A C T U A L I T É S D E L A R H U M AT O L O G I E Forum Med Suisse 2006;6:387–388 387 Déplétion des cellules B par anticorps monoclonaux – une nouvelle lueur d’espoir à l’horizon du traitement des maladies auto-immunes1 Michael Seitz Service universitaire de Rhumatologie et Immunologie clinique / Allergologie, Hôpital de l’Île, Berne Dans la pathogenèse de maladies auto-immunes telles que le lupus érythémateux disséminé (LED), le syndrome de Sjögren primitif, l’arthrite rhumatoïde (AR) et les vasculites systémiques associées aux ANCA (VSAA), qui s’accompagnent typiquement d’une production d’autoanticorps, les lymphocytes B jouent un rôle central. La suppression sélective de la synthèse d’immunoglobulines dans les lymphocytes B humains est considérée comme un mécanisme d’action très important des alkylants standard tels que le cyclophosphamide, dans l’induction de rémissions des formes à évolution particulièrement grave de ces pathologies [1]. Malheureusement, quelque 10% des patients restent réfractaires à cette forme de traitement conventionnel «agressif», et nombreux sont ceux qui présentent des effets indésirables graves, limitant les doses [2]. Le rituximab est un anticorps chimérique souris/humain monoclonal contre l’antigène de surface spécifique des cellules B CD20, une protéine membranaire intégrale jouant un rôle important au début du cycle de la division cellulaire et dans la différenciation de ces cellules B [3]. L’expression du CD20 à la surface des cellules commence au stade pré-B précoce et persiste pendant toute la maturation des cellules B. L’expression diminue par contre dans les précurseurs précoces des plasmocytes et disparaît totalement pendant la différenciation terminale des cellules B en plasmocytes matures. Grâce à son expression puissante et stable sur les lymphocytes B normaux et néoplasiques, la molécule CD20 est une structure cellulaire idéale pour les immunothérapies contre un nombre toujours plus grand de pathologies malignes et non malignes des cellules B [4, 5]. Effectivement, depuis son admission en 1997 pour le traitement des lymphomes non hodgkiniens, les indications du rituximab se sont élargies à plusieurs maladies auto-immunes dans lesquelles une pathogenèse des cellules B est confirmée ou suspectée [6]. Ces indications ont été proposées sur la base du fait bien connu que le rituximab induit une déplétion prolongée des cellules B non malignes aussi bien chez les patients souffrant de lymphomes que chez ceux souffrant de maladies auto-immunes, par induction de leur apoptose. Dans le lupus érythémateux disséminé (LED), le rituximab a été utilisé avec succès conjointement aux immunosuppresseurs conventionnels dans deux études ouvertes et contrôlées, spécialement chez des patients ayant une déplétion marquée de cellules B sous traitement [7, 8]. Mais la durée de suivi a été relativement brève, un an, et il n’y a encore aucune expérience de son effet à long terme sur l’activité clinique et humorale de cette maladie. Comme effets indésirables non négligeables, de rares patients ont présenté de sérieuses infections bactériennes et virales, et des cas isolés de légères réactions à la perfusion ont été décrits. Chez une seule patiente traitée par rituximab et ayant en outre un grave déficit C4 héréditaire, le traitement a dû être interrompu après la 3e perfusion en raison d’une réaction aiguë majeure à la perfusion (hypotension, lombalgie violente, exanthème urticarien). Il s’est peut-être agi dans ce cas d’une maladie sérique aiguë avec formation excessive d’un complexe immun et clairance insuffisante à cause du déficit en C4. Dans les études ouvertes publiées, les patients ont pour la plupart été traités selon le schéma lymphome, c.