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DE MÉDECIN À ENSEIGNANT
EN PRATIQUE MÉDICALE
PAS DE COMPÉTENCES SANS UNE BONNE
ORGANISATION DES CONNAISSANCES !
Suzanne Laurin, Marie-Claude Audétat
et Gilbert Sanche
Le contexte de la pratique médicale est reconnu comme un lieu privilégié pour développer
ses compétences. C’est en effet durant leurs stages cliniques que les stagiaires acquièrent
et mettent quotidiennement en action l’ensemble des dimensions de la compétence professionnelle1.
De nombreux auteurs se sont questionnés sur la relation entre les connaissances et le développement
des compétences professionnelles. Dans cet article, nous allons présenter un cadre théorique
qui jette un éclairage sur ces liens et qui permet de dégager des pistes concrètes pour aider
les cliniciens enseignants à soutenir l’augmentation des connaissances de leurs stagiaires.
« ILS EN SAVENT PLUS QUE NOUS ! »
Plusieurs des chercheurs qui se sont intéressés à l’acquisition
des connaissances au cours de la formation médicale ont
confirmé ce que les cliniciens enseignants constatent quo-
tidiennement : les étudiants de niveau avancé possè dent plus
de connaissances biomédicales que les médecins en pra-
tique2,3, c’est-à-dire plus de connaissances scientifiques de
base sur les processus physiologiques et pathologiques à
l’origine des maladies et des symptômes.
Malgré tout, les études montrent que les médecins expé-
ri mentés arrivent plus efficacement au diagnostic que les
étu diants avancés lorsqu’ils font face à un problème clinique4.
Il semble donc que les compétences cliniques ne dépendent
pas seulement de la somme des connaissances maîtrisées.
Comment cela s’explique-t-il ?
UN CADRE THÉORIQUE POUR DÉFINIR
LES INTERVENTIONS PÉDAGOGIQUES
À FAVORISER
NOS CONNAISSANCES SONT MIEUX
ADAPTÉES AU CONTEXTE CLINIQUE
C’est grâce à l’organisation de leurs connaissances que les
médecins expérimentés sont plus efficaces que des sta-
giaires, souvent plus érudits qu’eux. Cette organisation
donnera aux connaissances un sens clinique, les rendra plus
facilement disponibles et utilisables en clinique. Plusieurs
auteurs s’entendent pour nommer « script » un tel mode
d’organisation des connaissances5,6. Les scripts de maladie
sont des réseaux de connaissances qui relient entre eux
de façon logique signes, symptômes, modes de présenta-
tion, facteurs contributifs, interventions thérapeutiques,
évolution, etc. d’une maladie. Ils se construisent progres-
sivement au contact répété de situations concrètes6 par
l’intégration des données provenant de l’étude et de l’expé-
rience. Ces réseaux, structurés pour l’action, sont mobilisés
en bloc lorsque le médecin doit régler un problème clinique.
Organiser efficacement leurs connaissances en de tels ré-
seaux permet aux cliniciens de poser plus tôt les questions
« payantes », d’arriver plus rapidement au diagnostic pro-
bable, de reconnaître plus facilement les tableaux atypiques
et de prendre moins de temps pour évaluer un cas7,8.
COMMENT SOUTENIR L’ORGANISATION EFFICACE
DES CONNAISSANCES DES STAGIAIRES ?
Ces données à propos de l’organisation des connaissances
sont rassurantes. Les cliniciens enseignants ne doivent donc
pas être intimidés par l’ampleur des connaissances de cer-
tains stagiaires. Ils ne doivent pas croire que leurs stagiaires
n’ont besoin que d’un savoir pratique et de quelques « trucs
du métier » pour devenir des médecins compétents. Ces
données nous permettent d’envisager des stratégies qui
aideront les stagiaires à profiter de leur exposition clinique
non seulement pour acquérir de nouvelles connaissances,
mais aussi pour les organiser afin qu’elles soient adaptées
à la pratique clinique.
Le Dr Gilbert Sanche, médecin de famille, est professeur agrégé de clinique au Département de médecine
de famille et de médecine d’urgence (DMFMU) de l’Université de Montréal. Mme Marie-Claude Audétat
est professeure adjointe de clinique au DMFMU. Elle est titulaire d’un doctorat en sciences biomédicales.
La Dre Suzanne Laurin, médecin de famille, est aussi professeure agrégée de clinique au DMFMU.
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lemedecinduquebec.org
« VA LIRE ! »
Une technique pédagogique pertinente et très utilisée
consiste à encourager le stagiaire à choisir, comme sujet
de lecture, un problème de santé vu au cours du stage.
Le clinicien enseignant pourra exploiter cette technique
à l’aide des stratégies spécifiques ci-dessus qui aideront
le stagiaire à parfaire son apprentissage individuel et à
organiser plus efficacement ses connaissances théoriques
(tableau I).
Ces apprentissages individuels s’ancreront davantage si le
clinicien enseignant révise avec le stagiaire ce qu’il a retenu
de ses lectures et en relève les éléments les plus pertinents.
