Sur la fidélité de certaines représentations de GL2(F)sous
une algèbre d’Iwasawa
Yongquan Hu Stefano Morra Benjamin Schraen §
Résumé
Soit Fune extension finie de Qp, d’anneau des entiers OFet Eune extension
de Fp. L’action naturelle de O×
Fsur OFse prolonge alors en une action continue
sur l’algèbre d’Iwasawa E[[OF]]. Dans ce travail, on démontre que les idéaux non
nuls de E[[OF]] stables par O×
Fsont ouverts. En particulier, on déduit la fidélité de
l’action de l’algèbre d’Iwasawa des matrices unipotentes supérieures de GL2(OF)
sur une représentation lisse irréductible de dimension infinie de GL2(F).
Table des matières
1 Introduction 1
2 Un peu d’algèbre commutative 3
2.1 La fonction δ.................................. 3
2.2 Le contrôleur d’un idéal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5
2.3 Quelques résultats sur les matrices de polynômes . . . . . . . . . . . . . . 5
3 Le résultat principal 8
4 Applications 12
1 Introduction
Soient pun nombre premier, Fune extension finie de Qpet Eune extension de
Fp. Posons G= GL2(F). Lorsque F=Qp, les travaux de Barthel-Livné puis Breuil
([6], [8]) aboutissent à une classification des E-représentations lisses irréductibles de
Gayant un caractère central. Lorsque F6=Qp, le même problème n’est pas résolu.
Malgré des avancés de Breuil et Pašk¯unas ([9]) permettant de construire des familles de
représentations irréductibles, on est encore loin de comprendre quels paramètres doivent
intervenir dans la classification de ces représentations irréductibles à isomorphisme près
(voir par exemple les travaux de l’un d’entre nous dans [11]).
Mathematics Subject Classification : 22E50, 13F25
Université de Rennes 1
Université de Montpellier 2
§Université de Versailles-Saint Quentin en Yvelines/CNRS
1
Dans ce travail, nous nous intéressons à un problème plus simple. Considérons Ule
sous-groupe compact de Gconstitué des matrices unipotentes supérieures à coefficients
dans OFl’anneau des entiers de F. Si πest une représentation lisse de Gsur un E-
espace vectoriel, l’action de Usur πs’étend naturellement en une action de l’algèbre
de groupe complétée, ou algèbre d’Iwasawa, E[[U]]. Par lissité, tout élément de πest
annulé par un idéal ouvert de E[[U]]. Il est facile de voir qu’un tel idéal ne peut annuler
toute la représentation πlorsque πest de dimension infinie. Cependant, il n’est pas clair
a priori qu’il n’existe pas d’idéal non nul de E[[U]] annulant toute la représentation π.
En d’autres termes, est-ce que πest un module fidèle sous l’action de E[[U]] ? Lorsque
F=Qp, la question est facile à résoudre car E[[U]] 'E[[X]] est un anneau complet de
valuation discrète, ses idéaux non nuls sont donc tous ouverts. En revanche, E[[U]] est,
dans le cas général, un anneau local régulier de dimension [F:Qp]. Nous prouvons dans
ce travail que si πest une représentation lisse irréductible de dimension infinie de G,
l’action de E[[U]] est toujours fidèle. Plus précisément nous prouvons le résultat suivant.
Nous considérons le sous-groupe T0=O×
F0
0 1G. Il agit continûment sur Upar
conjugaison, donc sur l’algèbre complétée E[[U]].
Théorème 1.1. Soit IE[[U]] un idéal stable sous l’action d’un sous-groupe ouvert de
T0. Alors I= 0 ou Iest ouvert dans E[[U]].
Les techniques que nous employons pour démontrer ce résultat sont classiques pour
l’étude des algèbres d’Iwasawa ([3], [4], [2]). Le cas où Fest non ramifié sur Qppeut
même se traiter directement à partir du résultat principal de [2]. Néanmoins le cas to-
talement ramifié demande déjà un traitement relativement différent. Nous avons donc
dû dévisser différemment les arguments de [2] pour les intégrer à notre preuve et ainsi
traiter de front les différents cas. 1
Le théorème 1.1 est utilisé dans un autre travail de l’un des auteurs, consacré aux
représentations supersingulières du groupe GL2(F). Il s’agit de l’ingrédient principal per-
mettant de prouver le lemme 2.5de [14].
Remerciements : Nous remercions Christophe Breuil pour avoir porté ce problème à
notre attention, ainsi que pour plusieurs remarques sur une première version de ce tra-
vail. Nous remercions Ramla Abdellatif pour ses remarques qui ont beaucoup amélioré
la forme finale de cet article. Enfin nous remercions le referee pour ses remarques qui ont
permis d’améliorer la rédaction de cet article, notamment en ce qui concerne le corollaire
3.8.
