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Fiscalité environnementale : vers un "green tax shift" en France ?
Pour cela, trois paramètres pivots
doivent être combinés : l’assiette de la
taxe, l’élasticité-prix et le taux.
▶Les trois paramètres pivots
S’agissant de l’assiette d’abord, elle doit
être bien identifiée et ciblée sur un pol-
luant ou un comportement précis (mais
sans exclure un utilisateur de ce polluant
ou un auteur de ce comportement).
Certaines taxes existantes pourraient
ainsi être renforcées simplement en élar-
gissant leur assiette à des substances
aujourd’hui exclues4. Dans cette pers-
pective, il serait possible de cibler les
taxes dont l’assiette est susceptible
d’être élastique au prix et pour laquelle
existe un produit de substitution.
De nouvelles taxes pourraient également
être créées sur des assiettes polluantes
aujourd’hui non taxées et qui seraient
également élastiques au prix.
Parallèlement, les taxes pour lesquelles
l’élasticité-prix serait faible pourraient
être supprimées du fait de leur ineffica-
cité programmée par rapport à l’objectif
environnementale souhaité. Ce qui per-
mettrait de réduire le nombre important
de petites taxes sans effet.
Pour que les taxes soient pleinement effi-
caces, leurs taux devraient être rehaus-
sés à des niveaux suffisamment incitatifs,
voire proches des externalités sur les-
quelles elles sont assises. Or, déterminer
le niveau de taxation est complexe.
En théorie, une taxe environnementale
efficace doit être déterminée au niveau
dit "pigouvien"5, c’est-à-dire au niveau
d’égalité entre la taxe et les dommages
marginaux issus de la pollution, en
déduisant le coût marginal des mesures
de lutte contre la pollution.
En pratique, il n’est pas toujours aisé,
voire dans certains cas impossible, de
disposer de données suffisamment pré-
cises pour estimer les dommages causés
et les coûts de dépollution.
4 G. Sainteny, "Plaidoyer pour l’écofiscalité", Buchet-
Chastel, édition 2012.
5 A.-C. Pigou, "The Economics of Welfaire",
Macmillan, 1920, Londres.
Une telle difficulté peut d’ailleurs expli-
quer en partie que certains taux aient été
fixés sans cohérence avec les coûts de
mise en conformité engagés par les
entreprises6.
Pour analyser le coût des externalités,
plusieurs éléments sont à prendre en
compte : le cycle de vie des produits ou
des émissions sources de pollution, les
caractéristiques du secteur d’activité
concerné ainsi que les conditions d’ac-
ceptabilité de la taxe concernée.
Par ailleurs, le niveau de taxation devrait
varier en fonction de l’objectif fixé. Si l’on
souhaite que la taxe ait un réel effet inci-
tatif, son taux devrait être suffisamment
élevé pour permettre d’enclencher le
plus rapidement possible le bascule-
ment vers d’autres pratiques plus ver-
tueuses, ce qui suppose que la taxe
porte sur une activité "substituable".
▶Une évolution lissée dans le temps
Dans la lignée de ce que recommande la
Commission européenne7, l’augmenta-
tion des taux pourrait être progressive,
sur une période qui peut durer de 5 ans
à 15 ans voire plus, suivie d’une période
de stabilisation.
Connaître la trajectoire des taux sur le
long terme permet d’offrir aux entre-
prises un cadre plus serein pour planifier,
anticiper, investir. "Un signal-prix stable
6 Par exemple, en matière de flotte automobile, de
marketing durable...
7 Rapport Commission européenne, Study on
assessing the environmental fiscal reforme poten-
tial for the EU28, janv. 2016, voir p. 256 et s.
et pérenne stimule l’innovation en pous-
sant les industriels à chercher des solu-
tions moins polluantes pour réduire leurs
coûts de production" (Chiroleu-
Assouline, 2015).
Ces niveaux de taxation devraient par
ailleurs être déterminés en tenant
compte des pratiques constatées dans
les autres pays européens pour éviter
des distorsions au sein de l’UE.
Un "green tax shift" à prélèvements
constants
Les recettes de la fiscalité environne-
mentale devraient être redistribuées
pour réduire à due concurrence d’autres
impôts. Le "green tax shift" s’opèrerait
ainsi à prélèvements constants.
L’objectif est d’obtenir un "double divi-
dende" (Chiroleu-Assouline, 2015) : un
premier, environnemental, et un second,
socio-économique, qui pourrait revêtir
différentes formes telles qu’une stimula-
tion de la croissance économique (Ekins,
1997). En déplaçant la charge fiscale
actuellement lourde sur le travail vers les
taxes environnementales, l’emploi et la
croissance pourraient être stimulés
davantage, comme l’estime la
Commission européenne8.
Le "green tax shift" pourrait d’autant
plus trouver sa place en France que le
système fiscal français connaît
8 Rapport Commission européenne, Annual Growth
Survey 2015, p. 15.
Pratique innovante :
quand les entreprises
intègrent le prix
du carbone
De plus en plus d’entreprises mettent
en place un prix interne du carbone
pour internaliser le coût économique
de leurs émissions de gaz à effet de
serre.
Comme le montre une étude de l’as-
sociation Entreprises pour l'Environ-
nement1, cette pratique représente
un moyen efficace pour inciter les
décideurs économiques à investir
dans des énergies propres et des
technologies plus sobres en carbone.
1. http://www.epe-asso.org/prix-interne-du-
carbone-septembre-2016
L’expérience suédoise
Dans un contexte de fort déficit
budgétaire, la Suède décide en 1991
de mettre en place son "green tax
shift"1 : d’un côté, la TVA sur les pro-
duits énergétiques est augmentée et
des taxes sur le CO2 et le SO2 instau-
rés ; de l’autre, le taux d’imposition
des entreprises est ramené de 53 % à
30 %, le taux marginal de l’impôt sur
le revenu réduit, et la TVA générali-
sée à un taux uniforme. Début des
années 2000, le green tax shift a
permis de réduire l’IR de 1,34 Mds€
et les cotisations sociales de 220 M€.
Grâce à la hausse des recettes des
taxes sur le CO2 et le carbone, la
fiscalité sur le travail a diminué de
7,4 Mds€ entre 2007 et 2010.
1. D. Bureau, "Fiscalité verte et compétitivité :
la démonstration suédoise", CEDD, n° 26,
2013.