nuscules ou géants : leur taille varie de 60 centimètres à 27 mètres ; beaucoup de quadrupèdes, mais aussi des bipèdes, et une posture érigée qui favorise le gigantisme. Après l'extermination de la fin de l'ère du trias qui a décimé la plupart des autres espèces, ils ont la planète à leurs pieds. Les mammifères n'étaient pas des concurrents sérieux. Les dinosaures vivent partout : sur terre, dans les mers, et même dans les airs, et dominent le monde pendant 100 millions d'années, d'autant plus facilement qu'à l'époque de leur avènement toutes les terres émergées se sont réunies pour former la Pangée, le continent unique entouré de l'océan unique Panthalassa. Es descendent, ainsi que les futurs crocodiles, des archosauriens du trias et sont tous comme le pens héritiers d'un saient les savants du XIXe siècle, le ancêtre commun. Les dinosaures d'aujourd'hui ont fait peau neuve, mais ceux de nos parents n'étaient pas moins fascinants, même s'ils étaient moins mobiles et moins intelligents : il suffit de voir les planches qui leur furent consacrées depuis un siècle pour sentir que leur mystérieuse beauté avait déjà l'évidence d'une vérité historique. lis étaient déjà « grands, féroces et éteints »' capables d'inspirer la peur du croque-mitaine. Les raisons de la vogue actuelle, conclut lucidement notre paléontologue-sociologue, sont donc purement commerciales. Ce n'est pas grave, s'empresse-t-il d'ajouter : tout ce qui fait connaître les dinosaures peut susciter un intérêt pour la paléontologie. Encore faut-il orienter les enfants vers une véritable recherche et non colmater leur désir avec des pin's et des dinosaures en plastique. On ne saurait donc trop recommander « le Livre de la vie » (ouvrage collectif sous la direction de Stephen Jay Gould à paraître au Seuil en novembre ainsi que dans quatre autres pays) : le texte et l'image s'allient pour produire des merveilles. Beaucoup mieux qu'un film ! Stephen Jay Gould ne résiste pas aux dinosaures-: il a aimé « Jurassic Park ». Mais il déplore la stupidité du scénario : pourquoi tant d'indigence dans la construction romanesque alors qu'une telle précision scientifique — et artistique - est employée pour les reconstitutions-? Il n'est pas trop gêné par la convention technique sur laquelle tout repose : la reconstitution de dinosaures vivants à partir de fragments d'ADN. Sans ce tour de passe-passe,-pas de film. Il rappelle simplement que c'est impossible : « Aucune sorcellerie scientifique ne peut fabriquer un organisme à partir d'un pourcentage de ses codes. » Quant au mélange d'ADN de dinosaure et d'ADN de grenouille qui permet à Hammond, le héros du film, de réaliser son rêve, c'est une hérésie : «- Les grenouilles sont des amphibiens, les dinosaures des reptiles, et leurs lignées ont divergé au carbonifère, 100 millions d'années avant l'apparition des dinosaures. » Gould note au passage que la plupart des dinosaures du film sont du crétacé et non du jurassique, sauf Brachio saurus et Dilophosaurus. Surtout, il regrette que l'arrière-plan théorique du livre de Michael Crichton, qui a servi de base au scénario, ait été complètement escamoté. Et il cite les propos de Jan Malcolm, le mathématicien de l'histoire - « Nous nous tranquillisons avec l'idée que le changement brutal ne se produit qu'en dehors du cours naturel des choses. Nous ne concevons pas que le changement radical, soudain, irrationnel, appartienne au tissu même de notre existence. Pourtant il en fait partie. C'est ce qu'enseigne la théorie du chaos... » Les propos de Malcolm dans le livre concernent la construction du Parc jurassique. Ils pourraient s'appliquer aussi bien à la théorie de l'évolution au stade où elle en est actuellement. Tout le travail de Stephen Jay Gould et de ses pairs consiste à prendre en compte, dans le récit de l'évolution, l'irruption énigmatique et récurrente des catastrophes, et donc à reconnaître au hasard une très large place dans l'histoire de la vie. La paléontologie mène droit à la méditation-: on ne fréquente pas les 64/LE NOUVEL OBSERVATEUR profondeurs du temps sans prendre la mesure dérisoire