Corpus_de_textes_Camp_de_Trostenets-1-

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Camp de Trostenets (Biélorussie)
Corpus documentaire traduit par Clara Lamarque, notes de Vincent Boulet
Les documents suivants se rapportent au ghetto de Minsk et au camp de concentration de
Trostenets. Le camp de Trostenets est d’abord une exploitation agricole pour les SS. Il devient
camp de concentration suite à la visite de Himmler et d’Eichmann à Minsk en avril 1942. Le
camp du « petit Trostenets » est « un lieu d’extermination d’envergure internationale ». Il
devient le lieu de l’exécution systématique de la population juive de Minsk, ainsi que de
déportés d’Europe occidentale. Des détenus du ghetto de Minsk y furent exécutés en juillet
1942 lors du pogrom massif qui y est alors conduit. Après la liquidation du ghetto en octobre
1943, seuls 200 Juifs restent à Trostenets et sont employés au travail forcé. Des unités de
l’organisation TODT demeurent également dans le camp. On estime entre 206 000 le nombre
de victimes dans le camp. En octobre 1943, le sonderkommando 1005 exhume les corps et
les brule, ce qui rend tout décompte précis presque impossible. La Commission
extraordinaire d’État soviétique sur les crimes nazis évalue le nombre de corps enterrés dans
les fosses communes à 150 000. Le camp est gardé par 7 compagnies de police de Lituaniens,
de Lettons, d’Estoniens, d’Ukrainiens, de Biélorusses et d’Allemands vivant en URSS
(volksdeutsche). Les Lettons, qui prennent part à l’exécution des Juifs au camp de
Blagovchtchina, filiale de Trostenets, appartiennent au sonderkommando Arajs. En 1943, ils
participeront aux opérations massives de répression en Biélorussie, telle que « Magie
d’hiver » (Winterzauber), et constitueront l’armature des 15e et 19e divisions de Waffen-SS.
Une unité de gendarmerie y est basée à partir de mars 1943. Les derniers détenus du camp
sont exterminés fin juin 1944. L’Armée rouge libère le camp le 3 juillet 1944.
Le camp de Trostenets est documenté par la presse clandestine dès 1943, puis par les
enquêtes de la Commission extraordinaire d’État soviétique sur les crimes nazis. En 1944, la
commission publie dans une brochure les résultats de ses travaux sur ce camp, puis, en 1946,
un recueil de documents. A partir des années 1990, différents travaux ont été menés sur le
camp de Trostenets : en 1965 paraît le recueil de documents sur « Les crimes des occupants
fascistes allemands en Biélorussie », suivi en 2003 d’une première synthèse consacrée au
camp de Trostenets, puis en 2008 de l’ouvrage sur « La perpétuation de la mémoire des
défenseurs de la patrie et des victimes de guerre en Biélorussie 1941-2008 » et enfin, en 2015,
du recueil « Documents sur la grande guerre patriotique en Biélorussie 1942-1991 ».
Les documents publiés ici ont été publiés dans le recueil de document « Trostenets: la
tragédie des peuples d’Europe, la mémoire en Biélorussie » (Trostenets : tragediia narodov
Evropy, pamiat’ v Belarusi. Dokumenty i materialy/Sost. V.I. Adamushko, V.D. Selemenev i
dr., Minsk, 2016 – Тростенец: Трагедия народов Европы и память в Беларуси.
Документы и материалы/ Сост. В.И. Адамушко, В.Д. Селеменев и др. Минск, 2016)..
Deux des documents originaux (n°85 et 98) proviennent du fonds 1363 des Archives
nationales de Belarus, consacré aux procès de l’après—guerre des criminels de guerre
allemands et collaborateurs qui ont eu lieu en Biélorussie, dont l’inventaire a été traduit en
français par l’AEHREE en 2016.
Les titres sont repris des documents originaux traduits. Le résumé des documents est établi
par nos soins.
Bibliographie :
Kholokost na territorii SSSR, Entsiklopediia/Red. I.A. Al’tman, Moskva : ROSSPEN, 2009.
Trostenets : tragediia narodov Evropy, pamiat’ v Belarusi. Dokumenty i materialy/Sost. V.I.
Adamushko, V.D. Selemenev i dr., Minsk, 2016
N°65. Acte de l’examen médico-légal des lieux d’exécution par les hitlériens dans le
camp de Blagovchtchina1
Récit de l’ouverture des trente-quatre fosses communes par la Commission extraordinaire
d’État les 20 et 21 juillet 1944.
20-21 juillet 1944
Étant arrivés sur le lieu du crime, où les bandits fascistes allemands ont fusillé et
enterré les citoyens de Minsk et des villages environnants, le 20-21 juillet 1944, moi,
È.Naumovič, médecin expert médico-légal, les membres de la commission, l'avocat
militaire Semenov et le président de la commission médicale Stelʹmašonok avons
découvert : un vaste espace de deux hectares protégé de la route par des clôtures et des
branches de pin, avec à sa droite, un buisson et, à sa gauche, les souches des arbres abattus
de la forêt. Sur cet espace, du gazon par endroits avec un peu d’herbe, mais pour le reste,
du sable recouvert par les branches d’un tremble et d’un sapin déjà sec et ayant perdu sa
verdeur. En enlevant ces branches, il a été découvert de la terre tassée sur les bords qui,
au cours de la fouille, s’est révélée être une fosse. Des fosses comme celle-ci, il y en a 34.
Autour d’elles, presque sur toute la surface de l’ancienne forêt, une multitude d’ossements
humains, comme des côtes, des vertèbres, des os du crâne, mais aussi des cheveux avec
des peignes et des affaires : des livres, des montures de lunettes, des mouchoirs, des bas,
des dentiers, des fourchettes, des couteaux, des casseroles, des cuillères, des portemonnaie, des canifs, etc. Pendant la fouille de ces fosses, par exemple, il a été
découvert dans la fosse n°1: à une profondeur de trois mètres, apparaît de la terre sous la
forme d’une couche grisâtre, composée de minuscules os de couleur blanchâtre, de la
cendre. Cette couche s’étendait sur près d’un mètre de profondeur, après quoi se trouvait
une surface noirâtre à l’odeur fétide et cinq rails disposés dans la longueur de la fosse. Sur
la surface autour des fosses, de la cendre avec de minuscules ossements blanchâtres, des
morceaux de charbon grillé.
Dans la fosse n°3, pendant l’exhumation, a été découvert ce qui suit : à une
profondeur de cinquante centimètres de la surface est apparue de la cendre de couleur
grisâtre, composée de minuscules ossements blanchâtres, de même que des vertèbres
humaines brûlées, des côtes et des clavicules. Toute cette couche est clairement délimitée
sur la coupe du sol sablonneux de la couche superficielle et mesure 1 mètre de
profondeur. Plus profondément encore après cette couche, il a été découvert une masse à
l’odeur fétide et de couleur noirâtre, dans laquelle des rondins carbonisés sont posés dans
une position longitudinale et transversale. Sous l’un de ces rondins se trouve un cadavre
humain en décomposition sous forme de morceaux (fragments) distincts, à savoir : un
membre supérieur, les tissus mous, le crâne avec les cheveux, les os du bassins, etc.
