Le capitalisme, fils du nationalisme ?

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LES LIVRES ET LES IDÉES
The Spirit of Capitalism :
Nationalism and Economic
Growth
par Liah Greenfeld
Le capitalisme, fils du
nationalisme ?
CLAUDE JESSUA*
La thèse du livre est que le capitalisme, système
caractérisé par une croissance économique autoentretenue, n’a pu naître que sur le terreau
du nationalisme, avec l’appui et sous l’impulsion
du pouvoir politique. Cette clé d’explication
permettrait de situer son apparition au XVIIe siècle,
en Angleterre, et de suivre son développement
dans les pays développés jusqu’à nos jours. Une
vision contestable dans la plupart des cas traités
par l’auteur, qui semble s’être laissé aveugler
par son aversion pour la science économique.
C
et ouvrage1 ambitieux se situe
dans la même lignée et affronte
les mêmes questions que deux livres
célèbres : Les étapes de la croissance
économique de Walt Rostow (1960),
et surtout L’éthique protestante et
l’esprit du capitalisme (1904 et 1920)
de Max Weber. L’auteur, Liah Greenfeld, est spécialiste d’anthropologie
sociale. Professeur de science politique et de sociologie à l’université
de Boston, elle avait déjà attiré
l’attention du public universitaire
en 1992 en publiant un livre intitulé
Nationalism : Five Roads to Modernity
(Harvard University Press), où
elle analysait la nature et le rôle
du nationalisme dans l’histoire. Le
nationalisme était, selon elle, la
principale force organisatrice de la
vie politique des nations, mais
aussi de tous les aspects de la vie
sociale et économique. En ce sens,
le présent essai s’inscrit dans le
prolongement de la recherche
précédente de l’auteur.
D’entrée de jeu, Liah Greenfeld
prend position contre un pur
déterminisme économique qui
rendrait compte, à lui seul, des
processus de croissance autoentretenue. Et réfute à la fois la
démarche des marxistes et celle
* Professeur émérite à l’université Panthéon-Assas (Paris II).
des économistes libéraux, qui
expliquent la croissance par le jeu de
la concurrence et des marchés.
Pourquoi fait-elle référence aux
livres de Weber et de Rostow ? Pour
ce qui est de Max Weber, Greenfeld
cherche à attribuer au nationalisme
une partie du rôle que le sociologue
assignait à l’éthique protestante
dans le développement du capitalisme. Quant à Rostow, elle récuse
son approche essentiellement descriptive et économique. A son avis,
Rostow, comme Weber, envisage
le capitalisme comme un système
caractérisé par sa vocation à la
croissance, mais il n’explique pas
vraiment pourquoi cette croissance
a lieu, car en décrire les étapes ne
suffit pas à en élucider les causes.
Pour Greenfeld, le nationalisme
occupe une place centrale comme
facteur explicatif du développement
des économies capitalistes. Certes,
Rostow n’oublie pas, dans le passage
de la société traditionnelle à la
société moderne, le rôle essentiel
de ce qu’il appelle un « nationalisme
réactionnel », au moins aussi
important, estime-t-il, que la poursuite du profit. Il entend par là qu’un
Etat souverain est naturellement
incité à réagir pour défendre les
marchands, engagés dans la concurrence internationale, face à l’intrusion de nations plus avancées. Aux
yeux de Greenfeld, cependant, c’est
1
Liah Greenfeld,
The Spirit of
Capitalism :
Nationalism and
Economic Growth,
Cambridge
University Press,
2001, 541 pages,
index.
Sociétal
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1er
trimestre
2003
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LES LIVRES ET LES IDÉES
là un élément d’analyse peu
compatible avec le déterminisme
économique que Rostow invoquait
pour expliquer le décollage d’une
société traditionnelle vers une
croissance auto-entretenue : un tel
processus implique, en effet, une
analyse plus fine des motivations des
hommes, et une prise en compte
explicite des institutions.
