DÉCEMBRE 2012 - JANVIER 2013 VOL. 59 N° 8 QUÉBEC PHARMACIE 9
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Le délirium chez la personne âgée
Le délirium, syndrome courant chez les personnes âgées, est associé à une augmentation du taux de morbidité et de mortalité. Il peut se
présenter sous la forme hypoactive, hyperactive ou mixte. Puisqu’il est généralement multifactoriel, les approches qui ciblent plusieurs de
ses composantes sont les plus efficaces pour son traitement.
Le délirium, ou état confusionnel aigu, se
manifeste chez 10 % à 31 % des personnes âgées
se présentant à lurgence et 6 % à 56 % des aînés
hospitalisés1. Il est fréquent à la suite dune
chirurgie chez les patients de 65 ans et plus,
survenant dans 15 % à 53 % des cas en postopé-
ratoire. L’incidence chez la personne âgée
grimpe à 70 %-80 % en soins intensifs et à plus
de 50 % en centre dhébergement2. De plus, le
taux dincidence est de 88 % chez des person-
nes atteintes de cancer avancé, en soins pallia-
tifs et dont l’âge moyen est de 62 ans3. Il repré-
sente une urgence médicale puisqu’il est
associé à une hausse du taux de morbidité et de
mortalité. Plus son diagnostic et sa résolution
seront rapides, meilleur sera le pronostic4,5.
Manifestation clinique
Le délirium est un syndrome neuropsychiatri-
que caractérisé par la présence simultanée de
quatre éléments :
1) une perturbation de la conscience avec
diminution de l’attention;
2) une altération des fonctions cognitives
(telle quun décit mnésique, une désorien-
tation, une perturbation du langage) ou la
survenue dun trouble des perceptions ne
pouvant être expliquée par une démence
préexistante, stabilisée ou en évolution;
3) linstallation rapide de la perturbation
(habituellement de quelques heures à quel-
ques jours) qui a tendance à uctuer tout au
long de la journée;
4) lhistoire, lexamen physique ou les exa-
mens paracliniques tendant à démontrer
que le trouble est causé par les conséquen-
ces physiologiques directes dun problème
de santé5-8.
Certaines manifestations sont généralement
présentes dans le délirium, mais elles ne sont
pas les principaux éléments de diagnostic :
perturbation du cycle nycthéméral (veille-
sommeil), troubles psychomoteurs, troubles
de la perception (hallucinations le plus sou-
vent visuelles, illusions), troubles émotion-
nels, délires mal systématisés et passagers, dis-
cours désorganisé et incohérent, anomalies à
l’électroencéphalo-gramme (ralentissement
non spécique dius et symétrique du rythme
de fond)5,7,9.
Le délirium est classé selon l’état psychomo-
teur. En distinguant les formes hypoactives
(avec léthargie, somnolence, stupeur, symptô-
mes dépressifs), les formes hyperactives (
dominent agitation motrice, hallucinations et
signes dactivation sympathique) et les formes
mixtes où alternent ces deux présentations.
Texte rédigé par Josette Makhzoum, B. Pharm.,
M. Sc., Min. psychol., et Jean-Paul Makhzoum, MD,
résident en médecine interne
Texte original remis le 2 juillet 2012.
Texte final remis le 15 novembre 2012.
Révision : Sarah Girard, Pharm. D., Pharmacie
Morin, et Stéphanie Biron, B. Pharm., Groupe
Lavoie Pharmacies, Distribution Pharmaplus.
Tableau I
Distinctions entre le délirium, la dépression et la démence3
Délirium Démence Dépression
Apparition Rapide Insidieuse Variable
Durée Quelques jours à Quelques mois à Variable
quelques semaines quelques années
Cours Fluctuant Évoluant lentement Fluctuation diurne
(pire le matin, de
mieux en mieux au
cours de la journée)
Conscience Altérée, fluctuante Intacte jusqu’au dernier Intacte
stade de la maladie
Attention Inattention, défaillance Défaillance de la mémoire Difficulté à se
et mémoire de la mémoire sans inattention marquée concentrer; mémoire
intacte ou à peine
altérée
Affect Variable Variable Déprime; baisse de
l’intérêt et de la
sensation de plaisir
dans les activités
courantes
LES PAGES BLEUES
10 QUÉBEC PHARMACIE VOL. 59 N° 8 DÉCEMBRE 2012 - JANVIER 2013
Les formes hypoactives sont plus diciles à
identifier et plus fréquentes que les formes
hyperactives. Elles sont à l’origine dune sous-
estimation globale de la fréquence de ce syn-
drome. La forme hypoactive est plus com-
mune chez les sujets les plus âgés3,8. Dans bien
des cas, le délirium n’est pas décelé ou il fait
lobjet dun diagnostic erroné, tel que celui de
démence ou de dépression (Tableau I)3.