Dans la fosse n°6, il a été découvert. Durant l’exhumation de cette fosse, il a été
découvert, à une profondeur de 3 mètres de la surface, des cendres composés de
minuscules morceaux d’os, des morceaux de charbon carbonisés, de même que des
vertèbres humaines brûlées , des côtes et des clavicules, des phalanges et d’autres choses.
Il émane une odeur fétide de la fosse. Parmi les cendres et des ossements ont été
découverts des effets personnels des victimes, par exemple, une galoche en caoutchouc,
Blagovchtchina est l’un des camps de l’ensemble concentrationnaire de Trostenets. C’est le lieu des
exécutions de masse. En novembre et décembre 1943, le SD utilise les prisonniers de Minsk pour brûler
environ 100 000 corps des personnes qui y ont été exécutées.
1
des morceaux de tissus, des fourchettes en fer, des couteaux, une chaussure, un portemonnaie.
Dans la fosse n°11, à une profondeur de 2 mètres de la surface, il a été découvert
des cendres et des branches de pin.
Dans la fosse n°19, il a été trouvé : à une profondeur de 2,5 mètres de la surface, il
a été découvert de la cendre avec des ossements humains brûlés. Autour d’eux, une
multitude d’effets personnels des victimes : des mouchoirs, des fils, des montures de
lunettes,
des
carnets,
des
porte-monnaie
et
d’autres
choses.
Conclusion: en vertu de l'examen médico-légal et de la fouille du lieu du crime et
des atrocités des bandits fascistes-allemands dans la forêt de Blagovchtchina et des
données du document d’instruction, j’estime que, dans le présent emplacement,
l’ancienne forêt de Blagovchtchina, des cadavres humains ont été enterrés. Après un
certain temps, les cadavres ont été brûlés et les cendres, à nouveau enterrées dans ces
fosses. A en juger par le nombre de fosses, leur taille, la couche de cendres, les os, ainsi
que les données du document d’instruction, j’estime qu’au moins 500 000 civils ont été
enterrés dans l’ancienne forêt de Blagovchtchchina.
Le médecin expert médico-légal
Naumovič
Archives d’Etat de la Fédération de Russie, fonds 7021, opis 87, dossier 123, partie 1, fol.
35-35v, original, manuscrit.
N°85. Extraits du protocole d’interrogatoire de l’ancien agent de la police de
sécurité et du SD à Minsk I. Ruisa
I.Ruisa est interrogé sur les activités de la Kripo à Minsk et de ses responsabilités dans
l’arrestation des Juifs.
Vienne
29 avril 1945
[…] Question : En quelle langue souhaitez-vous faire la déposition ?
Réponse :
Je
souhaite
faire
ma
déposition
en
allemand.
Question : Que faisiez-vous avant la guerre ?
Réponse : De 1919 à mai 1942 je travaillais au sein de la police criminelle au poste de
secrétaire général pénal [de la police criminelle, n. d. t.]
Question :
Avez-vous
servi
dans
l’armée
pendant
la
guerre ?
Réponse : Pendant la guerre, je n’ai pas servi dans l’armée.
Question : Comment vous êtes-vous trouvés en Union Soviétique ?
Réponse : Le 6-7 mai 1942, j’ai reçu un ordre du chef de la police de Vienne, Kopkenst, de
partir à Berlin. Je suis arrivé à Berlin le 14-15 mai, où j’ai été équipé d’un uniforme de la
SS
et
envoyé
à
Minsk,
où
je
suis
arrivé
le
22-23
mai.
Question : Que faisiez-vous à Minsk ?
Réponse : A Minsk, je travaillais dans le Département V de la police de sécurité (Sipo) : la
Kripo, en qualité d’enquêteur en affaires pénales, considéré comme Sturmscharführer2,
2
Plus haut grade de sous-officier dans la Waffen SS.
j’ai travaillé à ce poste jusqu’en décembre 1942, ensuite, je suis tombé malade et j’ai été
envoyé à Vienne.
Question : Quelles fonctions exerçait le Département V ?
Réponse : Le Département V exerce des fonctions de lutte contre le vol, la spéculation et
d’autres éléments criminels.
Question : Quelles fonctions avez-vous exercées personnellement, en travaillant dans le
Département V ?
Réponse : Je menais l’investigation sur les affaires pénales, après quoi, les documents
étaient ensuite portés devant le tribunal et l’on procédait aux arrestations.
Question : Combien de personnes ont été arrêtées d’après vos dossiers?
Réponse : Environ 150 personnes ont été arrêtées sur mes dossiers.
Question : En travaillant dans le Département V, avez-vous reçu des documents
concernant des juifs ?
Réponse : Oui, j’ai reçu des documents concernant des juifs, un individu sur 100-150. Ces
documents, je les ai transmis au Département IV B, la section les arrêtait et les envoyait
dans le ghetto juif ; on les exterminait ensuite dans des gaswagen et on les fusillait.
Question : Quelle a été votre participation dans le travail de le département IV B ?
Réponse : Je protégeais les convois arrivant de Nuremberg et d’autres villes avec des juifs
qui étaient ensuite transportés dans un domaine à 5-6 km de Minsk, où on les emmenait
dans des gaswagen dans la forêt et où on les fusillait aussi. En outre, je séparais les
individus des auxiliaires pour l’exécution des juifs et leur escorte jusqu’aux gaswagen. Je
gardais également le lieu de déchargement des cadavres des juifs des gaswagen.
Question : Combien de juifs ont été exterminés au cours de votre service dans le
Département V B ?
Réponse : Sur la période de mon service dans le Département V B à Minsk, 5 à 6 000
individus ont été tués dans les gaswagen et fusillés, mais c’est approximatif, il y en a peutêtre eu davantage.
Question : Qui connaissez-vous parmi les personnes résidant actuellement à Vienne et
ayant servi avec vous dans la police de sécurité à Minsk ?
Réponse : Je connais Buhner Karl, il travaillait dans le Département IV B; Eigeman Igann,
il travaillait dans le Département V B, mais il était souvent envoyé en mission dans le
Département IV B pour le travail; et Fridl Ernst, il travaillait dans le Département V. En
tout il y avait 11 personnes de Vienne qui travaillaient, mais je ne sais pas où se trouvent
maintenant les autres.
