QUOI DE NEUF DANS LE TRAITEMENT DE L’ETAT DE CHOC SEPTIQUE 647
L’HEMOFILTRATION
J. Mateo, D. Payen, Département d’Anesthésie Réanimation-SMUR, Hôpital
Lariboisière, 75010 Paris.
INTRODUCTION
Quoi de neuf sur le traitement du choc septique ?
En dehors du contrôle du foyer infectieux et du traitement antibiotique adapté, son
traitement repose encore essentiellement sur les mesures de suppléance des fonctions
vitales. Bien que le sujet fasse l’objet d’une investigation expérimentale et clinique
intensive, aucune thérapeutique, simple et universelle n’a, à ce jour, démontré en
pratique clinique son efficacité en terme de mortalité. L’hémofiltration continue, uti-
lisée comme technique de suppléance de la fonction rénale au cours des états de
choc, a connu un énorme développement dans le milieu de la réanimation. Son utili-
sation semble donner des résultats cliniques et expérimentaux encourageants avec,
en plus de sa fonction de suppléance de la fonction rénale, des effets bénéfiques
attribués à la modulation de la réponse de l’hôte en terme de médiateurs au cours des
états infectieux sévères.
Quoi de neuf dans l’état de choc septique ?
Le SIRS est un syndrome complexe dans lequel de nombreux mécanismes immuno-
inflammatoires sont impliqués [1, 2, 3]. Les connaissances sur la réponse
inflammatoire déclenchée chez l’hôte par les agents infectieux ont permis de mieux
décrire cette réponse adaptative et équilibrée de défense. Le choc septique et la
défaillance multiviscérale qui en découle se produisent lorsqu’il apparaît une dysré-
gulation du système avec hyperproduction de médiateurs pro-inflammatoires [2]. A
l’inverse, la production en excès de médiateurs anti-inflammatoires aboutit à une
immunodépression qui, elle, favorise, la survenue des infections nosocomiales [4].
Quoi de neuf dans le traitement de l’etat de choc septique ?
Les mécanismes endogènes de régulation de cette réaction inflammatoire sont moins
bien connus et leur contrôle permettrait probablement une thérapeutique efficace [5].
Les déterminants génétiques [6], les régulations et interactions entre médiateurs et
cellules immuno-compétentes actuellement reconnus [7] font du sepsis un phénomè-
ne complexe et multifactoriel, pour lequel toutes les thérapeutiques agissant sur
seulement l’un des déterminants n’ont pas, à ce jour, montré d’efficacité réelle
permettant leur utilisation régulière à l’intérieur de protocoles thérapeutiques vali-
dés [8, 9, 10].
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A l’échelon clinique, il existe aussi une grande diversité d’expression du sepsis en
fonction du site de l’infection, du type de germe, du stade d’évolution et surtout du
terrain et de la comorbidité du malade. De nombreux essais cliniques visant à traiter le
sepsis par la neutralisation de l’endotoxine [11], l’inhibition des cytokines pro-
inflammatoires circulantes (par utilisation d’anticorps neutralisants du TNFa, de
récepteurs solubles au TNFa, d’antagoniste du récepteur à l’IL-1) se sont soldés par un
échec, suggérant des mécanismes plus complexes déterminant l’expression du SIRS [12].
Plusieurs éléments peuvent permettre d’expliquer ces échecs :
La grande hétérogénéité des patients inclus dans les essais.
Le rôle nécessaire de la réponse inflammatoire à la lutte anti-infectieuse.
Si l’on rajoute à tous ces déterminants physiopathologiques l’inhomogénéité de prise
en charge globale de ce type de patients dans les services de réanimation, on conçoit
forcément l’échec de toutes les études multicentriques menées sur le traitement de
l’état de choc septique [8, 9].
Quoi de neuf pour l’hemofiltration et le choc septique ?
L’hémofiltration continue utilisée en réanimation depuis de nombreuses années
s’est avérée une technique de suppléance de la fonction rénale fiable et simple d’utili-
sation, permettant une épuration azotée, la correction de troubles électrolytiques et
acido-basiques ainsi qu’un contrôle volémique avec un maintien relativement stable de
l’homéostasie du milieu intérieur [13, 14]. D’une technique de suppléance de la fonc-
tion rénale, son utilisation s’est développée comme moyen thérapeutique
capable de moduler la réponse de l’hôte en terme de médiateurs au cours des
situations aiguës, comme l’insuffisance cardiaque grave et le sepsis sévère. Le(s)
mécanisme(s) par le(s)quel(s) cette technique change le cours biologique et/ou clinique
de l’évolution du choc septique reste(nt) à éclaircir, les arguments montrant l’efficacité
expérimentale et clinique se multiplient [13, 15, 16].
