LA TRANSCENDANCE DE L`HOMME Études en hommage à

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COLLECTION ZÊTÊSIS
Dirigée par
Jean-Marc Narbonne
La collection Zêtêsis, terme qui
­signifie en grec étude, recherche
ou enquête, notamment de nature
philosophique, a pour but de
présenter des ouvrages qui ­portent
autant sur l’histoire de la philosophie et de ses textes que sur les
thèmes et les débats philosophiques les plus actuels. En tant que
collection placée sous le signe de
la zìthsiq, elle accueille aussi bien
les études plus spécialisées, textes
et essais, que les divers i­ nstruments
de recherche et de diffusion que
se donne la réflexion philosophique. Elle comprend trois
séries : Textes et essais, Esthétiques
et Instruments.
Les textes rassemblés dans le présent recueil ont pour but de rendre hommage à l’ensemble de la carrière du professeur Thomas
de Koninck, qui célèbre par ailleurs cette année ses cinquante ans
d’enseignement à la Faculté de philosophie de l’Université Laval.
Le dévouement entier de Thomas de Koninck envers la
philosophie est une évidence pour tous ceux qui ont eu l’occasion
de le côtoyer, dévouement fondé sur la conviction, tout à la
fois intime et inébranlable, que la philosophie délie, comme
le suggérait déjà le Phédon, c’est-à-dire possède le pouvoir de
libérer les virtualités humaines, et qu’elle sert en cela la dignité
de chacun. Le dévouement dont il s’agit n’est pas simplement
théorique, tourné vers l’abstraction, mais se traduit d’abord dans
l’engagement concret envers l’autre, et notamment par le souci
de l’étudiant, ce qui valut d’ailleurs au professeur De Koninck le
Prix d’excellence en enseignement, décerné par l’Université Laval
en 2002-2003.
Venus d’horizons divers et exposant des points de vue
qui, chaque fois, n’engagent évidemment que leur propre auteur,
les essais qu’on va lire rejoignent tous d’une manière ou d’une
autre le thème fondamental de la transcendance de l’homme, qui
traduit si bien l’intérêt philosophique premier de Thomas de
Koninck.
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LA TRANSCENDANCE
DE L’HOMME
« ... depuis le commencement,
tout notre discours
a été une recherche
de la connaissance... »
Platon, Théétète 196 d

ZÊTÊSIS

LA TRANSCENDANCE DE L’HOMME
Jean-François Mattéi
Jean-Marc Narbonne
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LA TRANSCENDANCE DE L’HOMME

Études en hommage
à Thomas De Koninck
Sous la direction de
Jean-François Mattéi et Jean-Marc Narbonne
Une liste des titres parus dans la ­collection
est disponible à la fin du volume.
Philosophie
Mattéi-Narbonne-Couv.indd 1
12-05-09 16:06
La transcendance de l'homme
COLLECTION ZÊTÊSIS
Série « Textes et essais »
La transcendance de l'homme
Études en hommage à Thomas De Koninck
Sous la direction de
Jean-François Mattéi et Jean-Marc Narbonne
Les Presses de l’Université Laval reçoivent chaque année du Conseil des Arts du
Canada et de la Société de développement des entreprises culturelles du Québec
une aide financière pour l’ensemble de leur programme de publication.
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Cet ouvrage a pu être publié grâce à une généreuse contribution de la direction
de l'Université Laval.
Mise en pages : Diane Trottier
Maquette de couverture : Laurie Patry
© Presses de l’Université Laval.
Tous droits réservés.
Dépôt légal 2e trimestre 2012
ISBN 978-2-7637-9794-6
PDF 9782763797953
Les Presses de l’Université Laval
www.pulaval.com
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moyen que ce soit est interdite sans l’autorisation écrite des Presses de l’Université Laval.
Table des matières
Avant-propos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1
Jean-Marc Narbonne
Témoignages
Thomas De Koninck ou l’émerveillement de l’enfance . 5
Jean-François Mattéi
Discours d’introduction de M. Thomas De Koninck
à la Société Royale du Canada (2002) . . . . . . . . . . 9
Jean-Marc Narbonne
Études
IMontaigne et le bon usage du scepticisme de saint
Augustin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
Jean-Luc Marion
IIDignité humaine et transmission éducative . . . . . . 31
Chantal Delsol
IIIHistory as Metaphysics . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49
Leslie Armour
IV Finitude morale et ontologie de la création :
l’interprétation kantienne de Gerhard Krüger . . . . 75
Luc Langlois
V
La promesse de l’inachèvement . . . . . . . . . . . . . . . 99
Jean-François de Raymond
VIII
La transcendance de l’homme
VIRhétorique et transcendance de la parole publique :
l’actualité du De oratore . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121
Gilbert Larochelle
VII La dignité de l’indignation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 147
Jean-François Mattéi
VIII L’hospitalité et la question de l’étranger
– Avec Kant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 167
Yves Charles Zarka
IXÉduquer au temps présent . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 181
Gábor Csepregi
X
L’homme peut-il survivre à la démocratie ? . . . . . . . 195
Rémi Brague
XI La critique de la déraison bioéthique . . . . . . . . . . . 215
Dominique Folscheid
XIIDe la dignité extrême, la liberté à l’âge totalitaire . 235
Jean-Jacques Wunenburger
Bibliographie de Thomas De Koninck . . . . . . . . . . . . . . 247
Réalisée par Richard Dufour
Avant-propos
Les textes rassemblés dans le présent recueil ont pour but
de rendre hommage à l’ensemble de la carrière du professeur
Thomas De Koninck, qui célèbre par ailleurs en 2012 ses
cinquante ans d’enseignement à la Faculté de philosophie de
l’Université Laval.
Le dévouement entier de Thomas De Koninck envers la
philosophie est une évidence pour tous ceux qui ont eu
l’occasion de le côtoyer, dévouement fondé sur la conviction,
tout à la fois intime et inébranlable, que la philosophie délie,
comme le suggérait déjà le Phédon, c’est-à-dire possède le
pouvoir de libérer les virtualités humaines, et qu’elle sert en
cela la dignité de chacun. Le dévouement dont il s’agit n’est pas
simplement théorique, tourné vers l’abstraction, mais se
traduit d’abord dans l’engagement concret envers l’autre, et
notamment par le souci de l’étudiant, ce qui valut d’ailleurs au
professeur De Koninck le Prix d’excellence en enseignement,
décerné par l’Université Laval en 2002-2003.
Venus d’horizons divers et exposant des points de vue
qui, chaque fois, n’engagent évidemment que leur propre
auteur, les essais qu’on va lire rejoignent tous d’une manière ou
d’une autre le thème fondamental de la transcendance de
l’homme, qui traduit si bien l’intérêt philosophique premier de
Thomas De Koninck.
Jean-Marc Narbonne
Témoignages
Thomas De Koninck ou
l’émerveillement de l’enfance
Jean-François Mattéi
C’est à l’étrange conjonction de Saint-Exupéry et de P.G.