Archives d’Etat de la Fédération de Bélarus, fonds 1363, opis 1, dossier 66, fol. 315-316,
original, manuscrit. Publié : Le camp de la mort de Trostenets… p.124-126
N°98. Issu du protocole d’interrogatoire de l’ancienne détenue du camp de
Trostenets M.M Zareckaâ
Récit des pogroms conduits dans le ghetto de Minsk et des conditions de détentions et
d’exécutions dans le camp de Trostenets
Minsk
23 décembre 1945
[…] Question : Où habitiez-vous et quel travail exerciez-vous pendant l’occupation
allemande de la ville de Minsk ?
Réponse : Pendant l’occupation de la ville de Minsk par les Allemands, j’ai toujours vécu
dans le ghetto, où tous les juifs se trouvaient derrière des barbelés. Le SD surveillait
intensivement cette zone afin d’empêcher les contacts avec la population de la ville.
D’octobre 1943 au 29 juin 1944, je me trouvais dans le camp de concentration de
Trostenets, de l’oblast et de la région de Minsk. Le 29 juin 1944, je me suis évadée du camp
de concentration car les Allemands, lors de la retraite, brûlaient vivants ceux qui se
trouvaient là et, jusqu’à l’arrivée de l’Armée Rouge je me suis cachée près du village de
Sabaný de la région et l’oblast de Minsk.
Durant la période où je me trouvais dans le ghetto de Minsk, de 1942 à octobre
1943, je travaillais dans les garages du SD comme femme de ménage et j’aidais à sortir
des outils. Pendant mon séjour dans le camp de concentration, je travaillais à la
blanchisserie comme blanchisseuse.
Question : Que savez-vous des atrocités commises envers les citoyens soviétiques de la
part des envahisseurs Allemands ?
Réponse : Les Allemands ont rapidement mis en place le ghetto après leur arrivée dans la
ville de Minsk3, d’abord, ils ont imposé une contribution individuelle à chaque juif, une
rançon, en déclarant qu’après cela, serait prétendument laissée en paix4.
Dès les premiers jours, les Allemands ont rassemblé toute l’intelligentsia de
nationalité juive, près de 2000 individus de sexe masculin, et les ont envoyés dans le camp
formé près du village de Drozdy dans la région de Minsk, où ils vivaient en plein air, sans
eau ni nourriture pendant 8 ou 10 jours, ensuite, ils les fusillaient5. C’est Mariâ Bogdanova
qui m’a parlé de cela, elle a été fusillée par les Allemands en 1943.
Dans le ghetto, les Allemands procédaient à des pogroms de masse sous différents
prétextes, au total, ils en ont réalisé cinq. En outre, ils faisaient des pogroms nocturnes qui
maintenaient les habitants du ghetto dans une peur constante, car personne n’était
certain d’être encore en vie le lendemain. Dans le ghetto, les Allemands traitaient
brutalement les juifs et, sous les yeux de la population, ils fusillaient même les enfants, les
vieillards et les malades qui se trouvaient à l’hôpital.
Question : Expliquez en détail les pogroms de masse survenus dans le ghetto de Minsk ?
Réponse : Le premier pogrom de masse dans le ghetto a eu lieu le 7 novembre 1941. Vers
7 heures du matin plusieurs quartiers ont été encerclés par la police et le SD6. Après cela,
les fonctionnaires du SD et de la police, ivres, ont chassé tous les juifs des appartements
dans la rue avec des matraques en caoutchouc et les ont aligné en colonnes dans lesquelles
se trouvaient des hommes, des femmes, des vieillards et des enfants. Quand les allemands
ont eut pris des photographies de ces colonnes, les juifs ont été évacués dans des véhicules
fermés à la périphérie de la ville, dénommée Toutchinka.
J’étais, moi aussi, dans ces colonnes, mais j’ai pu me cacher. En rentrant du lieu du
massacre, Kantin m’a raconté que les juifs amenés à Toutchinka avaient été déshabillés,
après quoi on les avait poussé dans une fosse, arrosé de chlorure de chaux et enterré
vivants sous la terre. La terre sous laquelle les gens avaient été recouverts a longtemps
Le ghetto de Minsk est créé le 20 juillet 1941
Cette rançon, imposée avant la création du ghetto, est de 2 millions de roubles, 200 kg d’argent et 10 kg
d’or. Les Allemands prennent 300 otages le temps de la levée de la rançon. En septembre 1941, une autre
rançon de 11 kg d’or et d’un million de roubles est imposée à la population du ghetto. Enfin, en octobre
1941, toutes les liquidités possédées par la population juive sont confisquées.
5 Le camp de Drozdy, situé à 5km au nord de Minsk, est le lieu des premières exécutions de masse de la
capitale biélorusse. 1050 « intellectuels » juifs sont exécutés entre le 15 et le 17 juillet 1941.
6 Il s’agit du sonderkomando 1b de l’einsatsgruppe A, commandé par Erich Erlinger (1910-2004).
3
4
remué. Kantin disait qu’il avait été sélectionné parmi les autres hommes juifs pour
enterrer les personnes vivantes dans les fosses.
Lorsqu’ils avaient enterré toutes les personnes vivantes dans les fosses, alors les
Allemands fusillaient tous ceux qui les avaient creusées. Pendant la fusillade, Kantin luimême a été blessé et a fait semblant d’être mort. Quand la nuit est tombée, il a rampé hors
de la fosse et est entré dans le ghetto où il s’est couché, souffrant. Avant mon départ dans
le camp de concentration de Trostenets, les Allemands ont fusillé Kantin avec d’autres
malades.
Ainsi, au cours de cette journée, près de 25 000-30 000 innocents ont été
exterminés7. Pour cacher ce massacre de la population juive, les Allemands ont écrit dans
leur journal que ce pogrom était dû au fait que les juifs, comme les bolcheviks, voulaient
organiser une manifestation en l’honneur de la révolution d’Octobre.
Le deuxième pogrom de masse dans le ghetto a eu lieu le 20 novembre 1941.
Plusieurs quartiers du ghetto ont été encerclés par les policiers Allemands et le SD et, sous
prétexte de les envoyer travailler dans d’autres quartiers, ils ont expulsé les juifs dans la
rue. Ayant choisi près de 5 000 individus, ils les ont envoyé dans un lieu qui m’est inconnu.
Il y a eu une rumeur, dans le ghetto, qui disait que ces 5 000 personnes avaient été
fusillées8.
Le troisième pogrom de masse a eu lieu le 3 mars 1942. Dans la matinée, les
Allemands ont annoncé qu’un appel aurait lieu sur la place du Jubilé. Quand la masse du
peuple s’est assemblée, alors on a encerclé cette troupe et on a commencé à la fusiller. J’ai
moi-même vu cela personnellement. Pendant, plusieurs jours, on a traîné les cadavres
fusillés de la place du Jubilé dans d’autres rues adjacentes à la place, et ensuite, on les a
enterrés dans une ancienne décharge publique de la rue Zaslavskaya. Pendant cette
journée, près de 5 000 citoyens soviétiques ont été fusillés9.
