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le caractère polysémique de la notion, la justice étant successivement une valeur, un sentiment, un principe, un
pouvoir, une institution... Qu’un signifiant ait tant de signifiés en fait nécessairement un symbole, voire une fiction
si on suit la définition canonique de la fiction : fictio est figura veritatis. La justice est bien une “ approche ” de ce
que nous tenons pour bon et bien. Mais, pour l’anthropologue qui considère également que la justice n’est pas tant
ce qu’en disent ses textes fondateurs ou ses glossateurs que ce qu’en font ses praticiens, c’est moins de la justice
que du juge dont on va parler. Très précisément, on considérera “ le juge, une figure d’autorité ”, le thème du
premier congrès mondial d’anthropologie du Droit, tenu dans les locaux de l’Ecole Nationale de la Magistrature
(ENM) de Paris du 24 au 26 novembre 19946.
Dans ses conclusions, le recteur Michel Alliot notait tout d’abord que
“ le congrès a fait place le plus souvent à une approche fonctionnelle. La communauté se définit par sa
fonction qui est de gérer la vie. Elle noue les fils de vie entre les groupes et les individus, dans le visible
et dans l’invisible (au-delà, ancêtres, nations, Etat, nature etc...), elle même immédiatement ou par
l’intermédiaire (la terre, Dieu, l’Etat, la loi). Si elle élimine quelques uns de ces fils, c’est pour mieux
nouer les autres. Lier est plus important qu’exclure ”.
Après avoir rappelé la relation entre la fonction et l’institution ainsi que l’ancienneté de cette représentation du
juge7 comme lieur, ce même auteur concluait : “ Du juge on attend partout qu’il puisse remplir sa fonction de
lieur et pour cela qu’il ait une compétence institutionnelle reçue et une compétence personnelle reconnue :
elles sont les sources de sa légitimité. ” (AFAD, 1996, 23).
Il précisait enfin, en répondant à Robert Badinter qui en ouvrant ces travaux avait posé les trois questions suivantes :
qui doit-on juger, comment doit-on juger, avec qui ?
“ Qui doit-on juger ? La société avant les parties car la vie est liée à la paix, il faut d’abord rétablir la
paix (...) une paix qui ne soit pas statique, une culture de paix qui soit en mouvement.
Comment doit-on juger ? L’illusion de l’efficacité technique du système juridictionnel nous fait souvent
passer à côté du vrai travail, qui est un travail de lieur et de représentations dans l’imaginaire de la
société, au cas par cas (...)
Avec qui doit-on juger ? Avec des magistrats autrement formés. Pourquoi cacher le désarroi des jeunes
magistrats qui n’ont reçu qu’une formation technique ? Une véritable formation à juger doit être
ouverte sur la vie, sur toute la vie, sans rien refuser de ce que vit et croit une société ” (AFAD, 1996,
29).
entre le principe d’égalité que revendique la modernité et les phénomènes de hiérarchie qui structurent les rapports
sociaux. Voir L. Dumont, Essais sur l’individualisme, une perspective anthropologique sur l’idéologie
moderne, Paris, Seuil, col. Esprit, 1983, 268 p. (p. 120 et s.)
6 AFAD, Le juge : une figure d’autorité, publié sous la direction de Claude Bontems, Paris, L’harmattan, 1996,
685 p.
7 S. Vilatte montre dans cet ouvrage que dans l’Iliade, Homère décrit le bouclier d’Achille et la fameuse scène du
jugement en mettant en évidence le rôle de l’istor qui est à la fois celui qui dira l’arrêt le plus droit et le témoin
qui mémorise la décision du tribunal “ La scène de jugement du chant XVIII de l’Iliade d’Homère ”, AFAD,
op.cit.,1996, 186-188.