Le délirium est une cause importante de
morbidité et de mortalité en gériatrie1. L’évo-
lution du délirium peut prendre quatre direc-
tions : rémission complète sans séquelles,
rémission avec séquelles cognitives, détériora-
tion neurologique (de la conscience ou
convulsive) et mort5. Dans la plupart des cas,
il est considéré comme une maladie réversible
en 10 à 12 jours. Cependant, dans bien des cas,
les symptômes persistent au-delà de deux
mois; dans certaines études, plus du tiers des
patients sont demeurés symptomatiques à six
mois10. Le délirium augmente la probabilité
dhospitalisation prolongée, de déclin fonc-
tionnel et cognitif durable à 6 et 12 mois, et il
est associé à un taux de mortalité doublé par
rapport à celui des patients du même groupe
dâge1. La morbidité liée au délirium est pro-
portionnelle à sa durée et à son intensité.
Enn, le pronostic sera meilleur si son étiolo-
gie est réversible5.
Physiopathologie
La physiopathologie du délirium nest pas bien
élucidée9. Une des principales théories suggère
qu’il est provoqué par un déséquilibre de neu-
rotransmetteurs. Plus précisément, un excès
dopaminergique, associé à un décit choliner-
gique, conduirait au trouble cognitif. Des
déséquilibres cholinergiques peuvent provenir
de médicaments, de toxines exogènes ayant
des eets anticholinergiques ou de la réduction
de la synthèse endogène dacétylcholine8. Les
systèmes de neurotransmetteurs cholinergi-
ques et monoaminergiques se chevauchent à la
fois anatomiquement et fonctionnellement
dans le cerveau. Ainsi, des perturbations de la
sérotonine, de la noradrénaline et de la dopa-
mine modifient léquilibre cholinergique et
peuvent être impliquées dans la pathogenèse
du délirium. On soupçonne également qu’un
déséquilibre glutamatergique et GABAergique
dans le thalamus contribue à sa survenue8.
Lhypothèse inammatoire découle du fait
que de nombreuses situations cliniques, telles
que la sepsie, l’infection urinaire ou létat pos-
topératoire, peuvent déclencher le délirium.
Ces morbidités déclenchent une cascade
inflammatoire systémique, affectant ainsi le
système nerveux. Une prédisposition généti-
que à développer le délirium peut également
exister8. Lhypoxie, lischémie hypoxique et
linfarctus cérébral sont aussi proposés comme
mécanismes sous-jacents8,9.
Étant donné la grande variété de facteurs
étiologiques et de situations cliniques au cours
desquelles ce syndrome se présente, il est fort
probable quil soit le résultat dun processus
multifactoriel8.
Causes
Il faut distinguer les facteurs prédisposants,
qui augmentent la vulnérabilité de base, et les
facteurs précipitants, qui déclenchent le déli-
rium. Dans presque tous les cas, ce dernier est
multifactoriel1.
Les facteurs prédisposants les plus fréquem-
ment dénis (50 % des patients avec délirium)
sont ceux qui ont le potentiel de fragiliser le
cerveau, tels trouble cognitif, accidents vascu-
laires cérébraux ou maladies neurodégénérati-
ves. D’autres facteurs augmentent la vulnéra-
bilité : âge avancé, déficiences sensorielles
(perte de l’audition et de la vision), état de
dénutrition et toute atteinte chronique des
organes vitaux5,11.
Les facteurs précipitants sont nombreux.
Quelques exemples courants comprennent la
polypharmacie (en particulier les médica-
ments psychotropes), les infections, la déshy-
dratation, limmobilité (y compris une conten-
tion physique passive), la malnutrition, les
troublesmétaboliques, la défaillance dun
organesystémique, les traumas et lutilisation
de cathéters urinaires11,12.