de la vie humaine. Comment se prendre au sérieux quand on mesure chaque matin son ignorance? « Selon Darwin, nos archives fossiles sont comparables à un livre ayant conservé quelques pages, ces pages quelques lignes, ces lignes quelques mots et ces mots quelques lettres. » Stephen Jay Gould est intarissable dès qu'il s'agit des archives, « the real thing ». Aucun dinosaure artificiel ne lui procure l'invincible frisson qui lui descend dans le dos dès qu'il se trouve en présence d'un os de brontosaure ou surtout, d'un fossile d'Opabinia, une de ces petites crêpes du cambrien, nos aïeules. « Nous sommes frappés de terreur devant Tyrannosaurus ; nous nous émerveillons des plumes d'Archaeopteryx ; nous nous réjouissons devant chaque fragment d'os humain de la préhistoire africaine. Mais aucun de ces fossiles ne nous a jamais mitant appris, et de loin, sur la nature de l'évolution que ce petit invertébré inhabituel de cinq centimètres de long, datant du cambrien, nommé Opabinia. » Pourtant, en matière d'archives, les dinosaures ont fait de leur mieux. Comme l'écrit Michael Benton dans son chapitre de » le Livre de la vie », « L'été des dinosaures » : « Des fémurs plus grands que le plus grand des hommes, des crânes de deux mètres, des mâchoires munies de 400 dents, des griffes d'un mètre de long ; si jamais il y eut un groupe d'animaux équipé pour survivre à sa propre extinction, ce fut bien celui des dinosaures. » Il n'est pas sûr que nous fassions mieux. D'ailleurs, nous autres mammifères sommes encore loin de rivaliser en durée avec eux : les mammifères ne dominent la terre que depuis 65 millions d'années. Avec leurs 100 millions, ils ont de l'avance. La durée de la vie multicellulaire n'occupe guère plus de 10% de la durée de la terre (5 milliards d'années). Pendant les deux tiers de l'histoire de la vie sur la terre, soit 2 milliards et demi d'années, les seuls êtres vivants furent des organismes unicellulaires, les procaryotes. Ensuite, pendant 700 millions d'années, elles voisinèrent avec les eucaryotes, plus grandes et un peu plus complexes. L'apparition de la vie multicellulaire est une grande énigme : non une lente progression, comme on le croyait jusqu'à la découverte des faunes du Schiste de Burgess mais une unique explosion créatrice. Stephen Jay Gould en fait le récit dans son plus beau livre : « La vie est belle » (Seuil). En un clin d'oeil géologique de quelques millions d'années, il y a 570 à 530 millions d'années, au cambrien, les animaux sont nés. Drôles d'animaux. On les a retrouvés par centaines dans le Schiste de Burgess, un site de la Colombie-Britannique : ils s'appellent Hallucigenia, Yohoia, Marrella... Plus exotique, tu meurs. Un mélange de langoustes extraterrestres, de crêpes ondulantes et de hérissons crustacés. Tous les possibles sont là, toutes les formes, dès l'origine. Le big-bang de la vie. « Ce sont de pauvres petites créatures qui vivaient au fond des mers il y a 570 millions d'années, mais nous les saluons avec respect, car ce sont les Anciens, et ils essaient de nous dire quelque chose. » Tout le reste de l'histoire ne sera que la digestion de cette énorme bouillabaisse originelle. « 500 millions d'années de triomphes et de tragédies, mais pas un seul nouvel embranchement, pas un seul nouveau plan d'organisation anatomique ajouté à la gamme de Burgess. » De nouvelles espèces apparaîtront: mais elles ne seront jamais que des variantes sur un plan anatomique déjà présent à Burgess. Ce qui succède à l'explosion du cambrien n'est pas une floraison mais une série de fins du monde. Régulièrement, selon des cycles que l'on évalue à peu près à 26 millions d'années, des cataclysmes exterminent les faunes terrestres et marines dans des proportions hallucinantes. Les espèces actuelles sont les rescapées de ces massacres planétaires. L'extinction la plus dramatique est celle de la fin du permien, »dr Les dinosaures vivent partout, sur terre, dans les mers et même dans les airs - Représenter la copulation des Iguatiodons pose un problème techique : on ne sait pas comment la femelle écartait son appendice caudal. '