S
ciences-
C
roisées
Numéro 9 : Contributions libres
Prévention du VIH/Sida :
nécessité d'un changement
des pratiques communicationnelles
Aïssata Moussa Yahaya
IRSIC – CREPCOM
(Université de Provence)
aissata_moussa @y ahoo
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Prévention du VIH/Sida :
nécessité d'un changement des pratiques communicationnelles
Résumé
Urgence sociétale dans le monde, la lutte contre le VIH/Sida est abordée avec de
nouvelles approches dans le champ des Sciences de l’Information et de la
Communication (Sic). Le regard est porté sur les pratiques communicationnelles et
l’approche préventive de cette pandémie est repensée afin de prendre en compte les
réalités africaines. La perspective structurante est d’associer étroitement la
communication à l’action, la communication au changement en actes et la
communication à l’institutionnalisation du changement. A travers une enquête et
une recherche-action conduites au Niger, des voies de changement et d’innovation
communicationnelle dans les pratiques préventives sont envisagées en intégrant de
nouvelles approches théoriques, méthodologiques et empiriques.
Mots-clés : VIH/Sida prévention changement de comportement action
communication
Prevention of HIV/AIDS:
need for a change of communication practices
Abstract
Emergency societal world, the fight against HIV/AIDS is addressed with new
approaches in the field of Information Science and Communication (Sic). The
attention is focused on communication practices and preventive approach to this
pandemic is redesigned to take into account African realities. The prospect is to
closely involve structuring the communication to the action, communication to
change into action and communication to the institutionalization of change. The
attention is focused on communication practices and preventive approach to this
pandemic is redesigned to take into account African realities. The prospect is to
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closely involve structuring the communication to the action, communication to
change into action and communication to the institutionalization of change.
Through a survey and action research conducted in Niger, channels of change
and innovation in communicative practices are considered preventative in
integrating new theoretical, methodological and empirical.
Keywords : HIV/AIDS prévention behavior change action
communication
Introduction : Limites de la communication pour le changement de
comportements dans la prévention du VIH/Sida
La prévention du VIH/Sida a conduit la plupart des responsables
de projets et programmes à chercher des stratégies qui puissent aider les
populations à adopter, de manière durable, des comportements favorables
à leur santé. Parmi celles-ci, la Communication pour le Changement de
Comportement (Ccc)1 a pris une place importante, particulièrement en
Afrique Subsaharienne. Ce modèle privilégie la relation entre la
transmission du message et la réceptivité de celui-ci par l’individu et/ou le
groupe. Cette approche met fortement l’accent sur la diffusion
d’informations, se limite principalement à la sensibilisation. Or, des
chercheurs ont souligné que cette « communication classique » ou
« communication persuasive » a des limites dès lors que l’on veut toucher
les comportements (e.g. Albarracin & al., 2006 ; Bernard & Joule, 2004,
2005 ; Bernard, 2006 ; 2006a ; 2006b ; Earl & Albarracin, 2007 ; Joule &
Beauvois, 1998 ; 2002.). En effet, si la démarche Informer, convaincre et
sensibiliser permet d’amener un changement d’attitudes, d’améliorer les
connaissances, elle a peu d’effets sur les changements de comportements.
D’ailleurs, les chiffres établissent que cette pandémie est loin
d’être éradiquée aussi bien en Afrique que dans le reste du monde. En ce
qui concerne le continent africain, « Les stratégies n’ont pas été
porteuses » affirme le Directeur Exécutif de l’Onusida2. Pour aller dans le
sens de ces propos nous défendons l’idée selon laquelle, il ne suffit pas
d’avoir les bonnes connaissances sur la maladie pour avoir les bons
comportements.
En nous inspirant de la « communication d’action et d’utilité
sociétales »3 (Bernard, 2006), l’ambition de notre recherche est de
proposer un nouveau cadre théorique et pratique dans une perspective
communicationnelle innovatrice. A partir d’un nouvel espace d’étude en
Sic - l’espace africain - nous comptons apporter notre contribution dans la
prévention du VIH/Sida afin d’améliorer la santé des populations
africaines en escomptant des effets immédiats et durables. Autrement dit,
1 Le module de formation du Projet d’appui à la lutte contre le Sida en Afrique de
l’Ouest (2003) définit la Ccc comme processus intégré dans un programme
global faisant appel à la participation de la communauté, produisant des
messages et approches personnalisés et définissant des comportements positifs
susceptibles de favoriser un changement durable.
2 Michel Sidibé, Directeur Exécutif de l’Onusida interrogé par PlusNews en
marge de la rencontre organisée du 6 au 8 mars 2006 à Brazzaville par l’Union
Africaine.
3 Sous le terme de « communication d’action et d’utilité sociétales », Françoise
Bernard rassemble un ensemble d’actions destinées à répondre à des enjeux de
société cruciaux. Elle y défend l’idée selon laquelle la communication d’action et
d’utilité sociétales travaille et déplace la question structurante de la
responsabilité.
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nous montrons que le lien entre idées et connaissances, actes et pratiques
permettent de solutionner de manière efficace un problème crucial de
société comme le VIH/Sida.