De façon générale au cours du choc septique l’hémofiltration peut être efficace par
plusieurs mécanismes théoriques comme :
L’élimination de cytokines et médiateurs de l’inflammation.
La modulation des cellules de l’inflammation.
L’amélioration des conditions circulatoires systémiques et régionales.
Le contrôle de la taille et de la composition des différents compartiments corporels.
Le maintien ou l’amélioration de l’état métabolique.
1. ELIMINATION DES CYTOKINES ET MEDIATEURS DE L’INFLAMMATION
C’est dans le cadre de «l’épuration des cytokines» que l’on trouve de nombreux
travaux cliniques (tableau I) et expérimentaux. Les points essentiels concernant
l’élimination des médiateurs de l’inflammation et les cytokines sont les suivants :
Les mécanismes : les principes physiques sont la convection et l’adsorption [17]. Le
passage à travers les pores des membranes dépend évidemment de la taille des pores
et des molécules mais aussi de la liaison aux protéines ou à un récepteur soluble [18].
Ces caractéristiques physiques sont variables d’une membrane à l’autre et expliquent
en partie certaines discordances de résultats. D’autre part, l’adsorption est un phéno-
mène saturable nécessitant des changements fréquents de filtre [19].
Les dosages : la détection de la molécule sans relation avec son activité biologique ne
permet pas d’impliquer le médiateur dans le processus pathologique. Les cytokines
plasmatiques ne représentent qu’une infime partie de la quantité réelle, car la distri-
bution des cytokines est surtout tissulaire [20]. Peu d’études retrouvent une diminution
significative des taux plasmatiques de cytokines en dehors des protocoles d’ultra-
filtration à haut débit [21].
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Les profils : il est clairement démontré que les cinétiques et le type de cytokines
plasmatiques détectées sont variables au cours du temps dans l’évolution du
sepsis [22, 23]. L’élimination n’est pas sélective sur le caractère pro- ou anti-
inflammatoire du médiateur et les effets bénéfiques décrits découlent plutôt d’une
modulation de la réaction inflammatoire et de l’élimination de facteurs «toxiques»
ou tout au moins néfastes à la phase aiguë.
Le nouveau concept :
Une élimination non spécifique des médiateurs de l’inflammation.
De hauts débits d’ultrafiltration [21, 24].
La mise en route à la phase aiguë.
L’utilisation de membrane de très haute perméabilité [25, 26].
Le couplage de l’adsorption et de la plasmafiltration [13, 26, 27].
2. MODULATION DES CELLULES DE L’INFLAMMATION
Associée à une élimination non spécifique des médiateurs humoraux de l’inflam-
mation, l’hémofiltration pourrait jouer un rôle sur la médiation cellulaire avec la
régulation de l’expression des médiateurs, l’activation des macrophages, des poly-
nucléaires et de la prolifération lymphocytaire [28].
Dans une étude expérimentale, Hoffmann retrouve sur une culture de macrophage
mise en présence d’ultrafiltrat de patient septique, une production de TNFa supérieure
à celle observée avec l’ultrafiltrat de patient non septique. De même, l’ultrafiltrat
provenant de patient septique supprime la production d’IL-2 et d’IL-6 par les lympho-
cytes et bloque la prolifération lymphocytaire [28].
Dans un modèle de péritonite chez le porc, DiScipio et al., ont retrouvé une modu-
lation de l’état d’activation des polynucléaires au cours de l’hémofiltration. Après
24 heures d’hémofiltration artérioveineuse, ces auteurs observent une diminution de la
capacité de phagocytose des polynucléaires circulants isolés à partir du sang total des
animaux septiques. Les auteurs ne présentent pas les résultats du groupe d’animaux
non septiques, non hémofiltrés, mais après hémofiltration, on ne retrouve pas l’hyper-
activation des polynucléaires observée à la phase aiguë du sepsis dans le groupe non
hémofiltré. Dans ce modèle, l’hémofiltration semble réduire l’hyperactivation des
polynucléaires et ceci dès la phase initiale de la réaction inflammatoire. Par contre,
aucune différence en terme d’hémodynamique et d’oxygénation tissulaire n’est mise
en évidence entre les deux groupes d’animaux [29].
Par ailleurs, le contact sanguin avec le matériel étranger constituant le circuit extra-
corporel et le polymère de la membrane entraînent une réaction inflammatoire. De
nombreux travaux ont permis le développement de matériaux biocompatibles limitant
l’activation des macrophages et des polynucléaires au contact des membranes [30, 31].
