinq pétales, d'un beau jaune éclatant, sont soudés
en tube et prolongés sur un côté en une longue ligule tronquée à cinq
dents. Les sépales, en nombre indéfini, sont réduits à des soies simples,
épineuses, longues de 5-6 mm, fixées à la base de la corolle, au sommet
de l'ovaire.
Comme c'est le cas chez les Composées, les étamines, au nombre de
cinq, ont leurs filets libres, mais leurs anthères sont soudées en tube
autour du style. Celui-ci est très long et se termine par un stigmate à
deux lobes spiralés, couverts de verrues.
L'involucre
On appelle involucre l'ensemble des bractées ou petites
feuilles gris verdâtre qui enveloppent le réceptacle. Ces bractées
sont de deux sortes chez le Pissenlit: la série interne comporte
des bractées longues, linéaires ou lancéolées, dressées autour
des fleurons: les rangs externes sont formés de bractées plus
courtes, étalées ou réfléchies, toutes pointues.
L'involucre, comme la capitule, suit un ryghme d'épanouisse-
ment bien déterminé, que nous étudierons plus loin.
Le fruit
Le fruit du Pissenlit est un akène renfermant une seule
graine. L'akène est en forme de fuseau, brun verdâtre, avec une
dizaine de stries longitudinales et de petits tubercules ou épines,
tournés vers le haut, sur la moitié supérieure.
L'akène se rétrécit brusquement au sommet et se prolonge
en un bec deux ou trois fois plus long.
Au sommet de ce prolongement, une houpette de soies
denticulées constitue l'aigrette ou pappus, véritable parachute
extrèmement léger qui permet au moindre vent (un kilomètre et
demi à l'heure suffit) de transporter la petite graine à des
distances indéfinies.
L'ensemble des akènes et des aigrettes ou infrutescence
forme une jolie boule de duvet blanc qui bientôt s'éparpille.
Avec un appareil aussi merveilleusement conçu, "aussi
terriblement efficace", écrit Joseph Wood Krutch, on comprend
pourquoi la dissémination des graines de Pissenlit est si facile et
la présence de cette "mauvaise herbe" si universellement répan-
due. Le voyage se termine dès que l'air devient humide: le
parachute se ferme et la graine tombe.
Le cycle vital
Le Pissenlit, cette plante considérée comme une des plus
vulgaires, a pourtant un cycle de développement des plus
extraordinaires. Voici comment le Frère Marie-Victorin décrit ce
cycle dans la Flore laurentienne (p. 553): "Tous les matins, vers
cinq heures, si le ciel est découvert, l'involucre s'ouvre et laisse
épanouir une couronne de fleurs ligulées: tous les soirs, il se
ferme de bonne heure pour s'ouvrir encore et ainsi de suite, tant
que la sérénité du ciel le permet, et tant qu'il reste des fleurs
ligulées à épanouir. Comme ces fleurs sont très nombreuses, il
est rare que l'involucre attende le développement des dernières
qui sont au centre, et qui d'ailleur sont presque toujours stériles;
il se ferme peu à peu, serrant ces fleurs stériles, les forçant à se
détacher et à sortir en une masse qui est ainsi chassée par le
développement des aigrettes. La maturité arrive de très bonne
heure, et alors les bractées se rabattent sur les pédoncules, le
réceptacle se renverse, et l'on voit apparaître une boule d'achai-
nes aigrettés qui seront bientôt dispersés aux quatre vents. Les
phénomènes qui se passent dans le capitule sont accompagnés
de mouvements périodiques et concomitants de la hampe. Après
l'anthèse, celle-ci, en effet, se couche sur le sol, relève un peu son
capitule; pendant ce temps, une autre hampe s'est dressée
verticalement pour une nouvelle anthèse, après quoi elle se
couchera à son tour, et ainsi de suite. Chacune de ces hampes se
relève pour étaler sa boule d'aigrettes. Ce double mouvement,
pendant lequel la hampe accomplit deux fois le trajet dont les
positions extrèmes forment un angle de 90 degrés, demande plus
ou moins de temps suivant la température, mais il est général...
