Libéralisation de l`Economie Sénégalaise : Enjeux, Limites

Libéralisation de l’Economie Sénégalaise : Enjeux,
Limites, Finalités
Par Louis ALEXANDRENNE
In : La Revue du Conseil Economique et Social
N° 2, Février-Avril 1997
Pp ; 23-27
Après 35 ans d'accession à , la souveraineté internationale, le Sénégal jouit d'une
relative stabilité politique qui s'est traduite par l'élection au suffrage universel de deux
Présidents de la République et une relative paix sociale.
L'économie sénégalaise a connu pendant cette période des fortunes diverses mais force
est de reconnaître que, malgré certaines difficultés, le pays a connu, un développement
certain dans bien des domaines, surtout pendant les années 1960, 1970, et débuts
1980.
Les différentes politiques économiques mises en œuvre tendaient, d'une part, à libérer
le monde rural de sa trop grande dépendance vis-à-vis des commerçants « traitants »
considérés comme des exploiteurs, à diversifier l'agriculture de la tyrannie de l'arachide,
d'autre part à favoriser les investissements dans les secteurs primaire et secondaire
grâce au secteur privé sans ou avec l'Etat. l'Etat prenant à sa charge le financement des
infrastructures de la santé et de l'éducation .
Ces politiques avaient, en outre, pour but d'insérer les nationaux dans les circuits de
production afin de créer à terme une « bourgeoisie nationale des affaires » grâce aux
importants concours financiers mis à leur disposition par la Banque Nationale de
Développement. En conformité avec ces politiques et fort de l'héritage colonial en
matière administrative, l'Etat a pris toutes les mesures législatives, réglementaires et
incitatives nécessaires pour atteindre ses objectifs.
Compte tenu de la balkanisation de l'Afrique de l'Ouest en particulier, l'espace
économique du Sénégal s'est rétréci comme une « peau de chagrin » à la dimension de
son marché. Bon nombre d'investissements industriels avaient besoin du marché
sénégalais pour assurer leur rentabilité d'où les protections douanières ou
contingentaires qui leur étaient accordées, outre les avantages du Code des
Investissements.
Car, ces unités industrielles ne pouvaient lutter contre les prix de dumping faits sur les
produits similaires importés; ces produits étant souvent subventionnés par les pays
industriels. Des situations de rente furent établies et dans certains pans de l'économie,
des monopoles de fait. De nombreuses entreprises publiques et parapubliques furent
créées ainsi que des sociétés d'économie mixte. On en dénombrait en 1985, près de
200 représentant seulement 7 % du PIB contre 29 % de l'investissement global dans
l'économie. Dans certains cas, celles-ci étaient en concurrence avec des entreprises
privées au point où l'on se posait la question de savoir jusqu'où va l'Etat et quelle place
est réservée au secteur privé. Il faut, cependant, noter que si certains entreprises
publiques, para publiques ou mixtes ont vu le jour, c'était pour répondre parfois à une
demande intérieure non satisfaite par le secteur privé.
Aux différents plans de Développement économique et social (du 1er au IX ème actuel)
se sont juxtaposés des programmes d'Ajustement Structurel à partir de 1980.
La fin des années 1970 ayant été marquée par des déséquilibres intérieurs et extérieurs
de l'économie, le Gouvernement mit en place un Plan de stabilisation en 1978 avec
l'assistance financière de la Banque Mondiale qui fut suivi du Plan de Redressement
Economique et Financier (PREF) pendant les années 1979 à 1985.
Dans cet ordre, fut créée la Zone Franche Industrielle de MBAO qui constituait, à
l'époque, une «zone de liberté économique tournée vers l'exportation».
Les Enjeux de la Libéralisation Economique
Le Gouvernement du Sénégal était amené à s'engager avec les institutions de Bretton
Woods (Banque Mondiale et Fonds Monétaire International) dans un vaste programme
de réformes économiques dues à la crise structurelle de l'économie. Il est certain que de
telles réformes réduisaient, dans une certaine mesure, la «Force de frappe» de l'Etat en
matière d'Acteur économique au profit des autres forces vives du pays.
Il n'en reste pas moins que l'Etat va se trouver à un autre niveau de responsabilité au
Centre de gravité de l'Architecture socioéconomique du pays. Les Forces vives du pays
savent à présent où et comment se mouvoir librement, le rôle de l'Etat étant d'impulser
et réguler les activités économiques et de prendre en charge les infrastructures sociales.
