Datation de la déformation non-équilibrée : des mylonites froides

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Datation de la déformation non-équilibrée : des mylonites froides
aux pseudotachylytes, méthodes et implications
Responsables : N. Arnaud, P. Monié
Collaborations internes : A. Chauvet, M. Jolivet, Ch. Marlière, A. VauchezPhilosophie
du Projet
La datation de la déformation est une étape indispensable de la reconstitution de
l’histoire géologique. Les progrès de la pétrologie métamorphique fournissent à présent
des chemins (P,T) bien plus précis que les capacités de datation des mêmes objets. Plus
spécifiquement la datation de la déformation non équilibrée (maintenue en régime
transitoire par la rapidité de la déformation ou la faible élévation de température) est
encore bien moins développée que celle des déformations plus chaudes et ductiles. A
cela plusieurs raisons :
• la difficulté de l’étude pétrographique de ces objets, nécessitant l’application de
méthodes d’observation lourdes ;
• la faible taille des minéraux néoformés, voire leur absence dans certains faciès ;
• la présence de matériel hérité de taille et de nature très variable selon le degrés
de la déformation [Spray et al., 1995; Spray et al., 1998];
• la très faible mobilité des fluides relâchés pendant la déformation, conduisant à
la sur-concentration de ces fluides dans les produits transformés lors de la
déformation, et en général à un déséquilibre du couple isotopique
géochronologique dès qu’il est composé d’un élément mobile.
Pourtant cette déformation en conditions de déséquilibre est un élément
incontournable de l’histoire géologique, quand ce n’est pas le seul accessible : les failles
« sismiques », ou les semelles des grands glissements de terrains (par exemple les
avalanches et les « debris-avalanches » en contexte volcanique) se caractérisent à
l’affleurement par une paragénèse et une thermodynamique typiquement hors équilibre.
C’est également le cas des grands objets géologiques associés à une exhumation faible
tels par exemple les grands décrochements intracontinentaux marqués en surface par
des gouges froides et/ou des pseudotachylites.. Des études systématiques de ces faciès
commencent seulement à se développer grâce au progrès analytiques et conceptuels
[Bossière, 1991; Dunlap, 1997; Kelley et al., 1994b; Mueller et al., 2002; Sherlock and
Hetzel, 2001].
Dans le développement de ce sujet on se propose donc de développer une
méthodologie axée sur la mesure et l’expérimentation de la formation de ces produits et
de leur hétérogénéité chimique et isotopique, l’observation de matériaux naturels
« exemplaires » et la datation de ces échantillons type. Ce travail permettra :
• de développer une méthodologie -inexistante actuellement- couplant plusieurs
méthodes d'analyse physique et chimique à haute résolution spatiale sur ces
objets complexes ;
• de mesurer la diffusion notamment de l’Ar, l’He et l’U en relation avec l’effet
d’une augmentation brutale mais de courte durée de la température afin de
permettre la datation directe de ces objets et l’extraction de données
thermochronologiques;
• au delà du développement analytique, l’analyse d’objets géologiques importants
livrera des contraintes géologiques ponctuelles de première importance.
Méthodes expérimentales
Il faut d’abord caractériser les matériaux. Plusieurs méthodes seront mises en œuvre
pour analyser la structure et la chimie complexes de ces roches et les relations avec leur
encaissant : microscopie classique. , microscopie électronique à transmission, diffraction
d’électrons rétrodiffusés (EBSD), cathodoluminescence, microsonde électronique, sonde
ionique, microthermométrie des inclusions fluides, diffraction X.
Pour avancer sur ce problème une analyse chronologique multiméthodes s’impose,
en particulier parce que la cinétique des différents thermochronomètres est associée aux
champs de température et de solubilité des éléments chimiques considérés dans les
faciès hétérogènes. Cette approche multiméthode doit avoir, dans tous les cas, une forte
résolution spatiale. Pour les transformations de haute température, la méthode U/PB
ponctuelle par laser couplé à une ICP-MS ou sonde ionique sera privilégiée. Pour les
températures intermédiaires le choix de la méthode 40Ar/39Ar s’impose. D’une part parce
que la déformation froide et/ou très rapide ne remet pas à zéro les chronomètres de plus
haute température, alors que la fermeture du système 40Ar/39Ar peut se produire jusqu’à
basse température. Ensuite parce que c’est la seule technique qui permet en pratique la
datation presque ponctuelle à des résolutions de quelques microns grâce aux lasers
émettant dans l’ultra-violet. Enfin parce que la potassium (élément père du 40Ar) est un
élément ubiquiste de la plupart des roches hôtes de la déformation et que, malgré sa forte
mobilité, il en reste toujours
Pour les températures les plus basses, de 250 à 50°C, les méthodes des traces de
fission et U-Th/He sur zircon et apatite seront investiguées. En effet, s’il existe très peu
d’informations sur l’effet d’une augmentation de pression sur comportement du système
traces de fission (Vidal & al., 2003 ; Kohn et al., 2003 ; Wendt et al., 2003) ou sur la
diffusion de l’He, il n’en existe aucune sur l’effet d’une augmentation brutale et transitoire
de la température. Ces deux thermochronomètres étant de plus en plus utilisés pour
l’étude des déformation tectoniques de surface il est indispensable d’en maîtriser tous les
paramètres, notamment ceux liés aux mouvements sur les failles. Le but final étant de
pouvoir déterminer la validité en termes d’âge de déformation des données obtenues sur
les failles froides.
