Complexes triflate de l`uranium - L`Information scientifique au

Complexes triflate de l’uranium
Jean-Claude Berthet
a
*, Martine Nierlich
b
, Michel Ephritikhine
a
a
Laboratoire de chimie de coordination, service de chimie moléculaire, DSM, Drecam, CNRS URA 331, CEA Saclay,
91191 Gif-sur-Yvette, France
b
Laboratoire de cristallochimie, service de chimie moléculaire, DSM, Drecam, CNRS URA 331, CEA Saclay, 91191 Gif-sur-Yvette,
France
Reçu le 20 juin 2001 ; accepté le 30 juillet 2001
Abstract – Uranium triflate complexes. We review here the different preparations of uranium triflates that we have developed in
the course of these last years in our laboratory. Protonation of [U]–R and [U]–NR
2
(R = alkyl) bonds with pyridinium triflate
constitutes a general and efficient route towards triflate complexes. This method is very suitable for the preparation of
organometallic compounds such as U(Cp)
3
(OTf), U(Cp)
2
(OTf)
2
(py), U(Cp*)
2
(OTf)
2
, and U(Cot)(OTf)
2
(py), which have been
crystallographically characterised. The homoleptic species U(OTf)
n
(n= 3, 4) are easily prepared by heating a mixture of
uranium turnings or UH
3
in triflic acid. By adjusting the temperature to 120 or 180 °C, either U(OTf)
3
or U(OTf)
4
is isolated.
Treatment of UO
3
with pure or aqueous solution of triflic acid leads to the non-solvated uranyl triflate UO
2
(OTf)
2
, which is
more conveniently obtained by heating a suspension of UO
3
in triflic anhydride. This reactant is an excellent dehydrating agent
and enables the preparation of UO
2
(OTf)
2
and Ce(OTf)
4
from the hydrated starting materials. To cite this article: J.-C. Berthet
et al., C. R. Chimie 5 (2002) 000–000 © 2002 Académie des sciences / Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS
uranium / uranyle / cerium(IV) / triflate / pyridinium / triflic acid
Résumé Nous présentons dans cette revue les différentes méthodes de préparation des complexes triflate de l’uranium mises
au point au laboratoire au cours de ces dernières années. La protonation de complexes alkyles et amidures par le triflate de
pyridinium (C
5
H
5
NH·O
3
SCF
3
) est une méthode générale d’accès vers les complexes triflate. Cette voie est particulièrement
efficace pour la préparation des complexes organométalliques U(Cp)
3
(OTf), U(Cp)
2
(OTf)
2
(py), U(Cp*)
2
(OTf)
2
,et
U(Cot)(OTf)
2
(py) (Cp = η
5
-C
5
H
5
, Cp* = η
5
-C
5
Me
5
, Cot = η
8
-C
8
H
8
, TfO = CF
3
SO
3
). Les triflates homoleptiques U(OTf)
n
(n=3,
4) sont obtenus aisément, en chauffant des copeaux d’uranium métallique ou d’UH
3
dans l’acide triflique pur. Selon la
température du milieu (120 ou 180 °C), on obtient sélectivement l’espèce de l’uranium (III) ou de l’uranium (IV). Le traitement
de UO
3
par l’acide triflique pur ou en solution aqueuse permet d’isoler le triflate d’uranyle non solvaté UO
2
(OTf)
2
. Celui-ci est
obtenu plus simplement en chauffant une suspension de UO
3
dans l’anhydride triflique, qui s’avère également un excellent agent
de déshydratation ; ainsi, le traitement des hydrates UO
2
(OTf)
2
(H
2
O)
n
et Ce(OTf)
4
(H
2
O)
n
par TfOTf permet d’isoler les dérivés
anhydres. Pour citet cet article : J.-C. Berthet et al., C. R. Chimie 5 (2002) 000–000 © 2002 Académie des sciences / Éditions
scientifiques et médicales Elsevier SAS
uranium / uranyle / cerium(IV) / triflate / pyridinium / acide triflique
1. Introduction
Les complexes triflate des métaux d et f sont des
acides de Lewis très utilisés en synthèse organique et
en catalyse. [1–4] Ce sont également d’excellents pré-
curseurs en synthèse inorganique et organométallique
[5]. Alors que les complexes triflate des lanthanides
ont fait l’objet, ces dernières années, de très nombreu-
ses études, notamment quant à leurs applications, qua-
siment rien n’a été publié concernant leurs homolo-
gues 5f, hormis la synthèse du triflate d’uranyle
hydraté UO
2
(OTf)
2
(H
2
O)
n
et de quelques complexes
*Auteur correspondant.
