LA MOTRICITÉ LUDIQUE D`UNE SOCIÉTÉ AFRICAINE. ANALYSE

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A propos de la thèse
le reflet de leur culture d'origine ? Par retour,
peuvent-ils être un agent de socialisation à
part entière ?
our répondre à ces interrogations, on ne
peut se contenter de décrire vaguement le
contexte de leur pratique et les caractéristiques sociales de leurs occupants, comme le
font trop souvent les documents ethnographiques. Il faut avant tout repérer les traits de
logique interne des jeux sportifs. Comment y
joue-t-on ? Seul ou à plusieurs ? Des équipes
s'opposent-elles en miroir ou alors chacun
joue-t-il pour soi ? Y a-t-il vainqueur et
vaincu ? Les rôles permutent-ils durant la partie ? Le temps intervient-il ? etc. Une véritable
analyse structurale des jeux est nécessaire et P.
A. Leyinda y consacre plus de la moitié des
pages de sa thèse. Un à un, les traits pertinents
des 40 jeux des peuples Ndzébi sont passés au
crible d'une fiche d'observation. Il en ressort
une présentation riche et exhaustive, sans
aucun doute le point fort de la thèse. Ce travail
est une véritable mémoire vivante de ce qui se
joue dans cette région frontalière du Gabon et
du Congo. L'auteur y ajoute parfois quelques
précisions anecdotiques. signe qu'il maîtrise
particulièrement bien ce qu'il décrit et qu'il a
pratiqué ou fait pratiquer certains de ces jeux.
De ces analyses dépend la possibilité de réaliser une « sociologie à partir des jeux », pour
reprendre le mot de Roger Caillois - fréquemment utilisé dans la thèse - et non simplement
« une sociologie à propos des jeux ».
A. Leyinda positionne les 40 jeux sur le
simplexe S3, classification des jeux sportifs de P. Parlebas qui représente une partition à trois critères : partenaire(s) direct(s),
adversaire(s) direct(s) et incertitude fournie
par le milieu physique. On observe la faible
prise en compte de l'imprévisibilité de l'environnement (90 % des jeux se pratiquent dans
un espace certain) et une tendance à valoriser
les situations « sociomotrices » (c'est-à-dire
avec présence d'interaction motrice essentielle : passe, écran, assurage, etc. 65 % des
jeux) eu égard à la distribution des presque 250
épreuves des jeux Olympiques. Que les sports
valorisent la standardisation du milieu dans le
souci d'établir des records, d'assurer la précision des mesures, cela se comprend. Mais,
quel sens donner à cette volonté de domestication du milieu dans cette région d'Afrique,
pour des jeux dont plus de 80 % sont sans système de score et sans arbitre ? Par ailleurs,
comment expliquer le faible volume relationnel possible dans les sports (50 % des épreuves
olympiques sont « psychomotrices », c'est-àdire sans présence d'interaction motrice pertinente) par rapport aux jeux (35 % des jeux
Ndzébi sont « psychomoteurs ») ? Les défenseurs du sport ne prétendent-ils pas que le sport
représente l'agent de sociabilité par excellence ? Certaines différences tendent à renforcer une idée chère à P. A. Leyinda selon
laquelle, sur le plan des relations interindividuelles, le sport n'est peut-être pas le nec plus
ultra du jeu...
'auteur élargit l'analyse à d'autres traits
distinctifs des jeux Ndzébi en y ajoutant
des valeurs quantitatives et en insistant à
nouveau sur le caractère non hasardeux de
telles distributions. Pour agrémenter la discus-
de Pascal-Alain
LeyindaP
LA MOTRICITÉ
LUDIQUED'UNESOCIÉTÉ
AFRICAINE.
ANALYSE STRUCTURALE
DES JEUX
TRADITIONNELS
DES PEUPLES «NDZÉBI» P
DU CONGO BRAZZAVILLE
PAR L COLLARD
a thèse de Pascal-Alain Leyinda
emprunte une hypothèse défendue par
Pierre Parlebas selon laquelle en imposant ses normes occidentales, le sport rompt
les attaches à l'égard du terroir et risque de
provoquer un véritable déracinement culturel.