Notations : Fixons pun nombre premier et Eun corps de caractéristique p. Soient F
une extension finie de Qpde degré n,OFson anneau des entiers, kFson corps résiduel,
f= [kF:Fp],q=pfet el’indice de ramification de Fsur Qp, de sorte que n=ef et
kF'Fq.
1. Après l’écriture de cet article, K. Ardakov a prouvé un analogue d’un théorème de Zalesskii dans
le cadre des algèbres de groupes complétées. Le théorème 1.1 peut alors aussi être vu comme une
conséquence de [1, Thm. B].
2
Le groupe additif OFest un pro-p-groupe uniforme (cf. [10], §4.1). Le groupe Γ =
1 + pOFagit donc continûment sur OFau moyen de la multiplication de l’anneau OF.
Notons E[[OF]] l’algèbre d’Iwasawa de OFà coefficients dans E:
E[[OF]] := lim
H
E[OF/H]
Hparcourt les sous-groupes ouverts de OF. Notons εle morphisme de groupes de
OFdans E[[OF]]×obtenu par passage à la limite des morphismes quotient OF/H
E[OF/H]×. L’anneau E[[OF]] est local, complet et noethérien, et son idéal maximal est
engendré par les éléments ε(u)1pour u∈ OF(cf. [10, §7.4]).
Comme OF/pOF'kF[X]/(Xe), les choix d’une uniformisante ∈ OFet d’un élé-
ment primitif λde kFsur Fpnous donnent un isomorphisme d’anneaux locaux complets
E[[Xi,k; 0 ie1,0kf1]]
E[[OF]] (1)
au moyen de l’identification
Xi,k 7−ε(i[λk]) 1
pour tout 0ie1,0kf1, où [λk]∈ OFdésigne le représentant de
Teichmüller de λk.
Si aet bsont deux idéaux d’un anneau commutatif A, on note ale radical de aet
(a:b)l’idéal des éléments xAtels que xba.
Si Vest un Fp-espace vectoriel on désigne par P(V)le projectivisé de V, c’est-à-dire
l’ensemble des sous-espaces de dimension 1de V. Si SP(V), on note alors QlSlle
produit QlSwlSym(V)wlest un générateur de la droite lpour tout lS. Il
s’agit d’un élément bien défini de P(Sym(V)).
Dans toute la suite, lorsque West un Fp-espace vectoriel, on note Wl’espace des
formes Fp-linéaires de Wdans Fp.
2 Un peu d’algèbre commutative
Cette partie contient quelques préliminaires techniques à la preuve du théorème prin-
cipal.
2.1 La fonction δ
Soient A=E[[X1, ..., Xn]] l’anneau des séries formelles en nvariables à coefficients
dans Eet mson idéal maximal. L’anneau Aest complet pour la topologie m-adique.
On note deg la fonction degré associée à la filtration m-adique. Plus précisément, pour
xA,deg(x)est le plus grand entier ktel que xmk. Par convention, on pose deg(0) =
+. La fonction deg définit une valuation sur A, autrement dit, on a deg(x+y)
min{deg(x),deg(y)}et deg(xy) = deg(x) + deg(y)pour x, y A. Plus généralement, si
r[0,+[, on note mrl’ensemble des xAtels que deg(x)r.
Soit pun idéal premier de A. On munit A/pde la topologie m-adique et pour tout
élément xAon note ν(x)le degré de l’image de xdans A/p. Autrement dit, ν(x)est le
plus grand entier ktel que xp+mk, avec la convention ν(x) = +si xTk1(p+mk).
3
Comme Aest noethérien et complet pour la topologie m-adique tout ses idéaux sont
fermés, donc p=Tk1(p+mk). Ainsi ν(x) = +si et seulement si xp. On a
toujours ν(x)deg(x)mais νn’est pas nécessairement une valuation : on a seulement
la propriété plus faible ν(xy)ν(x) + ν(y)si x, y A.
Définition 2.1. Pour x, P A, on note δ(x, P )l’élément suivant de N∪ {+∞} :
δ(x, P ) := sup
k0ν(xkP)deg(xkP),
avec la convention δ(x, P ) = +si xou Pest nul.
On écrira δ(x)au lieu de δ(x, 1).
L’inégalité ν(xy)ν(x) + ν(y)implique que pour des éléments non nuls xet Pde
A, on a :
ν(xk+1P)deg(xk+1P)ν(xkP)deg(xkP) + ν(x)deg(x).