L’utilisation de la sonde ionique de Nancy est également envisagée pour tester le
comportement du chronomètre U-Pb dans les zircons et monazites résiduels.
Enfin, on ne comprendra pas la redistribution de l’argon et des autres éléments lors
de la déformation sans une approche partiellement expérimentale. Il faut donc produire
des peudotachylites, par trempe de verres produits à partir de poudres de silicates ou
d’échantillons naturels. Les expériences seront menées avec le laboratoire de pétrologie
expérimentale (par exemple Clermont-Fd) où un dispositif de trempe automatique a
récemment été ajouté aux dispositifs de chauffage et de mise en pression [MourtadaBonnefoi and Laporte, 2002].
Objets géologiques méthodologiques
1. Analyse des faciès pseudotachylitiques des semelles de glissements de terrain
majeurs en contexte volcanique.
Les volcans représentent des édifices relativement simples dans lesquels le calage
chronologique est souvent remarquable car tous leurs produits peuvent être datés. Depuis
l’éruption du Mont St Helens en 1981 on sait que les glissements de flanc sont monnaie
courante, et font partie de l’histoire structurale normal des édifices volcaniques. Dans
beaucoup de cas ces glissements sont associés à une semelle de pseudotachylite. Facile
à caler dans le temps en datant les produits antérieurs et postérieurs, ces glissement
représentent donc un belle opportunité pour apprendre à dater les pseudotachylites,
puisque qu’on saura déjà avec une assez bonne précision l’âge de ces faciès. De plus,
l’héritage est souvent limité à des roches d’âge très proche de celui du glissement. Il
existe aussi dans la littérature un petit nombre d'exemples de développement de faciès de
fusion par friction à la base de grands glissement de terrain hors de domaines
volcaniques mais leur calage chronologique « à priori » est plus difficile. Un exemple
récent décrit des pseudotachylites à la base d'une grande avalanche de débris qui a
affecté l’édifice des Mont Dores il y a entre 1.8 et 3.5 Ma [Cantagrel, 1995].Engageant le
socle granitique à la base de l’avalanche. Dans la pseudotachylite des Monts-Dore, seuls
les minéraux anhydres du granite (quartz, et partiellement feldspaths) ont survécu alors
que les phyllosicilicates ont été remplacés par un verre partiellement recristallisé en la
cordiérite et oxydes de fer. Cet exemple, qui a déjà fait l’objet d’un début d’étude [Gal et
al., 2002] soutenu par le programme PNRN, est simple car on a une bonne connaissance
de la chronologie des granites à cet endroit ainsi que du calage chronologique du
glissement du flanc du Mont Dore. Il est aussi assez facile de reconstituer ces faciès par
fusion expérimentale contrôlée des granites locaux.
2. Analyse de faciès de déformation tectoniques :
Nous sommes en possession au laboratoire d’un certains nombre d’échantillons
représentatifs de différents contextes dans lesquels des pseudotachylites peuvent se
développer et sur lesquels nous pourrons immédiatement engager nos recherches :
a. Pseudotachylites calédonniennes de Norvège
Elles ont été échantillonnées :
- dans les failles de détachement à la base des bassins dévoniens décrits par M.
Séranne et A. Chauvet dans leurs thèses (Univ. Montpellier).
- dans les éclogites de Bergen, décrites par Austrheim et Boundy (1994) comme des
pseudotachylites générées à grandes profondeurs (50-60 km).
b. Pseudotachylites néoprotérozoïques du Surinam (collaboration BRGM)
Ces pseudotachylites sont associées à un couloir vertical de mylonites d’épaisseur
kilométrique qui participent à l’exhumation du bloc paléoprotérozoïque de granites et
granulites des Bakkhuis (doc BRGM Géol. France, 2003). L’âge probablement
néoprotérozoïque de ces pseudotachylites et l’épaisseur exceptionnelle des veines en
font un objet de premier choix pour tester les processus de redistribution de l’argon entre
clastes, matrice et phases néoformées et le régime thermique dans l’encaissant.
c. Pseudotachylites tardi-hercyniennes du Massif Central
Elles ont été échantillonnées au nord du dôme migmatitique du Velay, au sein de la
faille du Pilat qui est une grande structure extensive au mur du bassin stéphanien de St
Etienne (Malavieille et al., 1990). Des veines de pseudotachylites sont injectées
parallèlement à la foliation mylonitique à pendage Nord dans un contexte identique à
celles décrites en Norvège dans les failles de détachement. Le synchronisme des
déformations produisant les mylonites et les pseudotachylites reste cependant à
démontrer (cf. Scherlock et al., 2004).
d. Pseudotachylites tardi-hercyniennes et/ou alpines des Pyrénées
Des pseudotachylites ont été décrites depuis longtemps dans le massif du SaintBarthélémy (Ariège) par Passchier (1982), associées à des bandes d’ultra-mylonites au
toit d’un ensemble granulitique. L’âge de cette déformation est encore discutée, une
reprise alpine de structures tardi-hercyniennes ne pouvant être exclue au vu des données
géochronologiques disponibles (Costa et Maluski, 1988 ; Delaperrière et al., 1994). De
même, des pseudotachylites ont été également découvertes dans les gneiss granulitiques
hercyniens de Caramany (massif de l’Agly), mais comme pour le Saint-Barthélémy, l’âge
et les conditions de formation de ces roches restent encore incertains et un polyphasage
de mise en place de différentes générations de veines peut être envisagé.
e. Pseudotachylites alpines de la Faille Nord Anatolienne.