LA MÉTHODE DE MAX
WEBER, AVEC D’AUTRES
HYPOTHÈSES
P
our notre auteur, le grand
mérite de Max Weber est
justement d’avoir procédé à cette
analyse des motivations. Cependant, l’intérêt de sa démarche ne
tient pas à la pertinence de ses
vues sur l’influence du protestantisme, mais à sa méthode. Weber
lui-même admettait d’ailleurs
que la domination de l’éthique
protestante dans une culture
n’est une condition ni nécessaire
ni suffisante pour que s’enclenche
un processus de croissance capitaliste. Sa méthode, en revanche,
impliquait la prise en compte, dans
toute analyse, des motivations
et comportements des hommes
dans l’explication des grands
enchaînements historiques. C’est
cette méthode que Greenfeld
tente d’utiliser, à partir d’une
hypothèse explicative différente.
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Elle a, avec Weber, un point de
départ commun : la poursuite de
l’intérêt personnel et du profit ne
peut pas être considérée comme
simplement inhérente à la nature
humaine. En effet, s’il en était ainsi,
le capitalisme reposerait sur de
banales considérations hédonistes,
et aurait existé à toutes les époques
de l’humanité. Pour qu’on puisse
identifier des comportements
typiques du capitalisme, il faut, nous
dit Weber, que les entrepreneurs
s’imposent, sinon une ascèse, du
moins une discipline. Or cette
discipline ne peut être que
transcendante par rapport aux
motivations humaines ordinaires.
C’est en ce sens que l’éthique
protestante fonde des normes
sociales de comportement particulièrement favorables à l’apparition
et à l’expansion du capitalisme,
même si ce n’est pas la seule base
morale concevable ou observable
dans ce domaine.
Weber considère que le capitalisme
a commencé à prendre son aspect
vraiment moderne au XVIIe siècle,
en Angleterre et dans l’Europe du
Nord, au moment où se produisait
dans ces pays une révolution
religieuse qui modifiait l’attitude
dominante à l’égard du travail et
de l’enrichissement personnel. Il
constate que le calvinisme et le
puritanisme anglais étaient devenus
moins hostiles à la poursuite de
l’enrichissement, ce qui constituait
un facteur éminemment favorable
à l’essor du capitalisme. Greenfeld,
qui admet cette thèse, soutient
cependant que l’éthique protestante ne peut pas être le seul
fondement de cette norme sociale
nouvelle : le nationalisme, selon elle,
a joué un rôle important dans cette
rupture, ce qui explique pourquoi la
nation qui a accompli la démarche
décisive est l’Angleterre, et non
la Hollande, la France, l’Espagne,
l’Allemagne ou l’Italie, pays au
moins aussi bien placés pour
s’engager dans la conquête économique du monde. Ainsi, le
capitalisme moderne commencerait
au XVIIe siècle, et déboucherait
sur la révolution industrielle.
C’est ici que prend place la
définition du nationalisme. Pour
Greenfeld, il revêt trois variantes. Il
y a d’abord le nationalisme individualiste-civique, qui constitue la forme
originelle. Elle est liée à l’idée de
nation constituée juridiquement et
au concept de citoyenneté, ce qui
implique une certaine égalité des
membres de cette collectivité, et
donc les premiers fondements
d’une démocratie. Si la nation est
souveraine, cela suppose, en effet,
que les individus qui la composent
sont eux-mêmes libres (ce ne sont
pas des esclaves) et qu’ils sont égaux
devant la loi. L’Angleterre et, par la
suite, les Etats-Unis illustreraient
cette variante du nationalisme.
Ensuite, le nationalisme collectivistecivique, qui envisage la nation comme
un être collectif, dont la volonté,
les besoins et les intérêts ne se
confondent pas avec ceux des
individus qui la composent. La
volonté générale ne peut être
perçue que par une élite qui s’est
elle-même désignée comme telle,
et dont les membres estiment
représenter la volonté de la nation.
C’est le cas de toutes les dictatures
modernes, y compris les « démocraties » socialistes ou populaires.