Les médicaments sont responsables de près
de 39 % des cas de délirium chez les personnes
âgées. Lincidence due aux médicaments est
particulièrement élevée dans cette population
en raison dune altération pharmacocinétique
et pharmacodynamique, dune polypharma-
cie et dune comorbidité. Bien que certains
médicaments soient le plus souvent associés
au délirium, y compris les opiacés, les benzo-
diazépines, les anticholinergiques et les anti-
dépresseurs, tous peuvent en être la cause chez
les personnes âgées (Tableau II)1. La détermi-
nation du risque dépend de la fragilité de la
personne, autant que du médicament lui-
même9.
Les personnes âgées sont particulièrement
sensibles aux eets indésirables des médica-
ments anticholinergiques à cause dune per-
méabilité accrue de la barrière héma-
toencéphalique, dune plus grande sensibilité
des récepteurs cholinergiques, dune défi-
cience du métabolisme/élimination des médi-
caments et de déficits dans la transmission
cholinergique centrale. Leurs eets indésira-
bles comprennent notamment les chutes, la
rétention urinaire, les troubles cognitifs, la
psychose et le délirium1.
Les antidépresseurs tricycliques peuvent
causer un délirium, avec une incidence globale
Tableau II
Médicaments à risque élevé de provoquer un délirium
(liste non exhaustive; tous les médicaments devraient être considérés)3
Sédatifs hypnotiques Benzodiazépines
Barbituriques
Antihistaminiques (p. ex., diphenhydramine)
Opiacés La mépéridine est particulièrement encline à provoquer
le délirium
Médicaments ayant Oxybutynine
des effets anticholinergiques Toltérodine
Antinauséeux (antihistaminiques, antipsychotiques)
Stimulants de la motilité gastrointestinale
Antidépresseurs tricycliques (particulièrement
les amines tricycliques tertiaires, comme l’amitriptyline,
l’imipramine et la doxépine)
Antipsychotiques (p. ex., neuroleptiques
de faible puissance, comme la chlorpramazine)
Effet cumulatif de plusieurs médicaments ayant
des effets anticholinergiques
Antihistaminiques-H2 Cimétidine
Antiépileptiques Primidone
Phénobarbital
Phénytoïne
Antiparkinsoniens Agonistes de la dopamine
Lévodopa-carbidopa
Amantadine
Anticholinergiques
Benztropine
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Le délirium chez la personne âgée
allant de 1,5 % à 20 %. Les taux les plus élevés
semblent se trouver chez les personnes les plus
âgées et les patients souffrant de troubles
cognitifs et de comorbidité9.
Les inhibiteurs sélectifs du recaptage de la
sérotonine (ISRS) sont moins souvent associés
au délirium, comparativement aux antidépres-
seurs tricycliques9. La paroxétine a la plus
grande anité pour les récepteurs muscarini-
ques et est la plus susceptible de précipiter un
délirium1. Notons que lun des eets indésira-
bles des ISRS, particulièrement la uoxétine, la
uvoxamine, la paroxétine et la sertraline, est
une hyponatrémie pouvant se présenter
comme un délirium chez les personnes âgées9.
De plus, larrêt soudain des ISRS peut déclen-
cher ce syndrome1.
Les anticonvulsivants peuvent aussi induire
une hyponatrémie. De plus, ils peuvent causer
divers types de déficience cognitive, notam-
ment la somnolence, lagitation, la dépression,
la psychose, et le délirium. Latteinte des fonc-
tions cognitives est liée à la fraction libre du
médicament dont les concentrations sériques
totales peuvent se trouver dans l’intervalle thé-
rapeutique, mais présenter une toxicité en rai-
son dune hypoalbuminurie. Des techniques
de mesure de la fraction libre et des calculs de
correction sont disponibles. La surveillance
des taux sériques de médicaments à faible
index thérapeutique est primordiale9.