Le quatrième pogrom de masse et le plus effroyable a eu lieu le 28 juillet 1942 et a
duré pendant 4 jours. Cette fois, tout le ghetto a été encerclé par les troupes SS, les
policiers et le SD ainsi que par les soldats des unités militaires10.
Les fonctionnaires du SD ont expulsé tout le monde des maisons et ont fusillé sur
place ceux qui ne pouvaient marcher. Ayant chassé tous les habitants, les Allemands ont
commencé à transporter les juifs dans des véhicules couverts en dehors de la ville et on a
emporté la plus grande partie dans des gaswagen, dans lesquels ils ont entassé 70-80
personnes. C’était si étroit dans les gaswagen qu’on a dû fermer les portes à la force de
plusieurs personnes. Lors du chargement dans les gaswagen, les gens ne montaient pas
volontairement et opposaient de la résistance, les Allemands les attrapaient et les jetaient
avec force. Cachée, j’étais assise dans un grenier et, de là, je voyais toute la scène.
En dehors de l’évacuation des personnes dans les gaswagen et dans les véhicules,
on acheminait à pied en dehors du- ghetto, mais où, je ne sais pas. Ainsi, pendant ces
quatre jours, on a évacué et exterminé près de 30 000 personnes, dont des Hambourgeois,
des Viennois, des Tchèques et des Juifs d’autres pays.
En octobre 1943, j’ai été attrapée par les Allemands avec 30 personnes et envoyée
dans le camp de concentration de Trostenets où se trouvaient les prisonniers de guerre
russes soi-disant détenus pour différents crimes.
D’après les estimations actuelles, ce pogrom a fait entre 6 000 et 15 000 victimes.
Sans doute entre 5 000 et 7 000 victimes.
9 Il s’agit de l’ « Aktion Purim », menée par du sonderkomando 1b de l’einsatsgruppe A, avec le renfort du
SD et des polices lettones et ukrainiennes. Il y a sans doute entre 5 000 et 7 000 victimes.
10 Parmi lesquels la police ukrainienne et des SS lettons.
7
8
Deux semaines plus tard, j’ai entendu qu’un cinquième pogrom avait été réalisé
dans le ghetto par les allemands, à la fin d’octobre 1943. Un témoin, Nadežda Šaban,
décédée plus tard, pendant les bombardements, m’a raconté que les Allemands ont
expulsé tous les juifs dans la rue Šornaâ, où se trouvait un camp de concentration de
divers contingents, les ont gardés deux jours sans eau ni nourriture et les ont ensuite
chargés dans des wagons de marchandises et envoyés dans la ville de Lublin, où on les a
brûlés dans des fours crématoires. Au total, environ 7 000-8 000 citoyens soviétiques ont
été brûlés dans ce groupe11.
Tout au long de l’existence du ghetto, les allemands ont procédé à des massacres
de la population juive sous différents prétextes. Ils menaient des pogroms nocturnes avec
pour objectif l’extermination systématique des citoyens soviétiques.
En juillet 1942, sur la suspicion de relations d’un seul Juif avec des partisans, les
Allemands ont encerclé la maison où vivait ce Juif, ont expulsé tous les habitants de la
maison dans la rue et les ont fusillés.
Au début de l’année 1943, dans la nuit noire, les Allemands ont mis le feu à
plusieurs maisons de la rue Zamkovaâ avec des grenades et ont fusillé à l’arme
automatique les gens qui essayaient de fuir l’incendie.
Question : En travaillant dans les garages du SD, vous est-il arrivé de voir des gaswagen ?
Réponse : Oui, quand je travaillais dans les garages du SD, j’ai vu des gaswagen qui se
trouvaient là pour être nettoyés ou réparés, il y en avait environ 6. Après chaque
opération, le gaswagen passait au nettoyage.
J’ai vu là des mâchoires de fausses dents, des cheveux, des excréments et du sang.
Les personnes qui s’occupaient du nettoyage, il m’est difficile à présent de me souvenir de
leurs noms, me disaient qu’à l’instant où commence à arriver le gaz dans le gaswagen, les
gens qui se trouvaient à l’intérieur s’arrachaient les cheveux, se déchiraient la bouche et
ce supplice se prolongeaient pendant 5-10 minutes.
Question : Expliquez en détail ce que vous savez des atrocités commises par les Allemands
dans le camp de Trostenets.
Réponse : Dans le camp de concentration de Trostenets, les Allemands ont exterminé des
dizaines de milliers de citoyens soviétiques, ils ont construit un crématorium à l’intérieur
du camp où, jour et nuit, brûlaient les cadavres des citoyens soviétiques fusillés.
Pendant mon séjour dans le camp de concentration de Trostenets, 90 convois avec
des Juifs de différents pays, à raison de 90 000 individus, sont arrivés. Ils ont tous été
fusillés. Tous les malades étaient exterminés dans le camp de concentration même alors,
les Allemands eux-mêmes inoculaient aux prisonniers différentes maladies infectieuses
et épidémiques. A cette fin, ils donnaient aux prisonniers affamés les cadavres putréfiés
des chevaux restés au soleil pendant une semaine ou deux en été.
Pour la moindre incartade, et dans la plupart des cas sans aucune raison, les
prisonniers étaient soumis à une torture brutale jusqu’à la perte de connaissance et
étaient pendus. Pour dissuader les prisonniers, les cadavres des pendus restaient
suspendus dans le camp pendant 3-5 jours.
Les prisonniers étaient condamnés à la famine, une fois par jour, on leur distribuait
un demi-litre de balanda (soupe) et de 200 grammes de pain. Beaucoup sont morts
11
Il s’agit de la liquidation finale du ghetto.
d’épuisement et de faim. Jour et nuit, des exécutions de citoyens soviétiques avaient lieu
et l’on entendait continuellement des tirs de fusil et de mitrailleuse. On brûlait les
cadavres des fusillés parce que, du camp, on voyait un immense feu flamboyant et une
odeur insupportable du fait de la combustion des cadavres. Toutes ces brutalités, ces actes
de violences et ses tortures étaient dirigés par les hommes de l’officier Rider.
Le 29 juin 1944, lorsque les Allemands ont commencé à battre en retraite, 500
prisonniers du camp de Trostenets ont été rassemblés dans l’étable dans laquelle se
trouvaient les chevaux, les vaches et les cochons. La cour a été arrosée de matière
inflammable et incendiée. On fusillait sur place les personnes qui essayaient de s’enfuir. A
ce moment là, moi et encore quelques autres personnes nous sommes enfuis du camp et
cachés dans le seigle. On pouvait voir que tout le camp était en proie aux flammes et
entendre des tirs incessants à l’arme automatique.
