Philosophie morale

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La Philosophie Morale
Les Grandes Écoles
de la Grèce antique
Comment vivre ?
• Pour les philosophes de l’Antiquité, la
philosophie ne peut se limiter à être
un savoir théorique. Ils attendent
d’elle qu’elle nous dise comment
vivre pour réaliser une existence
heureuse ou, à défaut, pour éviter les
principales causes de souffrances.
• À quoi bon, en effet, être savant si
toute cette science ne donne aucun
avantages quant à la qualité de
l’existence ?
2
L’idée du Bien chez Platon
• Rappelez-vous que dans l’Antiquité, la philosophie
EST la science.
• Pour le courant philosophique qui a le plus marqué
le monde occidental, le platonisme, la connaissance
du Bien est donc une question de science.
Celui qui sait la Vérité connaît le Bien et pratique la
Vertu.
Inversement, celui qui commet le mal est forcément
un ignorant. Socrate enseigne ainsi que l’homme
qui commet une injustice est plus à plaindre que
l’homme qui la subit.
Cette conclusion paradoxale est tout à fait contraire
au sens commun : les gens souhaitent généralement
que les coupables soient punis et non pas plaints !
3
Le Bien et le Vrai
• Pourtant, la plupart des gens sont aujourd’hui
encore platoniciens. Ils pensent en effet que le
bien peut être connu exactement comme une
vérité scientifique.
• N’est-il pas tentant de croire que notre échelle
de valeurs constitue la « vraie » morale ?
• Cependant, à l’époque de Platon déjà, quelques
intellectuels refusaient d’accepter l’équivalence
de la vérité et du bien: ils s’étaient fait appeler
« Sophistes ».
Principaux courants de la Grèce antique
Bien que Platon et Aristote soient devenus les
inspirateurs pratiquement exclusifs de la pensée
médiévale, la Grèce fourmillait de philosophes
originaux qui ont défini d’autres écoles de
pensée.
Quelques-unes de ces idées sont encore vivantes
de nos jours. Il ne manque pas de gens qui se
revendiquent des sophistes, des épicuriens, des
stoïciens ou encore des cyniques.
5
Les Sophistes
• Les sophistes étaient engagés par les familles riches
pour former les jeunes gens à la vie politique. Ils
enseignaient la rhétorique et la logique. Les plus
célèbres s’appelaient Protagoras, Gorgias et Hippias.
Paradoxalement, c’est surtout aux critiques de Platon
(qui leur a consacré des dialogues) qu’ils doivent leur
notoriété !
• Le fait qu’ils se faisaient payer était une des raisons
pour lesquelles le riche Platon – qui n’avait pas besoin
de cela pour vivre – les détestait. Socrate compare les
sophistes à des marchands de légumes qui peuvent
empoisonner leurs clients parce que ces derniers n’ont
pas la formation nécessaire pour discerner la qualité des
produits.
6
Texte : Platon
•
•
•
SOCRATE — Un sophiste, Hippocrate, ne serait-il pas un négociant ou un
boutiquier qui débite les denrées dont l'âme se nourrit ? Pour moi, du moins, c'est
ainsi qu'il m'apparaît.
HIPPOCRATE — Mais cette nourriture de l'âme, Socrate, quelle est-elle ?
SOCRATE — Les diverses sciences, évidemment, repris-je. Et ne nous laissons
pas plus éblouir par les éloges qu'il fait de sa marchandise que par les belles
paroles des commerçants, grands ou petits, qui nous vendent la nourriture du
corps. Ceux-ci nous apportent leurs denrées sans savoir eux-mêmes si elles sont
bonnes ou mauvaises pour la santé, mais ils les font valoir toutes indifféremment,
et l'acheteur n'en sait pas davantage, s'il n'est maître de gymnastique ou médecin.