La relation entre la douleur et le délirium est
complexe. Bien qu’une douleur sous-traitée ou
prolongée puisse causer de lagitation et de la
confusion, lutilisation d’opioïdes dans la ges-
tion de la douleur peut pcipiter ou prolonger
la durée du syndrome1. Notamment, il est pré-
férable déviter la mépéridine chez les patients
âgés. En eet, la mépéridine a augmenté le ris-
que de délirium dans plusieurs études pros-
pectives, probablement en raison de lactivité
anticholinergique de son métabolite actif, la
normépéridine9.
Les relaxants musculaires agissent de façon
centrale dans le cerveau, et non localement au
niveau des muscles. Certains des relaxants
musculaires utilisés couramment (cycloben-
zaprine et méthocarbamol) ont été associés au
délirium9.
Certains produits naturels ou homéopathi-
ques, en particulier ceux utilisés pour les trou-
bles de lhumeur (p. ex., millepertuis, Atropa
belladonna, Hyoscyamus niger, Datura stramo-
nium, valériane, sauge, Salvia divinorum), peu-
vent augmenter le risque de délirium, en parti-
culier lorsqu’ils sont utilisés en association
avec des psychotropes1,2,11.
Prévention
Puisque le délirium est généralement multi-
factoriel, les approches qui ciblent plusieurs
composantes sont les plus efficaces pour la
diminution du risque4.
Une étude13 menée auprès de patients hospi-
talisés a permis de constater qu’en s’attaquant à
six facteurs de risque spécifiques, il y a eu
diminution du tiers des cas de délirium, com-
parativement au groupe témoin. Les six fac-
teurs de risque sont les troubles cognitifs, le
manque de sommeil, limmobilité, la déshy-
dratation, les troubles de la vision et la défi-
cience auditive4,14,15.
Quelques études ont évalué lutilisation pro-
phylactique des inhibiteurs de la cholinesté-
rase dans le délirium chez les patients à haut
risque (par exemple, les patients plus âgés avec
ou sans démence, en postopératoire et en post-
accident vasculaire cérébral). Cependant, à ce
jour, il n’existe aucune preuve solide démon-
trant lecacité des inhibiteurs de la cholines-
térase en prévention ou même en traitement
du délirium8,9. De plus, une étude à double
insu, randomisée, contrôlée avec placebo, éva-
luant lutilisation de la rivastigmine chez des
patients (N = 104) en soins intensifs atteints de
délirium, a été arrêtée prématurément en rai-
son dune mortalité accrue dans le groupe pre-
nant le traitement, comparativement au pla-
cebo (22 % vs 8 %)1,9.
Des études ont examiné des antipsychoti-
ques tels que lhalopéridol, la rispéridone et
lolanzapine dans la prévention du délirium.
Dans lune dentre elles, lhalopéridol n’a pas
réduit son incidence, mais a diminué sa gravité
et sa durée16. Dans d’autres études, lhalopéri-
dol, lolanzapine et la rispéridone ont été asso-
ciés à une réduction de l’incidence, comparati-
vement au placebo. D’autres études sont
toutefois nécessaires pour conrmer ces résul-
tats1,17. D’après les données probantes disponi-
bles, les interventions médicamenteuses chez
les personnes âgées en général an de prévenir
lapparition du délirium ne sont pas recom-
mandées3.
Traitement
Mesures non pharmacologiques
Une fois le délirium déclaré, les étapes-clés de
la gestion consistent à traiter toutes les causes
évidentes, à fournir des mesures de soutien, à
prévenir les complications et à traiter les symp-
tômes comportementaux4. Le premier objectif
consiste à gérer rapidement les facteurs prédis-
posants et les facteurs précipitants4,14,15.
Les mesures de soutien devraient inclure le
maintien dune hydratation et dune nutrition
adéquates du patient, la protection de ses voies
respiratoires, un bon positionnement et une
bonne mobilisation an déviter les ulcères de
pression et la thrombose veineuse profonde, le
retrait des cathéters urinaires, lévitement de
contentions physiques et la réponse à ses
besoins en matière de soins quotidiens4,14,15.