Question : Qui des responsables des crimes commis sur les citoyens soviétiques, dans le
ghetto mais aussi dans le camp de concentration de Trostenets, connaissez-vous ?
HRéponse : De 1941 à 1943, le chef du ghetto était Hotenbach, les pogroms du 7 novembre
1941, du 20 novembre 1941 et du 3 mars 1942 ont été réalisés sous sa direction. En 1943,
le chef du ghetto était Menzel, je ne connais pas son grade, et ensuite Ribe, je ne connais
pas non plus son grade. L’officier Müller, du SD, dirigeait au dessus de tous, je ne connais
pas non plus son grade.
Le chef du camp de concentration était l’officier Lüziger, son adjoint, Èjhe,
maîtrisait bien la langue russe. Le principal bourreau du camp de Trostenets, dont je ne
connais pas le grade, mais de nom de famille Rider, dirigeait et fusillait lui-même les
citoyens soviétiques. […]
Archives nationales de la République de Bélarus, f.1363, opis 1, Д.2855, folio 55-59, copie
conforme.
N°128. Extrait du procès-verbal d’interrogatoire de l’ancien soldat du 3ème
compagnie du 11ème bataillon de police lituanien M.M Vorobʹev, Minsk, 21 mars
1949
Récit de la liquidation du ghetto de Minsk en octobre 1943
[…] Question : Avez-vous pris part à d’autres opérations ?
Réponse : Je me souviens qu’à l’automne 1943, j’ai participé à l’élimination du ghetto juif
dans la ville de Minsk et à l’extermination massive de citoyens soviétiques de nationalité
juive.
Question : En quoi consistait votre participation dans la perpétration de ce crime ?
Réponse : Une nuit, le contingent de l’unité de Kraus, y compris moi, a été alerté par
l’alarme des casernes Pouchkine dans lesquelles nous étions installés, et envoyé dans le
centre de Minsk où se situait le ghetto juif sur l’espace de quelques quartiers. En arrivant
sur place, le chef de peloton, le lieutenant chef Emelʹânov, nous a ordonné, à moi et aux
autres soldats, de boucler le ghetto de l’extérieur du cimetière et de ne laisser personne
entrer ou sortir, et en cas de tentatives de fuite, de tirer sur les Juifs. Pendant près de vingtquatre heures je suis resté au poste de bouclage. Pendant ce temps, à plusieurs reprises,
moi et les autres soldats avons ouvert le feu à la carabine à travers les fenêtres des
maisons dans lesquelles vivaient les Juifs, en visant dans la vaisselle vide, sur les fenêtres
et dans les bouteilles. A l’aube, l’opération de capture et d’acheminement par véhicules
sur le lieu d’exécution des hommes, des femmes, des vieillards et des enfants vivant dans
le ghetto a commencé. De l’extérieur du cimetière, où je me tenais à mon poste, le
déroulement de cette opération n’était pas visible. Dans la matinée, avec le soldat Krylov,
je suis entré dans la cave d’une maison pour trouver quelque chose à manger. Dans la cave
nous avons trouvé une boîte de conserve et un peu de sucre, il semblait n’y avoir
personne. Pourtant, après notre retour, quelqu’un, probablement Krylov, a dit au vaporal
Mišukov Evgenij qu’il y avait des gens derrière le mur de la cave qui ne voulaient pas se
montrer et il s’est rendu au sous-sol avec une grenade. Après l’explosion de la grenade
jetée par Mišukov, neuf Juifs sont sortis de la cave. Mišukov les a fouillés et conduits au
centre du ghetto où ils ont été embarqués dans un véhicule, et de là conduits au peloton
d’exécution. Tous les deux avec Krylov, nous sommes allés dans deux maisons encore
mais n’y ai vu aucun Juif. Vers le soir, on nous a retiré de l’opération de bouclage, moi et
les autres soldats, et envoyé sur le lieu de la fusillade, à environ 10-15 kilomètres de
Minsk. Des bourreaux spéciaux procédaient à l’exécution des Juifs et, moi et les autres
soldats de l’unité de Kraus nous sommes restés au bouclage du lieu de la fusillade. Cela a
duré quelques jours, ensuite les corps brûlés des détenus ont été transportés par les
Allemands, et nous, sur le lieu du bouclage, nous empêchions les personnes extérieures
de pénétrer dans le lieu de mise à mort. Ces jours où je me trouvais au poste de bouclage
de la zone d'exécution, il m'est arrivé de voir comment ils fusillaient les femmes, les
vieillards et les enfants de nationalité juive et comment, après, ils brûlaient leurs corps.
Apparemment là-bas, près de cinq mille personnes ont été fusillées au total. Les
prisonniers qui avaient brûlé les corps des fusillés, les Allemands les ont eux aussi
exécutés, puis brûlés sur des bûchers. Combien de jours a duré cette opération
d’extermination massive de la population juive, je ne m’en souviens plus maintenant, mais
selon moi, au moins 10-12 jours. Après, j’ai à nouveau exercé la surveillance du camp de
concentration et de la prison à Minsk.
Question : Pourquoi minimisez-vous votre rôle dans l’extermination massive de la
population juive de la ville de Minsk et n’exposez-vous pas les atrocités que vous avez
personnellement commises ?
Réponse : Tout ce dont je me souviens concernant ma participation dans l’extermination
massive de la population juive, je l’ai indiqué. Il est vrai que j’ai omis un élément, mais, à
mon avis, il n'est pas important. Le fait que, lorsque les gens sont sortis de la cave dans
laquelle la grenade jetée par Mišukov a explosé, j’étais avec Mišukov, Vahovskij et Chved.
Nous avons exigé l’or des juifs. Une vieille femme juive nous a donné trois pièces en or de
cinq roubles. Mišukov en a pris deux et moi une. Pour faire court, nous avons pris de le
l'or à la vieille femme. Mišukov avait un penchant pour l’or et en cherchait partout. Je me
souviens qu’il faisait même sauter à coups de talon les fausses dents en or des cadavres et
les prenait avec lui. Et apparemment, il a lui-même tué une femme dont il a ensuite extrait
les dents.
Question : À quel endroit s’est produite la fusillade des citoyens soviétiques de nationalité
juive et combien de jours avez-vous été sur les lieux ?
Réponse : On fusillait les juifs dans des fosses creusées dans une petite forêt située à 1015 kilomètres de la ville de Minsk. En tout, je suis resté là-bas près de 10 jours.
Archives centrales du KGB de la République de Belarus, archives criminelles, dossier
5539, tome 3, folio 183-186*[…] Original. Manuscrit. Publié : Le camp de la mort de
Trostenets, p. 161-163.