Adresse e-mail : [email protected] (J.C. Berthet).
MÉTHODE / FULL PAPER
1
C. R. Chimie 5 (2002) 1–7
© 2002 Académie des sciences / Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés
S1631074802013127/FLA
triate du thorium [68].An de pallier cette insuffi-
sance, nous avons décidéde développer la chimie des
complexes triate des actinides, en nous focalisant en
particulier sur luranium, qui est le métal le moins
radioactif de la série, facile àmanipuler, et qui pos-
sède en plus lavantage de disposer dune palette de
degrésdoxydation allant de +3 à+6.
2. Synthèse des complexes triate
organométalliques de luranium (IV)
Nous avons dabord essayédutiliser les méthodes
«classiques »pour synthétiser les complexes triate
de luranium [5]. Nous avons tenté, en particulier, de
remplacer les groupes halogénures de composés
[U](X)
n
par des triates àlaide dagents de substitu-
tion courants, tels que AgOTf ou Me
3
SiOTf. Nous
avons également fait réagir des espèces [U]X
(X = alkyle, amidure, halogénure) avec lacide trii-
que. Si certaines de ces réactions se déroulent bien,
ces méthodes se sont avérées toutefois peu sélectives
et absolument pas générales. Nous avons alors trouvé
que la protonation de complexes alkyles et amidures
par le triate de pyridinium, représentée par l’équation
(1), constitue une excellente voie daccès vers ces
composés, obtenus facilement, avec de bons rende-
ments [9].
Grâce àcette méthode, de nombreux composés tri-
ate de luranium (IV), pour la plupart organométalli-
ques, ont étéisolés, ainsi que le montre la Fig. 1.
Il faut remarquer que le composé
U(Cp)
2
(OTf)
2
(py)
2
(py = pyridine) est stable dans les
solvants coordinants ou aromatiques, contrairement à
son homologue chloréU(Cp)
2
Cl
2
. Cette différence de
stabilitéentre espèces triate et chlorure dune même
série met bien en évidence les inuences électroniques
distinctes de ces deux ligands et montre que la syn-
thèse de précurseurs triates devrait permettre le déve-
loppement dune chimie inaccessible avec les dérivés
halogénures correspondants. Cest pourquoi nous
avons synthétiséle composéU(OTf)
4
, isolésous
forme de monoadduit avec la pyridine, en protonant le
métallacycle [U(N{SiMe
3
}
2
)
2
(N{SiMe
3
}{SiMeCH
2
})]
avec quatre équivalents de PyHOTf.
Lutilisation du triate de pyridinium nest pas seu-
lement limitéeàla protonation de liaisons simples
uraniumcarbone et uraniumazote. Luranocène
U(Cot)
2
, complexe stériquement encombré,réputé
robuste et peu réactif, réagit très facilement en
présence de 2 équiv de triate de pyridinium, pour
donner lespèce monocyclooctatétraénylique
U(Cot)(OTf)
2
(py) [10]. La synthèse de tels composés
U(Cot)(X)
2
(L)
2
a constitué, pendant de nombreuses
années, un véritable défi.[1113]
Lensemble de ces résultats montre que le triate de
pyridinium est un réactif de choix pour préparer des
espèces triate. Il présente plusieurs avantages par
rapport àlacide triique. Cette poudre commerciale,
stable, soluble dans le THF (THF = tétrahydro-
furanne), peut être utilisée dans une grande gamme de
solvants organiques, au contraire de lacide triique,
qui est corrosif, très hygroscopique, dont lutilisation
nécessite une distillation préalable et qui ne peut être
employédans certains solvants, comme le THF, quil
polymérise. Enn, le triate de pyridinium savère très
réactif et beaucoup plus sélectif que TfOH dans les
réactions de protonation.
Fig. 1. Synthèse de complexes triate par protonation de précur-
seurs alkyle et amidure au moyen de PyH·OTf.
2
J.-C. Berthet et al. / C. R. Chimie 5 (2002) 17
Les structures cristallines des complexes
U(Cp)
3
(OTf)(CNtBu), [9] U(Cp)
2
(OTf)
2
(py)
2
,[10]
U(Cp*)
2
(OTf)
2
(H
2
O), [9] et U(Cot)(OTf)
2
(OPPh
3
)
2
,
Figs 25.