De même, ceux qui colportent leur savoir de ville en ville, pour le vendre en gros
ou en détail, vantent aux clients tout ce qu'ils leur proposent, sans peut-être savoir
toujours eux-mêmes ce qui est bon ou mauvais pour l'âme ; et le client ne s'y
connaît pas mieux qu'eux, à moins d'avoir étudié la médecine de l'âme. Si donc tu
es assez connaisseur en ces matières pour distinguer le bon du mauvais, tu peux
sans danger acheter le savoir à Protagoras ou à tout autre ; sinon, prends garde,
mon très cher, de jouer aux dés le sort de ton bien le plus précieux. Le risque est
même beaucoup plus grand quand on achète de la science que des aliments. Ce qui
se mange et ce qui se boit, en effet, quand on l'achète au boutiquier ou au
négociant, peut s'emporter dans un vase distinct,... de sorte que l'achat entraîne peu
de risques. Mais pour la science, ce n'est pas dans un vase qu'on l'emporte ; il faut
absolument, le prix une fois payé, la recevoir en soi-même, la mettre dans son
âme, et, quand on s'en va, le bien ou le mal est déjà fait.
7
•
Protagoras, trad. A. Croiset, Les Belles Lettres, 313c-314b
Protagoras
• Protagoras (v. 480-v. 411 av. J.-C.), philosophe grec, un des
principaux représentants des sophistes. Né à Abdère (Thrace),
vers 485 av. J-C., il partit pour Athènes où il se lia d'amitié avec
Périclès et acquit une notoriété considérable comme enseignant
et philosophe. Protagoras fut le premier penseur à revendiquer
pour lui-même le nom de sophiste et à enseigner contre
rétribution, recevant de fortes sommes de ses élèves. Il donnait
des cours de grammaire, de rhétorique et de poésie. Ses
principales œuvres, dont seuls quelques fragments subsistent,
sont intitulées Vérité et Des Dieux. Sa pensée reposait sur la
doctrine selon laquelle rien n'est absolument bon ou mauvais,
vrai ou faux, par conséquent l'individu ne peut être jugé selon
des principes généraux ; cette conception relativiste est
résumée dans la formule : « L'homme est la mesure de toutes
choses. » Accusé d'impiété, Protagoras s'enfuit en exil ; il périt
noyé alors qu'il se rendait en Sicile. Deux célèbres dialogues de
Platon, le Théétète et Protagoras contiennent la réfutation des
doctrines de Protagoras.
• (Encyclopédie Axis)
8
Épiméthée, petit dieu étourdi…
« Il n’y a sans doute pas d’image plus frappante de
l’homme des sophistes que le mythe d’Épiméthée dans le
Protagoras.
Épiméthée, petit dieu étourdi, chargé de distribuer
facultés et organes entre les espèces vivantes, a
imprudemment épuisé sa réserve en faveur des animaux.
L’homme, oublié dans le partage, reste «nu, sans
chaussures, sans couverture, sans armes»; la nature l’a
laissé pour compte. Cette idée de l’abandon originel de
l’homme, qui paraît refléter une crise profonde des
fondements de l’existence individuelle et sociale,
s’exprime sous de multiples aspects, qui sont autant de
figures d’une même éclipse de l’absolu.
Les dieux n’existent peut-être pas, et, s’ils existent, ils se
désintéressent des hommes. Les religions sont une
projection des besoins humains, ou un opium du peuple,
auxiliaire de la morale répressive et de la tyrannie.
(Universalis)
9
Le relativisme de toute connaissance
(…) comme Gorgias le remarque dans sa conclusion, il est clair que les perceptions chez
un seul et même homme ne sont ni homogènes ni constantes : avec les yeux il remarque
une chose, avec les oreilles une autre, aujourd'hui d'une façon, demain d'une autre.
Mais ce qui est le plus invraisemblable, c'est qu'un autre homme puisse percevoir
exactement la même chose que moi.
Les dernières considérations de Gorgias nous amènent tout naturellement à Protagoras.