Enfin, et c’est la variété la plus
commune, le nationalisme collectiviste-ethnique, qui combine la notion
unitaire de la nation avec le concept
ethnique d’appartenance. Plus
précisément, la nationalité est un
critère génétique qui ne peut
provenir que de la naissance, et
ne peut donc être ni acquis ni
perdu. Dans sa forme extrême, ce
type de nationalisme peut aller
jusqu’au racisme ; il renforce le caractère autoritaire de la conception
collectiviste, la liberté individuelle
disparaît, et la liberté de la nation
s’identifie à son indépendance
par rapport à toute domination
étrangère. Les exemples historiques
les plus significatifs seraient à
chercher du côté de la Russie et
des pays d’Orient.
POURQUOI
L’ANGLETERRE
ÉTAIT EN AVANCE
G
reenfeld admet cependant
que cette classification ne
doit pas être comprise de façon
trop rigide, car la réalité présente
des formes hybrides. Pour elle, la
France, par exemple, symboliserait
une combinaison des deux premières variétés de nationalisme,
ce qui expliquerait le caractère
turbulent de son histoire… Tout
peuple doté d’une identité natio-
LE CAPITALISME, FILS DU NATIONALISME ?
souvent encouragée par le pouvoir
central, et d’une politique défensive
à l’égard des concurrents étrangers. En somme, ce que Greenfeld
décrit n’est autre que le mercantilisme envisagé, soit sous l’angle
de la politique économique des
gouvernements, soit sous celui du
raisonnement économique tel qu’il
apparaît dans les écrits des premiers
économistes. Aucun pays n’aurait
donc pu enclencher un processus
de croissance durable sans avoir béLe « miracle économique britannéficié en premier lieu de l’appui ou
nique »,événement majeur,se serait
de l’impulsion de l’Etat. Les entreproduit à la fin du XVIe siècle et au
preneurs prolongeraient, en
début du XVIIe, dans la concurrence
quelque sorte, par leur sentiment de
commerciale effrénée qui mit aux
fierté nationale, l’attitude et les aspiprises les marchands
rations de leur prince.
anglais avec ceux de la Selon Greenfeld,
Ligue hanséatique. C’est les entrepreneurs
Le cas de la France sert
à l’occasion de cette
à mettre à l’épreuve
compétition que l’on prolongeraient,
l’argumentation. Entre
vit surgir l’intervention par leur
le colbertisme et le
du pouvoir royal, sous sentiment de
snobisme social qui tend
diverses formes, en
à déprécier la condition
faveur des marchands fierté nationale,
des marchands, la France
anglais, et que l’on vit ces l’attitude et
du XVIIe siècle, et jusderniers se comporter les aspirations
qu’aux alentours de 1760,
comme des sor tes
est en retard par rapport
d’ambassadeurs de leur de leur prince.
à sa rivale britannique.
pays vis-à-vis des nations
Mais, à la veille de la
étrangères avec lesquels ils
Révolution, elle avait nettement
commerçaient. Greenfeld voit dans
rejoint l’Angleterre. En Hollande,
cet épisode l’origine du patriotisme
au contraire, à partir du milieu du
économique manifeste des Anglais
XVIIe siècle, l’impulsion nationale
et le début d’une évolution qui
qui avait déterminé la conquête de
s’amplifiera tout au long des XVIIIe
l’indépendance a faibli, et les
et XIXe siècles, consacrant la
Hollandais, peuple individualiste et
prépondérance économique de
rationnel, ne manifestent plus
l’Angleterre en Europe, en particucette dynamique de croissance
lier aux dépens de la France.
qui avait caractérisé l’âge d’or du
pays. L’Allemagne, quant à elle, ne
Le récit des étapes parcourues par
connaîtra de véritable expansion de
la France, l’Allemagne, la Hollande,
longue durée qu’à partir du milieu
la Russie, le Japon, et enfin les Etatsdu XIXe siècle, sous l’impulsion de
Unis au cours de leur développeFriedrich List et de l’éveil de la
ment fait l’objet d’une succession
nation allemande. C’est le sentiment
de monographies très vivantes,
national qui, tout au fil du siècle, a
agrémentées de nombreuses
favorisé outre-Rhin une puissante
citations de textes de l’époque.
révolution industrielle et une
Au cœur de l’argumentation : la
expansion sans précédent sur les
croissance économique n’est pas
marchés extérieurs.
séparable d’une tendance à l’expansion sur les marchés extérieurs,
Greenfeld examine ensuite le cas
elle-même fondée sur le double
du Japon et celui des Etats-Unis, qui
moteur d’une volonté de conquête,
lui semblent confirmer de façon
nale, quelle que soit la variante
de nationalisme dont il relève,
acquiert un sens de la dignité qui
sera à la base de son sentiment
patriotique et de son engagement
au service de causes nationales.
