L. Berthe
Sur quelques distiques buna (Timor central)
In: Bijdragen tot de Taal-, Land- en Volkenkunde 115 (1959), no: 4, Leiden, 336-371
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SUR QUELQUES DISTIQUES BUNA'
(TIMOR CENTRAL).
i.
T
imor appartient a 1'arc méridional, non volcanique, de Nusan-
tara,
1'archipel
des Petites Hes de la Sonde. L'ile fait, en gros,
600 kms. de longueur sur 80 de largeur. Elle est politiquement divisée:
Ie Portugal en détient la moitié oriëntale ainsi que
1'enclave
de Oekusi,
sur la cóte nord; la moitié occidentale, ex-colonie hollandaise, est reve-
nue a la République indonésienne. Timor est peuplée de nombreux
groupes distincts, tant par la langue que par les coutumes. Les Buna',
a cheval sur la frontière, occupent Ie centre de
l'ile
et n'ont nulle part
de fenêtre sur la mer. lis sont enveloppés de tous cötés par les Tétun,
sauf au nord-est ou leur frontière est un instant commune avec les
Mambai. De tres récentes migrations ont mené des Buna' sur la cöte
meridionale, jusqu'a Suwai en territoire portugais, et Besikama, dans
la partie indonésienne.
Si grandes que soient les différences, on peut aisément dégager un
certain nombre de caractères communs a toutes les populations de
Timor: 1'organisation politique de type f éodal, associée a la chasse aux
têtes et a la vénération des héros, les systèmes de parenté fondés sur
1'échange
généralisé, une religion associant Ie culte des ancêtres a
celui des génies, sont des traits d'ailleurs communs a
1'ensemble
du
monde indonésien. Les Timorais sont des cultivateurs de maïs et de
riz de ladang, bien qu'on rencontre des rizières irriguées dans les
vallées; ils sont éleveurs de buffles, de chevaux, de porcs, de chèvres
et de volailles. Les femmes sont habiles dans les arts du tissage et de
la vannerie.
L'aspect anthropologique du peuple buna' est loin d'indiquer un
groupe homogene. Selon M. Mendes-Corrêa,
1'élément
deutéro-malais
serait chez eux prédominant, „les rapprochant peut-être ainsi des Dayaks
de Bornéo"
;
1'anthropologue portugais insiste néanmoins sur
1'hétéro-
généite raciale du groupe, oü il rencontre aussi une forte proportion
de types veddoïdes, proto-malais et mélanésiens. Ses statistiques ne
sont a vrai dire fondées que sur la mensuration de 17 sujets. Par
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ailleurs, il fait des „Marae" une population distincte des Buna': quoi-
qu'en vérité, „Marae" soit Ie nom que donnent aux Buna' leurs voisins,
les Tétun (ceux-ci, a leur tour, plus connus sous Ie nom ethnographique
et administratif de „Belu" ou, a Timor portugais, de Tetum, la langue
portugaise n'admèttant pas Ie -n final....)- Plus récemment, Miss
Keers,
sans plus prendre Ie risque de dénominations raciales, constate
la fréquence des dolichocéphales, et une stature moyenne plus élevée
que celle des autres Indonésiens. L'aristocratie buna' ayant eu a son
service, jusqu'a la colonisation hollandaise, tout un peuple d'esclaves
achetés sur les marchés ou dans des ports comme Atapupu, et traites
la plupart du temps comme des membres de la familie, ne soyons pas
surpris que la race actuelle soit inclassable.
Les Buna' sont gouvernés par toute une hiërarchie aristocratique,
depuis les chefs suprêmes (en Indonesië: BEIN GON'IL, OU „Quatre
Grands"), jusqu'aux simples hérauts de villages. Les maisons, ou
lignages, sont unies entre elles par des liens traditionnejs d'alliance
matrimoniale, suivant la chaine de
1'échange
généralisé, chaque maison
ayant deux sortes d'alliés permanents: ses donneurs de femmes (MALU) 1
et ses preneurs de femmes (AI-BA'A). La coutume prévoit deux formes
de mariage: Ie premier par achat de la fiancée, est patrilocal et patri-
lineaire (SUL-SULI')
;
Ie second, TON-TEREL, matrilocal et matrilineaire,
ne crée aucun lien définitif entre les maisons en cause.
L'année, a Timor, se divise en deux parties bien distinctes 2 d'inégale
durée: une saison sèche qui commence en avril; une saison des pluies,
dont Ie début se place vers Ie 15 novembre; dans les montagnes cen-
trales,
de petites pluies, en mai, favorisent la culture de
1'ail,
d'in-
troduction recente.
Ce rythme climatique détermine bien entendu les traditions agricoles,
mais marque fortement aussi la vie sociale.
s octobre, les Buna' commencent a préparer leurs champs pour
les ensemencer soit, après en avoir abattu les arbres, par brülis d'une
jachère vieille de cinq ou six ans, soit seulement en mettant Ie feu aux
souches de padi ou de maïs, et aux mauvaises herbes des ladang ayant
déja fourni une récolte l'année précédente.
Avant la mi-novembre, on commence a enterrer les graines de padi,
1 „Donneur de femmes" se dit Mayu chez les Katchin et Mayoa a Alor.
2 II va de soi que ce n'est pas Ie lieu, dans une simple introduction, de donner
une description détaillée des techniques agxicoles, d'étudier rituels et sacrifices;
moins encore, d'aborder les questions de propriété, d'héritage, ni 1'organisation
politique et sociale. Ces importantes questions fourniront la matière de publi-
cations ultérieures.
Dl.
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LOUIS
BERTHE.
sans attendre les pluies. Lorsqu'il a commencé a pleuvoir, vers Ie 15,
alors on plante Ie maïs; les jeunes pousses de padi ont dé ja commencé
a sortir de terre:s la fin du mois, il faudra sarcler une première
fois les champs de padi.
