AMBASSADE DE FRANCE A SINGAPOUR SERVICE ÉCONOMIQUE REGIONAL DE SINGAPOUR Le Chef du Service économique régional de l’ASEAN A Singapour, le 17 février 2017 NOTE Rédigée par : Jérôme Olympie, Eric Paridimal (Chancellerie) Revue par : Antoine Chéry, Jérôme Destombes Objet : Les conclusions consensuelles du Comité sur l’économie du futur de Singapour Après un an de travaux et de consultations tous azimuts, le Comité sur l’économie du futur (Committee on the Future Economy – CFE) vient de présenter son rapport dans lequel sont exposées sept grandes mesures, se déclinant en 22 recommandations, visant à assurer à Singapour une croissance économique durable de 2-3% par an en moyenne sur les 10 prochaines années. Mis en place par le Premier ministre en décembre 2015 dans un contexte de ralentissement structurel de la croissance, caractéristique d’une économie arrivée à maturité, le CFE appelle Singapour à renforcer son aptitude à diffuser de nouvelles connaissances par l’éducation et la formation et à en faire usage pour renforcer les capacités technologiques des entreprises et développer un environnement urbain innovant et connecté. Davantage qu’un remède miracle visant à une relance immédiate de la croissance, le CFE concentre donc ses recommandations sur des orientations stratégiques et structurelles de long terme. Si cet exercice était nécessaire, il présente néanmoins un certain nombre de limites que les commentateurs n’ont pas manqué d’identifier. En particulier, le développement d’une économie fondée sur l’innovation pourrait exiger des changements plus structurels et profonds que ceux préconisés par le rapport. Ce dernier fournit néanmoins un aperçu utile des priorités stratégiques de Singapour, auxquelles la France devrait être en mesure d’apporter sa contribution. 1. Le Comité sur l’économie du futur : répondre aux futurs défis socio-économiques A la suite de sa réélection, en octobre 2015, le Premier ministre Lee Hsien Loong a lancé une large consultation sur l’avenir économique de la cité-Etat. En décembre 2015, il a créé le Comité sur l’économie du futur (Committee on the Future Economy, CFE), rassemblant des représentants des principaux ministères et agences de l’Etat, ainsi que du secteur privé. Si les circonstances entourant la création de ce Comité sont différentes de celles des précédents exercices de prospective (la cité-Etat étant désormais une économie mature et ne traversant pas d’épisode de récession), son mandat reste identique : explorer les pistes pertinentes qui assurent à Singapour une croissance durable lui permettant de satisfaire les différents besoins émanant de son double statut de ville et d’Etat. L’objectif principal du Comité est d’assurer à Singapour une croissance économique durable de 2 à 3% par an en moyenne sur les 10 prochaines années. A cette fin, le CFE a présenté sept axes stratégiques clefs, se déclinant en 22 recommandations, résumées ici en trois grands axes : a) Permettre à Singapour de trouver sa place dans un environnement technologique en constante mutation. L’objectif de croissance durable présenté par le CFE apparaît fortement tributaire des progrès de la connaissance et de ses applications pour relever les défis auxquels la société singapourienne est confrontée (vieillissement de la population, faible productivité, etc.). Ainsi, le rapport appelle les autorités à prendre des mesures en vue de renforcer le niveau de qualification de l’ensemble de la population active. Pour ce faire, le Comité recommande de s’appuyer sur l’initiative SkillsFuture, initiée fin 2014, qui donne accès à une formation tout au long de la vie et permet d’acquérir de nouvelles compétences adaptées aux besoins du marché de l’emploi. Parmi les mesures proposées, le Comité encourage le gouvernement à créer un site internet qui fonctionnerait comme un portail unique permettant aux Singapouriens d’accéder à toute l’information disponible concernant leurs possibilités de formations (académique et professionnelle) et offrant en parallèle des solutions d’orientation professionnelle. Le développement de modules d’enseignements utilisant les technologies de communication et d’information est également encouragé. De plus, le Comité appelle les autorités à renforcer le lien existant entre l’acquisition et l’utilisation des compétences via le développement de programmes de formation en alternance et d’offres de formations internes (i.e. réalisées Ambassade de France 101-103 Cluny Park Road 