N°136. Extrait du sténogramme de l’entretien du personnel du musée d’Etat
biélorusse de l’histoire de la Grande Guerre patriotique avec des témoins et anciens
détenus du camp de concentration de Trostenets
Minsk, 31 janvier 1960
Šuvaev […] On a amené 22 personnes de la prison de Minsk, et le 10 mai 1942, on a
commencé à faire venir des convois de l'Europe de l'ouest […] Pour la plupart ils étaient
Juifs. On les amené chaque mardi et tous les vendredis. En face de Trostenets se trouvait
une voie militaire et passaient des trains blindés. Ils s’arrêtaient et les gaswagen
s’approchaient près d’eux. Quand les gens se trouvaient dans ces fourgons, ils mourraient
par asphyxie au gaz. Les machines revenaient dans le camp, et nous, les détenus, on devait
les nettoyer. Dans les machines il y avait beaucoup de sang, des touffes de cheveux
arrachées, des prothèses dentaires.
A quoi ressemblait cette machine ? Les murs tapissés de fer-blanc lumineux, les portes
hermétiquement fermées. Aucune entrée d’air. Le gaz s'introduisait par les grilles. Ces
machines, je devais les nettoyer.
Le commandait était Eikhe, d’origine lettone ou estonienne. L’adjoint était un allemand
« Hoch » qui marchait avec un grand chien et une matraque. S’il voyait que l’un des
prisonniers ne pouvait courir ou marcher rapidement, il le tabassait avec cette matraque.
Ils nous nourrissaient de ce qu’ils obtenaient du massacre des Juifs. Ils découvraient des
choses apportées par les Juifs, trouvaient là des denrées alimentaires dont ils consacraient
une
partie
pour
l'alimentation
des
détenus.
Il est resté jusqu’au 23 août. 8 d’entre nous ont été libérés, et en tout 20 hommes. On les
a transportés dans la cité universitaire et fait sortir.
Après 1942, le groupe avec lequel j'étais lié a été dissout.
J'ai travaillé dans ce groupe jusqu'en 1943. Je suis allée dans la brigade de Pokrovsky.
Chez les partisans j’ai été blessé. Après la blessure, j’étais à Minsk. En octobre 1944, j’ai
rejoint l’armée et servi jusqu’en 194*.
Question : Quand vous a-t-on amené dans le camp, comment était-il, quels étaient les
bâtiments, où vivaient les détenus ?
Réponse : Le camp de concentration s’est organisé seulement lorsque l’on est arrivé. Il y
avait là une grange de kolkhoz. Rapidement 22 personnes ont été amenées et ensuite
chaque jour des gens ont commencé à être transportés. La porte de la grange a été retirée.
De la paille humide recouvrait le sol de la grange. Nous vivions là. Après cela on a
commencé à construire. On a construit une maisonnette pour le commandant et un
bâtiment pour les surveillants.
Les prisonniers russes n’étaient pas autorisés au-delà du camp de concentration. On
laissait quelques Juifs en vie, et ils travaillaient dans les services de corvée. Ils effectuaient
les travaux des champs. Seuls les Russes travaillent dans l’enceinte du camp. Les Lettons
le surveillaient. Il y avait un fil de fer barbelé autour. Là où se trouvaient les baraques des
allemands, il n’y avait pas de fil de fer, mais plus loin, là où étaient déjà les bâtiments pour
les prisonniers, un fil de fer avait été tendu.
Kantor […] Quand je suis arrivé au camp de Trostenets, il y avait déjà là un grand camp, il
y avait beaucoup de bâtiments. On m’a installé dans une grande grange où, plus tard, on a
brulé tout le monde. C’est là que je vivais. Là il y avait : une partie de Russes de Minsk,
mais une majorité de Juifs, issus des pays européens occupés. Des convois arrivaient et
deux fois par semaines des véhicules avec des personnes venaient dans le camp. On les
privait de leurs affaires et on transportait les gens à Blagovchtchchina où on les
exterminait. Il y avait déjà là près de 300 000 hommes.
A la fin de l’année 1943 on acheminait déjà moins de personnes. Derrière les barbelés, les
Allemands ont construit un four kiévien 78 : 8x8 et de 4 mètres de profondeur. Un
bataillon ukrainien de Kiev est alors arrivé. Parmi eux il y avait quelques bons individus
qui donnaient de quoi préparer la construction du four de modèle kiévien. Les bataillons
roumains et hongrois servaient là. Ainsi il y avait dans la surveillance des Ukrainiens, des
Roumains et des Hongrois. Voilà qui surveillait ce camp de concentration. Dans les
premiers temps où le four a été construit, on y amenait la population des villages. Dans la
journée on utilisait des véhicules.
Quelques-unes de ces machines étaient ouvertes et d’autres étaient des gazwagen. Les
véhicules s’approchaient en marche arrière et les gens y étaient jetés directement. Il y
avait beaucoup de femmes et d'enfants. On les poussait vers le four et on les brûlait
vivants. C’était principalement les bourreaux hongrois qui faisaient cela.
C’était avant 1943.
Evidemment, les Allemands sentaient qu'on allait peu à peu découvrir leurs atrocités.
Pour cacher les traces des crimes, ils ont incendié la forêt où ils brûlaient les cadavres.
C’était en mai 1943. Et pendant quelques mois, nuit et jour, la forêt brulait. Une étrange
puanteur émanait du camp.
En avril 1943, moi, un Tatar et un Russe qui était charretier, avons décidé de nous enfuir.
On a essayé, mais l’évasion n’a pas réussi. Les Allemands avec des chiens nous ont rattrapé
et ramené dans le camp. Après cela, j’ai été placé dans une petite maisonnette. Dans cette
maisonnette il y avait une chambre dans laquelle se déroulaient l’interrogatoire et la
torture. La chambre n’était pas grande 2 mètres sur 3, recouverte de carreaux blancs. Là,
on battait et on torturait les gens bizarrement. Comment cela se faisait ? Debout dans un
angle, le visage contre le mur et deux Allemands allaient et venaient et frappaient les gens.
De telles tortures duraient parfois des journées entières ? On traînait l’individu dans la
cour quand sa peau ressemblait à un solide morceau de viande ensanglanté. On sortait
l’homme défiguré et on le forçait à creuser une fosse. C’était comme ça, et avec moi aussi.
Vers le soir, quand je creusais ma fosse, Eikhe est arrivé, il me connaissait et dit : « Assez,
demain nous t’interrogerons. ». Le lendemain, le docteur a été bon et m’a pardonné dans
la bonne humeur.
Au mois de juin, il y a eu une canonnade audible dans le camp. Les allemands comprirent
cela comme un combat mené avec les partisans, et effectivement c’était une offensive de
notre armée. Un jour, très tôt le matin, Rider est arrivé avec un groupe entier d’Allemands.
Ils sont venus vers notre grange. Quelques jours avant cela, ils avaient commencé à
apporter des rondins. Cela nous paraissait étrange car la scierie était à un autre endroit.