Les approches non pharmacologiques pour
gérer les symptômes de délirium devraient être
instituées chez tous les patients. Elles com-
prennent : promouvoir un environnement
Tableau III
Pharmacothérapie du délirium
agité chez le sujet âgé1,5
Classe Dose
ANTIPSYCHOTIQUE CONVENTIONNEL
Halopéridol 0,25-0,5 mg bid PO
et doses additionnelles
q4h prn
0,25-0,5 mg IM
avec dose additionnelle
après 30-60 minutes prn
ANTIPSYCHOTIQUES ATYPIQUES
Rispéridone 0,25-0,5 mg bid
Olanzapine 2,5-5,0 mg die
Quétiapine 12,5-25 mg bid
« Daprès les données probantes disponibles,
les interventions médicamenteuses chez les personnes âgées en général
an de prévenir lapparition du délirium ne sont pas recommandées. »
12 QUÉBEC PHARMACIE VOL. 59 N° 8 DÉCEMBRE 2012 - JANVIER 2013
calme et réconfortant avec l’utilisation doutils
dorientation, tels que calendriers, horloges et
objets familiers; encourager une communica-
tion régulière avec les membres du personnel;
impliquer les aidants familiaux dans la prise en
charge; limiter les changements de chambre et
de personnel; organiser ladministration des
soins an que le patient puisse disposer dune
période de repos susante sans être dérangé,
sans bruit et sans lumière, et favoriser des
cycles réguliers d’éveil le jour et de repos la
nuit, en ouvrant les volets durant la journée et
en incitant à labsence de sommeil et à une
activité physique diurne2,4.
Mesures pharmacologiques
Presque tous les médicaments peuvent causer
le délirium chez la personne âgée vulnérable.
Par conséquent, obtenir une histoire médica-
menteuse approfondie, comprenant linstau-
ration ou larrêt de médicaments et les ajuste-
ments de doses, est crucial lors de lévaluation
de la maladie. En outre, les médicaments préa-
lablement bien tolérés peuvent entraîner un
délirium dans le cadre d’une maladie ou dune
hospitalisation, ou tout simplement avec lâge.
De nouveaux médicaments administrés après
lapparition du délirium peuvent aussi exacer-
ber le tableau clinique1.
Plus le nombre de médicaments utilisé est
grand, plus le risque de développer un déli-
rium est élevé. Cela est lié à la toxicité directe
des médicaments ainsi quau risque accru
d’interactions médicament-dicament et
médicament-pathologie. Des études sug-
rent que la surutilisation de médicaments psy-
chotropes et la mauvaise gestion des médica-
ments surviennent fréquemment chez les
patients hospitalisés en gériatrie, ce qui sou-
tient que de nombreux cas de délirium pour-
raient être prévenus. Les médicaments ayant
des eets psychotropes doivent être interrom-
pus ou réduits dans la mesure du possible. À
tout le moins, des mesures devraient être pri-
ses pour réduire la posologie ou remplacer ces
médicaments par dautres à plus faible poten-
tiel toxique. Il est également essentiel de déter-
miner si le patient a des antécédents de
consommation chronique de médicaments ou
de dépendance à lalcool an dévaluer la pré-
sence dun sevrage2.
Comme le délirium est souvent un trouble
transitoire, létat de nombreuses personnes
s’améliore une fois le problème médical sous-
jacent traité, sans qu’une prise en charge phar-
macologique soit nécessaire18. Les psychotro-
pes doivent donc être réservés à la personne
âgée en délirium dont la sourance psycholo-
gique, due à lagitation (particulièrement noc-
turne) ou aux symptômes psychotiques, est
manifeste, et ce, an de procéder à linvestiga-
tion essentielle, dinstaurer le traitement ou de
lempêcher de causer un préjudice à elle-même
ou à autrui (e.g. risque dinterruption des t-
rapies essentielles, comme la ventilation méca-
nique ou les cathéters veineux centraux)4,9,15.
Les psychotropes ne sont pas recommandés
dans la forme hypoactive de la maladie, en lab-
sence de symptômes psychotiques ou de souf-
france psychologique9.
Le niveau approprié de sédation qu’il faut
chercher à obtenir avec les psychotropes per-
met la maîtrise des symptômes, la correction
de linversion du cycle veille-sommeil qui sur-
vient fréquemment et une amélioration de la
vivacité desprit durant les heures déveil. Il
faut éviter de traiter un patient âgé confus avec
le but spécique de contrôler l’errance, car les
psychotropes augmentent le risque de chutes9.