Dans tous ces composés, les ligands triate sont
coordonnésdefaçon monodentate. Les distances
UO(OTf) sont de lordre de 2,38 Å, sauf pour le
complexe triscyclopentadiénylique oùcelle-ci est plus
longue (2,485(9) Å), reflétant certainement leffet sté-
rique et électronique des ligands auxiliaires. Ces lon-
gueurs de liaison sont plus grandes que les distances
uraniumoxygène des complexes alcoxydes (ca
2,02,3 Å), ce qui suggère que le ligand triate est
moins solidement liéau métal. Cependant, le fait que,
dans lensemble de ces structures, aucun des groupes
triates ne se trouve dissocié, quel que soit le solvant
coordinant employé(pyridine, THF) ou la base de
Lewis introduite en excès (OPPh
3
,
t
BuNC), molécules
qui présentent pourtant une forte affinitépour lura-
nium, montre que le ligand triate est assez fortement
liéaux actinides.
Nous voyons ainsi que lutilisation du triate de
pyridinium savère intéressante pour la préparation de
complexes triate. Néanmoins, cette méthode repose
sur la protonation de complexes alkyle et amidure,
dont les synthèses nécessitent souvent plusieurs éta-
pes.
3. Synthèse des complexes
homoleptiques U(OTf)
3
et U(OTf)
4
La préparation en grande quantitédes espèces
homoleptiques U(OTf)
n
(n=36) selon des méthodes
simples et rapides ferait de ces composés des précur-
seurs de choix pour le développement de la chimie de
Fig. 2. Structure cristalline du complexe U(Cp)
3
(OTf)(CN
t
Bu).
Reproduit avec lautorisation de la Royal Society of Chemistry.
Fig. 3. Structure cristalline du complexe U(Cp)
2
(OTf)
2
(py)
2
.
Fig. 4. Structure cristalline du complexe U(Cp*)
2
(OTf)
2
(H
2
O).
Reproduit avec lautorisation de la Royal Society of Chemistry.
Fig. 5. Structure cristalline du complexe U(Cot)(OTf)
2
(OPPh
3
)
2
.
3
Pour citer cet article : J.-C. Berthet et al. / C. R. Chimie 5 (2002) 17
luranium, au même titre que UI
3
(THF)
4
et UCl
4
, qui
sont pratiquement les seuls précurseurs solubles dispo-
nibles àce jour [14,15].
Nous avons trouvéplusieurs voies de synthèse des
composés U(OTf)
3
et U(OTf)
4
; celles-ci sont résu-
mées sur la Fig. 6 [16].
La première méthode, «classique », car souvent uti-
lisée dans le cas des complexes des métauxpetd,
consiste àtraiter les chlorures correspondants par un
large excèsdacide triique pur [5]. Les réactions de
UCl
3
ou UCl
4
procèdent à120 °C, provoquant un
dégagement violent de chlorure dhydrogène ; les tri-
ates U(OTf)
n
(n= 3, 4) sont récupérés simplement
aprèsévaporation de lacide en excès. Cette voie
nécessite toutefois lobtention des précurseurs chlorés,
dont les préparations restent délicates [15,17].
Nous avons trouvéune nouvelle voie daccès, origi-
nale et beaucoup plus pratique, en traitant par TfOH
des copeaux duranium métallique préalablement acti-
vés. Les composés U(OTf)
3
ou U(OTf)
4
sont formés
de façon quantitative et sélective en contrôlant la tem-
pérature du milieu. À120 °C, seul U(OTf)
3
se forme ;
celui-ci est facilement oxydéen U(OTf)
4
par chauf-
fage à180 °C dans lexcèsdacide. Ces synthèses
nécessitent plusieurs jours, mais ce délai peut être
considérablement réduit en partant dune poudre ne-
ment divisée du trihydrure métallique UH
3
, aisément
préparépar hydrogénation àchaud de tournures dura-
nium. Dans ce cas, le traitement de UH
3
par lacide
triique conduit, en quelques minutes àla température
ambiante, au triate de luranium (III). Les rende-
ments de ces synthèses sont quasiment quantitatifs.