On apportait et on commençait à répartir les rondins, un mètre sur un mètre et empilés
sur 4 rangées. Quand Rider est arrivé avec le groupe d’Allemands, il dit : « Ici ils seront
exterminés ». Je me tenais là avec encore quelques jeunes gars et compris que la fin du
camp était venue. Et en effet, une demi-heure après nous avons vu quelques dizaines de
véhicules entrer dans le camp, les Roumains et les Hongrois se sont assis dans les voitures
et sont partis. Le camp est resté sans surveillance. De loin nous avons vu que d’autres
véhicules allaient dans le camp. C’était le groupe SD d’extermination. Nous avons compris
que le camp allait rester sans surveillance pendant 15-20 minutes et 20-30 hommes se
sont jetés dans le blé. Nous y sommes restés couchés là pendant des jours. Nous
entendions comment se déroulait la fusillade massive des gens dans le camp. Après cela,
nous sommes partis plus loin et, de cette manière, nous avons pénétré dans Minsk un mois
après parce que nous avions marché par les forêts et atteint la Biélorussie occidentale, on
était arrivé à Novogroudok. A Novogroudok, nous avons appris que ce territoire était
libéré.
Question : Quel travail avez-vous effectué là-bas et quelles étaient les conditions de vie,
comment vous nourrissait-on ?
Kantor : Je suis mécanicien de profession. Dans le camp, je travaillais dans l’atelier de
serrurerie. Il y avait là un bel atelier de serrurerie. Des Juifs amenés d’Autriche
travaillaient dans cet atelier. Un camarade forgeron qui, désormais, habite à Borissov,
travaillait là. Il y avait une grande exploitation dans le camp de concentration qui
nourrissait le SD à Minsk. Il y avait beaucoup de vaches, de moutons. On semait là-bas. A
un moment j’ai été porteur d’eau, je transportais l’eau dans la porcherie, aux moutons, je
portais l’eau pour notre cuisine. De quoi avons-nous été nourris ? Les allemands
emmenaient la bonne viande au SD à Minsk, et dans notre cuisine il restait les déchets.
Chacun avait sa gamelle ou son écuelle, sa cuillère et, une fois par jour, on nous versait la
soupe, parfois sans kacha. On nous donnait 200-250 grammes de pain par jour. On nous
donnait du pain gris et du thé. On pouvait prendre de l’eau à volonté d’autant plus qu’il y
avait un lac à proximité. Il y avait des bains où l’on allait se laver.
Un jour, on m’a mis au triage de graines. Dans le camp, au deuxième étage où se trouvait
la remise on empilait les graines. J’ai été préposé à ce travail. On transportait de la farine
avariée depuis l’usine de panification de Minsk et on me forçait à tamiser cette farine. On
ne me donnait pas à manger, et je pensais que j’allais mourir de faim. Il s’est avéré qu’une
aide inattendue est arrivée de personnes inconnues, des travailleurs de l’usine. Il s’est
avéré que dans l’usine de pain de Minsk les travailleurs abîmaient volontairement
beaucoup de seigle. Evidemment, ils faisaient cela de manière organisée. Ils envoyaient
ensemble le pain avec les déchets, les Allemands ne le savaient pas et distribuaient ce
seigle et ces détritus pour le blutage dans le camp. Dès que nous avons appris cela, nous
avons commencé à sélectionner les morceaux de seigle envoyés, de cette façon, un
entrepôt complet de seigle s’est formé. On distribuait ce seigle aux affamés du camp. Cela
a beaucoup aidé et a sauvé de nombreuses personnes de la mort par la faim.
Un jour où je m’occupais du tamisage de ces déchets, deux camions avec des gens se sont
approchés. Ils amenaient un bout de papier selon lequel ils devaient recevoir 20 sacs de
grains. J’ai lu le papier, qui était écrit en russe, et j’ai donné les graines. Les personnes
m’étaient inconnues, mais le papier véritablement écrit avec toute la présentation
allemande.
Les gens ont ramassé toutes ces graines, les ont posées dans les camions et sont partis.
Une heure après, les Allemands sont arrivés en courant et ont regardé le papier. Il s’est
avéré que des personnes sont venues et ont reçu par leur authentique morceau de papier
de la farine et des grains. Ils m’ont très durement battu, mais pourtant il s’est avéré que je
n’étais pas un voleur car le morceau de papier était authentique.
Ils ont alors emmené beaucoup de grains. Ces gens avaient des vêtements habituels et il
était impossible de deviner qu’il s’agissait de partisans. Comment ils sont entrés dans le
camp, on l’ignore.
Dans le camp il y avait deux adjoints, des volksdeutsche, dont l’un était une bonne
personne, il épargnait les gens. Evidemment, il aidait les partisans à recevoir des grains.
Parfois il venait bavarder avec moi. Il y avait aussi des relations avec un Allemand qui
avait promis que quand viendrait le moment de partir, il aiderait. Il est vrai qu’il ne
pouvait pas influer sur les événements, mais pourtant, je peux dire qu’il y avait parmi les
Allemands des gens bien, bien que peu.
Musée d’Etat bélarusse de l’histoire de la Grande Guerre patriotique, n° d’inventaire
11057. Publié: Camp de la mort de Trostenets… p. 186-194
N°168. Extrait du procès-verbal d’interrogatoire du 3 décembre 1974 (ancien
soldat de la 3ème compagnie du 11ème bataillon de police lituanien I.N Kazačenko)
Extermination des détenus du camp de Trostinets en 1944
[…] Lors de l’interrogatoire du 25 novembre 1974 j’ai donné des indications sur le fait
qu’à 1944 avec d’autres policiers de la 3ème compagnie nous avons pris part à
l’extermination de civils qui se trouvaient dans un des camps de concentration près de la
ville de Minsk. Cela s’est passé dans les circonstances suivantes. Tel que je me souviens,
nous sommes arrivés au camp dans la soirée et nous avons dormi là-bas, dans un grand
bâtiment qui était situé dans l’espace du camp. A l’approche de ce camp, à gauche sur la
route de notre circulation, à proximité de la route sur laquelle nous marchions se trouvait
une grande grange en bois, non loin de celle-ci se tenait un petit bâtiment en bois et près
de ces constructions il y avait une sorte de tour. Derrière ces bâtiments, à deux pas, il y
avait un bassin, un lac ou un étang. La grange, le petit bâtiment en bois, la tour et le bassin
indiqués se trouvaient dans l’enceinte même du camp de concentration. Dans l’espace du
camp, qui était clôturé par un fil de fer barbelé, se trouvaient des constructions en bois
qui servaient de baraquements, mais il est m’est difficile de dire combien elles étaient.