TUBI-LAI, qui est la fête de la chasse et de la saison des pluies, se
déroule a cette époque des semailles; c'est une fête publique, une fête
de village, la première ou la dernière de
1'année.
Elle s'accom-
pagne de rituels et de sacrifices privés au
MAR
UMON,
la pierre centrale
du champ, destinés a assurer la fécondité des graines qui seront semées
immédiament après.
C'est une periode morne et laborieuse de quatre mois et demi, qui
succède au TÜBI-LAI. Il pleut chaque jour, les chemins sont détrempés,
les torrents gonflés; dans la montagne, il fait froid; on reste des jours
sans apercevoir Ie soleil. Mais la terre reverdit et, rapidement, les
mauvaises herbes se font envahissantes. En janvier c'est Ie déherbage
général des champs (u
TUL)
:
au petit lopin suffit une main d'oeuvre
réduite, et la maison y pourvoit. Mais Ie déherbage d'un grand champ
est un evenement; tout Ie village y participe: Ie propriétaire nourrit
son monde; il tue une chèvre ou, s'il est Ie chef du village, un buffle.
Chaque travailleur recjoit en outre une part de si GUSUK, morceaux de
viande cuite, découpés et enfilés sur des baguettes, qu'ils peuvent em-
porter chez eux.
Jusqu'au dernier moment, il faudra veiller a la récolte. Celle-ci excite
déja la convoitise des animaux de la forêt: singes, cerfs et sangliers.
Les jours se passent a consolider la clóture des champs, a colmater les
brèches; les nuits, a veiller en battant les OLO-OLO, tambours de bambou,
pour éloigner les bêtes sauvages.
La „soudure" est parfois, difficile; les greniers vides, il faut alors
se contenter de manioc séché, de tubercules divers, dont
1'igname.
Mais
s la mi-février, chacun peut s'offrir, ou a ses alliés, la friandise de
jeunes épis de maïs bouillis, accompagnés, quand c'est possible, d'un
gobelet de café.
C'est Ie TERI-GOMO, gardien des récoltes qui fixe, pour Ie village, la
date de la première fête de
1'année,
celle de la récolte du maïs: PA'OL
SAU.
Elle a lieu dans les derniers jours de février ou au début de mars.
Les premiers épis sont offerts dans la matinee aux ames des Anciens
et aux génies du village, sur Ie SARAN-MOT, la place de danse et aux
BOSOK, autels de maisons. Des gateaux de maïs nouveau sont échangés
sur les tombes. Le soir venu, dans chaque grande maison de lignage,
les anciens, gardiens du patrimoine, offrent rituellement, au cours d'une
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longue cérémonie, les prémices de la récolte aux ancêtres et aux génies
du lieu. Des épis frais sont attachés au grand poteau male de la
maison, pour remplacer ceux de
1'année
précédente. Enfin, les prémices
sont partagées entre les vivants: tous les présents, hötes et alliés,
recjoivent une part correspondant a leur dignité ou a leur rang. Puis
dans la nuit, s'éclairant avec des torches, gargons et filles, jeunes et
vieux, se rassemblent sur la place encore humide de la pluie de la
journée, oü ils danseront des rondes en chantant, jusqu'a
1'aurore.
Désormais, avec Ie retour progressif de la saison sèche, la vie va
changer de rythme: une succession de fêtes et de travaux joyeux va
remplacer
1'isolement
relatif de chacun durant les pluies.
Une fois achevée la récolte du maïs, et les épis serres dans les
greniers de chaque lignage, il faut préparer la récolte du padi, qui va
se dérouler, maison après maison, depuis Ie début d'avril jusqu'a la
mi-mai. Bien que 1'IPI-LETE ne soit pas une fête publique, c'est un point
culminant, la fête la plus courue de
1'année.
Elle est marquée par la
construction du BITIRAI, aire a battre protégee par un grand toit, édifié
sur Ie champ même; la récolte donne lieu a un rituel complexe de
fermeture et de protection contre les
PAN
MUK
GOMO,
les mauvais génies,
rituel auquel les ancêtres sont associés. Pendant la journée, les femmes
coupent les tiges de padi dans Ie champ, les hommes de la maison
piétinent les épis sur l'aire a battre en chantant d'anciens distiques. La
nuit, Ie travail ne cesse pas: mais
1'arrivée,
au soir, d'une foule de
jeunes gens et de jeunes filles attirés par la force magique du SUBUL
fixé au toit du BITIRAI, transfigure Ie travail en fête: on se met a
danser sur l'aire oü des mains attentives renouvellent sans cesse les
tiges de padi a égrener. Au milieu de la nuit, la maison qui regoit donne
un repas, groupe après groupe, a tous les hötes genereusement abreuves.
L'enthousiasme est tel qu'on oublie la fatigue, on danse, on chante, de
toutes ses forces. Des couples sortent discrètement, on fleurte sur la
paille, on bavarde autour du BITIRAI, pour reprendre haleine....
La récolte rentree, les champs tondus et Ie soleil bien installé, il faut
désacraliser la nouvelle récolte avant de commencer a la consommer;
c'est alors, au jour fixé par les anciens, la fête de HOHON-A, qui consiste,
comme Ie PA'OL SAU, en offrandes de prémices aux ames des ancêtres
et aux génies, suivies d'une nuit blanche oü 1'on danse et chante des
rondes puissantes ou endiablées.
Les lignages peuvent désormais disposer librement de la récolte:
certains vont alors prendre date pour la fête qu'ils donneront, pendant
la saison, a
1'occasion
de 1'achèvement d'une nouvelle maison, ou pour
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