Wodehouse que je dois ma première rencontre, et ma longue
amitié, avec Thomas De Koninck. J’avais été invité en 1986
par l’Université de Montréal et par l’Université Laval à Québec,
pour prendre contact avec mes collègues canadiens. Ils participaient en effet activement au projet français de l’Encyclopédie
philosophique universelle dont je dirigeais alors, pour les Presses
universitaires de France, le troisième volume consacré aux
Œuvres philosophiques. J’avais été reçu à Montréal par
François Duchesneau qui m’avait présenté aux collègues de son
université, puis je m’étais rendu, sur l’invitation de Thomas De
Koninck, professeur à l’Université Laval, dans sa belle ville de
Québec, pour faire une conférence et rencontrer ses collègues.
La courtoisie universitaire qui nous rapprocha se cristallisa
en sympathie personnelle quand nous en vînmes à parler, non
de philosophie, mais de littérature. À ma grande surprise, je
découvris que Thomas De Koninck avait été le modèle du Petit
Prince lorsque Saint-Exupéry séjourna à Québec chez son ami
Charles De Koninck en avril 1942. Le Petit Prince, comme on
sait, sera publié l’année suivante à New York. Le petit Thomas
avait alors huit ans et, tel le personnage du conte, avait les
6
La transcendance de l’homme – Témoignages
cheveux blonds et bouclés. On a pu discuter au Québec la
genèse du personnage de Saint-Exupéry, et Thomas De
Koninck lui-même se montre réservé à ce sujet. Mais pour qui
l’a rencontré, à un âge plus avancé que celui du Petit Prince, le
doute n’est plus permis : s’il ne l’a pas été, il est le Petit Prince !
Le même sourire, la même gravité et la même naïveté, cette fois
philosophique et non plus enfantine, dans sa manière de poser
les questions essentielles. Toute l’œuvre éthique de Thomas De
Koninck, De la dignité humaine, La nouvelle ignorance et le
problème de la culture, Philosophie de l’éducation pour l’avenir ou
encore Aristote, l’intelligence et Dieu, s’inscrit en effet sous
l’égide de la remarque du Petit Prince : « On ne voit bien
qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux. »
Mais la philosophie ne se limite pas au premier mouvement
du cœur, ou à cette fraîcheur du regard qui fait l’étonnement
du thaumazein dont parle Platon dans le Théétète. Le second
mouvement, qui revient sur soi, est un regard critique, et
distancé, sur le monde qui nous entoure, et au premier chef sur
nous-mêmes. Les Anglais, depuis Ben Jonson et son Every Man
out of His Humour, en 1599, ont défini l’humour comme ce
léger détachement à l’égard des situations périlleuses de la vie.
Or, l’humour est une catégorie de la philosophie comme l’a
montré, après Hegel ou Schopenhauer, Kierkegaard. Pour
l’auteur du Post-scriptum définitif et non scientifique aux Miettes
philosophiques, l’humour est ce regard distant, et compréhensif,
que le penseur religieux jette sur l’homme tel qu’il est, dans son
déchirement entre le fini et l’infini. Il observe avec un sourire
les petitesses et les ridicules de l’existence et, loin de condamner
les hommes, accepte de les prendre comme ils sont. Il y a un
grain d’amour dans l’humour qui ne demande qu’à germer.
Or, la première conversation que j’eus en 1986 avec
Thomas De Koninck, lorsqu’il me reçut dans sa maison de
Sainte-Foy à Québec, tomba sur la philosophie et sur l’humour,
plus précisément, sur le plus grand humoriste anglais du
XXe siècle. Je veux parler de Pelham Grenville Wodehouse, le
père de l’inimitable Jeeves dont nous étions, l’un et l’autre,
friands. Pour tout dire, j’avais découvert la philosophie, à l’âge
de douze ans, en lisant mon premier Wodehouse, Joy in the
Thomas De Koninck ou l’émerveillement de l’enfance
7
Morning, en français Jeeves, au secours ! Le roman se passe à
Londres, au début du vingtième siècle. Le maître de Jeeves,
Bertram Wooster, est un jeune rentier dont les maladresses le
plongent dans des difficultés inextricables. Cette tête de linotte
est d’une inculture totale à la différence de son valet de
chambre qui le tire toujours d’affaire. Désireux de faire un
cadeau à Jeeves qui est un admirateur de Spinoza, Bertram se
rend dans une librairie. Il y rencontre une jeune fille de ses
amies qui s’étonne, connaissant son ignorance légendaire, de le
voir acheter un ouvrage de Spinoza – peut-être L’Éthique. Et
Bertram, gêné, de répondre négligemment : « Quand j’ai un
peu de loisirs, on me trouve généralement dans un coin,
penché sur le dernier Spinoza » ! J’ai donc découvert Spinoza,
qui lui-même n’était pas dénué d’humour, en lisant l’humoriste
anglais. Ce fut le sujet de notre première conversation avec
Thomas, l’humour de Wodehouse nous ayant rapprochés sous
l’égide de Spinoza, ce qui témoigne, on en conviendra, d’une
parfaite fraternité philosophique.
La double anecdote du Petit Prince et de Jeeves n’est pas
sans lien avec la pensée de Thomas De Koninck. Comme le
personnage de Saint-Exupéry, et comme le valet stylé de
Wodehouse, Thomas a réussi à concilier, dans sa personne
comme dans son œuvre, l’esprit naïf de l’enfance et la pensée
réfléchie de l’adulte. Il incarne à la fois l’enfant qui joue, selon
le mot d’Héraclite, et l’homme qui fait l’épreuve à tout
moment, selon l’expression de Spinoza, qu’il est éternel. Le
philosophe québécois en convenait dans un discours tenu le
7 octobre 2000 en clôture d’un congrès québécois sur l’enseignement scolaire. Il s’adressait en ces termes à ses collègues
instituteurs et professeurs :
Si vous me permettez une observation personnelle globale,
d’abord, il me semble que tous en ce congrès ont participé à
une grande quête de l’humain. De l’humain dans sa terre
originelle qui est l’enfance. Enfance, Terre des Hommes,
­
pourrait-on déclarer en reprenant des thèmes chers à Antoine
de Saint-Exupéry.
N’hésitant pas alors à rapprocher Saint-Exupéry de
Goethe, il ajoutait cette réflexion sur l’émerveillement
8
La transcendance de l’homme – Témoignages
philosophique­qui s’applique à son œuvre dans son constant
souci éthique et métaphysique :
Le moment suprême de la vie humaine, disait Goethe
(Conversations de Goethe avec Eckermann, 18 février 1829),
c’est celui de l’étonnement, de l’émerveillement (das Erstaunen).
Dans l’émerveillement il y a d’abord l’amour, le désir
d’apprendre, la quête de sens, l’éveil de l’intelligence. Nous
savons tous, à des degrés divers certes, ce qu’est l’émerveillement, nous l’éprouvons au moins au fond de nous-mêmes,
encore qu’il y soit parfois trop loin enfoui. Or, c’est ce que nous
pouvons entrevoir dans le regard de l’enfant, regard humain
lumineux par excellence. C’est ce regard qui voit bien,
souvenez-vous, le serpent boa digérant un éléphant, là où
l’adulte endurci ne voit qu’un chapeau. « Les grandes personnes
ne comprennent jamais rien toutes seules, et c’est fatigant,
pour les enfants, de toujours et toujours leur donner des explications », lit-on à la deuxième page du Petit Prince. Saint-Exupéry
suggère ainsi que le regard de l’enfant pressent déjà le visage
plus profond de la réalité. Il ne dit pas que son regard se porte
vers une autre réalité, dans une autre direction. C’est bien au
contraire de ce monde-ci qu’il s’agit pour commencer, de celui
que nous voyons de nos yeux et pouvons toucher de nos mains.