259595 Singapour Tél. : +65 6880 7878 - http://www.tresor.economie.gouv.fr/Pays/singapour directement par les entreprises) pour éviter aux travailleurs les plus âgés de perdre leur emploi. Ces recommandations concernent notamment les sociétés de conseil en ingénierie, les cabinets juridiques et les institutions financières. Le CFE encourage aussi les étudiants à participer à des programmes d’échange à l’étranger pour développer leur compréhension de la région, les spécificités des différents marchés et leurs compétences à l’étranger. En parallèle, plusieurs recommandations visent à renforcer les capacités (technologiques et financières) des entreprises locales. Selon le Comité, il est essentiel de stimuler l’investissement privé pour accroître la valeur technologique de l’industrie afin d’assurer la compétitivité des entreprises locales. Cet objectif doit passer par le soutien aux PME innovantes (notamment en matière d’exploitation des données, de renforcement des outils de cyber sécurité, de parrainage avec des grands groupes et d’élaboration de stratégies sur mesure pour le développement de chaque industrie) et le financement de l’innovation technologique par le capital-risque. Ces initiatives de soutien et de développement industriel sont incluses dans des plans de transformation de l’industrie (Industry Transformation Maps, ITM) spécifiques et adaptés à chaque secteur, en lieu et place des orientations globales jusqu’à présent privilégiées. De façon générale, le rapport a une approche beaucoup plus microéconomique que les précédents qui traitaient surtout des questions affectant l’ensemble de l’économie, telles que le coût du travail, la fiscalité, ou encore la dépendance à la main d’œuvre étrangère. Le Comité appelle les autorités à assurer un environnement réglementaire propice à la prise de risque, qui stimulerait l’innovation. Les organisations professionnelles et Chambres de commerce et de métiers devraient jouer un rôle plus important de soutien au secteur privé. Les autorités devront quant à elles développer des cadres réglementaires suffisamment incitatifs pour favoriser l’émergence de véritables champs d’expérimentation des innovations en vue de leur possible valorisation et généralisation. Le Comité appelle également le gouvernement à s’engager dans un effort de rationalisation de ses divers régimes d’aide et de révision de son régime fiscal. b) Résister à la recrudescence du protectionnisme en approfondissant et diversifiant les relations économiques, commerciales et technologiques Le Comité reconnaît que le modèle de croissance du pays reste basé sur les exportations et l’ouverture au monde extérieur : il appelle les autorités à résister face à la recrudescence du protectionnisme. Le rapport insiste donc sur la nécessité de favoriser la libéralisation des échanges et des investissements et mentionne en ce sens l’implication de la cité-Etat au sein du Regional Comprehensive Economic Partnership. Le Comité appelle les autorités à profiter de la présidence de l’ASEAN, que Singapour assurera en 2018, pour faire avancer les questions de réduction des droits de douane et des barrières non tarifaires dans la région. Le Comité encourage le développement de systèmes de coopération entre universités, industrie, centres de recherche et pouvoirs publics tant sur le territoire qu'avec le reste du monde, en vue d’établir une Alliance mondiale pour l’innovation (Global Innovation Alliance - GIA) qui servirait de base à la création d’accélérateurs et d’incubateurs de startups et encouragerait les entrepreneurs et leurs partenaires à effectuer des voyages d’affaires réguliers à l’étranger. Ainsi, ils auraient un meilleur aperçu des opportunités, enjeux et débouchés commerciaux sur les marchés étrangers. c) Faire de Singapour une ville globale, dynamique et connectée, source d’opportunités Le rapport insiste sur la nécessité de développer une ville connectée visant à attirer et provoquer de nouvelles opportunités. Le Comité encourage ainsi les entreprises à partager des bureaux afin de favoriser le transfert d’idées et réaliser des économies d’échelles (notamment lorsqu’il s’agit d’investir dans de nouvelles infrastructures). Les politiques d’investissement dans les infrastructures de transport (aéroport de Changi et port de Tuas) sont encouragées1. Des travaux d’aménagement du territoire d’envergure pourraient être envisagés, le rapport faisant mention de l’intérêt de former un plan directeur pour