La thèse principale de ce sophiste a pour point de départ des expériences d'ordre
physiologique. Le doux et l'amer, le froid et le chaud et autres choses semblables sont
des sensations qui varient non seulement d'un homme à l'autre, mais chez un seul et
même homme d'un jour à l'autre. Il est donc impossible d'affirmer que telle sensation
est plus juste que telle autre. Chacune d'elles a raison dans sa propre situation et pour
l'homme qui l'éprouve, et aussi longtemps qu'il l'éprouve. D'où la formule que Platon
donnait déjà comme étant le programme de Protagoras et qui après lui a été citée
isolément de son contexte, ce qui a donné lieu aux interprétations les plus diverses : «
L'homme est la mesure de toutes choses, de l'être de celles qui sont, et du non-être de
celles qui ne sont pas. » L'homme est le seul être qui sache par lui-même à chaque
moment ce qu'il perçoit et ce qu'il ne perçoit pas, et qui n'a à sa disposition aucun
critère qui lui permette de contester la vérité de chacune de ses perceptions.
GIGON, O., Les Grands Problèmes de la philosophie antique, Paris : Payot, p.260.
10
« L’homme est la mesure de toutes choses. »
Comment pouvons-nous interpréter cette célèbre formule
de Protagoras ? L’homme est peut-être l’espèce humaine
qui deviendrait alors la référence de toute valeur, de
toute action.
Ou bien « l’homme » désigne-t-il l’individu qui serait
libre alors de décider quel est le bien pour lui et quel est
le mal ?
Dans cette dernière hypothèse, la morale devient
complètement subjective. Elle vole en éclats. Si chacun
décide de ce qu’est son bien, n’entrons-nous pas dans le
règne de l’arbitraire, dans la domination de l’égoïsme du
plus fort qui est justement le négation de toute morale ?
11
Calliclès
À en croire Platon qui décrit le personnage
dans un dialogue intitulé « Gorgias », le
sophiste Calliclès opposait les lois de la
nature à celles des hommes. La justice
naturelle est tout simplement la loi du plus
fort. Le Bien se définit par la force, la
puissance.
Les idées de Calliclès ne sont pas mortes.
D'aucuns se sont emparés de la théorie
biologique de l’évolution pour formuler un
darwinisme social. La sélection naturelle
serait à l'oeuvre dans la société pour favoriser
12
l'élimination des plus faibles.
Texte : Platon, Gorgias (Magnard, p.141)
(C’est Calliclès qui s’exprime)
« Mais mon avis est que les lois sont établies par les faibles et
par ceux qui forment la multitude ; c'est donc en vue d'euxmêmes et à leur profit qu'ils procèdent à cet établissement et
qu'ils déterminent ce qui et digne d'éloge ou blâmable.
Voilà pourquoi, selon la loi, on dit injuste et honteux de
chercher à l'emporter sur la multitude ; voilà pourquoi on
appelle injustice cette manière d'agir: mais, à mon avis, c'est la
nature elle-même qui nous prouve que, en bonne justice, le
supérieur doit l'emporter sur l'inférieur et le plus capable sur le
moins capable. Elle nous montre en mainte rencontre qu'il en est
bien ainsi et que chez les animaux comme dans l'ensemble des
cités et des races humaines on a jugé qu'il est juste que le plus
fort commande au plus faible et l'emporte sur lui. »
13
Y a-t-il des experts en bonheur ?
Comment interprétez-vous cette phrase peinte sur la vitrine d’un
marchand de bonbons d’Amsterdam ?
Épicure pensait que la philosophie pourra faire de nous des experts
en vie heureuse.
