Cerisy, p. 3
Si les choses s’arrêtaient là, néanmoins, il ne s’agirait que de ne pas dévoiler un but qui,
par ailleurs, pourrait fort bien se maintenir en fonction. Nous en resterions au niveau de la ruse,
disons, stratégique : je ne te dévoile pas mon objectif de façon à ce que tu ne saches pas
comment organiser ta défense ou ton attaque. Sauf qu’il ne s’agit pas ici d’«objectif », mais de
« finalité ». Subtile différence.
Une « fin » peut certes s’incarner dans un « objet », sinon toujours mondain, à tout le
moins idéel. Plutôt que de me lancer ici dans de subtils distinguos philosophiques, je me
tournerai une nouvelle fois vers Freud, celui de la troisième partie de l’Esquisse, ce texte génial
qu’il écrivit à son ami Fliess en 1897. Cherchant à définir le type de travail qu’il exige du patient
avec sa règle dite « fondamentale » mise en place de l’hypnose, à savoir « dire ce qui vient à
l’esprit » en suspendant tout ce qu’il appelle des « représentations-but » (Zielvorstellungen), il en
vient à parler d’un travail « Zielloss », sans but. La psyché ne livrera certains de ses secrets que
si celle ou celui qui convient de se prêter à cette règle analytique accepte de parler « sans but »,
révélant de ce fait la machinerie qui a permis d’en construire quelques-uns, entre autres ceux
qui s’organisent sous le nom de « symptômes », voire ce qui s’est organisé jusqu’à mériter le
nom de « fantasme ». Cela ne va pas sans résistance, bien sûr, mais il importe de bien
comprendre à quel point cette règle porte autant à conséquences pour celui ou celle qui l’édicte
que pour celui ou celle qui s’y soumet.
Car c’est là que l’affaire dépasse la simple ruse technique. Loin d’être le spécialiste de
l’inconscient, du trauma, de la vie sexuelle, des désordres pulsionnels, du complexe d’Œdipe ou
des problèmes relationnels, l’analyste se prête d’abord et délibérément à ce que Lacan n’a pas
hésité à nommer « une pratique de bavardage ». De là s’ensuit, tout simplement, qu’il ne sait
pas où il va alors même qu’il ne démord pas de la façon selon laquelle il y va. J’oserai dire qu’à
l’inverse bon nombre de psychothérapeutes savent d’autant mieux où ils veulent aller qu’ils sont
assez peu regardant sur les moyens d’y parvenir (pure médisance).
Cela suffit-il néanmoins pour libérer l’analyste de quelque finalité que ce soit par simple
respect pour son acte ? Sûrement pas, puisqu’une une finalité reste toujours possible, d’une part
du côté de l’analysant qui, d’une façon ou d’une autre, entreprend ce travail coûteux en temps et
en argent non sans quelque petite idée derrière la tête (entre autres celle, parfaitement
respectable, d’aller mieux), mais aussi bien du côté de l’analyste où l’ambition de n’entretenir
aucun but pourrait s’en révéler un d’autant plus retors. Je tiens donc seulement pour décisif le
fait que tous deux ne scellent aucun accord de principe sur une finalité qu’ils partageraient, ne
s’entendant explicitement que sur une méthode, sans précision aucune sur sa fin, qu’on la