La gestion de l`altérité chez les peuples indigènes de l`Amazonie

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Université de Lyon
Université lumière Lyon 2
Institut d'Études Politiques de Lyon
Jean Philippe Echassoux
La gestion de l'altérité chez les peuples
indigènes de l'Amazonie brésilienne
Sous la direction de Charles Capela
Mémoire soutenu le jeudi 6 septembre 2012
Mémoire de séminaire
Séminaire : Géopolitique anti-drogue et sécuritaire en Amérique Latine.
Table des matières
Introduction . .
I. L’occupation de la terre par les non-indigènes pour son exploitation… . .
A.Une réflexion introductive : l’enjeu de l’identification de l’autre . .
B… agricole : l’avancée du front agricole vs. Terres Indigènes . .
C…minière : la ruée vers l’or bouleverse l’organisation socio-économique des indigènes
..
II…entraîne la défense locale de l’identité indigène . .
A.La FUNAI et la question de la protection de l’indigène . .
B.Les ONG permettent la défense d’intérêts locaux et la transnationalisation de la question
indigène . .
1.La défense d’intérêts locaux : les associations en lutte contre la biopiraterie . .
2.La transnationalisation de la question indigène . .
III... qui nécessite l’élaboration de normes protégeant l’autochtone . .
A.Reconnaître l’autre, c’est prendre le risque de l’ « enfermer dans des territoires normatifs
étrangers »… . .
B.… mais c’est aussi la condition pour construire un « espace politique commun » et
penser l’ « interculturalité normative » . .
Bibliographie . .
Annexes . .
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La gestion de l'altérité chez les peuples indigènes de l'Amazonie brésilienne
Introduction
L’ère de la colonisation portugaise est bien terminée au Brésil. Et pourtant, il existe des
rencontres toujours aussi surprenantes, presque d’un autre temps, car mettant aux prises
des étrangers, l’indigène et le non-indigène.
Dans cette citation, l’anthropologue Maisonnave Arisi évoque la première rencontre
entre des indigènes matis et un membre (d’un Poste Indigène d’Attraction) de la FUNAI
(Fundação Nacional do Indio), la Fondation Nationale de l’Indien, dans l’Etat de l’Amazonas
au Brésil. Une telle rencontre résulte, ici, en amont d’un travail d’approche de la part de
l’équipe d’attraction de la FUNAI. Il n’en est pas forcément toujours ainsi : un premier contact
peut s’établir directement avec des paysans ou des chercheurs d’or. Il existe une pluralité
d’acteurs non-indigènes présente en Amazonie brésilienne, selon l’intérêt de chacun et la
région en question ; et donc des modalités de rencontre et des rapports interculturels bien
distincts. Dans le cadre de notre étude, cette citation serait le début de notre histoire. Que
se passe-t-il après un premier contact ? « Sur la rive droite de l’Ituí, à 8 heures du matin,
est apparu un indien isolé en train de crier » : c’est précisément la suite de cette rencontre
que nous allons étudier.
Nous avons choisi l’Amazonie brésilienne pour le cadre de notre mémoire. L’Amazonie
représente un peu plus de 7 millions de km² avec l’Orénoque et s’étend sur 8 pays
d’Amérique du Sud : nous aurions pu élargir notre travail à toute l’Amazonie ou nous
focaliser sur un ou d’autres pays traversés par cette immense forêt. Effectuer notre étude
à partir de chaque Etat possédant un bout d’Amazonie ne nous a pas semblé approprié: la
connaissance et l’étude de la situation géopolitique de chaque pays et des grands types de
communautés indigènes nous aurait été nécessaire. Un tel travail aurait certainement pris
la forme d’un catalogue ce qui n’est pas souhaitable pour un mémoire. Au contraire, il est
attendu un sujet précis dont le cadre spatial sert de limites et non d’ouverture sur d’autres
thématiques et sujets.
