TSUNAMI
« Un tsunami sous-estimé par les autorités de Djakarta ». Ce titre d’un quotidien français daté d’hier
annonce cette catastrophe qui vient de frapper l’île de Java. Mais en marge de la tragédie dont on
nous informe, on peut remarquer une presque banalisation de ce type d’événement : on parle d’un
tsunami. Alors qu’on pouvait imaginer jusque là qu’en français, on ne pouvait pratiquement parler que
du tsunami. Eh bien on vient de passer du défini à l’indéfini, du « le » au « un ». Le tsunami n’est plus
unique ; le mot ne renvoie plus à un désastre précis, que tout le monde identifie, mais à un type de
catastrophe géographique.
Le mot nous est aujourd’hui familier, malheureusement. Mais en décembre 2004, il l’était beaucoup
moins. On l’avait pourtant déjà entendu en français, et pas récemment, puisque le dictionnaire Robert
fait remonter sa première attestation à 1915. Mais c’était un mot de spécialiste, et il était incompris de
la plupart des francophones ordinaires. On sait que c’est un mot japonais, qui veut dire vague, et
désigne une certaine catégorie de raz-de-marée. Le mot n’est pas si précis que ça, il peut renvoyer en
fait à des phénomènes dont les causes sont diverses : raz-de-marée déclenché par un séisme sous
marin, par une éruption volcanique, ou un glissement de terrain… Accident géologique plus fréquent,
en ce moment dans le sud-est asiatique que dans le reste du monde, ce qui explique qu’on ait gardé
pour le désigner un mot d’origine asiatique… même si les zones d’influence de ces catastrophes sont
immenses. Alors on sait que cette île de Java a déjà été touchée par des tsunamis, notamment en
1977 et en 1994. Mais égoïstement, on en parlait assez peu en France, en tout cas pas assez pour
que le mot reste dans nos mémoires.
En français, bien sûr, on parle de raz-de-marée. Un mot qui n’est pas rare, mais dont on connaît assez
peu souvent l’origine. Et même on aurait tendance à mal l’interpréter. Comme si ce raz, qui s’est
longtemps écrit ras, avait un rapport avec le verbe raser, l’expression à ras… Un raz de marée n’est
pas, linguistiquement en tout cas, un « ras le bol marin ». Le mot n’évoque pas le fait que l’eau
viendrait au ras de la terre, pour inonder ce qui d’habitude reste au sec.
En fait le mot ras est tout différent. Le français l’a emprunté parler normand, qui le tenait d’une
ancienne langue scandinave. Dans l’affaire, les passeurs sont les Vikings. Et ce terme désigne
d’abord un courant violent, courant d’eau, pris dans un passage étroit, un genre de goulet. Et d’ailleurs
c’est un mot qu’on retrouve dans des noms de lieux : la pointe du Raz par exemple.
C’est comme ça qu’est né le mot raz de marée, qui fait référence à cette vague gigantesque, qui vient
déferler sur la terre.
On notera évidemment que cette image frappante est souvent utilisée au sens figuré : un raz de
marée est un bouleversement complet, violent et soudain. Et on peut l’employer en politique comme
en histoire.
Mais ce qui nous montre bien que le mot de tsunami est réellement passé dans le langage courant,
c’est qu’il commence à avoir lui aussi les mêmes usages figurés que le raz de marée : on entend dire
par exemple que telle ou telle élection est un tsunami !