14
Épicure (341 – 270). La morale, ou
« la théorie des plaisirs » (Larousse)
“S'il est vrai que l'âme n'est, comme le corps, qu'un composé
d'atomes, la terreur des hommes à l'égard de la mort n'est pas
moins absurde que la crainte des dieux. Dans le désarroi qui
accompagne la décadence politique de la cité grecque, la tâche
des philosophes fut alors de définir le « souverain bien » et
d'élaborer une haute conception du bonheur. Nonobstant
l'incompréhension que suscita la doctrine, l'épicurisme n'est rien
d'autre qu'une morale rationnelle du plaisir. Ce dernier se
produit de lui-même lorsque, par le jeu des organes naturels,
l'équilibre physiologique est établi dans un être vivant. Le
plaisir est une limite qui ne peut être dépassée sans se
transformer immédiatement en douleur. Le plaisir est donc un
bien par lui-même, mais un bien fragile, précaire, toujours
menacé par une rupture d'harmonie. D'où un véritable calcul
des plaisirs et une discipline ascétique que s'impose l'épicurien :
se suffire à soi-même, se contenter de peu, se moquer du
destin deviennent les préceptes fondamentaux.”
15
Texte : Épicure, La Mort n’est rien.
Maintenant habitue-toi à la pensée que la mort n'est rien pour nous, puisqu'il n'y a de
bien et de mal que dans la sensation et la mort est absence de sensation. Par
conséquent, si l'on considère avec justesse que la mort n'est rien pour nous, l'on pourra
jouir de sa vie mortelle. On cessera de l'augmenter d'un temps infini et l'on supprimera
le regret de n'être pas éternel. Car il ne reste plus rien d'affreux dans la vie quand on a
parfaitement compris qu'il n'y a pas d'affres après cette vie. Il faut donc être sot pour
dire avoir peur de la mort, non pas parce qu'elle serait un événement pénible, mais
parce qu'on tremble en l'attendant. De fait, cette douleur, qui n'existe pas quand on
meurt, est crainte lors de cette inutile attente !
Ainsi le mal qui effraie le plus, la mort, n'est rien pour nous, puisque lorsque nous
existons la mort n'est pas là et lorsque la mort est là nous n'existons pas. Donc la mort
n'est rien pour ceux qui sont en vie, puisqu'elle n'a pas d'existence pour eux, et elle
n'est rien pour les morts, puisqu'ils n'existent plus. Mais la plupart des gens tantôt
fuient la mort comme le pire des maux et tantôt l'appellent comme la fin des maux. Le
philosophe ne craint pas l'inexistence, car l'existence n'a rien à voir avec l'inexistence,
et puis l'inexistence n'est pas un méfait.
Épicure, Lettre à Ménécée, trad. E. Boyancé P.U.F.
16
Épicurisme et hédonisme
“Comment, pratiquement, réaliser cet idéal ? En suivant la nature,
d'une part, et en opérant un choix raisonné parmi les désirs. On
distingue, parmi ceux-ci, les désirs naturels et nécessaires, les
naturels et non nécessaires, enfin ceux qui ne sont ni naturels ni
nécessaires. Les derniers sont à proscrire, les deuxièmes à éviter,
les premiers à satisfaire pleinement et joyeusement : il s'agit des
plaisirs corporels élémentaires.
On voit combien le caractère sobre et sévère de la doctrine
d'Épicure ne peut être confondu avec la morale hédoniste,
professée par Aristippe de Cyrène, Eudoxe de Cnide et, plus tard,
le cynique Hégésias. L'hédonisme ne considère que l'intensité du
plaisir et de la douleur et non les différences qualitatives qui
peuvent exister entre eux. Épicure ne cherche qu'un plaisir calme
et stable, une sérénité d'âme, l'« ataraxie », forme de la sagesse et
le plus grand des biens.”
17
(Larousse)
Mill : Une critique de l’hédonisme
« Peu de créatures humaines accepteraient d'être changées
en animaux inférieurs sur la promesse de la plus large
ration de plaisirs de bêtes ; aucun être humain intelligent
ne consentirait à être un imbécile, aucun homme instruit à
être un ignorant, aucun homme ayant du coeur et une
conscience à être égoïste et vil, même s'ils avaient la
conviction que l'imbécile, l'ignorant ou le gredin sont,
avec leurs lots respectifs, plus complétement satisfaits
qu'eux-mêmes avec le leur. Ils ne voudraient pas échanger
ce qu'ils possèdent de plus qu'eux contre la satisfaction la
plus complète de tous les désirs qui leur sont communs.
