FEVRIER 2017 NÉGOCIATIONS SALARIALES: APPROCHES ÉCONOMIQUES PLAN Un sujet très discuté depuis les années 1970 dans la littérature économique, avec de multiples facettes : • Négociation salariale au niveau individuel : le salaire comme élément de motivation et de productivité (Stiglitz) • Négociation salariale collective : – taux de syndicalisation et salaires – niveau de négociation et salaires / rôle de la coordination et du consensus entre partenaires sociaux. – Interaction négociation salariale / fixation des prix, avec taux de chômage comme élément modérateur. 2 SHAPIRO & STIGLITZ: LE SALAIRE COMME ÉLÉMENT DE MOTIVATION (VOIRE DE PAIX SOCIALE) Un modèle des années 1970 qui a ouvert la voie à de nombreux autres: • Constat : les salaires ne baissent pas (ou décélèrent peu) en période de conjoncture mauvaise. • Idée : l’effort au travail des salariés est en partie lié au salaire, à son effet de motivation et d’attraction. Offrir des salaires trop bas exposerait l’entreprise à recruter des salariés peu motivés, voire insuffisamment productifs. • Le modèle de Shapiro & Stiglitz (1984) : le salarié arbitre entre a) relâcher son effort avec le risque d’être licencié et de recevoir indemnités chômage, ou b) augmenter son effort (-> fatigue) mais conserver son emploi. • Beaucoup de conséquences : – Si allocations chômage généreuses, le « coût de la flânerie » (dixit Stiglitz) associé au licenciement est faible… sauf si le salaire est élevé. – Stiglitz montre que la variable d’équilibre du marché du travail, dans son modèle c’est le taux de chômage, pas le salaire. 5 TAUX DE SYNDICALISATION ET DE COUVERTURE (1/2) 7 TAUX DE SYNDICALISATION ET DE COUVERTURE (2/2) L’écart entre taux de syndicalisation et taux de couverture reflète des facteurs institutionnels et légaux : • Selon que l’application d’accords collectifs discrimine ou pas entre salaries syndiqués et non syndiqués. Cas scandinave: taux de syndicalisation élevé car assurance chômage gérée par les PS et non obligatoire. Verser cotisations et recevoir indemnités chômage requiert d’être syndiqué. • Extension automatique des accords : elle pèse sur taux de syndicalisation. • Plus l’emploi est protégé par la loi, plus le taux de syndicalisation est faible (Checchi and Lucifora (2002)). • Concurrence sur le marché des biens et services : plus elle est faible, plus les syndicats peuvent extraire une partie de cette rente dans des accords collectifs (Abowd and Lemieux (1993)). 10 • Tertiarisation des économies développées. CONSÉQUENCE DE LA SYNDICALISATION SUR LES SALAIRES ET LA PRODUCTIVITÉ DANS LA LITTÉRATURE Un taux de syndicalisation élevé… • … tire plutôt les salaires à la hausse (+2% en niveau au niveau de l’entreprise selon Breda (2015)). • … n’a pas d’effet forcément favorable sur la productivité. Freeman et Medofi (1984) estiment qu’en limitant le turn-over, syndicalisation diminue le coût du travail de 2% - mais sujet très discuté! (DiNardo et Lee (2004)). Au final, effet de syndicalisation sur productivité n’est pas clair. • Aidt et Tzannatos (2002) résument de nombreuses études: • plus de syndicalisation et de couverture = plus de salaires, inflation et chômage, dans des proportions variables selon pays • une bonne organisation des négociations avec notamment prise en compte du contexte économique peut limiter sensiblement l’ampleur de ces effets potentiellement problématiques. -> La littérature confirme qu’une syndicalisation/couverture élevée favorise croissance des salaires supérieure à celle de productivité. 10 SALAIRE MOYEN ET PRODUCTIVITÉ : UNE COMPARAISON FRANCE / ALLEMAGNE Allemagne France 7 UNE TENDANCE DE LONG TERME PLUTÔT FAVORABLE À LA DÉCONCENTRATION DES NÉGOCIATIONS SALARIALES • Situations très variable selon les pays. • Canada, Japon, Etats-Unis, Corée: plutôt au niveau de l’entreprise. • Pays scandinaves: négociations assez centralisées. • Pays d’Europe continentale entre les deux (+/- au niveau de la branche/secteur, avec intervention +/- directe du gouvernement). • Une tendance de long terme depuis les années 1970, pas toujours régulière, à la déconcentration des négociations salariales (indicateurs de l’OCDE). Ex. : l’Allemagne et les clauses de opt out (négociations au niveau de l’entreprise pouvant se substituer aux accords de branche, même moins favorables – cas notamment pour le temps de