Platon avait déjà dit qu’il appartient bien au philosophe,
qu’il ait lu ou non Saint-Exupéry, P.G. Wodehouse ou Spinoza,
de s’étonner devant le monde. En conservant ce regard
innocent qui fait du philosophe un enfant qui joue avec ses
concepts et qui s’émerveille d’en voir naître le sens, Thomas De
Koninck a redécouvert que la philosophie n’a pas d’autre
origine.
Jean-François Mattéi
Institut universitaire de France
Université de Nice-Sophia Antipolis
Discours d’introduction
de M. Thomas De Koninck
à la Société Royale du Canada (2002)
Jean-Marc Narbonne
Monsieur,
C’est un très grand plaisir pour moi de présenter à la
Société royale du Canada M. Thomas De Koninck, collègue et
ami, ami aussi, à vrai dire, de tout un chacun s’intéressant à la
philosophie et plus largement à la culture, qu’il s’agisse de
musique, de littérature, d’art en général, mais aussi de la
science dans ses différents aspects.
Il est difficile de résumer en quelques minutes la carrière
foisonnante de Thomas De Koninck, marquée par un
engagement entier et très personnel envers la philosophie, et
surtout envers les philosophes (car on peut aimer l’une sans
apprécier les autres), tous ceux qui, quel que soit leur horizon
de recherche plus particulier, s’intéressent au sort de l’homme
et à celui de notre société. De manière plus précise encore, la
carrière de Thomas De Koninck est marquée par le souci de
l’étudiant et de sa formation, un souci qu’il m’a souvent été
donné de constater et dont l’ampleur, la conviction, me
paraissent remarquables. Et c’est là que l’on découvre, me
semble-t-il, le point de jonction entre les diverses tâches que le
10
La transcendance de l’homme – Témoignages
professeur de carrière a menées, et les activités de recherche qui
ont été les siennes.
Dans le cas du Professeur De Koninck, la continuité,
d’une sphère à l’autre, est pour ainsi dire parfaite. Le souci de
l’individu, dans le projet libre qu’il se donne et dans le respect
de sa dignité, souci concret et témoigné au jour le jour, est en
même temps ce autour de quoi s’organisent la pensée et les
recherches du professeur De Koninck. Le mode de vie, pour
ainsi dire, accompagne et justifie en même temps la voie de
recherche. C’est le cas, tout spécialement, du livre De la dignité
humaine que Thomas De Koninck faisait paraître en 1998,
ouvrage à la fois courageux et novateur qui a été du reste primé
par l’Académie française. L’auteur y montre, d’une manière en
quelque sorte définitive et avec en appui d’innombrables
références, que la question de la dignité humaine, certes différemment modelée à travers les cultures et les époques, présente
cependant un « noyau dur » qui résiste à tous les réductionnismes et à tous les historicismes. Cette démonstration est
éminemment précieuse en ce qu’elle laisse croire à la possibilité
d’un universalisme des droits véritablement fécond et concret
(projet assez proche à certains égards du Sources of the Self. The
Making of the Modern Identity, de Charles Taylor), prolongeant
ainsi un humanisme dont le professeur De Koninck est un
défenseur résolu. Les Grecs ne sont donc pas seulement ces
penseurs de l’extériorité comme Nietzsche l’avait prétendu, et
l’« homme » pas davantage cette simple invention des sciences
humaines, comme l’avait soutenu par exemple toute une école
de pensée issue de Michel Foucault. Non, une certaine idée de
l’homme, et du respect qui lui est dû, s’offre comme une
exigence transhistorique, transculturelle, un impératif absolu
dont chaque époque s’est faite à sa manière le héraut. Dans le
projet de ce livre, je crois que c’est, avant toutes choses, la
conviction personnelle et intime de l’auteur, son intuition
philosophique primitive, qui sert de guide. La liberté de
l’homme est là, inscrite dans sa chair, dans la forme de ses
mains, dans sa station droite, dans son usage de la parole, dans
son regard tourné vers les dieux, et rien ne saurait endiguer le
surgissement de ce phénomène. À cette première conviction,
Discours d’introduction de M. Thomas De Koninck
11
inébranlable chez Thomas De Koninck, s’en associe une autre :
le potentiel libérateur de la connaissance.
Thomas De Koninck est un socratique. Il croit au
pouvoir libérateur du logos, aux vertus du dialogue, à la
nécessité de distinguer entre les biens apparents et la richesse
intérieure. Son discours, sur ce point, rejoint une longue et
digne tradition philosophique, alimentée par le socratisme et le
stoïcisme. C’est aussi cette conviction qui, me semble-t-il, est à
la base d’un autre ouvrage important de Thomas De Koninck,
La nouvelle ignorance. Le problème de la culture. Dès l’intitulé
du livre, la filière socratique est éminemment reconnaissable. Il
s’agit en effet de dépister l’ignorance, ou plutôt l’illusion du
savoir, là où elle se cache, et de dénoncer les processus
aveuglants par lesquels la culture contemporaine produit
souvent l’inverse de ce qu’elle devait instaurer : non pas l’enrichissement de la personne mais son appauvrissement culturel
et affectif, l’étranglement de l’horizon des intérêts, l’individualisme étroit, etc. La nouvelle ignorance se traduit donc,
globalement, par un écart grandissant entre les techniques
diverses mises en œuvre dans la connaissance, et une inculture,
mieux, une dépossession de plus en plus douloureusement
ressentie par l’individu, parfois démuni et désemparé, la
technicisation des modes de connaissance s’accompagnant
souvent d’un manque d’attention à l’endroit de la personne.
La présentation succincte de ces deux maîtres ouvrages de
Thomas De Koninck nous permet de mieux apprécier les
convictions philosophiques les plus déterminantes de son
travail, marqué du sceau de l’humanisme. Mais sa carrière
compte aussi de nombreuses autres contributions scientifiques,
dont il est difficile de rendre compte dans le format présent.
Disons, en gros, de nombreuses études touchant l’antiquité
grecque, et spécialement, en elle, la réflexion noologique, c’està-dire l’ensemble des textes et des auteurs ayant abordé la
question de la nature de l’intellect (divin, humain) et de ses
opérations. D’autre part, de très nombreuses publications dans
le champ de l’éthique, où le professeur De Koninck s’est
souvent associé à des équipes interdisciplinaires. De l’intellect
à l’homme, comme de l’éthique à la dignité de la personne, les
12
La transcendance de l’homme – Témoignages
liens sont évidemment naturels et directs. Le professeur De
Koninck, on s’en aperçoit, reste fidèle à sa conviction première,
la valeur incomparable de l’humain en tous lieux et en toutes
cultures.