[…]
18
Critique de l’hédonisme (suite)
Un être pourvu de facultés supérieures demande plus pour être
heureux, est probablement exposé à souffrir de façon plus aiguë, et
offre certainement à la souffrance plus de points vulnérables qu'un être
de type inférieur ; mais, en dépit de ces risques, il ne peut jamais
souhaiter réellement tomber à un niveau d'existence qu'il sent inférieur.
Nous pouvons donner de cette répugnance l'explication qui nous plaira
; […] mais, si on veut l'appeler de son vrai nom, c'est un sens de la
dignité que tous les êtres humains possèdent, sous une forme ou sous
une autre, et qui correspond – de façon rigoureuse d'ailleurs – au
développement de leurs facultés supérieures. Chez ceux qui le
possèdent à un haut degré, il apporte au bonheur une contribution si
essentielle que, pour eux, rien de ce qui le blesse ne pourrait être plus
d'un moment objet de désir. […] Il vaut mieux être un homme
insatisfait qu'un porc satisfait ; il vaut mieux être Socrate insatisfait
qu'un imbécile satisfait. »
• John Stuart Mill, L'Utilitarisme, éd. Flammarion, p.52-54
19
Le stoïcisme
Bien des gens qui n’ont aucune idée de la
pensée de Zénon ou de celle d’Épictète et
qui ne savent rien de Sénèque ni de MarcAurèle – les principaux philosophes stoïciens
– comprennent pourtant l’adjectif « stoïque »
ou l’adverbe « stoïquement ».
Être stoïque dans une circonstance difficile ou
la supporter stoïquement signifie faire preuve
d’impassibilité, de détachement devant le
malheur ou la douleur.
20
La Liberté stoïcienne
L'idée stoïcienne fondamentale est la suivante:
celui qui maîtriserait absolument ses pensées
serait un maître absolu de philosophie.
La pensée ne conditionne-t-elle pas notre
bien-être et notre malheur ? Lorsque nous
sommes dans la souffrance ou le désarroi,
c'est sans doute que nous sommes aliénés*
par des pensées qui nous volent notre liberté.
Et c’est précisément dans le pouvoir que nous
avons d'écarter les pensées aliénantes et d'en
convoquer d'autres satisfaisantes que réside
notre liberté.
21
Texte :EPICTÈTE, 50 (?)-125 (?) ap. J.-C
(in Magnard, page 69).
Puisque l'homme libre est celui à qui tout arrive comme il le désire,
me dit un fou, je veux aussi que tout m'arrive comme il me plaît. —
Eh ! mon ami, la folie et la liberté ne se trouvent jamais ensemble.
La liberté est une chose non seulement très belle, mais très
raisonnable et il n'y a rien de plus absurde ni de plus déraisonnable
que de former des désirs téméraires et de vouloir que les choses
arrivent comme nous les avons pensées. Quand j'ai le nom de Dion
à écrire, il faut que je l'écrive, non pas comme je veux, mais tel qu'il
est, sans y changer une seule lettre. Il en est de même dans tous les
arts et dans toutes les sciences. Et tu veux que sur la plus grande et
la plus importante de toutes les choses, je veux dire la liberté, on
voie régner le caprice et la fantaisie. Non mon ami: la liberté
consiste à vouloir que les choses arrivent, non comme il te plaît,
mais comme elles arrivent.
Entretiens, I, 35, in Les Stoïciens, Textes choisis par Jean Brun, PUF p. 72.
22
Le sage
stoïcien
De combien de malheurs l’attachement à des désirs
inaccessibles n’est-il pas responsable ?
Aussi bien convient-il de faire la part entre ce qui
dépend de nous et ce qui n’en dépend pas.
L’attachement : voilà justement la source principale
du mal. À l’instar de la pensée bouddhiste, le
stoïcisme nous invite au contraire au détachement.
