Mars 2015 - Revue FNAIR n°141 2
Les "mercis " sont multiformes,
multifonctions. Ils prennent
bien entendu une valeur
différente selon que l’on s’adresse
à un parent, à Dieu ou à sa
boulangère. Le dossier de la présente
revue est consacré au sentiment
de gratitude que des personnes
greffées ont voulu témoigner à la
famille de leur donneur. C’est une
procédure rendue possible par la loi
(sous condition de l'anonymat) et
qui joue un rôle parfois fondamental
dans le processus d’appropriation du
greffon. Les bienfaits psychologiques
sont souvent importants, pour celui
qui écrit le courrier, comme pour
ceux qui le reçoivent. Si nous sommes
ici dans un cas bien particulier de
gratitude, il est aussi intéressant
de revenir sur ce sentiment peu
plébiscité de nos jours, en ces temps
où l’on nous dit que le bonheur se
construit seul, dans un dépassement de soi, un au-delà
de nous-mêmes, au prix parfois de l’adversité.
Toute reconnaissance est souvent reconnaissance de
dette, d’un service rendu pour lequel nous nous estimons
redevable. Il en va ainsi, plus ou moins consciemment,
pour le don d’organes comme pour des actions plus
anodines. Pourtant, la bonne action ou l’action accomplie
par amour n’attend aucune contrepartie : le don trouve en
lui-même sa propre récompense. Pour le dire autrement,
nous sommes riches de ce que nous donnons, (ce qui va
à l’encontre de l’idée assez répandue de dépossession),
faire le bien fait du bien.
La gratitude qui s’écrit
Le courant de la "psychologie positive" abonde d’études
démontrant que l’acte de remerciement procure
un sentiment de bien-être durable. Chris Peterson,
professeur de psychologie à l’université du Michigan, a
pour habitude de demander à ses étudiants d’écrire une
lettre de gratitude à une personne importante dans leur
vie. Chez l’immense majorité d’entre eux, cet acte simple
a des bienfaits qui perdurent plusieurs semaines après
l’écriture. Et nul besoin que cette lettre soit adressée à
une personne que l’on aime. La "gratitude attitude"
est encore plus efficace lorsqu’elle s’adresse à un(e)
ennemi(e). Le fait même d’écrire un courrier (que l’on
adressera ou pas) à une personne qui nous a fait du mal
permet de briser le cercle destructeur de la haine et de
trouver le positif dans chaque relation, même négative.
Le philosophe André Comte-Sponville
développe cette idée dans son "Petit
traité des grandes vertus" : « La
gratitude se réjouit de ce qui a lieu, ou
de ce qui est, elle est ainsi l’inverse du
regret ou de la nostalgie, qui souffrent
d’un passé qui ne fut pas, ou qui n’est
plus, comme aussi de l’espérance
ou de l’angoisse, qui désirent ou
craignent […] un avenir qui n’est pas
encore, qui ne sera peut-être jamais,
et qui les torture pourtant de son
absence. Savourer pleinement un bon
moment avec ses amis, apprécier un
paysage comme une œuvre d’art ou
simplement un bon repas, donnent le
sentiment d’être du côté de ceux que
la vie gâte, plutôt que de ceux qu’elle
lèse ».
La gratitude en action
A l’inverse de la prudence et de la
bonne vieille méthode Coué – qui
peuvent se mettre en œuvre sans action particulière –
la gratitude oblige à agir. Et de la même manière que
c’est en pratiquant que l’on devient croyant (vision très
pascalienne de la religion) c’est en se pliant à quelques
exercices réguliers de gratitude (en faisant comme si…)
que l’on commence à ressentir quelques bienfaits. Choisir
de remercier l’existence pour les cadeaux qu’elle nous fait
est par exemple une façon d’embellir sa vision de la vie.
Les religions l’ont bien compris, qui invitent à remercier
Dieu pour des choses que la plupart des gens considèrent
comme acquises. Le bénédicité, qui n’est aujourd’hui récité
avant les repas que par les Chrétiens les plus fervents,
nous amène à prendre conscience de ce que nous avons
plutôt qu’à déplorer, comme nous le faisons souvent, ce
qui nous manque… Ou comment ériger la théorie du
verre à moitié plein en hygiène de vie. Ce qui finalement
donne raison au philosophe Alain, lorsqu’il affirme que
« Le pessimisme est d'humeur ; l'optimisme est de
volonté. »
Bonne lecture à tous,
Romain Bonfillon
Rédacteur en chef
édito
Osons la gratitude attitude !
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