Pour défendre ses convictions, Thomas De Koninck
n’hésite d’ailleurs pas à intervenir dans la sphère publique, que
ce soit à la radio, à la télévision, dans les journaux, sur différentes tribunes ouvertes sur la cité. Il est, de ce point de vue,
un philosophe engagé, un penseur capable d’ajuster son
discours à son auditoire, de manière à être entendu de tous, ce
qui est aussi une marque de respect pour l’humain. Son œuvre
n’en est donc pas simplement une d’approfondissement, mais
de diffusion. L’ensemble de ses travaux font ainsi de l’œuvre de
réflexion de Thomas De Koninck l’une des plus diversifiées et
des plus riches qui soient.
Monsieur Thomas De Koninck, la Société royale du
Canada, qui a bien mérité de vous, est heureuse de vous
accueillir ce soir dans ses rangs.
Jean-Marc Narbonne
Faculté de philosophie,
Université Laval
Études
I
Montaigne et le bon usage du scepticisme
de saint Augustin
Jean-Luc Marion
Parmi la myriade d’auteurs cités par Montaigne, saint
Augustin ne semble pas, à première vue, devoir recevoir un
traitement de faveur. Pourtant, même sans aller jusqu’à suivre
A. Comparot, qui estime que les Essais pourraient contenir
quelque 370 références ou allusions au corpus augustinien1, en
s’en tenant plutôt à l’hypothèse restrictive de P. Villey 2 sur une
lecture tardive de saint Augustin par Montaigne (essentiellement dans l’édition de 1595 à partir de la traduction de La
Cité de Dieu par Gentian Hervet, commentée par L. Vivès3),
on doit au moins relever une centaine de mentions explicites
du nom de saint Augustin, avec une douzaine de citations
1.A. Comparot, Augustinisme et aristotélisme de Sebon à Montaigne,
Paris, Cerf/Thèses, 1984.
2. P. Villey, Les sources et l’évolution des Essais de Montaigne, Paris,
Hachette, 19081 ; New York, Burt Franklin, 19682, t. 1, p. 72.
3.Saint Augustin, La Cité de Dieu contre les païens illustrée des
commentaires de Jean Louis Vivès, de Valence, Paris, 15701, 15782. P. Villey, « De
saint Augustin, il ne retient que la Cité de Dieu qui fait une large place aux
idées morales. C’était un ouvrage classique alors : Montaigne avait beaucoup à
y prendre sur la plupart des sujets qui l’intéressaient » (Les source & l’évolution
des Essais de Montaigne, p. 520). Il y a au moins deux excveptions, on le verra.
16
La transcendance de l’homme – Études
identifiables selon la Concordance des Essais4. Un examen un
peu détaillé de ces occurrences permettrait peut-être de ne pas
s’en tenir aux appréciations imprécises qui dominent généralement l’interprétation. Par exemple, lorsque l’on conclut
« […] on voit bien qu’il [Montaigne] pense, plus d’une fois et
en matière importante, comme saint Augustin. Est-ce suffisant
pour faire de lui, dès la première édition de son essais, un
augustinien ? Non sans doute. Mais fidéiste ne serait-il pas plus
? » Tous les lieux communs et les imprécisions se
juste5 retrouvent ici en une seule fausse question. Nul en effet ne
songe à faire de Montaigne un pur « augustinien », terme qui
n’a d’ailleurs aucun sens précis ; personne ne lui préférera celui
de « fidéiste », encore moins précis (au mieux s’agirait-il d’une
hérésie théologique) ; quant à la datation de sa lecture, elle ne
changerait presque rien à l’affaire ; si Montaigne enfin pense
comme saint Augustin, on doit pouvoir montrer quand et
comment il le fait ou ne le fait pas (que veut dire ici « souvent » ?)
et s’il s’agit de « matière importance », l’identifier.
Sans prétendre à plus qu’une esquisse, nous voudrions
entreprendre ici une lecture conceptuelle de textes où
Montaigne semble penser avec saint Augustin, pour décider si,
à chaque fois, il pense comme saint Augustin.
1/ Essais, I, 14 [1580] : « […] et elle [sc. la douleur] ne
tient qu’autant de place en nous que nous lui en faisons.
“Tantum doluerunt, dit saint Augustin, quantum doloribus se
inseruerunt.” Nous sentons plus un coup de rasoir du
Chirurgien, que dix coups d’épée en la chaleur du combat »
(éd. Villey, p. 58).
Il s’agit d’une citation de Cité de Dieu, I, 10, 1,
Bibliothèque augustinienne (désormais cité B.A.), t. 33,
p. 2246. Mais une différence nette oppose ici Montaigne, pour
4.Roy E. Leake, David B. Leake et Zlice Elder Leake, Concordance
des Essais de Montaigne, Genève, Droz, 1981, p. 99. Voir Montaigne, Les
Essais, éd. P. Villey, Paris, 1965, t. 1, p.XLIII (parlant de 19 citations).
5.M. Dréano, « L’augustinisme dans l’apologie de Raymond Sebond »,
Bibliothèque d’humanisme et renaissance, t. 24, Genève, Droz, 1962, p. 574.
6. Bibliothèque augustinienne. suit une autre leçon : inserverant
(imparfait), non inserverunt (parfait).
I. Montaigne et le bon usage du scepticisme de saint Augustin17
qui il s’agit de la souffrance physique, à saint Augustin, pour
qui il ne s’agissait que de la souffrance morale, provoquée par
la perte de biens matériels ; d’ailleurs il argumentait qu’elle
n’affecte que ceux des fidèles qui ne s’en sont pas encore
détachés suffisamment, suivant I Timothée, 6, 6-10 (cité peu
auparavant, p. 222 : « Car nous n’avons rien apporté dans le
monde et de même nous n’en pouvons rien emporter. Lors
donc que nous avons nourriture et vêtements, sachons être
satisfaits. ») – Remarquons qu’ici Montaigne, en étendant le
contrôle par la pensée de la douleur du domaine seulement
moral au domaine proprement physique, va donc plus loin que
saint Augustin dans l’appréciation de la puissance de l’esprit.
2/ Essais, I, 21 [1588] : « Saint Augustin en nomme un
autre, à qui il ne fallait que faire ouïr des cris lamentables et
plaintifs, soudain il défaillait et s’emportait si vivement hors de
soi, qu’on avait beau le tempêter et hurler, et le pincer et le
griller, jusqu’à ce qu’il fut ressuscité : lors il disait avoir ouï des
voix, mais comme venant de loin, et s’apercevait de ses échaudures et meurtrissures. Et ce que ce ne fut une obstination
apostée contre son sentiment, cela le montrait, qu’il n’avait
cependant ni pouls, ni haleine » (éd. Villey, p. 99).