Et ce sens de la dignité est
profondément lié à la croissance
économique. C’est ce que le livre
va s’attacher à démontrer en
croisant les destins économiques
de différents pays.
éclatante son hypothèse. Au Japon,
le nationalisme s’enracinait déjà
dans le sentiment, profondément
ancré, d’une supériorité de la
culture nationale face aux étrangers,
considérés comme des barbares.
La révolution Meiji, qui a donné
naissance au Japon moderne, représentait pour les Nippons l’occasion
de prendre leur revanche sur les
humiliations infligées par l’Occident.
La mentalité japonaise étant loin
d’être inspirée par des valeurs
individualistes, la croissance économique de ce pays ne repose pas sur
l’action des marchés : elle est le
résultat d’un effort collectif. Aux
Etats-Unis, l’esprit du capitalisme
imprégnait dès le départ la
population, en raison de ses origines britanniques. Le nationalisme
proprement dit n’a joué de rôle
que sur le plan politique, avec la
conquête de l’indépendance, mais
les colons qui ont fondé cette
nouvelle nation étaient déjà des
capitalistes. Le cas des Etats-Unis
ne semble donc pas renforcer
la thèse de Greenfeld, car il s’agit
d’une croissance économique
auto-entretenue qui s’est déroulée
à l’intérieur des frontières de l’Union,
c’est-à-dire, en fait, à l’échelle d’un
continent.
UN MAUVAIS PROCÈS
À LA SCIENCE
ÉCONOMIQUE
E
n définitive, que penser de cet
imposant ouvrage ? La thèse
est présentée de façon péremptoire, dès l’introduction : « L’esprit
du capitalisme n’est autre que le
nationalisme. Le nationalisme a
été la force éthique motivante que
l’on trouve derrière l’économie
moderne de la croissance ». Pour
l’auteur, en effet, tout le destin
économique d’un pays est décidé à
partir du moment où cette prise
de conscience collective, déclenchée ou au moins stimulée par
l’initiative des pouvoirs publics, a
eu lieu. Peu importent ensuite les
révolutions techniques qui interviendront ; l’essentiel se sera déjà
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LES LIVRES ET LES IDÉES
produit : « Le point important est
économique. Les hommes peuvent
que, lorsque la révolution induscertes être inspirés par leurs pastrielle a commencé, l’économie
sions ou par leurs émotions ; tout ce
britannique était déjà consciemque l’économiste suppose est que,
ment orientée vers une croissance
parmi toutes les motivations qui les
auto-entretenue, et elle avait la
inspirent, les considérations éconocapacité de s’y engager ». Autant
miques sont présentes ; on saura
dire que, la naissance du capitadès lors dans quel sens elles agiront.
lisme une fois expliquée, ce qui
L’analyse économique n’exclut
advient ensuite, n’offre que peu
donc pas que les hommes puissent
d’intérêt et peut donc
être soumis à d’autres
être abandonné sans
influences et que, parfois,
inconvénient à une dis- Faire commencer
celles-ci l’emportent. Les
cipline mineure comme le capitalisme
économistes ne prétenl’économie…
dent pas livrer les clés de
au début du
l’évolution des sociétés.
e
Liah Greenfeld, en effet, XVII siècle
Depuis Marx, ils n’ont
ne fait pas mystère en Angleterre,
plus l’ambition d’édifier
du peu d’estime que c’est oublier
une théorie scientifique
lui inspire la science
de l’histoire. Du coup,
économique en général, un mouvement
l’accusation de Greenfeld,
et ses développements qui apparaît
qui reproche aux éconocontemporains en parti- en Europe dès
mistes leur arrogance ou
culier. Elle l’assimile à
leur impérialisme, perd
e
e
ce que de nombreux les XIV et XV
une bonne part de sa
spécialistes américains siècles, avec
pertinence.
