nouveautes sur la physiologie et la pharmacologie de la

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NOUVEAUTES SUR LA PHYSIOLOGIE ET LA
PHARMACOLOGIE DE LA DOULEUR
F. Guirimand, Unid’Evaluation et de Traitement de la Douleur et INSERM U 161,
Hôpital Ambroise Paré, 9 avenue Charles De Gaulle, 92104 Boulogne.
INTRODUCTION
En 1998, notre arsenal pharmacologique comprend principalement 3 antalgiques
centenaires : l’aspirine, le paracétamol et la morphine. Cependant, malgré l’absence de
molécule vraiment nouvelle, nos connaissances sur la physiologie (douleur aiguë), la
physiopathologie (douleur chronique) et les mécanismes d’action des médicaments ont
fait des progrès considérables.
1. PHYSIOLOGIE DE LA NOCICEPTION
1.1. MECANISMES PERIPHERIQUES
Les messages nociceptifs sont nérés au niveau des terminaisons libres de fibres
sensitives Aδ et C, par des mécanismes de transduction (transformation d’une énergie en
potentiel de récepteur) multiples et adaptables en fonction du type et de la durée de la
stimulation [1]. La peau est lune des structures possédant la plus forte densité
d’innervation avec en moyenne 200 terminaisons libres par cm2 dont une majorité de
fibres C de type polymodal répondant à des stimulations thermique, mécanique, chimique
et électrique. Les muscles, les articulations et les viscères contiennent aussi des récepteurs
polymodaux Aδ et C mais leur caractère spécifiquement nociceptif n’est pas démontré [2].
Des mécanismes adaptatifs très précis modulent la réponse des nocicepteurs en fonction
de l’intensité et de la durée de la stimulation. A l’inverse du phénomène de «fatigue», la
sensibilisation des fibres se manifeste après répétition d’un même stimulus nociceptif
par une diminution du seuil d’activation, une augmentation des réponses et l’apparition
d’une activité spontanée. Par exemple, on connaît des récepteurs articulaires «silencieux»
à l’état normal qui, en présence d’une inflammation, pondent aux mouvements
(nociceptifs ou non) de l’articulation. De tels récepteurs sont probablement mis en jeu
dans l’allodynie (douleur provoquée par une stimulation non nociceptive) et l’hyperalgésie
(accroissement de la sensibili aux stimulations nociceptives) rencontes dans les
pathologies articulaires inflammatoires [3].
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Les substances impliquées dans la genèse des messages nociceptifs en périphérie
sont très nombreuses. Certaines activent directement les nocicepteurs (bradykinine,
sérotonine, histamine, ions potassium ou hydrogène). D’autres comme la substance P, les
prostaglandines, le C.G.R.P.(peptide associé au gène de la calcitonine), la neurokinine A
ne sont pas directement algogènes mais interviennent dans les processus inflammatoires,
la sensibilisation des récepteurs et l’extension de la lésion à distance du site initial
(inflammation neurogène) [1, 2, 3, 4]. L’activation des nocicepteurs dépend des conditions
physico-chimiques locales modulées par le système sympathique via la libération de
noradrénaline.
Laction périphérique des analgésiques vise à interrompre le cercle vicieux de
l’inflammation, par blocage du métabolisme des leucotriènes et des prostaglandines.
Dautres molécules pourraient demain bloquer sélectivement certains récepteurs
(bradykinine, histamine ou rotonine). Mais la multiplicité des substances impliquées
dans la genèse du message nociceptif en riphérie laisse peu d’espoir à une thérapeutique
analgésique efficace à ce niveau, en dehors des anesthésiques locaux.
1.2. MECANISMES SPINAUX
Après leur trajet dans les nerfs périphériques, la majeure partie des fibres afférentes
primaires gagnent le système nerveux central par les racines rachidiennes postérieures.
Les corps cellulaires sont localisés dans les ganglions rachidiens. A l’entrée dans la moelle,
les fibres afférentes de gros calibre, non nociceptives, gagnent les colonnes dorsales pour
se terminer à la jonction cervico-bulbaire d’ils activent le système lemniscal. Les
fibres fines Aδ et C s’étalent sur 1 à 6 segments dans la substance blanche postéro-latérale
pour se terminer dans les couches superficielles (I et II) de la corne posrieure.