Chez l’homme, plusieurs travaux rapportent aussi l’efficacité des techniques d’épu-
ration extracorporelle et notamment la plasmaphérèse au cours des méningococcémies
graves avec défaillance multiviscérale. L’hémofiltration comportant le traitement
d’important volume d’ultrafiltration parfois associé à la plasmaphérèse semble influen-
cer l’évolution des patients présentant un sepsis et une défaillance
multiviscérale [32, 33, 34].
Récemment, Reeves et al. ont rapporté les résultats d’une étude clinique multicen-
trique, prospective et randomisée sur l’effet d’une plasmaphérèse d’une durée de 34
heures chez des patients présentant un «sepsis syndrome» [25]. L’évaluation a porté sur
l’influence de la plasmafiltration sur les marqueurs biologiques de l’inflammation, le
taux de cytokines, le nombre de défaillances viscérales et enfin la mortalité au 14e jour.
Il retrouve une atténuation de la réponse inflammatoire biologique avec diminution
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significative des taux de alpha1-antitrypsine, haptoglobine, C-réactive protéine et de la
fraction C3 du complément dans le groupe plasmafiltration. En ce qui concerne le
nombre de défaillances d’organes et la mortalité au 14e jour, bien qu’il existe une ten-
dance bénéfique de la plasmafiltration, celle-ci n’est pas significative.
3. AMELIORATION DES CONDITIONS CIRCULATOIRES SYSTEMIQUES
ET REGIONALES
C’est dans le cadre du choc septique que la recherche d’effets bénéfiques de
l’hémofiltration sur l’hémodynamique et la fonction cardiaque ont été le plus dévelop-
pés. Il existe une dysfonction myocardique au cours du choc septique en rapport avec la
libération de médiateurs secondaires de l’inflammation [35]. Ces substances à action
dépressive sur la fonction myocardique et sur la réactivité vasculaire ont des poids
moléculaires qui permettent leur passage à travers les pores des membranes de haute
perméabilité. En théorie, l’élimination de ces molécules par convection au cours de
l’hémofiltration permet de réduire la dépression myocardique et l’hyporéactivité
vasculaire périphérique. A partir de cette théorie, certains auteurs ont essayé d’établir
une relation entre la quantité d’ultrafiltrat obtenue, l’élimination des médiateurs incri-
minés et l’amélioration hémodynamique observée au cours d’hémofiltration à haut débit
d’ultrafiltrat (jusqu’à 100 litres par jour). De nouvelles techniques dans le domaine de
l’épuration sont actuellement en développement, basées sur la régénération de haut
volume d’ultrafiltrat après passage sur des résines réalisant l’adsorption des cytokines.
3.1. Etudes experimentales
Six études expérimentales ont tenté d’évaluer les effets de l’hémofiltration sur les
paramètres hémodynamiques et la survie des animaux dans des modèles de sepsis.
Dans un modèle de choc endotoxinique chez le porc, Stein et al. démontrent les
effets bénéfiques en terme de pression artérielle pulmonaire, résistances vasculaires
périphériques et pression de remplissage dans le groupe hémofiltré comparé au groupe
non-hémofiltré [36]. Chez ces animaux, le volume d’ultrafiltration était entièrement
compensé. L’eau pulmonaire extravasculaire reste stable au cours de l’hémofiltration
suggérant que les effets observés ne sont pas en rapport seulement avec la déplétion
hydrique. Cependant, il n’y a pas de groupe contrôle non hémofiltré et les effets pro-
pres de la circulation extracorporelle ne peuvent être discriminés. Ces résultats suggèrent
que l’hémofiltration améliore la fonction cardio-pulmonaire au cours du sepsis mais ne
permettent pas d’expliquer par quel mécanisme.
Staubach et al. utilisent un modèle de choc septique réalisé avec une perfusion
continue de Salmonella abortus avec un groupe hémofiltré [37]. La consommation d’oxy-
gène et la production de CO2 (calorimétrie indirecte), le transport en O2, la mécanique
ventilatoire, le débit cardiaque et la pression artérielle semblent moins altérés dans le
groupe hémofiltré comparé au groupe contrôle. De plus, les taux des métabolites de
l’acide arachidonique, thromboxane B2 et 6-keto-PGF1-alpha, sont significativement
plus bas au cours de l’hémofiltration. Néanmoins, il n’existe pas de différence entre les
deux groupes en terme de mortalité.