Dans ces bâtiments se trouvaient des civils de nationalité juive. Ce que c’est pour les Juifs
et comment ils se sont trouvés dans le camp, je ne sais pas. J’ai indiqué précédemment
que les policiers de notre compagnie, y compris moi, avions dormi dans un grand bâtiment
situé dans l’enceinte du camp. Le lendemain matin les commandants nous ont dit que
nous allions exterminer des Juifs qui se trouvaient dans des baraques dans le camp. Après
cela, tous les policiers de notre compagnie se sont scindés en groupes de 6-7 hommes
dans chacun et a ordonné de conduire les Juifs dans la grange et dans le petit bâtiment en
bois dont j’ai parlé et de les fusiller avec nos armes. Les policiers de notre compagnie, y
compris moi, avons obéi à l’ordre des commandants. Nous sommes entrés dans l’enceinte
du camp, avons évacué les juifs des baraques en lots d’environ vingt hommes, et les avons
escorté de la zone du camp vers la grande grange et le petit bâtiment. On a mis ces juifs
dans ces bâtiments et là, on les a fusillés avec nos armes.
Dans le groupe des cinq ou six autres policiers de notre compagnie, je ne peux maintenant
me souvenir de leurs noms de famille, personnellement, je suis aussi entré sur le territoire
du camp où nous avons évacué le groupe des baraques, à raison de vingt hommes environ,
et sous escorte nous les avons fait sortir de la zone du camp. A la sortie de la zone du camp,
on a ordonné aux autres policiers de notre groupe et à moi, de conduire les juifs vers le
petit bâtiment en bois, c’est ce que nous avons fait. Nous avons rapidement fait entrer
dans le bâtiment les personnes amenées à nous, et là on les a fusillées. Moi
personnellement et les autres policiers de notre groupe, avons tiré sur eux avec des fusils
qui étaient dans notre arsenal. Un Allemand, qui était armé d’une mitraillette,
accompagnait notre groupe. Quand nous avions fait entrer des juifs dans ce bâtiment,
alors l’Allemand tirait sur eux à la mitraillette. Un policier de notre compagnie, Šabalda,
qui, au moment de notre arrivée, se trouvait à côté du petit bâtiment en bois, tirait avec
nous sur les Juifs avec sa mitrailleuse légère et, comme je me souviens, il n’escortait pas
avec les Juifs, mais il aidait seulement à les fusiller dans le petit bâtiment.
Après l’exécution de ce groupe, les autres policiers de notre groupe et moi, sommes allés
sur le territoire du camp pour un autre groupe de Juifs. Dans la zone, nous avons évacué
des baraques un deuxième groupe de Juifs, au nombre de vingt environ, et les avons sortis
de la zone. Là, on nous a ordonné de les fusiller dans le même petit bâtiment en bois où le
premier groupe avait été exécuté. Nous avons conduit ces gens dans le bâtiment
mentionné et là nous les avons tous fusillés. Les autres policiers et moi tirions sur ces
gens avec des carabines, mais l’Allemand qui accompagnait notre groupe tirait sur les Juifs
à la mitraillette. Šabalda tirait sur eux avec sa mitraillette légère mais, comme la première
fois, il n’était pas allé dans la zone chercher ces personnes et ne les avait pas escortées
jusqu’au bâtiment, il aidait seulement à fusiller. Dans ce petit bâtiment, en plus de nous,
d’autres groupes de policiers de notre compagnie amenaient des Juifs et les fusillaient là,
c’est ce que j’ai vu personnellement. J’ai également vu que les policiers de notre
compagnie transportaient des gens de la zone du camp vers la grande grange, ils
conduisaient les gens dedans et après cela j’ai entendu une fusillade qui venait de la
grange. Dans cette grange et à côté d’elle, j’ai vu en personne beaucoup de cadavres de
civils fusillés. Après l’exécution de notre deuxième groupe de Juifs, nous étions à
proximité de ce bâtiment où nous les avions fusillés. Pendant ce temps-là, un autre groupe
de policiers de notre compagnie et, avec nous deux Allemands, ont conduit sous escorte
du territoire du camp un groupe d’enfants âgés de 5, 6, 7 ans au nombre de quinze environ.
Ils ont conduit les enfants en direction de la grande grange. Nous ayant vus, les Allemands
nous ont appelés à lui, moi et les autres policiers qui étaient avec moi, et nous a ordonné
d’intégrer les enfants dans le groupe, et c’est ce que nous avons fait. En s’approchant de la
grange, les Allemands nous ont ordonné, au autres policiers et à moi, de recouvrir le sol
avec nos vêtements et de dissimuler aux enfants les cadavres des fusillés qui étaient dans
la grange et visibles par la porte de celle-ci ainsi que les cadavres des fusillés qui se
trouvaient à côté d’elle. Et nous avons exécuté cet ordre des Allemands. Nous avons
amené ces enfants près des rondins de bois qui étaient alignés non loin de la grange et
nous les avons fait asseoir à l’extrémité de ces rondins. On a ordonné au mitrailleur
Budilko d’ouvrir le feu sur ces enfants à la mitraillette légère, mais il a déclaré qu’il était
difficile de tirer par terre. Alors, le sergent de notre compagnie, Galiahmet, qui se trouvait
là m’a ordonné d’aider Budilko, de m’agenouiller pour que Budilko pose sa mitraillette
sur mon épaule et ouvre le feu sur les enfants d’une position plus avantageuse pour lui.
Exécutant cet ordre, je me suis accroupi sur un genou. Budilko a posé sur mon épaule
droite la mitraillette dont le disque s’appuyait sur mon cou et a ouvert le feu sur les
enfants. Les Allemands et les autres de nos policiers tiraient sur les enfants
simultanément avec Budilko, mais je ne me souviens pas qui précisément. En outre, les
Allemands tiraient sur eux à la mitraillette et les policiers à la carabine. Et moi,
personnellement, je n'ai pas tiré sur les enfants à la carabine puisqu'à ce moment-là j'étais
occupé avec Budilko. Je veux expliquer que, déjà avant l’exécution des enfants, il y avait
des cadavres de civils fusillés sur les rondins de bois, mais qui les a exécutés et quand, je
ne l’ai pas vu. Après la fusillade des enfants sur les rondins, j’ai moi-même vu comment
les Allemands et quelques policiers de notre compagnie, je ne me souviens déjà plus qui,
évacuaient des juifs du petit bâtiment et les fusillaient directement à côté de celui-ci. Je ne
sais pas comment les juifs se trouvaient dans ce bâtiment. Celui-ci se trouvait à proximité
des rondins de bois sur lesquels avaient été fusillés les enfants. Environ vingt personnes
ont été évacuées de ce lieu et fusillés […]
Archives centrales du KGB de la République de Belarus, archives criminelles, dossier
26571, tome 10, p. 164-171. Original. Manuscrit.
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