TABLEAU I STRATÉGIES POUR SOUTENIR UNE ORGANISATION EFFICACE DES NOUVELLES CONNAISSANCES
Stratégies Exemples de consigne
Lire pour comprendre le lien entre la physiopathologie
et le tableau clinique
Attarde-toi à comprendre pourquoi, dans la paralysie de Bell,
tant le front que la bouche sont touchés
Lire en caractérisant les tableaux prototypiques Repère bien les symptômes et les signes les plus caractéristiques
d’une tendinopathie de la coie des rotateurs
Lire sur des maladies qui se manifestent par un même
symptôme en comparant et en opposant leur tableau clinique
En lisant sur la pneumonie et l’asthme, repère les signes
et les symptômes qui sont distincts et qui aident à diérencier
ces deux maladies l’une de l’autre
Lire en s’intéressant à l’évolution habituelle d’une maladie
et aux indices de gravité et d’évolution défavorable
Recherche combien de temps après le début des antibiotiques
les symptômes d’infection urinaire devraient s’atténuer et
ce qu’il faut faire si ce n’est pas le cas
Lire en réfléchissant à la pertinence de demander des examens
complémentaires compte tenu de leur disponibilité, de leur coût
et de l’eet de leur résultat sur le diagnostic et le traitement
Demande-toi quelle est l’utilité d’un examen d’imagerie du rachis
dans le traitement d’une lombalgie mécanique simple
Lire pour pouvoir expliquer à autrui Prépare, pour tes collègues, une présentation sur une maladie
en élaborant une vignette clinique qui servira de point de départ
à la discussion
Tableau des auteurs.
TABLEAU II STRATÉGIES DE SUPERVISION POUR SOUTENIR UNE ORGANISATION EFFICACE DES CONNAISSANCES
Stratégies Exemples de consigne
Repérage des éléments clés d’un tableau clinique Énumère les éléments que tu considères les plus importants
pour comprendre cette situation clinique
Justification du diagnostic principal Quels éléments de l’anamnèse, de l’examen physique et des
examens paracliniques t’ont conduit à ce diagnostic ?
Argumentation à propos du diagnostic diérentiel Quels éléments corroborent ou invalident les autres diagnostics
auxquels tu as pensé ?
Élaboration du script du stagiaire Que sais-tu d’autre sur cette maladie et comment cela s’exprime-
t-il dans ce tableau clinique ?
Pondération des éléments d’une situation clinique À laquelle de ces caractéristiques accordes-tu le plus
d’importance pour poser un diagnostic de migraine : le foyer
de la céphalée ou la présence de sono- et de photophobie ?
Tableau des auteurs.
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Le Médecin du Québec, volume 50, numéro 4, avril 2015
« QUE RETIENS-TU DE LA SITUATION CLINIQUE ? »
Le contexte de supervision clinique est aussi une occasion
privilégiée de stimuler la création des scripts. Au moment
de la discussion de cas, plusieurs interventions permettront
de faire des liens avec les connaissances (tableau II).
« CE QUE L’EXPÉRIENCE M’A ENSEIGNÉ... »
Le clinicien enseignant peut enrichir les scripts de ses sta-
giaires en partageant le fruit de son expérience clinique.
Pour ce faire, il doit d’abord prendre conscience de ses
pro pres scripts et être capable d’expliciter comment il
donne priorité à certains signes ou symptômes ou à leur
association pour formuler son impression diagnostique
(tableau III).
Dans le cadre d’un cours, l’enseignant gagnera à présenter
aux étudiants des problèmes qu’ils devront résoudre, car
un tel exercice permet d’utiliser et de mettre en pratique
les nouvelles connaissances.
CONCLUSION
Les stages cliniques sont des occasions privilégiées de faire
le passage nécessaire des connaissances biomédicales aux
scripts cliniques. Mais, tel que le relève Jouquan, « il ne suffit
pas d’exposer un étudiant à des patients et à des problèmes
de santé en situation de stage, encore faut-il que ces situa-
tions soient systématiquement exploitées pour induire et
orienter les apprentissages9 ». Les cliniciens enseignants ont
un rôle essentiel à jouer en ce sens : ils peuvent aider leurs
stagiaires à devenir des cliniciens compétents et effi caces,
non seulement en favorisant l’acquisition de nouvelles
connaissances, mais aussi en stimulant la réorganisation
de ces connaissances de manière à ce qu’elles soient faci-
lement utilisables en clinique. //
BIBLIOGRAPHIE
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TABLEAU III STRATÉGIES D’EXPLICITATION DES SCRIPTS DU CLINICIEN ENSEIGNANT
Stratégies Exemples
Comparer les modes de présentation selon le contexte
(cabinet, urgence, hospitalisation) et indiquer si celui du patient
qu’il vient d’évaluer est caractéristique ou non
En consultation sans rendez-vous, les patientes qui ont
une grossesse ectopique sont souvent moins sourantes
que celles que tu as peut-être vues à l’urgence, mais il faut
évoquer ce diagnostic en présence d’un saignement au premier
trimestre, accompagné d’une douleur à l’examen pelvien
Expliciter les éléments qui lui semblent déterminants
dans la situation clinique et qui le font s’orienter vers
un diagnostic probable
En l’absence de fièvre, l’association d’une toux persistant
après une infection des voies respiratoires supérieures et
d’antécédents d’atopie me fait penser à de l’asthme
Expliquer ce qui lui fait choisir certains examens
complémentaires ou certains traitements dans une situation
clinique donnée en fonction des renseignements qu’il recherche
et qui font partie de son script de maladie
Lorsque la lombalgie est chronique, qu’elle est consécutive
à un traumatisme ou qu’elle apparaît chez un patient de plus
de 60 ans, je demande une radiographie de la région
lombosacrée
Élaborer, à partir d’une situation clinique donnée, les éléments
qui font partie de son script et qu’il rechercherait lors
de l’évaluation du patient
Devant un asthme mal maîtrisé, je vérifie si le patient utilise
ses inhalateurs adéquatement parce que plusieurs asthmatiques
ne prennent que leur bronchodilatateur et négligent les
corticostéroïdes, ce qui peut expliquer l’échec du traitement
Tableau des auteurs.
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