Montaigne cite presque littéralement Cité de Dieu, XIV,
24, B.A. 35, p. 452 sq. : « Quando ei [sc. un prêtre nommé
Restitutus, de Calama, Numidie] placebat (rogabatur autem ut
hoc faceret ab eis, qui rem mirabilem coram scire cupiebant),
ad imitatas quasi lamentantis cujuslibet hominis voces ita se
auferebat a sensibus et jacebat simillimus mortuo, ut non
solum vellicantes atque pugentes minime sentiret, sed aliquando
etiam igne uteretur admoto sine ullo doloris sensu, nisi
postmodum ex vulnere ; non autem obnitendo, sed non
sentiendo non movere corpus eo probabatur, quod tanquam in
defuncto nullus inveniebatur anhelitus ; hominum tamen
voces, si clarius loquerentur, tanquam de longinquo se audire
postea referebat. » – Bien qu’il reprenne littéralement la
description du ce cas, Montaigne ne lui garde pas la valeur
d’argument théologique que lui assignait clairement saint
Augustin. Il l’inscrivait en effet dans un raisonnement plus
complexe : puisque, même aujourd’hui encore, le corps peut
obéir exactement à notre volonté alors que nous sommes
18
La transcendance de l’homme – Études
pourtant en état de péché, comment ne pas admettre qu’il en
était bien plus évidemment ainsi avant le péché et donc que la
procréation pouvait donc avoir lieu sans désir involontaire ?
« Quid causae est, ut non credamus ante inoboedentiae peccatorum corruptionisque supplicium ad propagandam prolem
sine ulla libidine servire voluntati humanae humana membra
potuisse ? » (ibid., p. 454). Il reste cependant un point d’accord
entre les deux auteurs à propos de l’exemple commun : la
puissance de l’imagination dépasse ce que la vraisemblance
admet communément.
3/ Essais, I, 21 [1588] : « Les outils qui servent à
décharger le ventre, ont leurs propres dilatations et compressions, outre et contre notre avis, comme ceux-ci destinés à
décharger nos rognons. Et ce que, pour autoriser la toutepuissance de notre volonté, saint Augustin allègue avoir vu
quelqu’un qui commandait à son derrière autant de pets qu’il
en voulait, et que Vivès son glossateur, enchérit d’un autre
exemple de son temps, de pets organisés suivant le ton des vers
qu’on leur prononçait, ne suppose non la pure obéissance de ce
membre : car en est il ordinairement de plus indiscret et tumultuaire » (éd. Villey, p. 102-103).
Simple allusion sans citation explicite, parce qu’il s’agit
presque d’un décalque, à Cité de Dieu XIV, 24, 2, B.A. 35,
p. 452 : « Nonnulli ab imo sine paedore ullo ita numerosos pro
arbitrio sonitus edaunt, ut ex illa etiam parte cantare videantur. »
Soit, dans la traduction Hervet : « Quelques-uns font par en
bas sans aucune honte [si on lit pudore] sans ordure et puanteur
[si on lit paedore] de si grands sons ainsi qu’il leur plaît, que
même il semble qu’ils chantent par cet endroit-là » (op. cit.,
p. 411). – Allusion aussi à un autre cas ajouté par Vivès : « De
notre mémoire, il y eût un tel, allemand de nation, en cette
ville à la suite de l’Empereur Maximilian et de son fils
Philippe. Et qu’il n’y avait carme qu’il ne rendit avec le bruit
sonnant de son derrière » (ibid., p. 411). – Cette fois, le cas se
trouve bien utilisé par Montaigne au bénéfice du même
argument théologique que saint Augustin. Mais l’enjeu n’est
pas le même. Pour saint Augustin, ces cas (celui-ci et le
précédent, qui viennent du même texte) confirment l’hypothèse d’un ordre prélapsaire et donc aussi eschatologiquement
I. Montaigne et le bon usage du scepticisme de saint Augustin19
possible des choses, où l’esprit contrôle le corps, par contraste
avec l’ordre in via où le péché l’empêche. Mais, pour
Montaigne, il s’agit d’établir « la toute-puissance de notre
volonté » dès cette vie, sans référence, comme pour saint
Augustin, à son statut dans l’économie théologique du salut.
Montaigne anticiperait ainsi sur Descartes, alors que Pascal
resterait plus fidèle à l’intention augustinienne.
4/ Essais, I, 27 [1580] : « Mais de condamner d’un train
toutes pareilles histoires me semble singulière impudence. Ce
grand saint Augustin témoigne avoir vu, sur les reliques Saint
Gervais et Protaise, à Milan, un enfant aveugle recouvrer la
vue ; une femme, à Carthage, être guérie d’un cancer par le
signe de croix qu’une femme nouvellement baptisée lui fit ;
Hesperius, un sien familier, avoir chassé les esprits qui infestaient sa maison, avec un peu de terre du Sépulchre de notre
Seigneur, et, cette terre depuis transportée à l’Église, un paralytique en avoir été soudain guéri ; une femme en une procession,
ayant touché la chasse saint Étienne d’un bouquet, et de ce
bouquet étant s’étant frottée les yeux, avoir recouvré la vue
pieça perdue ; et plusieurs autres miracles, où il dit lui-même
avoir assisté. De quoi accuserons-nous et lui et deux saints
évêques, Aurelius et Maximinus, qu’il appelle pour ses recors
[témoins] ? sera-ce d’ignorance, simplesse, facilité, ou de malice
et imposture ? Est-il homme, en notre siècle, si impudent qui
pense leur être comparable, soit en vertu et piété, soit en savoir,
jugement et suffisance ? » (éd. Villey, p. 181).
Il s’agit de la reprise littérale de plusieurs développements
sur des miracles contemporains de saint Augustin en Cité de
Dieu, XXII, 8, B.A. 37, respectivement n. 2, p. 561 (aveugle à
Milan), n. 4, p. 568 (cancer), n. 7, p. 572 (Hesperius), n. 11,
p. 578 (femme aux fleurs). – On constate ici un accord parfait
des deux auteurs pour attester la toute-puissance de Dieu.
Montaigne commence par : « Mais la raison m’a instruit que de
condamner ainsi résolument une chose pour fausse et impossible, c’est se donner l’avantage d’avoir dans la tête les bornes
et les limites de la volonté de Dieu et de la puissance de notre
mère nature » (I, 27, éd. Villey, p. 179). Il s’agitlà d’une thèse
fondamentale et récurrente des Essais : notre raison, finie et
faillible, ne peut, donc ne doit pas prononcer des impossibilités
20
La transcendance de l’homme – Études
pour la puissance de Dieu. Saint Augustin finit par : « Fiunt
ergo etiam nunc multa miracula eodem Deo faciente per nos
quod vult et ad quem modum vult, qui et illa quae legimus
fecit » (XXII, 8, ibid., p. 588). Ou : « Ecce qualibus argumentis
omnipotentiae Dei humana contradicit infirmitas, quam
possidet vanitas » (XXII, 11, ibid., p. 602).
5/ Essais, I, 32 [1588] : « Dieu, nous voulant apprendre
que les bons ont autre chose à espérer, et les mauvais autre
chose à craindre que les fortunes ou infortunes de ce monde, il
les manie et applique selon sa disposition occulte, et nous ôte
le moyen d’en prévaloir selon l’humaine raison. Ils n’en
donnent jamais une touche, qu’ils n’en reçoivent deux. Saint
Augustin en fait une belle preuve sur ses adversaires. C’est un
conflit qui se décide par les armes de la mémoire plus que par
celles de la raison » (éd. Villey, p. 216).
