◆ LE POINT SUR... Progrès en Urologie (1997), 7, 1023-1025 La place de la coelioscopie en urologie Jean-Dominique DOUBLET Service d’Urologie, Hôpital Tenon, Paris, France Les techniques coelioscopiques ont fait leur apparition en urologie voici maintenant plus de cinq ans et s’inscrivaient alors dans un mouvement général de chirurgie initialement baptisée «peu invasive», devenue depuis à juste titre une chirurgie «à accès minimal». Etat des lieux De nombreuses interventions urologiques ont été décrites et pratiquées, avec un succès variable. De non moins nombreux articles ont régulièrement dressé un bilan de l’avancement des connaissances dans ce domaine [3, 5, 8, 9]. Dans un article publié en octobre 1995, G ILL avait classé les interventions urologiques coelioscopiques en trois catégories : procédures validées, procédures anecdotiques et procédures expérimentales [3]. Les procédures considérées comme validées étaient les suivantes : curage ganglionnaire, cure de varicocèle, néphrectomie simple, surrénalectomie et suspension cervicale. Cette notion de validation appelle plusieurs commentaires. Tout d’abord, il s’agit en fait de l’équivalent d’une phase II pour un nouveau médicament, et si certaines équipes spécialisées ont obtenu des résultats satisfaisants sur une population sélectionnée, tout reste à faire en ce qui concerne l’amélioration du service médical rendu (ASMR). Autrement dit, aucun essai n’a été publié à ce jour comparant de manière prospective et randomisée et pour une intervention urologique donnée les résultats obtenus après abord chirurgical et ceux obtenus après abord coelioscopique. Quant à une étude coûts-bénéfices, nous en sommes encore plus loin. Deuxième commentaire : la «validation» est extrêmement liée aux équipes, et les résultats ne sont pas forcément exportables. Commentaires Il faut distinguer les faits acquis et les faits encore à démontrer : Les faits acquis Certaines équipes entraînées obtiennent des résultats satisfaisants lors d’un certain nombre de procédures urologiques sous coelioscopie. La morbidité constatée lors des procédures laparoscopiques effectuées par des opérateurs entraînés est du même ordre de grandeur que celle observée dans les séries concernant la même opération effectuée à ciel ouvert [1, 2, 6]. La courbe d’apprentissage ne devrait plus exister dans la mesure où un certain nombre d’opérateurs sont désormais suffisamment expérimentés (certains dépassent largement les 150 à 200 procédures coelioscopiques urologiques) et sont à même d’assurer la formation des urologues désireux d’apprendre cette chirurgie. Il n’est pas envisageable en 1997 de s’entraîner seul dans son coin ou après la vision de cassettes video. Le taux extrêmement faible d’accidents sérieux en aviation civile est probablement dû en partie au fait qu’à côté du pilote, qui est en formation (siège de droite) est assis le commandant de bord (siège de gauche) qui peut rectifier les imprécisions de son collègue. Les faits à démontrer La coelioscopie urologique fait-elle mieux (ou au moins aussi bien) que la chirurgie à ciel ouvert? Eu égard aux normes scientifiques et médicales actuellement en vigueur, les essais randomisés sont considérés comme le degré maximum du niveau de preuve scientifique. On en connaît les limites, mais aussi bien les journaux de premier plan que les instances d’évaluation (par exemple l’ANAES) les considèrent néanmoins comme une étape majeure de l’évaluation des traitements en général. Pour la coelioscopie urologique, des efforts ont été faits en ce sens, mais souvent en déplaçant le problème. Ainsi les études comparant abord transpéritonéal et abord rétropéritonéal, quoiqu’intéressantes, éludent la vraie question, qui est celle de la comparaison entre «laparoscopie» (terme que nous utiliserons pour englober coelioscopie intrapéritonéale et voies minimales vidéo-assistées sous-péritonéales) d’une part, et chirurgie à ciel ouvert d’autre part. Nous ne pouvons donc pas prouver actuellement au vu de la littérature disponible que la laparoscopie urologique fait mieux que la chirurgie urologique à indication égale. Le service rendu au malade est-il supérieur? On connaît l’extrême difficulté à apprécier ce que les économistes appellent l’utilité individuelle en ce qui concerne la médecine. Des méthodes telles que le «pari standard», le «marchandage-temps» ou encore la «disposition à payer» existent mais leur utilisation pour la médecine est balbutiante. En France, leur utilisation est Manuscrit reçu : juillet 1997. Adresse pour correspondance : Dr. J.D. Doublet, Service d’Urologie, Hôpital Tenon, 4, rue de la Chine, 75020 Paris. 1023 rendue encore plus délicate par l’existence d’un système de prise en charge par la collectivité (du moins jusqu’à lors...) d’une grande partie des dépenses de santé. Un travail présenté cette année au congrès de l’AUA à New Orleans utilisait entre autres la disposition à payer (willingness to pay) pour comparer la chirurgie et la coelioscopie pour le prélèvement de rein sur donneur vivant [7] le principe étant de demander à des patients opérés par chirurgie combien ils seraient prêts à débourser pour être opérés par coelioscopie. Il est probable que pour un patient français cette notion fasse partie du «virtuel». Un article du Lancet a été consacré récemment à la chirurgie laparoscopique, dont l’urologie était malheureusement exclue [4]. Les conclusions, après une analyse rigoureuse et méthodique de la littérature disponible, étaient que «la chirurgie laparoscopique avait été un