des sciences sociales la révolution
appellent le « libéralisme
DES QUESTIONS
de marché » (market communale et
SANS RÉPONSE
liberalism). Elle lui re- le développement
uant à la partie
proche de reposer sur du commerce
positive de sa thèse,
une vision fausse et
elle n’est pas beaucoup
étriquée des compor- maritime.
plus solide. En premier
tements humains, d’un
lieu, elle prend le parti de faire
homo oeconomicus qui n’a jamais
commencer le capitalisme au
eu de réalité que dans l’imagination
début du XVIIe siècle en Angledes économistes.
terre. N’est-ce pas faire bon
marché d’une marche progresGreenfeld n’est certes pas la
sive vers le capitalisme, dont les
première à exprimer cette critique.
premiers éléments apparaissent en
Son argument repose pourtant
Europe dès les XIVe et XVe siècles,
sur un contresens sur l’économie.
avec la révolution communale et
Celle-ci, en effet, n’est jamais que
le développement du commerce
l’ensemble des conduites humaines
maritime ? L’essor économique qui
vues sous un certain angle. Elle n’a
a suivi a été le fait de marchands
pas d’existence objective : c’est un
développant leurs affaires en
certain regard posé sur le monde des
fonction de leurs intérêts personhommes. L’homo oeconomicus signifie
nels, d’où toute considération
simplement que, pour l’économiste,
nationaliste était absente. Adam
l’homme est censé être rationnel
Smith2 a clairement montré, dans
chaque fois que l’obligation de choisir
La richesse des nations, comment
entre plusieurs partis alternatifs se
cette expansion des marchés a
présente à lui. Cette hypothèse
entraîné une croissance que le
est indispensable, car elle seule perphénomène de la division du tramet de prévoir comment, dans la
vail a rendu cumulative. Tout cela
plupart des cas, le sujet réagira au
était fort étranger à la notion de
mouvement de telle ou telle variable
Q
2
Greenfeld va
jusqu’à affirmer
que Smith
n’aurait pas
voulu que son
livre fût
interprété
comme un
ouvrage
d’économie.
C’est au sein de
la sociologie qu’il
aurait trouvé sa
place…
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130
nationalisme. Prétendre ensuite
que la Hollande du siècle d’or
n’était pas capitaliste parce que
non nationaliste à l’époque paraît
procéder d’une logique circulaire,
puisqu’on pose en principe que
le capitalisme se confond avec le
nationalisme…
Comment comprendre, à la lecture
de cet ouvrage, que la France du
XVIII e siècle, avant même la
Révolution française, était déjà
pourvue des institutions les plus
caractéristiques du capitalisme, et
que ses économistes (Cantillon,
Quesnay, Turgot, Condillac) avaient
développé des schémas explicatifs
fondamentalement comparables à
ceux des économistes britanniques ?
La Russie est rapidement exclue du
palmarès de Greenfeld pour la raison
que ses principaux réformateurs,
avant la Révolution de 1917, étaient
d’origine étrangère. C’est oublier
qu’en 1913 elle présentait tous les
signes d’une économie capitaliste,
avec le taux de croissance de la
production le plus élevé d’Europe.
Enfin, constatant que l’Union européenne n’est pas encore parvenue
jusqu’ici à constituer une nation
malgré ses institutions économiques
et sa monnaie commune, alors que
le sentiment national est encore
très vivant dans les pays qui la
composent, l’auteur en infère que
l’Europe ne pourra pas être considérée comme une véritable puissance
économique. N’y a-t-il donc aucun
lien entre l’essor économique de
pays comme l’Espagne, le Portugal ou
l’Irlande et leur entrée dans la CEE ?
Enfin, peut-on se passer de l’analyse
économique pour mettre au jour des
enchaînements de phénomènes qui
ne seraient saisissables autrement
que par la simple description, sans
espoir d’y déceler des régularités ? Le
livre de Greenfeld est certes vivant,
abondant, enrichi de vastes lectures.
Mais il démontre la stérilité des
querelles interdisciplinaires dans des
domaines où, seule, la coopération
entre disciplines différentes peut
enrichir le débat.l
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