L’information est alors transmise soit vers le cerveau (neurones ascendants), soit vers
d’autres étages de la moelle, soit vers la partie antérieure de la moelle qui contient les
motoneurones commandant les activités réflexes (exemple : retirer sa main d’un endroit
brûlant...) [2, 6]. Dans la moelle, les fibres périphériques font synapse avec 2 types de
neurone :
1. Les neurones nociceptifs dits non spécifiques, encore appelés neurone à convergence,
ou encore neurone à large gamme réceptive (wide dynamic range ou W.D.R.) car ils
répondent aussi à des stimulations non nociceptives. Leur fréquence de décharge et la
durée d’émission des signaux codent l’intensité de la stimulation. Leur champ récepteur
périphérique présente un gradient de sensibilité : dans la partie centrale du champ
récepteur, tout type de stimulation, nociceptive ou non, induit l’activation de ces
neurones alors que dans une zone plus riphérique, seul un stimulus nociceptif intense
les active. A l’inverse, leur activi s’atténue suite à l’application d’un stimulus
mécanique de faible intensité en riphérie de leur champ excitateur dans une zone
appelée «champ inhibiteur». Les recouvrements entre champs récepteurs excitateurs
et inhibiteurs de différents neurones prouvent la complexité de l’élaboration du message
nociceptif et l’importance des mécanismes de sommation spatiale et de régulation qui
modulent la transmission de ces messages s l’étage dullaire. Des fibres afférentes
primaires, provenant de territoires cutané ou viscéral peuvent faire synapse avec un
me neurone de projection. Cette convergence viscéro-somatique sert de base
physiologique à l’explication des douleurs projetées : une stimulation d’origine
viscérale sera intégrée au niveau des centres supérieurs comme provenant d’un territoire
cutané (exemple : douleur dans l’épaule droite de la colique hépatique).
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2. Les neurones nociceptifs spécifiques ne répondant qu’à des stimulations mécaniques
ou thermiques intenses. Leur rôle n’est encore qu’imparfaitement connu.
Malgré de très nombreux travaux, il est encore impossible aujourd’hui d’affirmer
quels sont les neurotransmetteurs entre les fibres afférentes riphériques et les neurones
nociceptifs spinaux [2, 4, 5]. Toutefois, parmi la vingtaine de substances libérées au niveau
de cette première synapse, les acides aminés excitateurs et les peptides exercent un rôle
prédominant. Lanatomie, l’électrophysiologie et limmunohistochimie confirment
l’importance du L-glutamate qui agit sur de très nombreux types de récepteurs aux acides
aminés excitateurs dont ceux au N-méthyl-D-asparte ou NMDA. Ces récepteurs constituent
aujourd’hui un axe de recherche prioritaire et une cible thérapeutique d’avenir dans le
traitement antalgique. De très nombreux peptides, dont la substance P (SP) et le CGRP
(Calcitonin Gene-Related Peptide), sont synthétisés dans les fibres afférentes périphériques
et sont transportés principalement vers la périphérie et accessoirement vers la moelle où
ils peuvent aussi être libérés. La substance P appart aujourd’hui plus comme un
neuromodulateur que comme LE neurotransmetteur de la première synapse.
La responsabilité exacte de la SP et du CGRP n’est pas aujourd’hui clairement définie.
La colocalisation de plusieurs peptides au sein d’une même fibre afférente périphérique
complique les données : il est probable que la libération de tel ou tel peptide pende des
caractéristiques de la stimulation périphérique. Cholécystokinine (CCK), neuropeptide
FF, opioïdes endogènes (dynorphine, enképhalines), somatostatine, neurokinine, peptide
intestinal vasoactif, arginine-vasopressine, ocytocine, peptide libérant de la gastrine,
galanine, angiotensine II, hormone corticotrope (ACTH), sont autant de substances, qui,
outre leurs effets propres, modulent les effets des neurotransmetteurs. Ils agissent sur des
récepteurs qui représentent une myriade de cibles thérapeutiques potentielles...
Les techniques récentes mettant en évidence l’activité des gènes à expression immédiate
(synthèse de la protéine FOS et études en c-Fos) permettent dans certaines conditions
exrimentales de visualiser de larges populations de neurones impliquées dans la
nociception. Ces études sont plus performantes à l’étage spinal que pour les neurones
supraspinaux. Elles permettent, en association à d’autres techniques, de quantifier l’effet
antinociceptif spinal de nombreuses molécules.