développement technologique fascinant pour les chirurgiens, mais une très petite avancée en terme d’impact sur les patients et de prise en charge globale des pathologies abdominales, après des investissements financiers énormes», et que cette chirurgie était un «luxe coûteux plutôt qu’une révolution chirurgicale»... Que doivent faire la communauté urologique, les orga nismes payeurs et plus généralement «la société» face au développement de ces nouvelles techniques? En l’absence d’arguments objectifs et comparatifs, les équipes qui pratiquent régulièrement la coelioscopie urologique en sont réduites à se fier à leur impression clinique, qui est que cette chirurgie rend un meilleur service aux patients que l’équivalent en chirurgie ouverte, en s’appuyant éventuellement sur des séries «historiques» ou après allocation non randomisée [1, 2, 6]. Cependant la question de l’utilité sociale de la procédure reste entière. Nous entrons, que nous le voulions ou non, dans une période de limitation de moyens. Celle-ci impose des choix. On ne peut pas nier qu’actuellement, sur le plan opératoire, une néphrectomie par laparoscopie coûte plus cher qu’une néphrectomie chirurgicale. Une partie du matériel (voir la totalité) est à usage unique, et la laparoscopie impose des investissements spécifiques (insufflateur, opti que, éventuellement boîte de trocarts et instrumentation). A son «débit» doivent également être portées les éventuelles complications, spécifiques ou non, dues à l’inexpérience ou non. Pour qu’une société dans son ensemble, appelée à faire des arbitrages financiers dans ses choix de santé, y trouve son compte, il faudrait pouvoir évaluer les bénéfices éventuels à porter au crédit de la technique. Bénéfices matériels d’abord : réduction des complications pariétales, réduction de l’hospitalisation, réduction de la convalescence, moindre consommation médicale post -opérat oire. Bénéfices intangibles ensuite : réduction de la douleur post-opératoire, bénéfice cosmétique. Figure 1. Pourcentage de communications consacrées à la laparoscopie aux congrès de l’AUA entre 1992 et 1997. Quelle diffusion faut-il donner à ces techniques? La question de l’utilité sociale conduit tout naturellement à celle de la diffusion de la technique : si la technique rend service à la société, il faut en assurer l’accès à tous les bénéficiaires potentiels. Cependant, faut-il pour autant que tout urologue sache la pratiquer? Cette option implique des investissements importants, là encore à verser «dans la colonne des coûts» : formation des spécialistes et acquisition des matériels. Une alternative serait l’organisation de réseaux permettant la circulation des malades vers des centres spécialisés. Un indice de «pénétration» de la technique pourrait être par exemple la proportion de communications consacrées à la coelioscopie dans les congrès d’urologie. La Figure 1 illustre l’évolution des urologues participant aux congrès de l’AUA ces dernières années... Il est probable que la «courbe» d’engouement des urologues français est assez comparable. Faute de démontrer quoi que ce soit quant à l’intérêt de la technique pour les patients, cette courbe illustre bien l’intérêt des urologues pour la technique! En conclusion, la place de la laparoscopie en urologie est loin d’être définie actuellement. Cette technique a suscité des démarches d’évaluation rigoureuses, tant médicales que médico-économiques et un souci de transparence qu’il faudra savoir appliquer à d’autres domaines de la chirurgie. Dans son excellent éditorial d’avril 1995, PARRA a très justement insisté sur les bénéfices «secondaires» de l’arrivée du curage coelioscopique sur le bilan pré-opératoire des cancers prostatiques [10]. En ce qui concerne l’avenir de la technique, les résultats obtenus par les équipes entraînées 1024 sont néanmoins très encourageants et incitent à penser que la coelioscopie urologique est légitime dans un certain nombre d’indications bien précises, telles que néphrect omie simple, curage ganglionnaire avant radiothérapie pour cancer prostatique ou vésical et chirurgie du prolapsus et de l’incontinence. REFERENCES 1. DOUBLET J.D., BARRETO H.S., DEGREMONT A.C., GATTEGNO B., THIBAULT P. Retroperitoneal nephrectomy : a comparison of laparoscopy with open surgery. World J. Surg., 1996, 20, 713716. 2. ERAKY I., EL KAPPANY H.A., GHONEIM M.A. Laparoscopic nephrectomy : Mansoura experience with 106 cases. Br. J. Urol., 1995, 75, 271-275. 3. GILL I.S., CLAYMAN R.V., McDOUGALL E.M. Advances in urological laparoscopy. J. Urol., 1995, 154, 1275-1294. 4. JOHNSON A. Laparoscopic surgery. Lancet, 1997, 349, 631-635. 5. KERBL K., CLAYMAN R.V. Advances in laparoscopic renal and ureteral surgery. Eur. Urol., 1994, 25, 1-6. 6. KERBL K., CLAYMAN R.V., McDOUGALL E.M. et al. Transperitoneal nephrectomy for benign disease of the kidney : a comparison of laparoscopic and open surgical techniques. Urology, 1994, 43, 607-613. 7. MACKEY T.J., FLOWERS J.L., BARTLETT S.T., CHO E., JACOBS S.C., NASLUND M.J. Cost comparison of laparoscopic versus open donor nephrectomy analysing provider charges and productivity loss. J. Urol., 1997, 157, S156. 8. McDOUGALL E.M., CLAYMAN R.V. Advances in laparoscopic urology. Urology, 1994, 43, 420-426. 9. McDOUGALL E.M., CLAYMAN R.V. Advances in laparoscopic urology Part II : innovations and future implications for urologic surgeons. Urology, 1994, 43, 585-593. 10. PARRA R.O. Editorial : Laparoscopic surgery in urology : refining indications and techniques. J. Urol., 1995, 153, 1178. 1025