travail, mais aussi pour les salaires. Négociations tendant à échanger des salaires 12 moins généreux contre des garanties d’emploi. L’HYPOTHÈSE (TRÈS CONTROVERSÉE) DE CALMFORS ET DRIFFILL (1/3) Un débat académique agité dans les années 1990, qui peut encore marquer les esprits aujourd’hui, même si l’on considère que l’hypothèse ne tient pas très bien. • Calmfors and Driffill (1988) suggèrent qu’une négociation centralisée des salaires tient plus compte de ses implications économiques qu’une négociation au niveau de la branche ou de l’entreprise. + pouvoir de négociation des salaries différent au niveau de l’entreprise. D’où une relation en forme de cloche entre degré de centralisation des négociations salariales et taux de chômage. Négociation de branche présentée comme sous-optimale… • Bcp d’études réfutant Calmfors et Driffill: Aidt et Tzannatos (2002); Teulings and Hartog (1998) qui suggèrent que la négociation du niveau de la branche peut aussi être coordonnée et tenir compte du contexte macroéconomique. 13 L’HYPOTHÈSE (TRÈS CONTROVERSÉE) DE CALMFORS ET DRIFFILL (2/3) 7 L’HYPOTHÈSE (TRÈS CONTROVERSÉE) DE CALMFORS ET DRIFFILL (3/3) Deux types de critiques sur Calmfors et Driffill : • Théorique : rien ne suggère que le salaire serait plus rigide au niveau sectoriel qu’à l’échelon national ou dans l’entreprise. • Empirique : hypothèse inexacte selon laquelle le niveau de négociation correspondrait au degré de coordination des négociations (=degré de consensus entre les partenaires sociaux). Nombreuses études affirment importance de la coordination des partenaires sociaux: • Nickell (1997): un degré élevé de coordination au sein des organisations syndicales et surtout patronales permet de neutraliser l’influence des taux de syndicalisation et de couverture sur le taux de chômage. • Plasman et Rycx (2000): les pays avec coordination élevée entre 13 partenaires sociaux ont une croissance du coût de la main d’oeuvre plus faible. Cf. aussi Traxler et Kittel (2000) etc... LE MODÈLE WS-PS OU LA « BATAILLE SUR LES PRIX ET DES SALAIRES » WS-PS = Wage Setting – Price Setting. Richard Layard et Stephen Nickell. Modèle standard utilisé par OCDE, Commission européenne… depuis années 1990. Continue d’influer beaucoup. Pour simplifier, dans le modèle: • … les entreprises fixent la variation de leurs prix en appliquant une marge au-dessus de la variation de leurs salaires. • … les salariés demandent évolution des salaires en appliquant une marge au-dessus de la variation des prix anticipés. -> La négociation est un processus entre salariés et entreprises avec fixation des salaires par les uns et des prix par les autres, chacun influençant mutuellement : « battle of the mark-ups of prices over wages and vice-versa ». La variable clé qui définit le résultat de cette négociation, c’est le taux de chômage (et pas l’inflation). Modèle très riche qui a permis d’étudier beaucoup de choses : l’inertie du taux de chômage, l’effet de la protection de l’emploi sur le chômage, l’effet des réformes pro-concurrentielles sur le taux de chômage… 13 FRANCE: DES ÉVOLUTIONS SALARIALES INSUFFISAMMENT SENSIBLES AU TAUX DE CHÔMAGE? Allemagne France 7 CONCLUSION : • La littérature économique a souvent évoqué l’importance de la coordination entre partenaires sociaux (i.e., d’un certain degré de consensus et de compréhension mutuelle) pour obtenir des négociations salariales satisfaisantes pour l’économie nationale. ->négociations patientes, information homogène des partenaires sociaux (cf. dialogue économique dans la branche métallurgie). • Au-delà de l’inflation, prendre en compte le taux de chômage dans la négociation salariale. 14 Sources des graphiques : Calmfors L. et J.Driffill (1988), Comptes nationaux. Bibliographie indicative: Calmfors L. et J.Driffill (1988), “Bargaining structure, corporatism and macroeconomic performance”, Economic Policy, Vol. 3, No. 6, pp. 13-61. Layard R. et S.Nickell (2011), Combatting Unemployment, Oxford University Press. Nickell S. (1997), « Unemployment and Labor Market Rigidities : Europe versus North America », Journal of Economic Perspectives, Vol. 11, No. 3, p. 55-74. Shapiro C, et J.E. Stiglitz (1984), “Equilibrium Unemployment as a Worker Discipline Device”, The American Economic Review, vol 74 (3), pp 433-444. Contact : Frédéric Gonand (UIMM) - [email protected] 15