Alors pourquoi ce choix de l’Amazonie brésilienne ? D’abord l’Amazonie représente
un immense espace relativement au territoire brésilien. En effet, l’Amazonie légale,
soit l’ensemble des neuf Etats fédérés brésiliens traversés par la forêt amazonienne,
représente 5 088 272.07 km² alors que le Brésil présente une superficie de 8 514 204.90
1
km² : l’Amazonie légale représente donc 59.76% du territoire brésilien . Certes, la forêt
amazonienne ne couvre pas à 100% l’ensemble des Etats de l’Amazonie légale et il existe
des pays comme le Surinam ou Guyana intégralement recouverts par la forêt d’émeraude.
Cependant, l’immense superficie de l’Amazonie brésilienne suppose une biodiversité (et
donc des ressources) et un peuplement indigène qui implique des politiques publiques
et des plans d’aménagement spatial d’une plus grande échelle que dans les autres pays
traversés par l’Amazonie. Néanmoins, ce n’est pas tant l’ampleur de telles politiques
publiques qui nous intéresse que l’importance des situations de rencontre entre indigènes
et non-indigènes qu’elles induisent.
1
IBGE (Instituto Brasileiro de Geografia e Estatistica) – recensement démographique 2000, dans BURSZTYN Marcel,
L’Amazonie, un demi-siècle après la colonisation, Versailles : Ed. Quae, DL 2010. Chapitre 1 : Amazonie brésilienne – bilan de 40 ans
de politiques publiques… et défis pour les 40 ans à venir, p.10, ISBN : 978-2-7592-0326-0
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ECHASSOUX Jean-Philippe - 2012
Introduction
Ensuite, nous justifions notre choix par le fait que le Brésil a mis en place la Fondation
Nationale de l’Indien (FUNAI), institution nationale de protection des communautés
indigènes. C’est un organe dépendant du ministère de la justice brésilien chargé de
« coordonner le processus de formulation et d’exécution de la politique indigéniste de l’Etat
2
brésilien » Ce n’est pas la fondation en tant que telle qui nous intéresse mais bien les
situations de rencontre indigènes/ non-indigènes dont elle conditionne les règles. Et ce,
en définissant un Statut de l’indigène, en démarquant les Terres Indigènes ou encore en
implémentant des fronts d’attraction. Par ailleurs, le travail des sertanistas, ces explorateurssalariés de la FUNAI qui aujourd’hui cherchent à délimiter le territoire des « tribus non
contactées » sans jamais les rencontrer directement, pose aussi la question de la nonrencontre.
Nous n’étudierons pas la période de la colonisation portugaise. Il ne s’agit pas
d’un sujet d’Histoire. Nous souhaitons plutôt questionner la notion d’altérité à l’ « heure
actuelle ». Une telle expression est à manier avec précaution, d’autant plus que nous
effectuerons des retours en arrière tout au long de notre analyse. En effet, d’une part, les
processus de rencontre indigènes/non-indigènes actuels s’ancrent dans des dynamiques
plus anciennes, telles les rencontres entre garimpeiros du Roraima (les chercheurs d’or
brésiliens) et indigènes Yanomami qui résultent de l’occupation de terres des premiers
pour l’exploitation aurifère ; exploitation qui débuta en 1987. D’autre part, c’est à partir du
début des années 1970 que la question indigène se médiatise et se transnationalise. Ces
communautés et leurs combats deviennent alors plus visibles, notamment grâce à la fin de
la dictature militaire en 1985, ensuite avec l’assassinat de Chico Mendes, le plus célèbre des
3
seringueiros , en décembre 1988. Nous avons donc choisi de borner notre sujet des années
1970 jusqu’à nos jours du fait que l’organisation des communautés indigènes en réseaux
et en lien avec des acteurs non-indigènes marque un nouveau rapport socio-économicopolitique entre indigènes et acteurs non-gouvernementaux et scientifiques principalement.