Il s’agit d’un développement de Cité de Dieu, VIII, 1,
B.A. 33, p. 210 : « Placuit quippe divinae providentiae
praeparare in posterum bona justis, quibus non fruentur
injusti, et mala impiis, quibus non excruciabantur boni ; ista
vero temporalia bona et mala utriusque voluit esse communia,
ut nec bona cupidius adpetantur, quae mali quoque habere
cernuntur ; nec mala turpiter evitentur, quibus et boni
plerumque adficuntur. » – L’auteur et le citateur s’accordent
pour souligner que la distinction entre les biens et les maux ne
coïncide pas avec la distinction entre les bons et les méchants,
ni donc ne la contredit. Pour autant que ces biens et ces maux
se réfèrent aux choses du monde, les justes ne doivent se
soucier ni des uns, ni des autres, tandis que seuls les injustes
peuvent y voir un critère de leur bonheur ou de leur malheur.
Car la distinction entre les biens et les maux selon le monde n’a
aucune pertinence par rapport à la distinction entre les bons et
les méchants du point de vue de Dieu. Dieu enseigne donc aux
bons l’indifférence envers les biens et les maux du monde en les
distribuant arbitrairement. Mais ici, Montaigne semble plus
théologique que saint Augustin, puisqu’il utilise cet argument
d’abord pour marquer la toute-puissance de la providence :
« Somme il est malaisé de ramener les choses divines à notre
balance » (ibid.).
I. Montaigne et le bon usage du scepticisme de saint Augustin21
6/ Essais, II, 8 [1580] : « Ce serait à l’aventure impiété
en saint Augustin (pour l’exemple) si d’un côté on lui proposait
d’enterrer ses écrits, de quoi notre religion reçoit un si grand
fruit, ou d’enterrer ses enfants, au cas qu’il en eût, s’il n’aimait
mieux enterrer ses enfants » (éd. Villey, p. 401).
Sans doute s’agit-il d’une allusion au fait que saint
Augustin avait eu un enfant : « […] puerum Adeodatum, ex me
natum carnaliter de peccato meo » (Confessions, IX, 6, 14, B.A.
14, p. 94). Mais il n’y a pas de preuve obvie que Montaigne lu
ce texte, bien qu’il semble invraisemblable qu’il ait ignoré les
Confessiones (notre ignorance moderne ne pouvant servir de
paradigme pour les Anciens)7.
7/ Essais, II, 12 [1588] : « Saint Augustin, plaidant
contre ces gens-ci, a occasion de reprocher leur injustice en ce
qu’ils tiennent les parties de notre créance fausses, que notre
raison faut à établir ; et, pour montrer qu’assez de choses
peuvent être et avoir été, desquelles notre discours ne saurait
fonder la nature et les causes, il leur met en avant certaines
expériences connues et indubitables auxquelles l’homme
confesse ne rien voir ; et cela, comme toutes autres choses,
d’une curieuse et ingénieuse recherche » (éd. Villey, p. 449).
Clair envoi à Cité de Dieu, XXI, 5, 1, B.A. 37, p. 388 :
« […] Verum tamen homines infideles, qui, cum divina vel
praeterita vel futura miracula praedicamus, quae illis experienda
non valemus ostendere, rationem a nobis earum flagitant
rerum, quam quoniam non possumus reddere (excedunt enim
vires mentis humanae), existimant falsa esse quae dicimus, ipsi
de tot mirabilibus rebus, quas vel videre possumus vel videmus,
debent reddere rationem. Quod si fieri ab homine non posse
perviderint, fatendum est eis non ideo aliquid non fuisse vel
7.E. Caron, « Saint Augustin dans les Essais », Montaigne Studies. An
interdisciplinary Forum, vol. II/2, décembre 1990, dans une étude souvent trop
polémique pour être utile, remarque néanmoins justement que « Si Montaigne
ne cite pas nommément les Confessions de saint Augustin dans les Essais, pas
plus qu’il ne cite certains autres textes fort connus (par exemple L’institution
[de la Religion] Chrétienne de Calvin), il n’y a aucune raison de penser qu’il
n’en avait pas entendu parler » (p. 33). Et de citer Adeodatus (IV, 6, 14), dont
Augustin « […] remercie presque Dieu de lui avoir enlevé » l’effrayant génie.
22
La transcendance de l’homme – Études
non futurum esse, quia ratio inde non potest reddi, quando
quidem sunt ista, de quibus similiter non potest. »
Cette citation développée appelle plusieurs remarques.
D’abord, elle intervient dans un contexte massivement
paulinien de l’éd. 15808, qui mobilise « […] fuir la mondaine
philosophie » = Colossiens, 2, 8 ; « […] notre sagesse n’est que
folie devant Dieu » = 1 Corinthiens, 3, 19 ; « […] de toutes les
vanités, la plus vaine c’est l’homme » = Qohélet, 6, 3 ; « […]
l’homme qui présume de son savoir, ne sait pas encore que c’est
que savoir » = 1 Corinthiens, 8, 2 ; « […] l’homme, qui n’est
rien, s’il pense être quelque chose, se séduit soi-même et se
trompe » = Galates, 6, 3. Et ces références pauliniennes
développent le paradoxe entre la sagesse et la folie (qui
s’inversent entre Dieu et le monde), paradoxe qui a une
fonction sceptique parce que biblique, comme chez Érasme (et
d’ailleurs Luther). Ici Montaigne prend donc position pour la
scepticisme chrétien. – Mais il faut ensuite noter qu’il s’agit,
avec ce scepticisme chrétien, de réfuter l’athéisme : « […] ce
commencement de maladie [sc. Luther] déclinerait aisément
en un exécrable athéisme » (p. 439) ; « Il [sc. Sebond] entreprend, par raisons humaines et naturelles, établir et vérifier
contre les athéistes tous les articles de la religion chrétienne »
(p. 440) ; « Et ce que dit Plato, qu’il y a peu d’hommes si fermes
en l’athéisme, qu’un danger pressant ne les ramène à la reconnaissance de la divine puissance » (p. 445) ; « L’athéisme étant
une proposition comme dénaturée et monstrueuse, difficile
aussi et malaisée d’établir dans l’esprit humain, pour insolent
et déréglé qu’il puisse être » (p. 446) ; « Un athéiste se flatte à
ramener tous les auteurs à l’athéisme » (p. 448). L’héritage
montanien de Descartes, surtout dans les lettres de 1630 et la
Lettre à la faculté de théologie de la Sorbonne en 1641 apparaît
ici clairement. – Surtout, toute la question que se pose saint
Augustin dans le texte cité par Montaigne concerne la possibilité (et la légitimité) de reddere rationem (Cité de Dieu, XXI,
8.Comme l’a établi V. Carraud, en particulier dans « L’imaginer
inimaginable : le Dieu de Montaigne », dans V. Carraud et J.-L. Marion (dir.),
Montaigne : scepticisme, métaphysique, théologie, Paris, Presses universitaires de
France, coll. Épithémée, 2004, p. 148 sq.