La croissance de la portion florifère du Pissenlit subit trois
phrases distinctes: une période de croissance accélérée (7-10
jours), depuis l'apparition de la hampe jusqu'au milieu de la
période de floraison: une période de croissance ralentie (6-8
jours), comprenant la dernière moitié de la floraison et le
développement des graines; une seconde période de croissance
accélérée (7-10jours), atteignant son maximum 1-2 jours avant la
dissémination des graines."
Mentionnons ici un phénomène étrange chez le Pissenlit.
Bien que cette fleur soit parfaitement organisée pour la reproduc-
tion normale par la fécondation des ovules, ceux-ci peuvent
produire des embryons sans fécondation par le pollen: c'est la
parthénogénèse. La conséquence de ce phénomène, c'est que
les variations de formes, très fréquentes chez le Pissenlit par suite
des hybridations faciles, se transmettent à la descendance
comme dans le cas de simples boutures. Alors, c'est le désespoir
des botanistes qui essaient de déterminer les espèces.
Mauvaise herbe
Des fouilles archéologiques au Danemark ont révélé qu'à
l'âge de pierre, l'homme cultivait le Pissenlit à partir de la graine
pour s'en nourrir. Aux 10e et 11e siècles, les Arabes mention-
naient les propriétés curatives du Pissenlit. C'est depuis le 13e
siècle qu'Italiens et Européens le mangent en salade. C'est notre
siècle qui a rangé le Pissenlit parmi les mauvaises herbes.
Cette notion de mauvaise herbe est bien relative. Le citadin
qui croit au mythe de la pelouse pure rage contre le Pissenlit
envahisseur et le marchand-jardinier a tout intérêt à entretenir ce
mythe, car la lutte contre le Pissenlit lui rapporte de gros profits.
Mais est-ce vraiment une horreur que ces fleurs jaunes dans un
tapis vert? Cette "mauvaise herbe" est tout de même fort utile aux
producteurs de miel; comme le Pissenlit fleurit très tôt au
printemps, c'est lui qui fournit la première miellée. De plus, on
peut faire un excellent vin avec les fleurs, sans oublier la bonne
salade de jeunes feuilles. Enfin, la racine est diurétique et laxative,
elle purifie le sang. Les capitules sont très fréquentés par les
insectes.
Heureusement, le Pissenlit commence à être mieux
apprécié. En Ontario, on en cultive pour le manger. Il figureme
dans les livres de recettes modernes.
Distribution
Le Pissenlit n'est pas originaire d'Amérique; il a été apporté
par les pionniers et les Indiens en raffolaient. Il est devenu une
plante ubiquiste, c'est-à-dire qu'on le trouve à peu près partout
dans le monde, aussi bien à la ville qula campagne. Il envahit
toutes les parties civilisées du monde, tous les lieux habités par
l'homme, les champs, les prairies, les bords de chemin, les
cultures, les pelouses.
Travaux
1. Fais la dissection d'un capitule et d'un fleuron; examine à la
loupe,rifie lestails mentionnés dans le Feuillet et com-
plète, car les détails ne sont pas tous indiqués.
2. le latex se loge-t-il? dans le creux de la hampe ou dans des
cellules spéciales? Y a-t-il du latex dans les feuilles et dans la
racine?
3. Qu'est-ce qui peut dissoudre le latex: de l'eau chaude? de
l'eau avec détergent? de l'alcool? de l'éther? de l'essence?
Quelle est la nature chimique de ce latex? Essaie de coller
deux feuilles de papier avec le latex.
4. Monte une collection de feuilles de Pissenlits d'unme
peuplement ou de plusieurs, pour illustrer la grande variabilité
des feuilles.
5. Fais l'expérience de la germination des graines de Pissenlit
officinal. Ou bien achète un paquet de graines de Pissenlit à
feuilles épaisses (de Steele Briggs) et essaie d'en faire la
culture; ces feuilles sont très recherchées, paraît-il.
6. Va dans un terrain meuble où poussent beaucoup de Pissen-
lits, dégage le haut de la racine de façon à t'assurer une bonne
prise et, en faisant pivoter la racine, essaie de la retirer au
complet. Répète l'opération sur plusieurs plants. Quelle est la
plus longue racine que tu as arrachée? J'en ai déjà retiré une
de 54 cm, et Il manquait le fin bout!