-à-d. quatre perfusions de 375 mg/m2 par semaine en plus de l’immunosuppression médicamenteuse. Une petite étude thérapeutique ouverte du rituximab en association au cyclophosphamide et aux corticostéroïdes a donné de bonnes preuves que les lymphocytes B jouent un rôle important dans l’arthrite rhumatoïde [9]. Ensuite, une étude ouverte et contrôlée a été effectuée dans l’AR, dans laquelle les patients ont été randomisés dans quatre bras: méthotrexate oral (>10 mg/semaine; bras témoin); rituximab (1000 mg i.v. les jours 1 et 15) rituximab plus cyclophosphamide (750 mg i.v. les jours 3 et 17) ou rituximab plus méthotrexate [10]. Le paramètre principal de cette étude a été une amélioration de 50% des symptômes après 24 semaines, selon les critères de l’ACR (American College of Rheumatology). Le pourcentage a été significativement plus élevé chez les patients traités par rituximab en association (42% contre 13% pour méthotrexate 1 Cet article prévu pour les Highlights 2005 paraît en retard, suité à une erreur de la rédaction. Nous prions les auteurs de nous en excuser. A C T U A L I T É S D E L A R H U M AT O L O G I E seul). La réponse thérapeutique s’est maintenue jusqu’à la semaine 48 dans le groupe rituximabméthotrexate. Les concentrations sériques d’immunoglobulines sont restées dans les normes, mais chez la plupart des patients traités par rituximab, le titre des facteurs rhumatoïdes a baissé avec le temps. Les effets indésirables les plus fréquents se sont manifestés lors de la première perfusion de rituximab (33%; hypertension, hypotension, pharyngite, arthralgies, dorsalgies, exanthème). Les résultats préliminaires montrent que même après une année, en cas de réactivation de l’AR, un nouveau cycle de traitement par perfusions de rituximab peut être effectué avec succès chez la majorité des patients. Le protocole de traitement suivi actuellement se base sur l’étude d’Edwards et al. [10] et comporte deux perfusions de 1 g à intervalles de deux semaines, avec méthotrexate une fois par semaine et glucocorticoïdes systémiques pendant 14 jours (100 mg de méthylprednisolone i.v. avant chaque perfusion, 60 mg de prednisone p.o. aux jours 2–7 et 30 mg de prednisone aux jours 8–14). Des expériences positives mais limitées existent sur l’emploi clinique du rituximab dans les vasculites associées aux ANCA, et surtout dans la Forum Med Suisse 2006;6:387–388 388 maladie de Wegener grave et réfractaire au traitement [11, 12], dans la cryoglobulinémie essentielle mixte de type II [13, 14] et le syndrome de Sjögren primitif [15, 16]. Dans le LED et le syndrome de Sjögren primitif, il semble qu’il y ait des anticorps antichimériques humains (HACA) plus souvent que dans les autres maladies auto-immunes, avec une déplétion de cellules B par apoptose réduite [8] et en corrélation clinique avec la manifestation d’une maladie sérique [15]. Il est à prévoir que tout comme pour les TNF-abloquants biologiques, d’autres indications vont s’ouvrir ces prochaines années pour le rituximab. En 2006, en Suisse tout au moins, il devrait être admis aux caisses pour l’arthrite rhumatoïde. Le rituximab est encore actuellement un médicament de réserve contre les maladies autoimmunes systémiques, et ne doit être utilisé que s’il y a une raison physiopathologique (production d’anticorps pathogénétiquement significative) et une situation clinique réfractaire au traitement, avec morbidité et/ou mortalité risquant d’être augmentées. Ne serait-ce que pour des questions de sécurité et de coûts, l’indication ne doit être posée et le traitement ne doit être effectué que dans des centres spécialisés. Références 1 Zhu L, Cupps T, Whalen G, Fauci A. Selective effects of cyclophosphamide therapy on activation, proliferation and differentiation of human B cells. J Clin Invest 1987;79:1082–90. 2 Jayne D, Rasmussen N, Andrassy K, et al. A randomized trial of maintenance therapy for vasculitis associated with antineutrophil cytoplasmic autoantibodies. NEJM 2003;349: 36–44. 3 Tedder TF, Engel D. CD20: a regulator of cell-cycle progression of B lymphocytes. Immunology Today 1994;15:450–4. 4 Press OW, Howell-Clark J, Anderson S, et al. Retention of Bcell specific monoclonal antibodies by human lymphoma cells. Blood 1994 83:1390–7. 5 Reff ME, Carner K, Chambers KS, et al. Depletion of B cells in vivo by a chimeric mouse human monoclonal antibody to CD20. Blood 1994;83:435–45. 6 Looney RJ, Anolik J, Sanz I. 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