verbes « mordre », « mordille » et « mange ». Cette allusion sensuelle à la bouche participe à l’atmosphère
sensuelle du poème. De la même manière, on relève des expressions qui renvoient à un moment sensuel:
« se prélasse », la « chaleur », « l’ardent foyer », les « caresses », le « divan », la « chambre »
L’importance des sensations : Les cinq sens apparaissent dans le texte. Le principal semble être
l’odorat. Le premier paragraphe décline en effet un champ lexical de l’odorat : « respirer », « odeur »,
« mouchoir odorant », « air ». Presque chaque paragraphe du poème reprend et développe ce sens. On voit par
ailleurs qu’une fois l’odorat apparu, d’autres sens surgissent, nés grâce à lui, selon le principe des
correspondances baudelairiennes.
Paragraphe 1 : Odorat (« respirer », « odeur », « mouchoir odorant », « air » / goût ( « comme un homme
altéré dans l’eau d’une source » / toucher (« les agiter avec ma main »)
Paragraphe 2 : odorat (« parfum ») / toucher (« je sens ») / ouïe (« j’entends », « musique ») / vue (« je
vois »)
Paragraphe 3 :odorat ( « atmosphère parfumée ») / goût (« les fruits ») / toucher (« la peau humaine ») / vue
(Espace « bleu »)
Paragraphe 4 : ouïe (« chants mélancoliques ») / vue (« j’entrevois »)
Paragraphe 5 : odorat (« les pots de fleurs ») / goût (« les gargoulettes rafraîchissantes ») /toucher
(« caresses ») / ouïe (« bercées par le roulis »)
Paragraphe 6 : odorat (« odeur du tabac mêlée à l’opium et au sucre », « odeurs combinées du goudron, du
musc et de l’huile de coco ») / goût (« sucre », « je m’enivre », « huile de coco ») / toucher (« les rivages
duvetés ») / vue (« je vois resplendir »
Paragraphe 6 : goût (« mordre », « mordille », « mange »)
Ainsi le poète a le don de voyager grâce au parfum. C’est ce qu’affirme le second paragraphe. La
femme aimée et le parfum de sa chevelure développent un moment sensuel. On peut voir qu’un voyage et un
monde exotique vont également surgir de ce moment de sensualité.
III - UN VOYAGE IMMOBILE
a) La remémoration et le rêve
Le parfum de la chevelure fait naître des souvenirs. Cette idée apparaît dès le premier paragraphe du
texte dans la métaphore : « pour secouer des souvenirs dans l’air ». Ainsi, les cheveux sont comparés à un
mouchoir que l’on agite et les parfums qui s’en dégagent deviennent des souvenirs, ce qui contribue à les
rendre palpables et concrets. Le dernier paragraphe confirme cette impression puisqu’il s’agit, dans une
nouvelle métaphore, de manger les souvenirs. Un autre terme dans le poème confirme que le poète retrouve
des impressions et un monde passés: « je retrouve » dans le cinquième paragraphe.
Plus généralement l’itinéraire parcouru grâce à la chevelure s’inscrit dans une sorte de songe, ce que
confirme le champ lexical de la rêverie : « mon âme voyage », « rêve », « j’entrevois », « il me semble ». Cette
rêverie est d’ailleurs facilitée par les substances enivrantes et hallucinatoires évoquées à la fin du poème :
« tabac », « opium », « je m’enivre ».
b) Un voyage
Un voyage a lieu sous nos yeux dans le poème. De nombreux verbes de mouvement parcourent les para-
graphes : « plonger », « agiter », « secouer » dans le premier, « voyage » dans le second, « me portent » dans
le troisième.
D’autres éléments confirment l’idée de voyage. La métaphore du mouchoir rend concrètes les odeurs de la
chevelure. On peut aussi y lire symboliquement le départ pour un voyage : le poète secoue un mouchoir pour
dire adieu avant le départ.
Le champ lexical de la navigation et de l’univers maritime confirme l’idée d’un voyage : « voilures » et
« mâtures », « grandes mers », « espace […] plus bleu et plus profond », « l’océan de ta chevelure »
(métaphore), « port fourmillant », « navires », « un beau navire », « le roulis imperceptible du port », « les
rivages duvetés », le « goudron » (utilisé par les marins pour enduire les carènes et les cordages des bateaux).
➜Ainsi, on voit que grâce au parfum initial, un voyage a lieu. Les sens suscitent souvent chez Baudelaire un
itinéraire. Une sensation en engendre une autre et la conjugaison des sens convie un véritable monde.
c) Un monde exotique
Le voyage mène le poète jusqu’à un monde tropical. Evoqué à travers son ciel (« azur tropical »), ses
mers, ses vents (« moussons »), ses végétaux et ses produits (« fruits » et « feuilles », « tabac », « musc »,
« opium », « sucre », « coco »), son port cosmopolite, sa chaleur (« charmants climats », « éternelle chaleur »,
« ardent foyer »), la langueur et le sensualité, le monde décrit par Baudelaire est un univers paradisiaque et
naïf. Il correspond aux stéréotypes de l’art du XIXème siècle qui voit dans les îles et les lointaines colonies un
monde d’oisiveté et de paresse. On peut penser, notamment, à d’autres poèmes de Baudelaire comme
L’Invitation au voyage ou, en peinture, aux représentations de Tahiti et des Marquises par Paul Gauguin. Ce
monde exotique est, on le sait, justifié par les origines de Jeanne Duval, la Vénus noire.
Les quatre éléments sont présents dans le poème. L’air à travers les parfums bien sûr, mais aussi les
moussons, le ciel et l’azur. L’eau avec la source où le poète se désaltère, ainsi que toutes les images maritimes.
Le feu, avec le chaleur et « l’ardent foyer ». La terre, enfin, grâce à ses productions végétales essentiellement.
La chevelure féminine est en effet capable de tout évoquer. De nombreuses expressions insistent sur l’idée
de totalité : « tout ce que » est répété dans le paragraphe 2, « tout un rêve » et « plein de » dans le