7. Vérifie le cycle de développement et le jeu des bractées, en
t'aidant de la description de Marie-Victorin. Vérifie également
les données de Paul Grescoe: le capitule ne s'ouvre pas tant
que la température ne monte pas à 10° C, Il ne s'épanouit pas
complètement à moins de 17-18° C; le Pissenlit ne fleurit pas
s'il y a plus de 12 heures de lumière et la fleur ne demeure
ouverte qu'une seule journée. .
8. Fais un dessin très agrandi ou une grosse maquette d'un
akène de Pissenlit.
9. Est-il vrai qu'un Pissernit en pleine floraison et laissé sur le
terrain peut quandme se rendre à la graine et que, par
contre, un plant mis dans un pot d'eau meurt immédiatement?
Recherches
1. Disposition en spirale.
Relis l'explication de la disposition en spirale chez la Mar-
guerite. La formule de spirale chez le Pissenlit est-elle lame
que celle de la Marguerite? Tu peux te servir d'un capitule en
fleur, d'une infrutescence ou d'un réceptacle dégarni.
2. Influence de la lumline.
Le capitule s'épanouit tôt le matin si le ciel est dégagé et il se
ferme le soir. Si tu soumets un plant de Pissenlit en terre à un
éclairage continu, est-ce que le rythme habituel d'épanouisse-
ment est brisé? Qu'advient-il si les capitules sont maintenus dans
un demi-jour comme si le ciel était toujours couvert?
3. Le pissenlit Idéal
En procédant de la façon indiquée à propos de la Marguerite,
calcule le nombre moyen de fleurons, de soies-pétales, de
bractées et d'akènes chez 1 000 capitules. C'est évidemment
un travail d'équipe, à condition que tous les équipiers soient cons-
ciencieux. Les résultats se présentent en graphiques. Y a-t-il une
correspondance entre les courbes? Excellent travail pour une
expo-science.
4. Les monstres
Les hampes à deux ou trois capitules sont très rares. Dans
une grande colonie de Pissenlits, cherche des monstres. Essaie
d'en évaluer le pourcentage. Si tu le peux, transplante un de ces
plants dans un pot profond pour savoir si, le printemps prochain,
il produira encore des monstres. Fais la même recherche en
semant des akènes de capitules monstres.
5. Importance de la descendance
Supposons qu'un capitule produise 150 akènes et que
chacun de ces akènes produise un nouveau plant à un capitule
chacun. Calcule quelle serait la descendance à la troisième ou à
la quatrièmenération.
6. Souvent, dit-on, le Pissenlit ne vit que deux ans; c'est à vérifier
sur un grand nombre d'individus.
7. Les Pissenlits cueillis au printemps sont souvent âgés, sur le
point de fleurir, de produire et de mourir; ceux d'automne sont
plus succulents, car les feuilles, à ce moment, accumulent des
réserves pour le printemps. À vérifier.
8. Quels sont les oiseaux qui se nourrissent de graines de
Pissenlit? On mentionne, entre autres, le Pinson familier. Les
animaux de nos pâturages broutent-ils le Pissenlit?
9. Le nombre de feuilles d'un plant est-il aussi variable que la
forme des feuilles? Les feuilles d'un plant sont-elles toutes
semblables? Fais la recherche sur un grand nombre d'indivi-
dus.
10. Adaptation au milieu
Le Naturaliste, avril 1972, a déjà présenté une recherche
intéressante de Michel Bertrand. Nous la suggérons ici briève-
ment. Choisis cinq habitats différents où poussent des Pissenlits:
par exemple, champ Inculte, le long d'une clôture, cour, pelouse
tondue, hautes herbes, etc. Sur le tableau l, indique par un chiffre
le degdu facteur considéré. Sur le tableau Il, les chiffres
correspondent au nombre de spécimens examinés; pour une
recherche valable, il faudrait examiner non pas cinq, mais cent
spécimens.
Cette recherche permet de constater la grande variabilité
chez le Pissenlit selon l'influence de multiples facteurs et la facul
d'adaptation de cette plante.
Dollard Senécal, S.J.
CB 505 E-2 5
F 436 S-1 5
ISSN 0045-6179
(c) Les Éditions des Jeunes Naturalistes 1975
Dépôt légal - Deuxième trimestre 1975
Bibliothèque nationale du Québec
Bibliothèque nationale du Canada
Imprimerie Gagné LIée, St-Justin
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