Les composés homoleptiques sont solubles dans les
solvants organiques classiques (THF, pyridine, DME
diméthoxyéthane ...) ; néanmoins, la rétention de tra-
ces dacide triique dans les produits conduit àla
polymérisation du THF, si on utilise directement ces
complexes dans ce solvant. Enn, ces triates dura-
nium sont des acides de Lewis qui forment des
adduits stables en présence de bases de Lewis. Dans
la pyridine en présence dun large excèsdoxyde de
triphényle phosphine, U(OTf)
3
et U(OTf)
4
conduisent
aux dérivés [U(OTf)
2
(OPPh
3
)
4
][OTf] et
U(OTf)
4
(OPPh
3
)
3
, dont les structures cristallines sont
représentées sur les Figs 7 et 8 [10,16].
Le complexe de lU(III) cristallise sous forme de
monocation, du fait de la dissociation dun des
ligands triate. Le métal se trouve coordonnépar qua-
tre molécules de OPPh
3
et deux ligands triate, pré-
sentant chacun un mode de coordination différent
(monodentéet bidenté). La distance uraniumoxygène
du triate monodenté,égale à2,446(4) Å, est plus
courte de prèsde0,2Åque la distance moyenne des
liaisons UOdutriate bidenté. On peut noter que
Fig. 6. Synthèse des complexes triate
homoleptiques U(OTf)
n
(n=3,4).
4
J.-C. Berthet et al. / C. R. Chimie 5 (2002) 17
lexcèsdoxyde de triphényle phosphine présent dans
la solution lors de la cristallisation nentraîne pas la
dissociation de tous les ligands triates et la formation
dune entitétricationique [U(OPPh
3
)
n
]
3+
.Demême,
aucune dissociation de ligand triate nest observée
dans le complexe U(η
1
-OTf)
3
(η
2
-OTf)(OPPh
3
)
3
(Fig. 6), dont la structure montre, ici encore, que les
distance UO des triates monodentés sont plus cour-
tes que celles du triate bidenté. De tels complexes,
présentant dans leur structure cristalline des ligands
triates bidentés non pontants, sont rares [1820].On
en compte quelques rares exemples avec les métaux d
et les alcalino-terreux, et un seul cas avec les lantha-
nides. Il sagit du complexe cationique du lanthane,
[La(η
1
-OTf)(η
2
-OTf)(HMPA)
4
][OTf]
(HMPA = OP{NMe
2
}
3
), dont la structure est très simi-
laire àcelle du complexe de lU(III) [21].
4. Synthèse des complexes triate non
solvatésUO
2
(OTf)
2
et Ce(OTf)
4
Par analogie avec la synthèse des complexes triate
des lanthanides Ln(OTf)
3
, obtenus en traitant en
milieu aqueux les oxydes Ln
2
O
3
par lacide triique
[22], nous espérions préparer de la même façon le
complexe U(OTf)
6
àpartir du trioxyde duranium
(VI), UO
3
.Lobtention de U(OTf)
6
nous semble inté-
ressante, car celui-ci pourrait être un précurseur pour
le développement de la chimie de luranium (VI)
autre que celle de luranyle et présenter une aciditéde
Lewis très marquée, permettant son utilisation en syn-
thèse organique et en catalyse.
Cependant, comme le montre la Fig. 9,laréaction
dun excèsdacide triique avec UO
3
solide ou en
suspension dans leau (réactions (a) et (b)) ne conduit
pas àla formation de U(OTf)
6
mais àcelle du triate
duranyle non solvaté. En solution aqueuse, lespèce
UO
2
(OTf)
2+n
(H
3
O)
n
est forméeetmène au composé
UO
2
(OTf)
2
, après un chauffage prolongésous vide
permettant la sublimation du sel H
3
O·OTf [23].
Si les réactions (a) et (b) de la Fig. 9 sont efficaces,
les étapes nales d’élimination de lacide triique et
de sublimation de H
3
O·OTf sont longues, difficiles, ce
qui limite leur portée pratique. Le traitement thermi-
que à110 °C pendant quelques heures dune suspen-
sion de UO
3
dans lanhydride triique (réaction (c) de
la Fig. 9) constitue une voie daccès bien supérieure
aux deux précédentes. Une simple évaporation sous
vide de lexcèsderéactif conduit rapidement au tri
Fig. 7. Structure cristalline du complexe [U(OTf)
2
(OPPh
3
)
4
][OTf].
Pour la clartédu dessin, seuls les atomes de carbone ipso des
groupes phényl sont représentés.
Fig. 8. Structure cristalline du complexe U(OTf)
4
(OPPh
3
)
3
. Pour la
clartédu dessin, seuls les atomes de carbone ipso des groupes
phényl sont représentés.
5
To cite this article: J.-C. Berthet et al. / C. R. Chimie 5 (2002) 17
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