Gomez et al. partent de l’hypothèse selon laquelle la dépression myocardique
observée au cours du choc septique est en rapport avec un facteur dépresseur myocardi-
que circulant et potentiellement filtrable au cours de l’hémofiltration [38]. Ces auteurs
perfusent en continu à des chiens anesthésiés de l’Escherichia coli et mesurent les
paramètres de fonction du ventricule gauche avant et après hémofiltration. A partir des
courbes de relation pression-volume du ventricule gauche, les chiens récupèrent après
l’hémofiltration un état de fonction myocardique comparable à celui précédant l’injec-
tion de bactéries. Afin de confirmer l’activité de ce facteur dépresseur contenu dans le
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sérum septique, les auteurs utilisent des muscles trabéculaires de chiens non septiques
pour tester le plasma des chiens hémofiltrés et non hémofiltrés. Ils mesurent l’intensité
de la contraction isométrique aux stimulations électriques et trouvent une dépression
marquée, maximale 4 h après le début du sepsis, réduite après 2 h d’hémofiltration. Il
apparaît clairement, que dans ce modèle expérimental, il existe une substance circulan-
te diminuant la contractilité ventriculaire gauche et que cette dysfonction cardiaque est
reversée par l’hémofiltration. Cependant, la nature spécifique de cette substance élimi-
née par l’hémofiltration, par filtration ou adsorption, reste indéterminée et cette partie
de l’investigation ne comprend pas de groupe contrôle non hémofiltré .
Grootendorst et al. étudient l’effet d’une hémofiltration de 4 h avec un ultrafiltrat
de 6 L.h-1 entièrement compensée sur l’évolution hémodynamique d’un modèle de choc
endotoxinique chez le porc comparé à un groupe non hémofiltré [21, 38, 39]. La
pression artérielle moyenne, le débit cardiaque et la fraction d’éjection du ventricule
droit sont améliorés sans que les effets observés par Stein sur la circulation pulmonaire
soient retrouvés.
Lee et al. évaluent l’impact d’une hémofiltration artério-veineuse de 6 h dans un
modèle de septicémie à Staphylocoque aureus sur la survie des animaux. Le résultat en
terme de survie est peu démonstratif avec une faible différence observée en fonction de
la fraction filtrée (70 3,8 vs 53 10,2 h) de 33,4 % et 5,5 % respectivement [40].
L’ultrafiltrat des animaux hémofiltrés septiques ou non septiques était recueilli dans
des conditions d’asepsie rigoureuses puis réinjecté à des animaux sains. L’ultrafiltrat
provenant d’animaux septiques entraînait, chez les animaux sains, une réduction signi-
ficative de la survie comparée à l’absence d’effet de l’hémofiltrat provenant d’animaux
non septiques.
Rogiers et al., dans un travail récent sur un modèle endotoxinique de chiens anes-
thésiés et ventilés, retrouvent une augmentation du débit cardiaque chez les animaux
hémofiltrés et dont l’ultrafiltrat est compensé volume à volume (zéro-balance) [41].
Plus le débit d’ultrafiltration est élevé (3 L.h-1 et 6 L.h-1), plus on constate une amélio-
ration de l’hémodynamique systémique et hépatique. Le taux plasmatique de TNFa
n’est pas modifié de manière significative par l’hémofiltration et de très faibles quanti-
tés de TNFa sont retrouvées dans l’ultrafiltrat.
Comme dans les études précédentes, l’ultrafiltrat des animaux septiques hémofil-
trés provoque, lorsqu’il est injecté aux animaux sains, une chute de pression artérielle
et de débit cardiaque. Les auteurs concluent que l’effet bénéfique de l’hémofiltration à
haut débit n’est pas, dans ce modèle, en rapport avec une baisse du TNFa mais proba-
blement dûe à l’élimination de «facteur dépresseur myocardique» qui n’a pas fait l’objet
d’un dosage dans cette étude.
A partir de ces études, il apparaît clairement que l’ultrafiltrat des animaux septiques
entraîne, que ce soit in vitro ou ex vivo, une dépression marquée des préparations de
muscles cardiaques isolés et des effets comparables à ceux qui sont induits par l’endo-
toxine lorsqu’elle est injectée à des animaux sains.
4 CONTROLE DE LA TAILLE ET DE LA COMPOSITION DES
DIFFERENTS COMPARTIMENTS CORPORELS
Une solution potentielle consiste, à défaut de maîtriser la production de cytokines,
d’augmenter leur élimination, tout en optimisant parallèlement l’hémodynamique, l’état
d’hydratation et l’équilibre acido-basique. Ce concept de restauration de l’homéostasie
apparaît de plus en plus comme l’un des avantages potentiels des techniques d’hémofil-
tration continue [16, 42, 43] au cours du sepsis. En effet, il existe au cours du choc
septique une fuite capillaire avec une redistribution de l’eau entre les secteurs extra et
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