La philosophie nous fait comprendre la vanité de
l’orgueil, de la volonté de possession et de la
poursuite insensée des richesses. Le sage stoïcien
arrive à désirer ce qui dépend seulement de lui-même.
Il n’espère rien d’autre que ce qu’il a déjà.
23
Texte : MARC AURELE, 121-180
(in Magnard, page 65.)
Si tu mets au rang des biens ou des maux ce qui ne
dépend pas de ta volonté, il est impossible, au cas
que ce mal t'arrive, ou que ce bien t'échappe, que tu
ne te plaignes pas des dieux, et que tu ne haïsses pas
les hommes, causes réelles, ou soupçonnées telles, de
ta déconvenue ou du mal qui t'a frappé. Et nous
commettons mille injustices, parce que ces objets ne
nous sont pas indifférents. Au contraire, si nous
considérons comme des biens ou des maux
uniquement les choses qui dépendent de nous, il ne
reste plus aucun motif d'accuser Dieu ou de déclarer
la guerre à l'homme.
Pensées pour moi-même,Livre VI, pensée 41, Les Stoïciens, textes
choisis par J. Brun, PUF, 1966, p. 71.
24
Déterminisme
Fatalisme
• L'espoir stoïcien est que le sage puisse
déterminer lui-même ses propres pensées.
Si, au contraire, nos pensées sont le
résultat de forces qui nous échappent,
alors nous ne seront que des robots.
• Un glissement est évidemment possible
vers le fatalisme*. En effet, celui qui se
convaincra que ce qui dépend de luimême est si peu de chose, en viendra à
accepter le destin inexorable comme
désirable.
25
Texte : EPICTETE, 50 (?)-125 (?) ap. J.-C
in Magnard, p. 65.
• De toutes les choses du monde, les unes
dépendent de nous, les autres n'en dépendent
pas. Celles qui en dépendent sont nos
opinions, nos mouvements, nos désirs, nos
inclinations, nos aversions, en un mot toutes
nos actions.
• Celles qui ne dépendent point de nous sont le
corps, les biens, la réputation, les dignités, en
un mot toutes les choses qui ne sont pas du
nombre de nos actions.
• Pensées (Manuel) I, in Les Stoïciens, textes
choisis, PUF, 1966, pp. 114-115.
26
• Les opinions ? Mais si nous étions nés dans
une autre famille ou dans une autre région
du monde, aurions-nous la même religion
ou la même conviction politique ?
• Quant à nos désirs, nos aversions, nos
inclinations, etc. ne dépendent-ils pas des
hasards, des rencontres, ou même de notre
constitution physique, du bon ou du
mauvais état passager de nos organes ? Il est
aisé de trouver des exemples où nos désirs
ne dépendent pas de notre moi conscient.
27
Texte : D’Holbach (1772)
Une illusion
•
« Mais, direz-vous, je me sens libre. » C'est une illusion que l'on peut
comparer à celle de la mouche de la fable (1) qui, placée sur le timon d'une
lourde voiture, s'applaudissait de diriger la marche d'un coche qui
l'emportait elle-même. L'homme qui se croit libre est une mouche qui croit
être le maître de mouvoir la machine de l'univers, tandis qu'il en est luimême entraîné à son insu. Le sentiment intime qui nous fait croire que
nous sommes libres de faire ou de ne pas faire une chose n'est qu'une pure
illusion. Lorsque nous remonterons au principe véritable de nos actions,
nous trouverons qu'elles ne sont jamais que des suites nécessaires de nos
volontés et de nos désirs, qui jamais ne sont en notre pouvoir. Vous vous
croyez libres parce que vous faites ce que vous voulez ; mais êtes-vous donc
libres de vouloir ou ne pas vouloir, de désirer ou de ne pas désirer ? Vos
volontés et vos désirs ne sont-ils pas nécessairement excités par des objets
ou par des qualités qui ne dépendent aucunement de vous ?