I. Montaigne et le bon usage du scepticisme de saint Augustin23
5, 1, ibid., p. 388 ; 5, 2, ibid., p. 392 et 394, enfin 7, 2, ibid.,
p. 408), en rapport avec la toute-puissance divine : « […] fixam
tamen apud nos esse rationem : non sine ratione omnipotentem facere, unde animus infirmus rationem non potest
reddere » (5, 2, ibid., p. 394) ; « […] omnipotentem Deum »
(7, 2, ibid., p. 408) ; « Portentum ergo non fit contra naturam,
sed contra quam est nota natura » (8, 2, ibid., p. 412) ; « Sicut
ergo non fuit impossibile Deo, quas voluit instituere, sic non
est ei impossibile, in quidquid voluerit, quas institutit, matare
naturas » (8, 4, ibid., p. 418). Enfin, il faut souligner que toutes
ces interrogations relèvent de ce qu’Augustin nomme les choses
quae non videntur, qui deviendront pour Descartes le domaine
de l’incompréhensible, pourtant parfaitement connaissable,
sans aucun secours de l’imagination à l’entendement.
8/ Essais, II, 12 [1588] : « Ce n’est rien à la vérité que de
nous. Il s’en faut tant que nos forces conçoivent la hauteur
divine, que, des ouvrages de notre créateur, ceux-là portent
mieux sa marque et sont mieux siens, que nous entendons le
moins. C’est aux Chrétiens une occasion de croire, que de
rencontrer une chose incroyable. Elle est d’autant plus selon
raison, qu’elle contre l’humaine raison. Si elle était selon
raison, ce ne serait plus miracle ; et, si elle était selon quelque
exemple, ce ne serait plus chose singulière. “Melius scitur Deus
nesciendo”, dit saint Augustin ; et Tacitus : “Sanctius est ac
reverentius de actis deorum credere quam scire” [De moribus
Germanorum, 24] » (éd. Villey, p. 499.
Cette citation ne renvoie pour une fois pas à La Cité de
Dieu, mais au De Ordine, II, 16, 44, B.A. 4, 438 (selon Villey,
ad loc., p. 1283, par l’intermédiaire de Juste Lipse, Politiques,
I-2, truchement qui expliquerait justement qu’une citation ne
provienne pas de l’habituelle et unique source jusque-là
utilisée) : « Quisquis ergo ita nesciens, non dico de summo illo
Deo, qui scitur melius nesciendo, sed de anima ipsa sua
quaerere ac disputare voluerit, tantum errabit quantum errari
plurimum potest. » Voir aussi De Trinitate, VIII, 2, 3 : « Non
enim parvae notitiae pars est, cum de profundo isto in illam
summitatem respiramus, si antequam scire possimus quid sit
Deus, possumus jam scire quid non sit » (B.A. 16, p. 30). – On
remarque qu’à l’évidence tout le passage porte sur l’inconnais-
24
La transcendance de l’homme – Études
sance de Dieu. « Nous disons bien, puissance, vérité, justice : ce
sont paroles qui signifient quelque chose de grand ; mais cette
chose-là nous ne la voyons aucunement, ni ne la concevons »
(p. 499). « Ce n’est pas par discours ou par notre entendement
que nous avons reçu notre religion, c’est par autorité et par
commandement étranger. La faiblesse de notre jugement nous
y aide plus que la force, et notre aveuglement plus que notre
clairvoyance. C’est par l’entremise de notre ignorance plus que
de notre science que nous sommes savants de ce divin savoir.
Ce n’est pas merveille si nos moyens naturels et terrestres ne
peuvent concevoir cette connaissance supernaturelle et céleste :
apportons y seulement notre obéissance et la subjection : “Car,
comme il est écrit, ‘Je détruirai la sapience des sages, et abattrai
la prudence des prudents. Où est le sage ? où est l’écrivain ?’
(Isaïe, 29, 14 et 19, 12) où est le disputateur de ce siècle ? Dieu
n’a-t-il pas abêti la sapience du monde, Car, puisque le monde
n’a pas connu Dieu par sapience, il lui a plus, par la vanité de
la prédication, de sauver les croyants” (1 Corinthiens, 1,
19-21) » (p. 500). « L’ignorance qui se sait, qui se juge et qui se
condamne, ce n’est pas une entière ignorance : pour l’être, il
faut qu’elle s’ignore soi-même » (p. 502). La considération de la
toute-puissance de Dieu, jusqu’ici dominante, implique donc
aussi directement celle de son inconnaissabilité. Le rapport à
Descartes (« […] ipsa incomprehensibilitas in ratione formali
infiniti continetur », A.T.VII, p. 368) va ici de soi.
9/ Essais, II, 12 [1588] : « Voici l’excuse que nous
donnent, sur la considération de ce sujet, Scevola, grand
Pontife, et Varron, grand théologien, en leur temps : Qu’il est
besoin que le peuple ignore beaucoup de choses vraies et en
croie beaucoup de fausses : “[…] cum veritatem qua liberetur
inquirat, credatur ei expedire, quod fallitur” » (éd. Villey,
p. 535).
Il s’agit d’une citation directe, mais laissée sans référence,
de De Civitate Dei, IV, 27, B.A. 33, p. 614, Villey donne une
référence incorrecte : IV, 31, ad loc.). Pascal citera ce texte en le
reprenant très probablement de Montaigne : « C’est pourquoi
le plus sage des législateurs disait que pour le bien des hommes,
il faut souvent les piper, et un autre, bon politique, Cum
veritatem qua liberetur ignoret, expedit quod fallitur » (Pensées,
I. Montaigne et le bon usage du scepticisme de saint Augustin25
éd. Lafuma, § 60). Mais Pascal ne voyait pas que cette doctrine
n’est pas celle de saint Augustin, qui ne cite Varron et Scevola
que pour les réfuter peu après : « Ergo ista conjicere putari
debui, nisi evidenter alio loco ipse [sc. ipse Varro] disceret de
religionibus loquens, multa esse vera quae non modo vulgo
scire non sit utile, sed etiam tametsi falsa sunt, aliter existimare
populum expediat […]. Haec tamen fallacia miris modis
maligni daemones delectantur, qui et deceptores et deceptos
pariter possident, a quorum dominatione non liberat nisi
gratia Dei per Jesum Christum Dominum nostrum » (De
Civitate Dei, IV, 31, B.A. 33, p. 628)9.
10/ Essais, II, 12 [1588] : « À tel objet l’estomac se
soulève ; à tel autre, quelque partie plus basse. Mais comme[nt]
une impression spirituelle face [peut se faire] une telle faucée
[sc. irruption] dans un sujet massif et solide, et la nature de la
liaison et couture de ces admirables ressorts, jamais homme ne
l’a su. “Omnis incerta ratione et in naturae majestate abdita”
dit Pline [Histoire naturelle, II, 37] ; et saint Augustin : “Modus
quo corporibus adhaerent spiritus, omnino mirus est, nec
comprehendi ab homine potest : et hoc ipse homo est” »
(éd. Villey, p. 539).
Ce texte cite et modifie La Cité de Dieu, XXI, 10, 1, B.A.