Ainsi la fonction k7→ ν(xkP)deg(xkP)est croissante, ce qui permet d’écrire :
δ(x, P ) = lim
k→∞ν(xkP)deg(xkP).(2)
Soit gr(A) = Lk0mk/mk+1 l’anneau gradué de Amuni de la filtration m-adique. Il
est isomorphe à un anneau de polynômes à nvariables.
Pour xAnon nul, on note σ(x) := xmod mdeg(x)+1 gr(A)le symbole de xet
l’on pose gr(p)l’idéal de gr(A)engendré par les symboles σ(x)pour xp. C’est un idéal
gradué de gr(A)qui vérifie :
gr(p) = M
k0
(pmk)/(pmk+1)gr(A).
Le lemme suivant résume quelques propriétés de la fonction δ.
Lemme 2.2. Soit xAun élément non nul.
(i) La fonction δ:AN{+∞} ne prend que les valeurs 0et +et δ(x) = +∞ ⇔
σ(x)pgr(p).
(ii) On a δ(x) = 0 (resp. = +) si et seulement si pour tout P /p,δ(x, P )<+
(resp. = +).
(iii) Soit xun élément non nul de Avérifiant δ(x) = +. Il existe η > 0et k00tels
que pour tout kk0,
ν(xk)(1 + η) deg(xk).
Démonstration. (i) La condition σ(x)pgr(p)est équivalente à l’existence d’un entier
k01tel que
ν(xk0)deg(xk0)+1.
Par conséquent, si σ(x)pgr(p), alors :
m1, ν(xmk0)(xk0)m+ deg(xmk0),
4
d’où δ(x) = +d’après (2). D’autre part, si σ(x)/pgr(p), alors ν(xk) = deg(xk)pour
tout k1, donc δ(x) = 0.
(ii) Montrons tout d’abord que δ(x)=+si et seulement si δ(x, P )=+pour
tout PA. En prenant P= 1, on voit que la condition est suffisante. De plus, comme
ν(xkP)ν(xk) + deg(P), on a bien δ(x, P ) = +si δ(x) = +, d’où la nécessité.
Supposons maintenant δ(x) = 0. D’après [12, corollaire 3.14], qui est une conséquence
du lemme d’Artin-Rees, on sait que si P /palors il existe un entier k00tel que :
kk0,((p+mk) : P)(p:P) + mkk0=p+mkk0,
où l’égalité vient de l’hypothèse P /p. On en déduit que pour kassez grand (tel que
ν(xkP)k0) on a :
ν(xk)ν(xkP)k0,
dont on déduit que
ν(xkP)deg(xkP)(ν(xk)deg(xk)) + (k0deg(P)) = k0deg(P).
Ceci prouve la nécessité. La suffisance s’obtient en prenant P= 1.
(iii) La preuve de (i) nous donne un entier k01tel que ν(xk0)1 + deg(xk0).
Notons que la condition δ(x) = +entraîne deg(x)6= 0. Pour kk0posons m=bk/k0c
la partie entière de k/k0; on a alors
ν(xk)m+ deg(xk)deg(xk)1 + m
kdeg(x)deg(xk)1 + 1
2k0deg(x).
Il suffit donc de prendre η=1
2k0deg(x)pour conclure.
2.2 Le contrôleur d’un idéal
Soit Gun pro-p-groupe et E[[G]] l’algèbre d’Iwasawa de G. Soient Iun idéal de
E[[G]] et Hun sous-groupe fermé de G. On dit que Iest contrôlé par H, ou que H
contrôle I, lorsque Iest topologiquement engendré par un sous-ensemble de E[[H]] ou,
de manière équivalente, si
I= (IE[[H]]) ·E[[G]].
Si G=OF, voici un critère pour prouver que Iest controlé par le sous-groupe ouvert
OF.
Lemme 2.3. Soit Iun idéal de E[[OF]]. L’idéal Iest contrôlé par OFsi et seulement
si Iest stable par les dérivations
X0,k pour 0kf1.
Démonstration. C’est un cas particulier de [4, proposition 2.4(d)].
2.3 Quelques résultats sur les matrices de polynômes
Pour pouvoir appliquer le lemme 2.3, il nous faut pouvoir écrire les dérivations
X0,k en fonctions des dérivations de E[[OF]] induites par l’action de Γ. C’est l’objet
de cette partie. Plus précisément considérons un Fp-espace vectoriel Vde dimension fi-
nie. Les dérivations de l’algèbre Sym(V)s’identifient aux morphismes Sym(V)-linéaires
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