le développement des infrastructures souterraines. Le Comité appelle également à une meilleure utilisation des terrains industriels (plan de rajeunissement de la ville, amélioration de la planification des espaces etc.). Il souhaite également améliorer la diversité des 1 Le projet de ligne ferroviaire à grande vitesse entre Singapour et Kuala Lumpur est mentionné comme porteur de nombreux avantages pour les deux pays. Ambassade de France à Singapour - Service économique régional de Singapour emplacements commerciaux, en assignant de nouveaux emplacements aux sièges d’entreprises et de nouvelles industries, et offrir des espaces d'incubation pour les startups, les PME et les industries créatives. Le Comité a aussi réfléchi à une meilleure occupation de l’espace, nécessairement restreint, de la cité-Etat (dont 20% sont réservés à la défense nationale), en envisageant notamment la création d’un système d’optimisation de la logistique urbaine pour réduire la congestion dans la ville. Le Comité souhaite que la préservation de l’environnement ne soit pas sacrifiée sur l’autel du développement économique. 2. Que faut-il retenir des conclusions du rapport ? Après des décennies de croissance économique rapide, caractéristique d’une économie en phase de rattrapage, Singapour est confrontée depuis quelques années à un ralentissement de sa croissance, passée à 12%. L’objectif affiché d’une croissance de 2-3%, s’il a le mérite d’être réaliste, peut néanmoins être considéré comme modeste puisqu’il correspond à la croissance potentielle de Singapour. Cet objectif semble suggérer que la perspective, encore évoquée il y a quelques années, d’une croissance de la population jusqu’à 10 millions d’habitants, est désormais écarté. La cité-Etat semble donc s’engager sur la voie de gains de productivité générés par une meilleure utilisation des facteurs de production, et une croissance plus endogène fondée sur l’innovation, les infrastructures et le capital humain. Les réactions à la sortie du rapport ont été contrastées. Si certains saluent la couverture d’un large spectre d’enjeux, le rappel de l’attachement au libre-échange ainsi que des contraintes liées à sa taille et à sa dépendance vis-à-vis de l’extérieur, d’autres sont plus critiques. Les critiques sur la forme sont les suivantes : - Les recommandations sont très générales et sans doute insuffisamment précises et spécifiques. - - La plupart des axes stratégiques ne correspondent qu’à la poursuite ou à l’intensification de ceux existants dans le plan de transformation économique lancé en 2010. Les cibles à atteindre, formulés en termes de taux de croissance du PIB, sont moins précises que celles des précédents exercices de prospective, qui étaient formulées en termes de croissance annuelle de la productivité du travail. Face à l’incapacité à atteindre cette cible ces dernières années, le Comité a fait le choix de l’abandonner plutôt que de la réviser voire en discuter la pertinence. De façon plus générale, les indicateurs qui permettraient de suivre la réalisation des recommandations du rapport font défaut. Aussi existe-t-il un risque, certes assez classique dans ce type d’exercice, que les recommandations ne fassent pas l’objet d’un suivi adapté et restent lettre morte. La méthode est également critiquée : l’approche planificatrice, centralisée et descendante qui consiste à réunir un panel de haut niveau pour prescrire des mesures essentiellement portées par les pouvoirs publics a certes permis à la cité-Etat d’atteindre des résultats impressionnants en 50 ans mais semble désormais atteindre ses limites dans le contexte d’une économie mature et confrontée aux technologies disruptives. Même si le caractère général des recommandations pourrait justement s’expliquer par la prise de conscience des limites de la planification, une économie mature requiert davantage d’innovation et donc d’initiative individuelle, de liberté d’entreprendre, ainsi qu’un état d’esprit plus créatif que ce que le rapport semble suggérer. Trois critiques sur le fond du rapport qui portent sur l’absence d’ancrage des recommandations dans un diagnostic centré sur des contraintes et des risques clefs bien connus : - S’il est nécessaire de se livrer à des exercices de prospective, aucun réel diagnostic de la situation actuelle de l’économie singapourienne ne figure dans le rapport, sinon en filigrane. Ainsi, le rapport ne remet pas en cause le modèle économique singapourien très largement