C'est dans ce contexte qu'ont vu le jour les différents Plans d'Ajustement Structurel
(PAS), notamment le Programme d'Ajustement Structurel à Moyen et Long Terme
(PAMLT) couvrant la période 1985-1992. C'est dans cette foulée que s'inscrivent la
Nouvelle Politique Agricole (NPA) en 1984, la Nouvelle Politique Industrielle (NPI) en
1986. Les objectifs de la NPA étaient axés sur un développement par produit et par
filière en vue d'assurer leur équilibre financier par un désengagement de l'Etat,
notamment la suppression du Programme Agricole. Ceux de la NPI visaient le
démantèlement de toutes les protections dont, bénéficiaient les entreprises, la mise en
concurrence de celles-ci avec l'extérieur et un accroissement de la valeur ajoutée des
produits manufacturés. Des mesures d'accompagnement devraient être prises par l'Etat
pour assurer un succès à ces Politiques. Malheureusement, ce ne fut pas le cas en
raison, je suppose, du coût de ces mesures pour l'Etat. Certaines mesures ont été
appliquées parfois de façon hâtive puis remises en cause.
Certains opérateurs économiques ont pu dire que ces politiques étaient des échecs
notamment la NPI. Peut-être aurait-on pu ménager une période transitoire de deux ans
maximum pour permettre aux acteurs de prendre leurs dispositions pour «s'ajuster». En
matière économique, certains ajustements, pour porter leur fruits, doivent s'effectuer
progressivement.
La mise en application de la NPI a entraîné de nombreuses fermetures d'usines et son
cortège de licenciements de nombreux travailleurs sénégalais. La NPA dont le principe
fort louable était de «responsabiliser» le paysan, n'a pas répondu aux attentes prévues
malgré ne croissance moyenne constatée de 3% en 1992-1993 par rapport à la période
1984-1985 des productions céréalières.
Les filières riz, arachide d'huilerie, coton, tomate industrielle et canne à sucre en
particulier, ont connu des productions en «dents de scie » mais dans l'ensemble, elle
ont chuté surtout après la dévaluation du FCFA, en raison de la cherté des facteurs de
production, de l'insuffisance des semences, de l'inaccessibilité des paysans au crédit
agricole, du prix peu rémunérateur offert pour certaines spéculations.
Les prix et le commerce des produits agricoles ont été libéralisés. La Caisse de
Péréquation et de Stabilisation des Prix a été supprimée et relayée par les importateurs
privés locaux. La NPI, elle aussi, n'a pas eu les effets escomptés, notamment la relance
du secteur par l'augmentation de la production, la création d'emplois et la promotion des
investissements, malgré le code des Investissements de 1987 et la création du Guichet
Unique.
L'industrie sénégalaise a «mangé son pain noir» durant cette période. Il est à regretter
la fermeture des usines de chaussures Bâta dont la valeur ajoutée était appréciable du
fait de la valorisation des cuirs et peaux locaux. Néanmoins, l'industrie sénégalaise a,
dans son ensemble, tenu "le coup" et les entreprises existantes se sont adaptées et
certaines se sont restructurées, en conséquence, mais il faut reconnaître leur
vulnérabilité et fragilité structurelles.
La Loi sur la flexibilité du travail a été votée par le Parlement et les partenaires sociaux
ont modulé leurs revendications en fonction des impératifs économiques de l'heure.
Cette loi dont on pouvait craindre une application excessive et sans discernement de la
part des employeurs a été utilisée à bon escient. Elle a permis, dans une certaine
mesure, de limiter le nombre de fermetures d'usines. De même, l'environnement propice
à l'investissement commence à connaître un début d'exécution notamment le droit des
affaires au plan sous-régional de la zone franc grâce à l'Organisation pour
l'Harmonisation du Droit des Affaires (OHADA) et la réduction de la paperasserie
administrative.
Ainsi, 10 lois, 11 décrets d'application, 20 textes législatifs et réglementaires ont été pris
dans le cadre du Comité d'allégement des formalités et procédures administratives afin
de rendre à l'entreprise la liberté d'entreprendre sans entraves. C'est un pas important
qui devrait être poursuivi.
Les réformes mises en œuvre n'ont pas épargné non plus le secteur parapublic. A cet
effet, 19 entreprises ont été privatisées et 11 liquidées de 1985 à 1991. Certains
établissements publics ont été transformés en sociétés nationales pour une gestion de
type industriel et commercial avec des critères de performance établis entre l'Etat et les
dirigeants de ces sociétés, à travers des contrat-plans ou des lettres de mission.
De nos jours, ces privatisations touchent même les secteurs dits stratégiques (eau,
électricité, mines, usines d'arachide d'huilerie, les télécommunications, etc.)
La présence de l'Etat demeure néanmoins mais à un niveau d'actionnaire minoritaire.
Au cours des dix années de sécheresse qu'a connues le Sénégal à partir de 1973, le
secteur informel a fait irruption dans le paysage socioéconomique du pays, favorisé en
cela par les pouvoirs publics, dans une certaine mesure mais ayant causé des dégâts,
au secteur structuré, singulièrement à l'industrie. Ce secteur a progressé, au point où
certains de ses agents sont devenus de riches commerçants.
Une abondante littérature économique a fleuri sur cette composante «marginale» de
!'économie nationale au point où l'on se pose des questions sur sa réelle contribution au
développement du Sénégal. Il va falloir insérer ce secteur dans l'économie structurée.