Dans un premier temps, nous développons des notions
structurantes de changement communicationnel, d’analyse culturelle,
d’innovation ainsi que de dynamiques instituantes dans une logique
actionnelle et de processus communicationnel. Ensuite, nous présentons
de nouvelles perspectives théoriques et empiriques envisagées pour un
changement en « actes » dans la prévention du Sida. Enfin, à partir de
l’exemple du Niger - un pays de l’Afrique de l’Ouest - nous dégageons la
méthodologie utilisée pour l’enquête-terrain dans une approche centrée
sur la recherche-action.
1. Notions structurantes
1.1. Penser un changement communicationnel dans la lutte contre le
VIH/Sida
De nombreux chercheurs en Sciences de l’Information et de la
Communication sont d’avis que la notion de communication s’étend au-
delà de l’échange de messages dès lors qu’on veut toucher les
comportements. Rappelons que le premier modèle canonique de
communication a été établi dès les années quarante par Lasswell (1948) -
Qui dit quoi, par quel canal, à qui et avec quel effet et c'est ce modèle
dont se servent encore aujourd'hui la plupart des campagnes de
communication préventive (e.g. la prévention du Sida). Mais
actuellement, ce modèle est vu par des chercheurs en Sic et en
Psychologie Sociale (Bernard & Joule, 2004) comme un simple processus
linéaire centré uniquement sur le transfert des informations. Aussi, afin
d’envisager cette communication comme un processus dynamique, ces
chercheurs proposent, dans un cadre pluridisciplinaire et de
rapprochement paradigmatique, de nouveaux enjeux, de nouvelles
problématiques et pratiques et ajoutent aux phases identifiées par
Lasswell, la question centrale : "en lui faisant faire quoi ?".
Ce nouveau modèle devrait améliorer les campagnes de
prévention en activant le changement de comportements, principal moyen
de limiter l’émergence et le développement de la pandémie du Sida. Il
symbolise ainsi, une « valeur » déterminante dans l’engagement des
acteurs.
En plus du cadre communicationnel, nous abordons dans cette
recherche, la dimension culturelle pour solliciter un changement efficace.
1.2. Une vision culturelle du changement
Malgré de nombreuses campagnes de sensibilisation, le VIH/Sida
est toujours resté un sujet prohibé en Afrique. Cette mentalité culturelle
influe énormément sur les comportements individuels. De ce fait, nous ne
pouvons envisager un changement dans les actes/pratiques sans aborder la
question de la culture. Quelle est donc l’importance des cultures - des
traditions, des religions - parmi les facteurs contextuels de la transmission
du VIH ? En effet, la modification de comportements risque) des
populations ne peut se faire sans une connaissance préalable du cadre
social et culturel qui sous-tend ces comportements (Masse, 1995). En
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Afrique, en néral, les problèmes liés à ce fléau sont profondément
enracinés dans les croyances et les pratiques culturelles et sociales. C’est
ainsi que dans le domaine des sciences sociales, l’anthropologie est
souvent sollicitée pour analyser les rapports entre une pandémie/épidémie
et les sociocultures (Desclaux, 2009). Elle le fait en examinant les
réponses que les cultures ont mises en place et les effets de la maladie sur
les rôles sociaux, les savoirs, les valeurs et l’organisation sociale,
notamment la famille. Ainsi, l’anthropologie de la santé nous permet de
mettre en évidence les composantes de la pandémie du Sida comme
« produit original » de la culture africaine.
Il s’agit ici de comprendre que des facteurs culturels, des normes
et représentations modèlent les croyances, non seulement religieuses,
mais également les relations en matière de Sida. Dans la mise au point de
n’importe quelle stratégie - notamment dans la lutte contre le VIH/Sida -
l’influence de la culture est à prendre en considération (Masse, 1995)
parce qu’elle peut constituer un déterminant de la santé et, en même
temps, une barrière à la prévention. C’est dire combien les mentalités et
croyances, symboles et rites interviennent dans la capacité des individus à
changer leurs comportements.
Les recherches en Afrique ont fourni d’abondantes informations
concernant la sensibilisation et les connaissances sur le VIH/Sida. Trois
approches théoriques marquent les travaux sur les comportements
(Rwenge, 1999) : socio-économique, institutionnelle et socioculturelle.
Concernant cette dernière, deux aspects fondamentaux la caractérisent:
« biosocial » et « socioculturel ». En effet, cette tendance fait toujours de
la sexualité un sujet tabou en Afrique. De ce fait, elle ne facilite pas, par
exemple, les modalités de communication entre les générations et crée des
situations les parents sont souvent incapables de parler des questions
sexuelles avec leurs enfants. Cette tendance culturelle est également
imprégnée par l'influence de la religion, de sorte que le VIH/Sida apparaît
comme une punition ou une malédiction de Dieu à l’égard des personnes
qui ne respectent pas ses ordonnances. Les relations de genre sont
également une dimension socioculturelle des différences observées entre
hommes et femmes dans les sociétés africaines. En effet, cette dimension
donne une certaine supériorité à l’homme, de sorte que la femme n’est
parfois pas bien informée du lien qui existe entre la sexualité et le
VIH/Sida parce qu’elle n’est pas « censée » avoir une bonne connaissance
de la sexualité.