Il est recommandé de privilégier la mono-
thérapie, à la dose la plus faible possible, et de
réévaluer très régulièrement, au moins toutes
les 24 heures, en fonction de lecacité et de la
tolérance, an de minimiser les interactions
médicamenteuses et les effets secondaires.
Lorsque le traitement est prescrit à intervalles
réguliers, il est suggéré de le cesser progressive-
ment dès que possible2,8-10,18. En eet, le traite-
ment pharmacologique peut prolonger ou
aggraver le délirium dans certains cas et causer
de la confusion aig2,8.
Antipsychotiques
Les antipsychotiques sont la première ligne de
traitement pharmacologique du délirium
(Tableau III)2. La plupart des études évaluant
leur efficacité dans le délirium (Tableau IV,
disponible dans la version en ligne de cet article)
ont été ouvertes et sans groupe placebo. On ne
peut donc pas conclure que le médicament est
à lorigine de leet prévu ou que lamélioration
est due à dautres raisons, par exemple le cours
LES PAGES BLEUES
Tableau V
Affinité pour les récepteurs in vitro des antipsychotiques19
Antipsychotique Antagoniste Agoniste
Forte affinité Affinité modérée Faible affinité
(in vitro Ki, nM) (in vitro Ki, nM) (in vitro Ki, nM)
Halopéridol D2(1) D1(25); α1(46); α2(360), H1(3630);
5-HT2A(78) M1-M4 >1200
Rispéridone 5-HT2(0,16); D2(1,4);
α1(0,81); α2(7,5); H1(2,1)
Olanzapine 5-HT2A(4); H1(7); D1-D4(11-31); 5-HT2C(11); α2(230)
M1(1,9); M5(6) 5-HT3(57); M2-M4(13-25);
α1(19)
Quétiapine* H1(10); α1(13) 5HT2(288); 5HT1A(557);
D1(558); D2(531); α2(782)
Aripiprazole D2(0,34); D3(0,8); D4 (44); 5-HT2C(15); 5-HT7(39); D2 (agoniste partiel);
5-HT1A(1,7); 5-HT2A(3,4) α1(57); H1(61), site du 5-HT1A (agoniste partiel)
recaptage de la sérotonine (98)
Ziprasidone D2(4,8); D3(7,2); 5-HT2A(0,4); H1(47) 5-HT1A
5-HT2C(1,3); 5-HT1A(3,4);
5-HT1D(2); α1(10)
5-HT = récepteurs sérotoninergiques; D = récepteurs dopaminergiques; α1et α2= récepteurs alpha-adrénergiques; H1 = récepteurs histaminergiques; M = récepteurs cholinergiques muscariniques;
Ki = constante d’inhibition (inversement proportionnelle à l’affinité)
* La norquétiapine a une affinité élevée pour le transporteur de la noradrénaline (NET) et une affinité appréciable pour les récepteurs muscariniques M1.
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Le délirium chez la personne âgée
naturel du syndrome ou la détermination des
causes sous-jacentes. De plus, la plupart de ces
essais cliniques étaient de faible envergure et
de courte durée. La prise en charge des patients
des soins intensifs n’est pas traitée dans cet
article8.
Il faut faire preuve de prudence lorsqu’on
administre des antipsychotiques aux person-
nes âgées puisque les anomalies hépatiques,
rénales, cardiovasculaires et du système ner-
veux central, ainsi que lemploi concomitant
dautres médicaments, sont plus fréquents
dans ce groupe. De plus, ces patients sont
davantage prédisposés à lhypotension ortho-
statique. Par conséquent, il est recommandé
dutiliser des doses de départ moins élevées.
Toute augmentation, au besoin, doit s’eectuer
avec prudence dans leur cas19.
Les antipsychotiques conventionnels et aty-
piques ont été associés à un risque plus élevé de
mortalité et possiblement daccident vascu-
laire cérébral, lorsquutilisés dans les psychoses
associées à la démence. Une utilisation de
courte durée est donc conseillée pour cette
population1,18,20. La plus grande augmentation
de la mortalité a été notée chez les patients
atteints de démence et prenant des doses plus
élevées d’antipsychotiques conventionnels,
ainsi que pendant les 40 premiers jours de trai-
tement. Les causes cardiovasculaires représen-
taient 40 % de tous les décès. Les patients pre-
nant des antipsychotiques avaient aussi un
risque plus élevé de décès d’origine infectieuse
ou dû à des maladies des systèmes respiratoire
et nerveux1,19.
