où les valeurs fédératrices connaissent une crise d’autorité sans précédent. A cet égard, la fin des grands
récits serait le creuset du populisme pénal. Le droit pénal tend à ne reconnaitre plus que la précarité de la
victime. De ce fait, le droit de punir entend davantage réparer l’injustice subie par la victime que de restaurer
l’ordre légal et la paix sociale (la fonction originelle et essentielle du droit). Pourtant, l’état semble vouloir
assurer cette directive pour ne jamais paraitre indifférent voire complice à l’égard de la criminalité. En
somme, l’idéologie victimaire est soutenue par l’Etat qui cherche une légitimité morale à la multiplication
des mesures sécuritaires et par les victimes, qui cherchent un sens à leur malheur.
Si Denis Salas revient à plusieurs reprises sur l’ampleur du discours victimaire et de sa représentation dans la
presse, c’est parce que ces deux faits trouvent une traduction politique tout à fait dangereuse, à son sens, pour
la démocratie. En effet, les hommes politiques se sont également appropriés la rhétorique compassionnelle :
face à un crime qui émeut les potentiels électeurs, les candidats politiques en liste se doivent de réagir de
manière consensuelle. Ce faisant, les hommes politiques instaurent un degré de connivence avec l’opinion
par le consensus émotionnel. Ils condamnent la criminalité et réaffirment les lignes normative et moralisante
qui séparent le « Bien » du « Mal ». Enfin, ils restaurent leur pleine puissance en demandant à ce que la
justice soit faite justement et promptement (replaçant les institutions juridiques et policières en position
d’infériorité). Tout cela n’a pour objectif, selon l’auteur, que de servir des velléités clientéliste et
électoraliste. De plus, la rhétorique de la pitié favorise les conditions conjoncturelles de l’effervescence
législative, c’est à dire la production improvisée et immédiate de textes de lois. En effet, les exigences
médiatiques dans lesquels s’ancrent les faits divers et crimes surmédiatisés, imposent un modèle de temps
court qui empêche une réflexion et une compréhension profonde de ce qu’est ce mal ordinaire. Denis Salas
écrit « faute de temps pour interpréter ce qui arrive, l’acteur politique s’épuise dans une vaine réactivité à
l’événement ». En réalité, la figure victimaire est autant sacralisée qu’instrumentalisée dans le populisme
pénal, mais dans les deux cas, elle donne lieu à des changements législatifs majeurs. Elle sert également
d’alibi aux politiques gouvernementales pour faire valoir la nécessité d’un cadre pénal plus répressif. Dans la
mesure où culture de la guerre et droit pénal renforcé se côtoient et se complètent dans nos sociétés
contemporaines, la démocratie en temps de guerre montre ses limites et la précarité de ses valeurs libérales
cardinales : « l’état replonge dans une violence originaire. Les croisades morales et populistes rompent
l’équilibre entre la force et la forme qui constituent l’état de droit » (p.115).
L’élan historique de 1945 et le texte constitutionnel de 1946 propulsent la démocratie dans une logique
égalitaire, distributive et solidaire. Si cette impulsion se traduit par des mesures éminemment sociales, elle
trouve un prolongement également dans l’esprit qui va envahir le champ juridique. D’une part, les peines ne
seront prononcées que si les crimes commis ne permettent d’envisager aucune autre sanction plus
indulgente ; d’autre part, l’incarcération a moins vocation à protéger la collectivité d’une nuisance que celle
de permettre un travail de réhabilitation par le condamné sur lui-même et un travail de pardon du côté de la
société. La prison doit préparer le condamné à la vie libre, elle est davantage un lieu de guérison où l’on
tente de faire reculer les frontières de l’inamendable, qu’un lieu d’exclusion où toute possibilité de
rédemption serait vaine. L’imaginaire collectif considère le déviant comme un semblable malgré son crime :
ce qui le définit n’est pas tant son crime que son humanité. Or l’élan humaniste de 1945 se confronte à une
première vague réactionnaire à l’occasion de la guerre d’Algérie où le corps civil français découvre la figure
d’un « ennemi de l’intérieur » et redécouvre l’inculpation de « terrorisme » tandis que l’internement
arbitraire et la peine de mort deviennent communs en territoire colonisé. A l’instar de Michel Foucault, un
courant d’intellectuels critiques outre mer et en Europe continentale produit une réflexion presque
consensuelle sur les échecs de la philosophie pénitentiaire. Malgré les réformes et mesures prises pour
réduire la criminalité, les tendances et les chiffres d’incarcération restent sensiblement les mêmes. La figure
du délinquant serait un produit de l’institution carcérale, qui permet aux instances institutionnelles des
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