Ces pseudotachylites ont été prélevées récemment dans la zone de la faille active
lors d’une mission réalisée par N. Arnaud dans le cadre du projet Dyéti « Anatolie ». Les
veines de pseudotachylites ne se rencontrent que dans le couloir actif très étroit de la
faille Nord Anatolienne formé à cet endroit de panneaux verticalisés de séries
métamorphiques et magmatiques séparés par des couloirs de gouge. Ce sont les
premiers exemples de pseudotachylites décrits le long de ce grand décrochement intra
continental. Elles apparaissent comme des veines centimétriques de verre et d’oxydes
intrudées de façon très digitée dans des grès calcareux métamorphiques d’âge fin
Crétacé ou Cénozoïque métamorphisés régionalement lors de la collision nordanatolienne et la formation de la chaîne des Pontides. Des clastes d’ultramylonite flottent
dans le verre alors que de telles bandes ductiles n’existent nulle part à l’affleurement dans
les terrains environnants, suggérant que les pseudotachylites ont réutilisé des couloirs
ductiles préexistants, et témoignent peut-être d’une transition ductile-fragile le long de la
faille. Compte tenu de leur position structurale elles sont très probablement le reflet de
mouvements sismiques associés à la faille nord anatolienne. Outre leur intérêt
méthodologique elles constituent donc également un précieux indice permettant de caler
l’âge de la déformation, ductile et fragile, sur la branche orientale de la faille, la plus
ancienne, fournissant donc un calage potentiel du début de la déformation le long de cet
accident.
Organisation générale du travail
L’échantillonnage nécessaire est déjà partiellement disponible sur chacun de ces
objets. La participation de l’étudiant à de nouvelles études de terrain pourra se concevoir
au cours du travail en cas de besoin. Sur ces faciès caractéristiques, une étude
pétrologique détaillée de la nature des éléments néoformés ou déformés sera menée par
analyse chimique et microscopique. Ce travail sera complété par des études par
microscopie électronique à balayage (MEB) et à transmission (MET), et éventuellement
pas spectrométrie Raman, afin pouvoir caractériser ces phases souvent de taille
inframicronique. L'étude pétrographique permettra en particulier de juger du déséquilibre
chimique et textural conduisant à une mesure relative du « déséquilibre » de la
déformation ou de la fusion. Ensuite on développera un protocole de préparation de ces
échantillons, afin notamment de les purifier des minéralisations secondaires polluantes
lors de l’irradiation ou de l’analyse. Enfin leur analyse chronologique par de nombreuses
analyses ponctuelles ainsi que des profils à travers les marqueurs de la déformation
permettront d’identifier les artefacts des âges significatifs, et de quantifier la mobilité de
l’argon en suggérant la nature des processus dominant de cette distribution. Une
modélisation thermodynamique permettra d’expliquer les résultats isotopiques, d’établir
des outils diagnostiques, et d’intégrer les données dans leur contexte géologique.
Groupe d’accueil au sein du Laboratoire et à l’Extérieur
Le groupe de géochronologie possède l’expérience de la géochronologie U/Pb,
Ar/39Ar, traces de fission et U-Th/He, ainsi que des problèmes d’analyse et de la
modélisation de la diffusion de l’argon. De plus elle possède à présent l’appareillage
nécessaire à ce projet dès à présent [Arnaud and Kelley, 1995; Kelley et al., 1994a]. Les
collaborations internes à l’unité d’accueil permettront l’encadrement sur els problèmes de
caractérisation physique des matériaux. La participation à plusieurs projets associant
caractérisation structurale fine de la déformation et datation faciliteront l’encadrement de
l’étudiant, ainsi que l ‘insertion de ce projet dans plusieurs programmes nationaux : 3F
(projet déposé), Intérieur de la Terre. L'équipe de pétrologie expérimentale de ClermontFerrand possède l'équipement et le savoir-faire nécessaire à l'étude pétrographie fin
(microsonde électronique, diffraction des rayons X, diffraction des électrons rétrodiffusés
sur MEB à Clermont-Fd, MET via l'utilisation des facilités nationales de l'INSU). Au cours
de cette thèse des collaborations extérieures seront recherchées en particulier pour le
40
développement de l’imagerie structurale. Enfin le contexte géologique sera discuté avec
des équipes impliqués dans l’étude de chacun des objets géologiques (IPG Paris,
Laboratoire de Tectonique de Montpellier).
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