une statue grossière sur une place de Paris (2008), D. Gilliot
http://corner.as.corner.free.fr/kazak.html
À propos d’un lyrisme erratique, en latence,
opérant par accès, irrésolu, sans rime ni raison,
libéré, libérateur, assumé, (maladroitement) évoqué
par Dominique Gilliot (1/2)
Ethos et conséquences
Au commencement, il y a le verbe. Disons, un verbe. C’est simple, efficace, au cordeau, très bien, adroit
et abouti. C’est suffisant. Mais nous ne nous en sommes pas contentés. Parce que nous sommes rarement
satisfaits. En amont, nous nous sommes attelés à travailler à notre insatisfaction. Nous en avons fait une
matière première, un affect en demande, une fantaisie insatiable, un appétit, une chose à combler, une
frustration, en bref, un désir.
Car c’est ce que nous sentions, nous, qu’il fallait surajouter. Si nous avions été raisonnables, nous aurions
retiré à cette matière, et nous aurions pu prétendre à être appelés sculpteur efficace, ou sobre installateur.
Alors, nous nous serions retirés dans le silence de notre atelier, en grands classiques, et nous aurions passé
le mois en cours, et le suivant aussi, à corriger la même courbe jugée inappropriée, non adéquate encore et
encore, à replacer l’élément « 2b » de notre solide agencement logotypé sur l’élément « 3k », juste à
l’endroit où, à l’évidence, il doit se trouver. Nous nous serions éventuellement abîmés dans la
contemplation de natures mortes, de modèles froids et sans passion, aux yeux mi-clos, s’ennuyant de
façon presque palpable. Nous aurions évité le « plus », résolument. À la question quotidienne « ça va ? »,
nous aurions répondu mécaniquement « sans plus », avec cette idée derrière la tête, comme échoïfiée. Ou
bien alors, alternative intéressante : nous aurions plaqué plus de glaise sur ce limon, jusqu’à
l’effondrement consenti de la partie supposée représenter une main, un bras, une tête. Nous nous serions
répandus, peut-être. Expansés. Gonflés. Maximisés. Et ainsi, frôlés l’éclatement.
Nous, nous ne sommes pas des créateurs efficaces. À la place nous avons choisi, nous avons subi peut-
être, l’expression d’une chose interne, intime, sans se forcer (je dis paresse pathos). Car c’est là qu’est la
paresse : il n’y a guère qu’à la laisser se manifester cette chose-là, et elle te vient à peine as-tu ouvert la
bouche pour prononcer un mot comme « géographie », par exemple, que tu t’entends dire «oh, comme la
terre est calme auprès de l’océan grondeur » et tu le diras, souffles et silences compris, gravité bien pesée,
c’est ce que nous avons découvert, et nous avons usé de ce lâcher prise, nous l’avons chéri, nous sommes
laissés flotter dans un éther verbal, nous y sommes trouvés des trésors d’enluminures moyen-âgeuses,
pour alimenter notre goût pour l’inutile. Nous avons lâché prise, donc, repris contrôle un peu plus tard,
pour organiser ce chaos, puis lâché de nouveau. Et ainsi de suite. Jusqu’à être capable de suer cette
matière à volonté.
Du pathos. Une coulée noire et sombre amenée, peut-être forcée dehors à grands renforts de montées
lancinantes vers un apex mélodramatique non souhaité, comme une grossesse le serait, non souhaitée. De
la voix. Des énonciations complexes. Des énoncés complexifiés à dessein. Du pathos, des agencements.
Pathos environné
Voici le « come-along », cette chose « autour », une vaseline formelle, un lichen proliférant, un
champignon super odorant. La chose lyrique. L’ivresse du logos renversant. Un renflement devenu
inesthétique parce que trop volontairement esthétique, romantique en diable, pas exactement le
bienvenu, mais toléré, disons-le, quand même. Je parle ici d’un art de la déclamation, un art
déclamatoire, qui se nourrirait de sa propre matière, qui tournerait en boucle, la mèche au vent, et dont
le caractère hyper subjectif serait un contrepoids évident à certaines sirènes « réalistiques », tentantes,
froides et savamment calculées. Un art du dire.