officielle- dans l'océan des affaires (en chinois, le xiahai). Le célèbre slogan de Deng Xiao Ping
("Peu importe que le chat soit blanc ou noir pourvu qu'il attrape la souris") est donc maintenant
très largement mis en pratique. La Chine des années 2000 semble ainsi différer totalement de sa
grande sœur des années Mao, mis à part le fait que le parti communiste a toujours le monopole du
pouvoir. Et c'est là que réside le paradoxe : un parti par définition hostile à l'économie de marché
prend des mesures en faveur de cette dernière. Les réformes ont fait renaître les inégalités
sociales, alors même que le maoïsme –fidèle en cela au marxisme- s'était explicitement fixé pour
objectif de les éradiquer. Quels éléments permettent donc d'expliquer ce bouleversement? La
thèse que nous soutenons ici est la suivante : les diverses inégalités existant en Chine trouvent en
partie leur origine dans les relations qu'entretiennent les individus avec le pouvoir. Autrement
dit, la position des individus dépend de leur ancrage à des réseaux de relations. Pour tenter de
montrer cela, nous procéderons en cinq temps. Tout d'abord, nous exposerons rapidement les
principales réformes adoptées en Chine dès 1979 après l'avènement de Deng Xiao Ping. Nous
présenterons ensuite notre choix parmi trois approches des inégalités. Puis, nous montrerons que
l'économie chinoise se situe entre le marché et la bureaucratie. A partir de là, nous tenterons de
justifier le caractère réticulaire que nous lui prêtons. Enfin, nous analyserons les principales
conséquences de l'existence de groupes d'intérêt. Nous devons néanmoins avertir le lecteur que ce
texte n'expose que les vues d'un "étranger". Nous avons bien évidemment conscience du fait que
la Chine actuelle est infiniment plus complexe que la présentation que nous allons en faire.
Cependant, n'ayant pu pour l'instant mener une enquête de terrain, nos sources (principalement
des études de sinologues et d'autres spécialistes de divers champs disciplinaires) ne sont que des
sources de "seconde main".
1. La trajectoire chinoise depuis 1979 : un bref rappel des réformes1
La transition chinoise2 a ceci de particulier qu'elle n'est pas le résultat d'une stratégie délibérée ex
ante de la part des réformateurs, mais qu'elle n'est qu'un patchwork de réformes ad hoc visant à
corriger les distorsions nées du système précédent. Il nous semble que ces réformes ne
cherchaient dans un premier temps qu'à apaiser les Chinois fatigués par deux décennies de
privations et de souffrances après les catastrophes du Grand Bond en avant et de la Révolution
Culturelle. Ainsi, de façon paradoxale, en instaurant des réformes de type capitaliste, Deng Xiao
Ping ne cherchait qu'à sauver le socialisme3! Les premières réformes visent l'agriculture avec
l'instauration dès 1979 de contrats familiaux ou "système de responsabilité de la famille". Dans
les campagnes, l'agriculture est libéralisée. La famille passe un contrat avec l'Etat dans lequel elle
s'engage à lui livrer des quotas déterminés, à lui verser l'impôt agricole et à payer des retenues
1 On peut trouver un bon exposé des réformes chinoises dans Chavance (1992).
2 Le terme "transition" renvoie à la transition vers l'économie de marché officiellement décidée par les pays de l'Est
européen (l'ex-URSS et les démocraties populaires). Nous ne nous posons pas ici la question de savoir si la Chine est
réellement en train d'opérer un virage de cette nature. Cette question fort pertinente n'est pas au centre de notre
propos et c'est la raison pour laquelle nous l'éluderons ici. Par souci de commodité, nous postulons dans ce texte que
c'est le cas et que ce pays change graduellement de système économique, mais sans l'annoncer officiellement.
3 Cette situation n'est pas inédite dans l'histoire du socialisme. Par exemple, très tôt, dès 1921, Lénine avait
officiellement lancé la NEP (Nouvelle Politique Economique) pour accroître la production et gagner la sympathie
des paysans. Parmi les nombreuses mesures adoptées, on trouve le fait que la propriété privée est partiellement
restaurée et que les paysans sont autorisés à vendre leurs surplus sur un marché. Le but de Lénine n'était alors pas de
libéraliser l'économie, mais au contraire de marquer une pause dans la construction du socialisme en URSS et lui
permettre de rattraper son retard. Staline y mettra fin en 1928. En Chine, cependant, les réformes eurent un effet
cumulatif et il n'a pas été possible de revenir en arrière puisque même après les évènements du printemps 1989, elles
ont repris après avoir marqué un temps d'arrêt.