Réputé gratuit et désintéressé, le sport est une
sorte de cheval de Troie du monde industriel
susceptible d'envahir et de jeter aux oubliettes
les valeurs inhérentes aux jeux du patrimoine.
Devant la séduction des spectacles sportifs, les
tenants des autres cultures en viennent parfois
à dévaloriser eux-mêmes leurs propres pratiques, notamment en Afrique dont il est question dans cette thèse. Le seul moyen de ne pas
céder à la tentation du sport occidental est
peut-être de dévoiler les potentialités socialisantes et la proximité des jeux traditionnels
avec leur culture d'appartenance. C'est la
mission qu'entend poursuivre P. A. Leyinda.
En France depuis une dizaine d'années mais
ayant de très fortes attaches au Congo, ce professeur d'EPS, attaché temporaire de
recherche (ATER) à l'université de Picardie
Jules Verne, choisit d'identifier les traits
caractéristiques de la quarantaine de jeux
sportifs des peuples Ndzébi. Ces jeux sont-ils
L
18
L
sion, P. A. Leyinda utilise également les résultats de 30 entretiens réalisés in situ auprès de
représentants Ndzébi. L'indice de ressemblance des entretiens est de 69 %, ce qui
témoigne d'une forte homogénéité de
réponses. Le discours des Anciens tend à
confirmer les données issues de l'analyse
observationnelle. « Les garçons - dont l'éducation se fait essentiellement dans le "hangar", la maison des hommes - se socialisent
vers l'opposition comme valeur distinctive »
écrit P. A. Leyinda, alors que « presque tous
les jeux des filles sont de type coopératif »
(p. 334). La maison spéciale des hommes et la
cuisine des femmes sont deux sanctuaires
contrastés dont le seul dénominateur commun
est représenté par «l'aîné» qui a barre sur toute
la communauté. D'où, selon P. A. Leyinda la
prégnance des jeux dissymétriques (jeux qui
mettent en présence des joueurs détenteurs de
droits et d'interdits non similaires) avec forte
centralité (existence de joueurs au statut
dominant, point de passage obligé pour les
communications motrices).
ette sociologie à partir des jeux invite en
permanence le lecteur à croiser les
répartitions des jeux Ndzébi avec celles
du sport moderne. C'est souvent des contrastes
que naissent les résultats les plus parlants. Les
comparaisons ne servent pas tant à insister sur
les clivages entre civilisations, qu'à mettre en
exergue les particularités intrinsèques de chacune d'entre elles. Par exemple : les duels
symétriques (jeux qui placent deux joueurs ou
deux équipes que tout oppose dans des conditions semblables - 27,5 % des jeux Ndzébi)
sont certes plus importants que les duels dissymétriques (15 %). Est-ce à dire que le peuple
Ndzébi privilégie une recherche d'affrontement en miroir, avec parfaite égalité des
chances ? En fait, si l'on compare ces résultats
au sport, le point de vue va nous dévoiler une
autre réalité. En France, 55 % des sports sociomoteurs sont organisés sous forme de duels
symétriques (football, tennis, judo) ; par
contre les duels dissymétriques sont quasiinexistants (baseball). A côté, les 27,5 % de
duels symétriques des Ndzébi font pâle figure,
alors que la teneur en duels dissymétriques
apparaît soudainement plus importante... Et
tout l'intérêt du travail de P. A. Leyinda est
qu'en mettant en perspective cette culture
ludique africaine il nous permet d'éclairer
notre propre culture motrice. Ouvrant la porte
à de multiples réflexions dans le domaine de
l'ethnologie, cette thèse fondée sur une analyse pointue des jeux africains offre en outre
une possibilité de débouchés intéressants des
travaux de praxéologie motrice.
Luc Collard
C
Cette thèse en sciences sociales a été soutenue
le 23 juin 2005 à l'université Paris V Sorbonne.
Elle a obtenu la mention très honorable avec félicitations. Le jury était composé de Bertrand During,
président de jury professeur des universités,
Paris V. Pierre Parlebas, directeur de thèse, professeur emèrite, Paris V. Luc Collard, rapporteur,
maître de conférences HDR, université de Picardie Jules Verne, Amiens. Abel Kouvouama, rapporteur, professeur des universités de Pau et des
pays de l'Adour.
Revue EP.S
n°328
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