La dysmotilité œsophagienne et laspiration
ont été associées à l’utilisation des antipsycho-
tiques. La pneumonie daspiration est une
cause courante de morbidité et de mortalité
chez les patients âgés, particulièrement ceux
atteints de démence avancée de type Alzhei-
mer. La prudence s’impose lorsqu’on adminis-
tre un antipsychotique à des patients présen-
tant des risques de pneumonie par aspiration19.
Antipsychotiques conventionnels
Lhalopéridol est lagent le plus utilisé pour
réduire l’agitation associée au délirium2. Il
s’agit dun dérivé de la butyrophénone, doté de
propriétés antipsychotiques et bloquant com-
pétitivement les récepteurs postsynaptiques
dopaminergiques D1 (Ki = 25) et D2 (Ki = 1)
dans les systèmes mésolimbique, nigrostriatal
et dopaminergique tubéro-infundibulaire. Le
blocage des récepteurs dopaminergiques D2
dans ces régions cause des eets antipsychoti-
ques, extrapyramidaux (p. ex., dystonie, aka-
thisie, pseudoparkinsonisme, dyskinésie tar-
dive) et neuroendocriniens, respectivement19.
Lhalopéridol diminue la libération dhormo-
nes hypothalamiques et hypophysaires,
déprime le système d’activation réticulaire,
aectant ainsi le métabolisme de base, la tem-
pérature du corps (effet hypothermique),
léveil, la vasomotricité et l’émèse (propriété
antiémétique)21. Chez les sujets âgés ou aai-
blis, il est recommandé de commencer le trai-
tement à plus faible dose et daugmenter la
posologie graduellement19.
Lhalopéridol est préféré aux antipsychoti-
ques de faible puissance (tels que la chlorpro-
mazine) pour traiter le délirium, car il a moins
deets indésirables anticholinergiques et de
métabolites actifs et provoque moins de séda-
tion et dhypotension9,22.
Bien que l’halopéridol puisse être administ
par voie orale, intramusculaire (IM), sous-
cutanée ou intraveineuse (IV), la voie orale
semble être optimale en raison de sa pharma-
cocinétique. Même si le début daction est
rapide à la suite d’une administration IV, cette
voie devrait être évitée en raison de sa courte
durée daction2.
Lhalopéridol peut provoquer un allonge-
ment de l’intervalle QT proportionnel à la
dose, entrnant un risque accru d’arythmie
ventriculaire, notamment de torsades de
pointe9. Lutilisation IV dhalopéridol est asso-
ciée à un risque légèrement plus élevé daryth-
mies cardiaques. La fréquence des torsades de
pointe chez les patients en délirium traités par
lhalopéridol en IV varie entre 4 patients sur
1100 et 8 sur 2239,20. L’électrocardiogramme
(ECG) est recommandé avant dinstaurer la
thérapie par lhalopéridol, en administration
IV ou orale9. Un intervalle QT corrigé (QTc)
Tableau VI
Cytochromes possiblement impliqués dans les interactions médicamenteuses avec les antipsychotiques21
Antipsychotique Substrat* Inhibiteur
Majeur Mineur Modéré Faible
Halopéridol CYP2D6, CYP3A4 CYP1A2 CYP2D6, CYP3A4
Rispéridone CYP2D6 CYP3A4 CYP2D6, CYP3A4
Quétiapine CYP3A4 CYP2D6
Olanzapine CYP1A2 CYP2D6 CYP2D6, CYP3A4, CYP2C9,
CYP1A2, CYP2C19
Aripiprazole CYP2D6, CYP3A4
Ziprasidone CYP1A2, CYP3A4 CYP2D6, CYP3A4
* Basé sur des potentiels d’interactions médicamenteuses cliniquement pertinents.
« Presque tous les médicaments peuvent causer le délirium
chez la personne âgée vulnérable. Par conséquent,
obtenir une histoire médicamenteuse approfondie est crucial
lors de l’évaluation de la maladie. »
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