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Source : L’Actualité, 1er avril 2009, page 54.
par Valérie Borde
Peut-on encore prendre un médicament avec un verre de jus ? De nom-
breuses personnes se posent la question depuis que des médias ont révélé,
à l’automne 2008, que les jus de pamplemousse, de pomme et d’orange
pouvaient inhiber l’action de certains médicaments (voir L’Actualité,
15 octobre 2008).
David Bailey, à l’origine de cette découverte, n’en est pas à son pre-
mier coup d’éclat. En 1989, ce physiologiste de l’Université de Western
Ontario, à London, observe par hasard que le jus de pamplemousse
augmente au contraire l’absorption par l’intestin d’un médicament contre
l’hypertension. « Il m’a alors fallu deux ans pour faire accepter mon
étude, car personne n’y croyait », raconte-t-il.
Après sa publication, d’autres scientifiques s’emparent de l’« effet jus
de pamplemousse » et on découvre le pot aux roses : des substances
présentes naturellement dans ce jus interagissent avec une enzyme de
l’intestin appelée CYP3A4, ouvrant toute grande la porte aux médica-
ments qui empruntent cette voie pour atteindre le sang. Du coup, l’action
du médicament pourrait s’intensifier. Une trentaine de médicaments
(contre la dépression, le cancer, le cholestérol ou la dysfonction érectile,
entre autres) sont susceptibles de provoquer des interactions.
Le risque s’accroît quand des personnes traitées par ces médicaments ont
commencé à boire du jus, alors qu’elles ne le faisaient jamais, ou lorsque
des buveurs de jus ont entrepris des traitements par ces médicaments à
des doses qui auraient dû leur convenir, mais qui se sont avérées trop
puissantes. Et parfois mortelles.
L’« effet jus de pamplemousse » est aujourd’hui admis, mais on sait
encore bien peu de choses des interactions entre médicaments et ali-
ments. Les recherches sont rares, notamment parce que les sociétés
pharmaceutiques s’intéressent peu au sujet. « Celles-ci le feront seule-
ment si elles y sont forcées », croit David Bailey, dont les études plus
récentes ont montré que certains jus peuvent, à l’inverse, diminuer l’effet
d’autres médicaments. Dans les études cliniques, on teste toujours l’effet
d’un médicament oral pris avec un grand verre d’eau à jeun, ou sur un
estomac plein, si on soupçonne que la préparation peut provoquer des
malaises gastriques.
« On a très peu d’information sur les interactions potentielles avec des
aliments particuliers », confirme Manon Lambert, directrice générale
de l’Ordre des pharmaciens du Québec. La science progresse à petits
pas. Vérifier l’effet d’un aliment n’est pas facile, car la concentration en
substances actives dépend d’innombrables facteurs, comme la variété
de fruit utilisée pour faire le jus ou la date de la récolte. Il faut compiler
les résultats de bien des études en apparence contradictoires pour y
voir clair.
Sans compter que les spécialistes des interactions médicamenteuses ont
déjà beaucoup d’autres chats à fouetter. « Il y a 20 ans, on ne savait à
peu près rien des interactions entre les médicaments eux-mêmes, alors
qu’on sait aujourd’hui qu’elles sont nombreuses. En ce moment, on se
préoccupe surtout des réactions avec les produits de santé naturelle,
comme le millepertuis, qui peuvent être très dangereuses », explique
Manon Lambert.
Dans les dernières années, des chercheurs ont repéré plusieurs nouvelles
interactions aliment-médicament, par exemple entre la warfarine (un
anticoagulant) et le jus de canneberge ou les légumes verts. Médecins
et pharmaciens sont avertis et devraient – s’ils font bien leur travail –
prévenir les patients concernés.
David Bailey, lui, trouve qu’on va trop lentement. Cet été, il a profité
d’un congrès scientifique américain pour attirer l’attention des médias
sur le sujet. À la suite de sa sortie publique, de nombreux organismes,
comme les associations canadiennes et américaines de pharmaciens,
l’ont contacté. Ils devraient bientôt inclure dans leurs mises en garde
le nouvel effet que le chercheur a découvert… ou réclamer des études
complémentaires, s’ils jugent que les preuves ne sont pas assez solides.
Le ministère de la Santé du Canada ne s’est pas encore prononcé.
Toutefois, dans l’état actuel des connaissances, il n’y a pas lieu de paniquer,
selon Manon Lambert. « Le plus important, c’est l’état du patient : si le
médicament est efficace malgré la consommation de jus, on n’a pas
à changer quoi que ce soit », dit la spécialiste. Mais il convient d’être
prudent : éviter les changements brutaux dans son alimentation quand
on prend des médicaments, privilégier le verre d’eau et, en cas de
doute, vérifier auprès de son pharmacien ou de son médecin.
Texte reproduit avec autorisation.
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