Ainsi, en portant le regard sur la culture africaine, nous proposons
un changement qui débouche également sur des « mécanismes
innovateurs ».
1.3. L’innovation, vers l’émergence du changement
La notion d’innovation que nous interrogeons ici, se veut une
réponse à un problème social (Akrich, Callon & Latour, 1988a, 1988b;
Bernoux, 1985 ; Breton & Proulx, 2002 ; Crozier & Friedberg, 1977). En
ce sens, cette notion sera une tentative de tisser un rapport logique avec
l’environnement et d’y trouver une nouvelle forme d’action. Poser la
question d’innovation communicationnelle pour repenser le changement
de comportements revient à nous pencher vers de nouveaux usages pour
changer les normes telles qu’elles sont intériorisées. Comment notre étude
pose-t-elle la question de l’innovation en rapport avec la lutte contre le
Sida ? Ici, la logique innovatrice concerne, non seulement les produits et
services, mais surtout les organisations et les « processus
communicationnels » mis en œuvre dans leurs activités (D’Almeida,
Griset, Proulx, 2008).
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Par la mise en œuvre de nouveaux modes et processus
communicationnels, l’innovation permettrait donc de provoquer de
« nouveaux effets » et d’engendrer des changements à « grande échelle »
dans la prévention. En effet, malgré les divers modèles expérimentés en
Afrique (e.g. Iec/Ccc), le problème du Sida est plus que jamais d'actualité.
L’action étant un des centres de notre étude, nous la relions à la
notion d’institution pour lui donner du « sens », pour ajuster les actes de
communication et montrer que l’action individuelle peut être
« débordée » par l’action collective. Cette action collective peut aussi être
« renouvelée » par l’action individuelle. Par ailleurs, tout changement
devant procéder d'un changement de paradigme (Brenot & Tuvée, 1996),
nous lions notre approche à l’émergence d’une « culture de
responsabilité »4 (Bernard, 2006b ; 2008) pour contribuer à la
compréhension du changement sollicité. Ainsi, les travaux de Castoriadis
(1975) - penseur de l’imaginaire social et de la dynamique historique -
nous ont conduit à réfléchir sur les dynamiques instituantes.
1.4. Les dynamiques instituantes
Dans une première approche, nous utilisons ici le concept de la
dynamique historique des sociétés humaines que Castoriadis (1975) a
appelée le « social historique » avec le couple instituant/institué. Par
instituant, nous entendons « la contestation, la capacité d’innovation et en
général la pratique politique, comme signifiant de la pratique sociale »
(Hess & Savoye, 1993 : 3). En somme, l’instituant met en cause les
habitudes, les normes et les manières de penser.
Dans l’institué, nous incluons, non seulement « l’ordre établi, les
valeurs, modes de représentation et d’organisations considérés comme
normaux », mais aussi « les procédures habituelles de prévision
(économique, sociale, politique) » (Hess & Savoye, 1993, p. 3). L’institué
se manifeste donc dans ce que nous faisons sans même y penser, c’est-à-
dire nos habitudes, nos normes comportementales et sociales. Ainsi,
l’institué se prend pour l’universalité, l’institution.
Castoriadis fait partie de ceux pour qui le sens de la lutte pour
l’autonomie conduit au sens de la responsabilité de l’engagement. Dans le
même ordre d’idées, Van Eynde (2000, p. 71) affirme que « toute société
est dans une dynamique instituante qui doit, par son mouvement même, se
fixer en des formes instituées, lesquelles sont comme le produit et l’auto-
limitation de l’instituant ». C’est dire donc que par l’instituant - quelque
chose qui dit non - nous saisissons l’institué. L’instituant peut ainsi se
réaliser dans une pratique innovante à travers des engagements
individuels et collectifs.
Dans une deuxième approche, nous nous référons au cadre
théorique défini par Françoise Bernard (2006, 2008). Nous y développons
que nos sociétés sont faites d’institués, avec des formes institutionnelles
que l’auteure nomme « institutions empiriques ». L’instituant, dans ce
cas, signifie « émergence », « renouvellement », « innovation ». De ce
fait, toutes les sociétés sont instituées (sociétés primitives,
industrielles…), mais se modifient sur de longues périodes. Il s’agit, pour
nous, de considérer les « actions sociétales » comme des « actions
instituantes » avec un passage vers de nouvelles responsabilités. Ainsi,
nous proposons de développer une nouvelle culture, comme la « culture
4 Françoise Bernard (2006) nomme « culture de la responsabilité », ce qui
concerne toutes les organisations qui confirment leur rôle d’institution. C’est
dans le processus d’autopoïesis de cette institution que se forge une culture de la
responsabilité sociétale pouvant transcender les cultures locales de telle ou telle
organisation, de tel ou tel collectif d’acteurs.
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