Ces dernières années, de nombreux travaux ont été consacrés aux modifications
histologiques, biochimiques et fonctionnelles induites par stimulation nociceptive (aiguë
ou chronique). Il n’est pas encore aisé d’en proposer une synthèse, en partie du fait de
conditions expérimentales trop variées (stimulation aiguë ou chronique, animaux éveillés
ou anesthésiés, spinaux ou entiers...).
Toutefois, certaines hypothèses méritent aujourd’hui d’être rapportées. Par analogie
avec le phénomène de potentiation à long terme crit dans l’hippocampe, il est probable
que les acides amis excitateurs jouent un le majeur dans les pnomènes de
sensibilisation centrale [5, 7, 8, 9]. Dans des conditions de stimulations «normales», la
stimulation nociceptive induit une libération d’acide aminé excitateur à partir des fibres
afférentes primaires dans la corne dorsale de la moelle ; ce neuromédiateur active des
récepteurs non NMDA (type AMPA par exemple).
Mais, dans certaines conditions comme une stimulation très intense ou répétée, l’ion
magnésium qui bloque le canal calcique couplé au récepteur NMDA est déplacé rendant
actif ce récepteur. L’augmentation du calcium intracellulaire modifient durablement
l’excitabilité du neurone. D’autres mécanismes comme la formation de NO ou la synthèse
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de protéine FOS apparaissent. Lhypothèse d’une complémentarité entre le récepteur à la
substance P (ou tout autre récepteur métabotropique couplé à une protéine G) et le récepteur
NMDA est fréquemment avancée [8]. Ces mécanismes constitueraient une sensibilisation
centrale, s’ajoutant aux phénomènes périphériques bien décrits pour expliquer l’allodynie
et l’hyperalgésie en présence d’une inflammation. Ils participeraient aussi aux douleurs
neuropathiques avec lésion nerveuse.
Ces données sont aujourd’hui complétées par de nombreuses études animales ou
précliniques qui montrent l’efficaci des antagonistes NMDA dans le traitement de
certaines douleurs. Ces molécules sont en néral assez efficaces dans le traitement de
l’hyperalgésie liée à un processus inflammatoire. Aujourd’hui, de nombreux antagonistes
NMDA sont en développement. Le MK801, antagoniste non compétitif des récepteurs
NMDA, très utilisé en recherche, ne peut dépasser le stade de réactif pharmacologique
pour cause de toxicité. La kétamine et le dextrométorphan restent donc les rares
antagonistes NMDA utilisables chez l’homme.
1.3. FAISCEAUX ASCENDANTS ET STRUCTURES SUPRASPINALES
IMPLIQUEES DANS LA NOCICEPTION
Les nouvelles techniques d’exploration ont permis de mettre en évidence de nouvelles
«voies» de la douleur [2 , 10]. Rappelons tout d’abord que, dans les «voies classiques»,
la majeure partie des fibres ascendantes croisent la ligne médiane au niveau médullaire et
empruntent le quadrant antéro-latéral controlatéral. A côté de la classique voie
spinothalamique, limportance de faisceaux spinoréticulaires et spino-(ponto)-
mésencéphaliques est largement démontrée. Citons aussi l’existence d’une voie spino-
hypothalamique. Le faisceau spinoréticulaire a pour cible les noyaux gigantocellulaire et
réticulaire latéral et une région très caudale, dénommée subnucleus reticularis dorsalis,
(SRD). Au niveau du mésencéphale, les projections intéressent essentiellement la substance
grise périaqueducale (SGPA) et l’aire parabrachiale (située dans la région dorso-latérale
du pont). D’autres faisceaux ascendants empruntant les colonnes dorsales ou le funiculus
dorsolatéral (DLF) complexifient ces données et constituent des réseaux de suppléance.
La multiplicité des faisceaux ascendants rend difficile l’étude du devenir des messages
nociceptifs dans le cerveau. Malgré les progrès de la neuroanatomie qui ont permis de
mieux décrire ces structures et leurs connexions, il est encore prématu de proposer un
schéma général d’organisation des voies nociceptives à l’étage supraspinal.
