PRECURSEUR
DE LA
SECURITE
HUMAINE... 651
fondamentales, la primauté du droit, le bon gouvernement, le développement
durable et la justice sociale sont aussi importants pour la paix mondiale que le
contrôle des armements et le désarmement5 ». Cette vision de la sécurité
dépasse largement le seul cadre étatique et est infiniment plus étendue. Les
domaines sécuritaire, humanitaire, sanitaire, économique, juridique sont abor-
dés et envisagés comme une priorité pour la sécurité de chaque individu.
«
Du
point de vue de la politique étrangère, la sécurité humaine peut être perçue
comme un changement de perspectives. Il
s'agit,
en fait, d'une vision diffé-
rente du monde qui, loin de privilégier exclusivement la sécurité du territoire
ou des gouvernements, établit l'individu comme point de référence6. » Les
politiques relatives au maintien de la sécurité sont désormais accompagnées
de préoccupations pour les droits de la personne, la démocratie et le dévelop-
pement. Elles traduisent une volonté de renforcer à la fois les normes juridi-
ques et les mécanismes pour les faire respecter. Le Canada veut donner à cette
stratégie cohérence et rigueur pour que le concept de sécurité humaine ne soit
pas un concept creux, et tient, en en faisant son cheval de bataille, à obtenir
sur ce plan un certain leadership international7. Mais à l'heure où la sécurité
humaine l'emporte, un regard rétrospectif nous amène à remettre en question
la nouveauté du concept. L'idée de sécurité humaine, loin d'avoir été le fruit
de notre génération, a déjà été mise de l'avant et, qui plus est, largement
défendue par nos prédécesseurs.
La sécurité humaine, un concept nouveau
?
L'héritage de l'idéalisme
Les années 1920, accablées par la barbarie d'une guerre mondiale, ont été
riches en théories politiques sur la nécessité de penser le monde d'une façon
pacifique et sur la volonté d'instaurer une communauté internationale de
droit. L'ère de l'idéalisme fut motivée par le désir de prévenir la guerre. Pour
beaucoup, l'impérialisme et le militarisme poussaient les États les uns contre
les autres, et compromettaient ainsi par le sens de la compétition toute chance
d'établir une paix durable. Apparut alors l'idée selon laquelle seule une
interdépendance entre les États, accrue par le développement économique et
l'imposition du droit international, pouvait obliger ceux-ci à coopérer. Cette
conception défendait le fait que la paix était à construire et que les États
devaient abandonner leurs habitudes belliqueuses au profit d'un concert des
nations équilibré et pacifiste. Le principal porte-parole de ce courant de
pensée fut le président américain Woodrow Wilson, pour qui la paix ne
pouvait être obtenue que par la constitution d'une institution internationale
qui régulerait le désordre des nations.
«
Le but ultime du wilsonisme, explique
5.
flrid.,p. 2.
6. Ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, Gouvernement du Canada,
La sécurité humaine: la sécurité des individus dans un monde en mutation, Ottawa, avril 1999,
p.
5.
7.
Le Canada peut ainsi se conformer à l'exercice de la puissance
«
douce », conformément à la
thèse de Joseph Nye. Voir Charles-Philippe
DAVID
et Martin
BOURGEOIS, «
Le Canada et la
consolidation de la paix. La formulation d'une nouvelle approche pour la politique étrangère
canadienne », Études internationales, vol. xxix, n° 3, septembre 1998, pp. 577-598.