•
D’Holbach, Le bon sens puisé dans la Nature, éd. Coda, 2008, p.49.
•
(1) Fable, JEAN DE LA FONTAINE, Le coche et la mouche Livre VII, fable 9
28
Liberté, responsabilité, mérite
À son frère curé qui lui reprochait son athéisme, Diderot
répondait qu’il n’avait pas choisi cette attitude mais qu’elle
s’était imposée à lui.
Dans le texte qui suit, il défend le déterminisme par des
arguments très forts. «Il n'y a qu'une sorte de causes à
proprement parler ; ce sont les causes physiques. » écrit-il,
anticipant ainsi sur le célèbre mot d’Einstein : « Dieu ne joue
pas aux dés. »
N’y aurait-il vraiment plus aucune place pour la liberté dans
un monde où tous les phénomènes seraient en principe
explicables et dans lequel le pur hasard serait exclu ?
À l’évidence, chaque fois que nous donnons une explication au
comportement de quelqu’un, nous réduisons sa part de
responsabilité et ainsi sa culpabilité ou son mérite.
29
Texte : DENIS DIDEROT, Lettre à Landois 29 juin 1756. (1/2)
«Regardez-y de près, et vous verrez que la liberté est un
mot vide de sens ; qu'il n'y a point, et qu'il ne peut y avoir
d'êtres libres ; que nous ne sommes que ce qui convient à
l'ordre géné¬ral, à l'organisation, à l'éducation, et à la
chaîne des événements. Voilà ce qui dispose de nous
invinciblement. On ne conçoit non plus qu'un être agisse
sans motif, qu'un des bras d'une balance agisse sans
l'action d'un poids, et le motif nous est toujours extérieur,
étranger, attaché ou par une nature ou par une cause
quelconque, qui n'est pas nous. Ce qui nous trompe, c'est la
prodigieuse variété de nos actions, jointe à l'ha¬bitude que
nous avons prise tout en naissant de confondre le
volontaire avec le libre. Nous avons tant loué, tant repris,
nous l'avons été tant de fois, que c'est un préjugé bien
vieux que celui de croire que nous et les autres voulons,
agissons librement. Mais s'il n'y a point de liberté, il n'y a
point d'action qui mérite la louange ou le blâme ; il n'y a ni30
vice, ni vertu, rien dont il faille récompenser ou châtier.
Texte de Diderot (2/2)
Qu'est-ce qui distingue donc les hommes ? La bienfaisance et la
malfaisance. Le malfaisant est un homme qu'il faut détruire,
mais non punir. La bienfaisance est une bonne fortune, et non
une vertu. Mais quoique l'homme bien ou malfaisant ne soit pas
libre, l'homme n'en est pas moins un être qu'on modifie. C'est
par cette raison, qu'il faut détruire le malfaisant sur une place
publique. De là les bons effets de l'exemple, des discours, de
l'éducation, du plaisir, de la douleur, des grandeurs, de la
misère, etc. De là une sorte de philosophie pleine de
commisération qui attache fortement aux bons, qui n'irrite non
plus contre le méchant que contre un ouragan qui nous remplit
les yeux de poussière. Il n'y a qu'une sorte de causes à
proprement parler ; ce sont les causes physiques. Il n'y a qu'une
sorte de nécessité, c'est la même pour tous les êtres, quelque
distinction qu'il nous plaise d'établir entre eux, ou qui y soit
réellement. Ne rien reprocher aux autres ; ne se repentir de
rien ; voilà les premiers pas vers la sagesse. Ce qui est hors de
là, est préjugé, fausse philosophie . »
31
La Liberté
N’EST
PAS
l’indétermination
Paradoxalement, si tout est déterminé, cela ne signifie pas qu’il
n’existe aucun acte libre mais plutôt que nos actes libres
n’échappent pas à la règle !