La formation réticulée bulbaire correspond à une zone de contrôle et d’interaction de
multiples systèmes : la vigilance, la respiration, la motricité la régulation cardiovasculaire
et la nociception. Ainsi, les neurones du noyau gigantocellulaire qui répondent aux
stimulations nociceptives pourraient participer à la mise en alerte des systèmes de défense
contre l’agression nociceptive [9]. Ce noyau est en connexion avec la formation réticulée
mésencéphalique impliquée dans les régulations veille/sommeil, et avec les structures
médianes du thalamus. D’un point de vue général, la formation réticulée n’est donc pas
une zone spécifique de la nociception et les neurones répondent souvent à de multiples
modalités sensorielles (vision, audition, nociception...).
Toutefois, il existe un noyau situé dans la partie la plus caudale du bulbe, juste à la
jonction cervico-bulbaire dont le rôle essentiel semble être le transfert d’informations
nociceptives ; les neurones de ce noyau appelé SRD (subnucleus reticularis dorsalis)
codent bien l’intensité de la stimulation [11]. Ce noyau envoie de nombreuses projections
vers le thalamus ; il est aussi en connexion avec le tronc cérébral (noyau gigantocellulaire,
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aire parabrachiale). Il pourrait être une ritable plaque tournante de la nociception, jouant
un rôle déterminant dans la régulation de ces messages et semble un relais d’une voie
spino-réticulo-thalamique. Par ailleurs, des fibres bulbospinales qui descendent dans le
funiculus dorsolatéral de la moelle sont issues de ce noyau et participent à une régulation
médullaire via une boucle spinobulbospinale [2, 11].
Les informations nociceptives de l’aire parabrachiale (pont) sont issues des couches
les plus superficielles de la moelle (couches 1) via le funiculus dorsolatéral (DLF). Elles
sont alors transmises vers l’amygdale (noyau central) et vers l’hypothalamus [10]. Ces
neurones ont des champs récepteurs très larges et ne sont donc pas adaptés au codage de
l’aspect sensori-discriminatif de la douleur mais ils pourraient intervenir dans les réactions
émotionnelles (peur, mémorisation de l’atteinte nociceptive), comportementales (fuites,
immobilisation, défense, attaque) et neuro-endocriniennes (libération des hormones de
stress) liées à la douleur [10].
Le thalamus est un lieu de convergence de multiples voies nociceptives directes ou
indirectes. Les neurones du complexe noyau ventropostérolatéral (ou ventrobasal), en
codant les caractéristiques des stimulations (intensité, durée, localisation), participent à
la composante sensori-discriminative de la douleur. Ils sont sensibles à de très faibles
doses de morphine. Le le des autres gions du thalamus est plus énigmatique
(élaboration de réactions motrices ou émotionnelles liées à la nociception) [10].
Les neurones thalamiques se projettent massivement sur le cortex somesthésique
primaire. Pourtant, les ablations corticales alisées dans le but de calmer des douleurs
n’ont jamais donné les résultats escomptés. La stimulation électrique de la surface du
cortex ne déclenche pas de sensation douloureuse. La voie incluant thalamus médian,
lobe frontal et système limbique correspondrait à la composante affective de la sensation
douloureuse.
L’imagerie fonctionnelle (tomographie par émission de positons ou TEP et IRM
fonctionnelle) a été récemment appliquée à l’étude de la douleur. La TEP permet par
injection d’un traceur isotopique, de quantifier les variations de débits sanguins régionaux.
Plusieurs équipes ont ainsi rapporque l’application de stimulations thermiques non
nociceptives activent les cortex somesthésiques primaires et secondaires ; les stimulations
douloureuses activent aussi les cortex insulaire et cingulaire. Ces données contredisent
l’hypothèse ancienne où le cortex nétait pas impliqué dans la douleur. Les aires
somesthésiques primaires et secondaires seraient impliquées dans le caractère sensori-
discriminatif de la douleur alors que les cortex insulaire et cingulaire seraient liés aux
aspects émotionnels et affectifs, comme d’autres structures du système limbique. Ces
résultats de TEP chez des volontaires sains méritent encore d’être confirmés chez des
patients douloureux. LIRM fonctionnelle devrait aussi permettre d’obtenir des résultats
avec une meilleure résolution spatiale et un caractère non invasif.
Au terme de ces considérations anatomiques, il est clair que les voies de conduction
des messages nociceptifs sont multiples et qu’il n’existe pas de centre spécialisé de la
douleur. Ces dernres années ont mont combien l’anatomie fonctionnelle de la
nociception reste un thème de recherche d’une grande actualité, grâce à la mise en œuvre
de techniques nouvelles.
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