fondé sur les exportations, les capitaux étrangers (sous la forme d’implantations de firmes multinationales, à l’origine de 75% des dépôts de brevets d’innovation dans la cité-Etat), et sur la main-d’œuvre étrangère à bas coût. Un certain nombre de problèmes structurels ne sont pas traités : la perte de compétitivité prix notamment (exemples : échec de la tentative de créer un hinterland à coûts plus faibles en Malaisie comme à Iskandar en raison de la mainmise des développeurs immobiliers sur cette zone, rôle du secteur immobilier dans la perte d’attractivité coût de l’économie singapourienne et dans l’effet d’éviction de l’épargne privée détournée des investissements productifs et d’avenir), la vulnérabilité de la prééminence de hub régional de Singapour, ou la difficulté à générer de l’innovation en dépit des importants montants de dépense publique qui y sont consacrés. Or ce modèle, qui n’a notamment pas Ambassade de France à Singapour - Service économique régional de Singapour permis à Singapour de faire émerger des entrepreneurs locaux innovants, créatifs et compétitifs, n’est pas explicitement interrogé, même si l’objectif de stimuler l’innovation est omniprésent dans le rapport. A fortiori, le modèle économique envisagé par le Comité n’est pas précisément décrit. - La contrainte démographique aurait mérité une attention particulière : 40% de la population active (3,6 millions au total) est non-résidente et le taux d’emploi des résidents (citoyens et résidents permanents) atteint le niveau record de 68,3%. La cité-Etat sera en Asie le pays où la proportion de personnes âgées de 65 ans et plus augmentera le plus entre 2015 et 2030 pour dépasser 20% de la population totale. Or les conséquences économiques, financières et sociales de la baisse relativement rapide de la population active ne sont pas mentionnées (d’après le groupe bancaire DBS, à politique migratoire inchangée, le rythme de baisse de la population active en glissement annuel sur la période 2016-21 se chiffrerait à 1,02 point de pourcentage, soit le plus élevé en Asie). Le fait que le CFE ne signale même pas une seule fois la politique migratoire est révélateur de la sensibilité qu’elle revêt : compte tenu du rôle central joué par le recours à la main d’œuvre étrangère, il est paradoxal que ce thème soit omis. - Le risque de hausse des inégalités2 et de l’insuffisance des filets de protection sociale ne sont pas non plus traités. Or, les effets redistributifs de la mondialisation (et les perdants qu’ils génèrent), s’ils ont épargné jusqu’à présent Singapour, pourraient la toucher à l’avenir. En effet, l’innovation et les nouvelles technologies contribuent à polariser le marché du travail, au détriment des moins qualifiés, accroissant ainsi les inégalités. De même, le vieillissement rapide de la population singapourienne devrait avoir un effet aggravant sur les inégalités. Une demande de protection et de redistribution accrue pourrait par conséquent émerger. *** Le rapport fournit néanmoins un aperçu utile des priorités stratégiques de Singapour, auxquelles la France devrait être en mesure d’apporter sa contribution. Nous pouvons, dans ce contexte, promouvoir notre modèle d’innovation fondé sur l’excellence scientifique et technologique, sur une créativité largement reconnue et sur la prise en compte de la dimension sociale et solidaire de l’innovation. Ces caractéristiques correspondent aux priorités du CFE. Le projet de création d’un French Tech Hub, actuellement porté par des français installés à Singapour avec le soutien de l’Ambassade, participe de cette ambition, puisqu’il permettrait de rendre plus visible et cohérente l’offre française sur le territoire de la cité-Etat et d’améliorer la vision de la France comme un territoire d’innovation de référence auprès des singapouriens. En outre, le projet de Global Innovation Alliance évoqué dans le rapport serait également cohérent avec les développements récents de la relation franco-singapourienne, marquée par la multiplication des partenariats dans le domaine académique, industriel, et de la recherche. 2 En 2016, le coefficient de Gini estimé à 0,458 est le plus bas depuis 2006 d’après l’agence gouvernementale SingStat, mais il est l’un des plus élevés des pays de l’OCDE – quoi que cette comparaison soit rejetée par les autorités singapouriennes réaffirmant la spécificité d’une cité-Etat de petite taille. Ambassade de France à Singapour - Service économique régional de Singapour