Klesis – Revue philosophique – 2011 : 21 – Philosophie analytique du droit
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être obtenue que par une décision discrétionnaire du juge : ce qui se présente
comme une interprétation dans ces cas (et dans ces cas seulement) n’est
qu’un pur verbiage destiné à cacher le choix opéré par le juge face à un cas
de texture ouverte de la règle1.
Dès lors que l’on accepte – ce que l’on n’est pas obligé de faire –
une distinction (nuancée) entre cas clairs et cas difficiles, il semble bien que
toute théorie de l’interprétation soit superfétatoire. Il n’en va pas ainsi dès
lors que l’on remplace la question « comment interpréter ? » par « pourquoi
interpréter ? ». C’est cette question que prend en charge Joseph Raz dans les
essais récemment réunis dans le recueil Between Authority and
Interpretation2, dont la plupart datent des années 1990. Se poser cette
question revient à se demander quel est le type de raisons qui conduisent
l’interprétation à jouer un rôle central au sein du raisonnement juridique3. Il
ne s’agit donc pas à proprement parler de fournir une thèse normative sur les
avantages comparatifs des diverses conventions ou techniques
d’interprétation, mais d’élucider les raisons de la nécessité de
l’interprétation. Ainsi la référence centrale à l’intention du législateur
apparaît chez Raz moins comme une technique permettant de résoudre un
cas obscur que comme une contrainte générale sur l’interprétation juridique
comme telle.
La question est donc de savoir dans quelle mesure il fait sens de
parler de fidélité interprétative, et de quelle manière l’interprétation modifie
le sens de la norme (et par conséquent modifie la norme elle-même). Cette
1 H. L. A. Hart, Le Concept de droit, trad. M. van de Kerchove, Bruxelles, Publications des
Presses Universitaires de Saint-Louis, 2005, p. 145. Le propos de Hart ne se confond pas
tout à fait avec le point de vue analogue de Kelsen, selon lequel toutes les méthodes
d’interprétation se valent, l’acte d’interprétation étant toujours un acte de volonté. Voir H.
Kelsen, Théorie pure du droit¸ 2e édition, trad. Ch. Eisenmann, Paris, Dalloz, 1962, pp.
457-458.
2 J. Raz, Between Authority and Interpretation, Oxford, Oxford University Press, 2009.
Parmi les comptes-rendus les plus significatifs, on retiendra T. Campbell, « Between
Authority and Interpretation », in Journal of Law and Society, 37/3, 2010 ; M. Goldoni,
« Joseph Raz, Between Authority and Interpretation », in Modern Law Review, 73/1, 2010 ;
K. Toh, « Some Moving Parts of Jurisprudence », in Texas Law Review, 88/5, 2010. Voir
également J. Goldsworthy, « Raz on Constitutional Interpretation », in Law and
Philosophy, 22, 2003.
3 Je restreins mon objet à l’interprétation comme partie du raisonnement juridique
(typiquement du raisonnement judiciaire), au détriment des querelles portant sur
l’interprétativisme comme méthode philosophique, qui constitue le cœur du défi porté par
Dworkin au positivisme hartien. Il sera donc assez peu question de Dworkin ici : on
adoptera sur le droit un « point de vue externe modéré » et dès lors il n’y a aucune raison
pour refuser de distinguer les questions métathéoriques et les questions de théorie du
raisonnement juridique, où l’interprétation joue un rôle privilégié. Je renvoie, au sujet de
l’interprétativisme, aux deux articles classiques de Stephen R. Perry : S. Perry,
« Interpretation and Methodology in Legal Theory » in A. Marmor (ed.), Law and
Interpretation, Oxford, Clarendon Press, 1995 ; S. Perry, « Hart’s Methodological
Positivism » in J. Coleman (ed.), Hart’s Postcript, Oxford, Oxford University Press 2001.