37, p. 426 : « […] sed, ut dixi, miris et ineffabilibus modis
adhaerendo, accipientes ex ignibus poenam, non dantes
ignibus vitam ; quia et iste alius modus, quo corporibus
adhaerent spiritus et animalia fiunt, omnino mirus est nec
comprehendi ab homine potest, et hoc ipse homo est ». – On
remarque que l’incompréhensibilité de l’union de l’esprit (de
l’âme) aux corps renvoie à l’inconnaissabilité de l’homme à
9.Ce point a été établi par V. Carraud, Pascal. Des connaissances
naturelles à l’étude de l’homme, II, 1, « Le De Civitate Dei de… Montaigne »,
Paris, Vrin, 2007, p. 70-72. Une autre citation (« Il n’est point de combat si
violent entre les philosophes, et si âpre, que celui qui se dresse sur la question
du souverain bien de l’homme, duquel, par le calcul de Varron, naquirent 288
sectes », Essais II, 12, p. 577) atteste une lecture de l’unique source indirecte de
Varron, saint Augustin, La Cité de Dieu, XIX, 2 (B.A. 37, p. 52). Pascal
dépend ici directement de Montaigne, non pas de saint Augustin (voir la
démonstration de V. Carraud, Pascal et la philosophie, Paris, Presses universitaires de France, 1992, p. 103 sq. et Pascal…, op. cit., p. 69).
26
La transcendance de l’homme – Études
lui-même. Et donc que celle-ci reproduit l’incompréhensibilité
de Dieu, suivant le thème bien connu de Grégoire de Nysse,
De la création de l’homme XI, P.G., t. 44, col. 156b sq.)10.
11/ Essais, II, 12 [1580] : « La diversité d’idiomes et de
langues […], qu’est-ce autre chose que cette infinie et perpétuelle altercation et discordance d’opinions et de raisons qui
accompagne et embrouille le vain bâtiment de l’humaine
science. [1588] Et l’embrouille utilement. Qui nous tiendrait,
si nous avions un grain de connaissance ? Ce saint [sc. Augustin]
m’a fait grand plaisir : “Ipsa utilitatis occultatio aut humilitatis
exercitatio est, aut elationis attritio”. Jusques à quel point de
présomption et d’insolence ne portons-nous notre aveuglement
et notre bêtise ? » (éd. Villey, p. 553 sq.). – Ce texte, cité sans
nom d’auteur, confirme absolument que le scepticisme sur
l’étendue de la connaissance humaine sert un dessein théologique, celui de la reconnaissance de la toute-puissance divine.
12/ Essais, III, 5 [1582] : « En faveur des Huguenots, qui
accusent notre confession privée et auriculaire, je me confesse
en public, religieusement et purement. Saint Augustin, Origène
et Hippocrate ont publié les erreurs de leurs opinions ; moy,
encore, de mes mœurs. Je suis affamé de me faire connaître ; et
ne me chaut à combien, pourvu que ce soit véritablement ; ou,
pour dire mieux, je n’ai faim de rien, mais je crains mortellement d’être pris en échange par ceux à qui il arrive de
connaître mon nom » (éd. Villey, p. 846-847). – S’agit-il d’une
allusion, pour les « opinions » erronées reconnues comme telles,
aux Confessiones et surtout aux Retractationes ? En tout cas, cette
indication contredit l’interprétation habituelle, selon laquelle
Montaigne aurait absolument récusé de la confession des
fautes. En fait, « Du repentir » ne soutient pas une thèse
10.Voir la traduction française J.Laplace (corrigée), « Sources
Chrétiennes », no 6, Paris 19431, 20022, p. 122. À compléter par, entre autres,
Basile de Césarée, Contre Eunome 111, 6, P.G. t. 29, col. 668b sq. (et éd. B.
Sesboüé, « Sources Chrétiennes », no 305, Paris, Cerf, 1983, p. 166 sq.), ainsi
que J. Chrysostome, Sur l’incompréhensibilité de Dieu, V, 259 sq., (éd.
J. Daniélou, A.-M. Malingrey et R. Flacelière, « Sources Chrétiennes »,
no 28 bis, p. 294 sq.). sur cette incompréhensibilité selon saint Augustin, voir
les textes analysés dans notre étude Au lieu de soi. L’approche de saint Augustin,
§ 40, Paris, Presses universitaires de France, 20081 & 2, p. 350 sq.
I. Montaigne et le bon usage du scepticisme de saint Augustin27
négative, mais positive sur la confession des fautes : « Je
n’enseigne point, je raconte » sans rien reprendre, ni regretter,
parce que « […] si j’avais à revivre, je revivrais comme j’ai vécu,
ni je ne plains le passé, ni je ne crains l’avenir » (ibid., p. 806 et
816). Ou bien : « Quant à moi, je puis désirer en général être
autre ; je puis condamner et me déplaire de ma forme universelle et supplier Dieu pour mon entière réformation et pour
l’excuse de ma faiblesse naturelle. Mais cela, je ne dois pas le
nommer repentir, ce me semble, non plus que le déplaisir de
n’être ni ange, ni Caton » (ibid., p. 813). Le repentir ainsi
récusé ne s’opposerait pas tant à la confession (auriculaire ou
publique, bref le sacrement du pardon), qu’à l’illusion de
pouvoir refaire le passé, ou de le regretter en vain, bref qu’au
ressentiment – à la fois le déni du passé irrémédiable et haine
de soi pour ne l’avoir pas surmonté. La « réformation » et
l’« excuse », qui définissent le sacrement de réconciliation, ne se
confondent pas avec le ressentiment.
13/ Essais, III, 5 [1588] : « Mais ceux-là desquels
témoigne saint Augustin, ont donné un merveilleux effort de
tentation à la nudité qui ont mis en doute si les femmes au
jugement universel ressusciteront en leur sexe et non plutôt au
nôtre, pour ne nous tenter encore en ce saint état » (éd. Villey,
p. 860).
Ce texte démarque Cité de Dieu, XXII, 27, B.A. 37,
p. 620-621 : « Nonnulli propter hoc, quod dictum est “Donec
occurramus omnes in unitatem fidei, in virum perfectum, in
mensuram aetatis plenitudinis Christi” (Éphésiens 4, 13) et
“Conformes imaginis filli Dei” (Romains 8, 29), nec in sexu
femineo resurrecturas feminas credunt, sed virili omnes aiunt,
quoniam Deus solum virum fecit ex limo, feminam ex viro.
Sed mihi melius sapere videntur, qui utrumque sexum resurrecturum esse non dubitant. Non enim libido ibi erit, quae
confusionis est causa. Nam priusquam peccassent, nudi erant
et non confundebantur vir et femina. Corporibus ergo illis
vitia detrahentur, natura servabitur. Non est autem vitium
sexus femineus, sed natura. » – Remarquons qu’Augustin
s’oppose ici à Jérôme, Commentaire de l’épître aux Éphésiens, V,
29, Adversus Jovinianum, I, 36 (et réponse à Rufin, Apologia,
I, 29), dont se rapprocherait plutôt la position de Montaigne.
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