J’entends par là que le contraire de la liberté N’EST PAS
l’indétermination ou le hasard. Un phénomène irrémédiablement
imprévisible – parce que indéterminé et connaissable seulement
par des probabilités – ne serait pas libre dans le sens que je
suggère lorsque je parle des actes d’un être humain ou d’un
animal.
Un acte libre s’il est le résultat d’une préméditation, s’il a été
déterminé par une activité cérébrale consciente. Cette dernière est
peut-être elle-même déterminée par un ensemble de processus
physico-chimiques qui échappent à notre conscience. Mais
qu’importe ? Dans le moment où notre action résulte d’une
décision prise à la suite d’une série d’opérations mentales
inconscientes, nous faisons l’expérience du choix, de la
responsabilité, du mérite et de la culpabilité.
32
Texte : Dennett. (1/2)
« Nous tenons par-dessus tout à poser comme vrai, d'une façon
ou d'une autre, que les choses valent la peine d'être faites.
Pendant des millénaires, nous nous sommes donc débattus avec
toute la famille des arguments qui accréditent la possibilité que
rien ne serve à rien, car, si l'univers était bien tel que la science
nous disait qu'il était, nos efforts et nos aspirations n'avaient
plus lieu d'être. Sitôt après avoir conçu la brillante idée selon
laquelle le monde serait composé d'une myriade de minuscules
particules rebondissant l'une sur l'autre, les atomistes de
l'Antiquité grecque avaient buté sur le corollaire suivant : dans
ce cas, tout événement, y compris nos battements de cœur, nos
bobards et la moindre de nos autoadmonitions privées, se
déroule conformément à des lois de la nature qui déterminent ce
qui advient ensuite jusque dans les plus infimes détails, de sorte
qu'il ne reste plus aucune option, aucun point de choix réel,
aucune chance que quoi que ce soit se passe comme ceci plutôt
que comme cela.
33
Texte : Dennett (2/2)
Si le déterminisme est vrai, il est illusoire de croire que les choses
valent la peine d'être faites, si fondée que cette croyance semble au
premier abord - il se pourrait même que nous soyons déterminés à
continuer à penser que les choses valent la peine d'être entreprises...
mais, dans ce cas également, ce serait une illusion. Voilà ce qu'on
s'est le plus souvent figuré ! Bien entendu, ce point de vue a aussi
alimenté l'espoir que les lois de la nature ne soient pas du tout
déterministes : les premiers à tenter d'atténuer l'impact du coup
porté par l'atomisme ont été Epicure et ses émules, qui ont supposé
qu'une déviation aléatoire des trajectoires de certains atomes
pourrait laisser les coudées assez franches pour que de libres choix
soient possibles, mais, dans la mesure même où le postulat de cet
écart fortuit ne se fondait sur rien d'autre que sur une pensée
magique, cette théorie s'était heurtée d'emblée à un scepticisme bien
mérité. »
DENNETT, D., Théorie évolutionniste de la liberté, Paris : Odile Jacob, 2003, pages 20 – 21.
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Le Cynisme
Diogène de Sinople (413 – 327) est connu comme le principal
représentant du cynisme philosophique.
Le personnage s’est rendu célèbre par une série d’anecdotes
probablement toutes plus fausses les unes que les autres mais
qui illustrent l’état d’esprit particulier d’un homme qui pense
que la philosophie se doit d’être une contestation sans
concession des idées reçues et des valeurs de la tradition.
L’action cynique défie les convenances, les bonnes manières,
toute forme de bienséance ou de conformisme. Le Cynique
(l’étymologie nous le rappelle) est un chien :
« Alexandre le rencontrant un jour lui dit : « Je suis le grand
roi Alexandre. » Diogène alors se présenta : « Et moi je suis
Diogène, le chien. » On lui demanda pourquoi il était appelé
chien : « Parce que je caresse ceux qui me donnent, j'aboie
contre ceux qui ne me donnent pas, et je mords ceux qui sont
méchants. »
Pour les anecdotes, voyez :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Diogène_de_Sinope
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