édito Osons la gratitude attitude ! L es "mercis " sont multiformes, multifonctions. Ils prennent bien entendu une valeur différente selon que l’on s’adresse à un parent, à Dieu ou à sa boulangère. Le dossier de la présente revue est consacré au sentiment de gratitude que des personnes greffées ont voulu témoigner à la famille de leur donneur. C’est une procédure rendue possible par la loi (sous condition de l'anonymat) et qui joue un rôle parfois fondamental dans le processus d’appropriation du greffon. Les bienfaits psychologiques sont souvent importants, pour celui qui écrit le courrier, comme pour ceux qui le reçoivent. Si nous sommes ici dans un cas bien particulier de gratitude, il est aussi intéressant de revenir sur ce sentiment peu plébiscité de nos jours, en ces temps où l’on nous dit que le bonheur se construit seul, dans un dépassement de soi, un au-delà de nous-mêmes, au prix parfois de l’adversité. Toute reconnaissance est souvent reconnaissance de dette, d’un service rendu pour lequel nous nous estimons redevable. Il en va ainsi, plus ou moins consciemment, pour le don d’organes comme pour des actions plus anodines. Pourtant, la bonne action ou l’action accomplie par amour n’attend aucune contrepartie : le don trouve en lui-même sa propre récompense. Pour le dire autrement, nous sommes riches de ce que nous donnons, (ce qui va à l’encontre de l’idée assez répandue de dépossession), faire le bien fait du bien. La gratitude qui s’écrit Le courant de la "psychologie positive" abonde d’études démontrant que l’acte de remerciement procure un sentiment de bien-être durable. Chris Peterson, professeur de psychologie à l’université du Michigan, a pour habitude de demander à ses étudiants d’écrire une lettre de gratitude à une personne importante dans leur vie. Chez l’immense majorité d’entre eux, cet acte simple a des bienfaits qui perdurent plusieurs semaines après l’écriture. Et nul besoin que cette lettre soit adressée à une personne que l’on aime. La "gratitude attitude" est encore plus efficace lorsqu’elle s’adresse à un(e) ennemi(e). Le fait même d’écrire un courrier (que l’on adressera ou pas) à une personne qui nous a fait du mal permet de briser le cercle destructeur de la haine et de trouver le positif dans chaque relation, même négative. Mars 2015 - Revue FNAIR n°141 2 Le philosophe André Comte-Sponville développe cette idée dans son "Petit traité des grandes vertus" : « La gratitude se réjouit de ce qui a lieu, ou de ce qui est, elle est ainsi l’inverse du regret ou de la nostalgie, qui souffrent d’un passé qui ne fut pas, ou qui n’est plus, comme aussi de l’espérance ou de l’angoisse, qui désirent ou craignent […] un avenir qui n’est pas encore, qui ne sera peut-être jamais, et qui les torture pourtant de son absence. Savourer pleinement un bon moment avec ses amis, apprécier un paysage comme une œuvre d’art ou simplement un bon repas, donnent le sentiment d’être du côté de ceux que la vie gâte, plutôt que de ceux qu’elle lèse ». La gratitude en action A l’inverse de la prudence et de la bonne vieille méthode Coué – qui peuvent se mettre en œuvre sans action particulière – la gratitude oblige à agir. Et de la même manière que c’est en pratiquant que l’on devient croyant (vision très pascalienne de la religion) c’est en se pliant à quelques exercices réguliers de gratitude (en faisant comme si…) que l’on commence à ressentir quelques bienfaits. Choisir de remercier l’existence pour les cadeaux qu’elle nous fait est par exemple une façon d’embellir sa vision de la vie. Les religions l’ont bien compris, qui invitent à remercier Dieu pour des choses que la plupart des gens considèrent comme acquises. Le bénédicité, qui n’est aujourd’hui récité avant les repas que par les Chrétiens les plus fervents, nous amène à prendre conscience de ce que nous avons plutôt qu’à déplorer, comme nous le faisons souvent, ce qui nous manque… Ou comment ériger la théorie du verre à moitié plein en hygiène de vie. Ce qui finalement donne raison au philosophe Alain, lorsqu’il affirme que « Le pessimisme est d'humeur ; l'optimisme est de volonté. » Bonne lecture à tous, Romain Bonfillon Rédacteur en chef