Un effort a été fait dans ce sens avec la généralisation de la «Taxe sur la valeur
ajoutée» (T.V.A.).
A cet épiphénomène est venu s'ajouter le changement de parité du F CFA en janvier
1994. La dévaluation a relancé certains secteurs {industries agroalimentaires, tourisme,
pêche, industries chimiques,. industrie textile, produits horticoles etc.) leur donnant ainsi
une forte rentabilité grâce à une maîtrise de l'inflation. Et cela malgré la libéralisation
des prix. Par contre, certaines branches industrielles rencontrent d'énormes difficultés
d'écoulement de leurs productions (cas de la confiserie, des allumettes...) en raison de
la fraude aux frontières notamment. Des mesures de survie spéciales ont été
notamment envisagées par les Autorités sénégalaises.
Des capacités de productions locales restent encore inutilisées du fait, de la contraction
de la demande intérieure consécutive à la baisse du pouvoir d'achat. Il reste à espérer
que le marché de l'Union Economique et Monétaire Ouest Africaine puisse atténuer
cette tendance.
Le problème fondamental demeure dans la conciliation des impératifs-' nécessaires de
l'économie libérale avec le souci légitime de consolider voire de renforcer le tissu
économique national encore fragile dans la mesure du possible.
Les Limites de la Libéralisation
Le libéralisme économique ne signifie nullement, à mon sens, le «laisser-aller» et le
«laisser-faire», sinon, nous risquons dans un pays en développement comme le
Sénégal, de voir s'installer la «loi de la Jungle» où les plus forts écraseront les plus
faibles. C'est pourquoi, il revient à l'Etat, de définir «les règles du Jeu» où les Acteurs
économiques tout en ayant l'esprit d'entreprise ou l'initiative d'entreprendre conscients
de leurs droits et de leurs devoirs, s'organisent en conséquence, pour créer ou
développer leur affaires dans le respect du cadre défini par l'Etat pour la sauvegarde de
l'intérêt national et de la cohésion nationale.
Si l'on se réfère aux filières: riz, sucre, coton, tomate industrielle et arachide d'huilerie,
l'on constate les difficultés à promouvoir les productions locales en vue de satisfaire les
besoins domestiques par rapport aux importations soit de produIts finis ou semi finis à
transformer. Pour certaines spéculations, il s'agit d'approvisionner les industries locales
en intrants à un prix jugé «rémunérateur» par les partenaires de ces filières. Il est
certain que, pour certaines entreprises, les coûts de productions doivent être
compatibles avec la concurrence intérieure ou extérieure. Pour le riz, toutes les
conditions sont remplies localement surtout dans la région du Fleuve pour arriver à une
auto-suffisance.
Il en est de même de la canne à sucre pour sa transformation. Si seulement,
l'autosuffisance était assurée en matière de riz, sucre, tomate industrielle ou triple
concentré, ce sont des milliards de F CFA de devises qui seraient économisés avec les
milliers d'emplois à créer ou à préserver. Concernant le coton et l'arachide, l'on se
heurte d'une part, à une baisse de la production et au prix d'achat aux paysans jugé peu
attractif et à l'évasion des graines vers les pays limitrophes.
D'une manière générale il apparaît indispensable de mettre en place un vigoureux
programme décennal de relance de l'agriculture comportant différents volets axés sur la
mise à disposition des facteurs de production aux producteurs moyennant des prêts à
des conditions raisonnables. C'est le seuil moyen de pérenniser ce secteur vital pour
l'économie nationale. L'on devra, bien sûr, mettre les «garde-fous» nécessaires aux
remboursements de ces prêts. Le Chef de l'Etat, au cours de la récente concertation
avec le monde rural, a fait état d'un tel programme de relance pour la campagne
1997/98.
C'est heureux pour le monde rural et pour l'économie nationale Dans tous les pays du
monde, surtout les pays industrialisés, champions du libéralisme, (Etat Unis d'Amérique,
Europe notamment), l'Etat a toujours joué un rôle déterminant pour la promotion du
monde rural. A fortiori, sous nos latitudes où l'économie rurale est dominante et vitale.
Le Sous-secteur de l'horticulture mérite d'être souligné par sa grande valeur ajoutée,
dans l'économie mais aussi par ses grandes possibilités d'exportation. Cependant, là
aussi, les facteurs de production restent la clé de voûte de son développement.
Le programme de réformes structurelles entrepris par le gouvernement va se poursuivre
progressivement en desserrant l'étau trop contraignant du contrôle étatique de
l'économie mais en examinant chaque filière ou produit, cas par cas, car il s'agit de
laisser jouer les forces du marché dans la mesure où les partenaires économiques n'en
abusent pas au détriment des populations les plus défavorisées notamment pour ce qui
concerne les denrées de première nécessité.
Le cas de la filière pétrole et de son corollaire l'énergie va connaître prochainement une
libéralisation «modulée» tenant compte de l'existence de la raffinerie de MBAO. Tout
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