Outre sa médiatisation accrue depuis le milieu des années 1980 à partir des deux
évènements majeurs que nous venons de citer, puis à partir de 1992 et l’organisation
de la deuxième Conférence des Nations Unies sur l’Environnement et le Développement
(CNUED) ou Sommet de la Terre à Rio de Janeiro, l’Amazonie brésilienne génère, depuis,
un certain nombre d’ouvrages caractérisés par une approche pluridisciplinaire. En France,
l’essentiel de la littérature scientifique portant sur l’Amazonie brésilienne (au sens large)
provient du Centre de REcherche et de Documentation des Amériques (CREDA) qui
er
est une Unité Mixte de Recherche (UMR 7227) créée le 1 janvier 2010. Pour ce qui
4
nous intéresse , le laboratoire finance le projet DURAMAZ qui, à travers une approche
pluridisciplinaire, cherche à analyser les expériences de développement durable menées en
Amazonie brésilienne. Il finance également le projet USART qui étudie plus spécifiquement
la transmission du « savoir territorial » (soit l’ensemble des usages et des représentations
que possèdent les communautés indigènes à l’égard de la terre) entre générations plus
anciennes et actuelles. En outre, le laboratoire possède un pôle Un Brésil, des Amazonies
entièrement dédié au Brésil et à l’étude de ses phénomènes sociaux. Nous ne nous
attarderons pas plus sur les thématiques de recherche et les problématiques de ces projets
2
3
4
Povos indígenas – Fundação Nacional do Indio [en ligne]. [page consultée le 19 août 2012] <http://www.funai.gov.br/>
Ouvrier collecteur du latex
Un coup d’œil sur l’organigramme du CREDA permet de replacer dans leur contexte les projets financés et le pôle de recherche
brièvement évoqué ci-contre : http://www.iheal.univ-paris3.fr/IMG/pdf/organigramme_credal_19juillet2011.pdf
ECHASSOUX Jean-Philippe - 2012
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La gestion de l'altérité chez les peuples indigènes de l'Amazonie brésilienne
mais nous essayerons plutôt d’expliciter le positionnement de notre étude au sein de la
profusion des écrits des auteurs cités ci-après.
L’un des auteurs-clé du CREDA semble être François-Michel Le Tourneau, directeur
adjoint du laboratoire, responsable du projet USART et du pôle de recherche Un Brésil, des
Amazonies. De par sa formation, il propose une approche essentiellement géographique de
5
6
l’Amazonie brésilienne avec l’étude du peuplement et de la réforme agraire notamment.
Comme d’autres chercheurs, c’est avec son approche géographique qu’il a été amené
à l’étude de l’environnement et notamment les questions de la déforestation et du
développement durable, thématiques étroitement liées et qui débouchent sur d’autres
disciplines comme la sociologie, l’analyse des politiques publiques, l’anthropologie et la
science politique au sens large. Il semble que l’essentiel de la littérature scientifique portant
sur l’Amazonie brésilienne se focalise sur le concept de développement durable qui justifie
à lui-seul le grand nombre d’études à son sujet. En effet, les trois volets (écologique,
économique et social) du développement durable permettent une pluralité d’approche, dont
7
l’approche pluridisciplinaire. C’est ainsi que Hervé Théry , responsable du projet DURAMAZ
8
ou Martine Droulers , directrice du CREDAL (pour ne citer que les auteurs du CREDA) ont
largement étudié ce sujet.
La liste des auteurs ayant étudié le développement durable, et plus largement la
question de l’environnement en Amazonie brésilienne est très longue et nous n’irons
pas plus loin car notre étude ne s’appuie que très peu sur les travaux de ces auteurs :
leurs contributions ne nous servira qu’à « planter le décor ». En effet, notre approche
pluridisciplinaire s’appuiera bien plus sur des auteurs issus d’autres disciplines telles
9
10
11
l’anthropologie , le droit , et à la croisée de ces deux : l’anthropologie juridique et la
12
science politique au sens large.
En clair, notre approche est assez singulière dans la mesure où elle évitera les
thèmes majeurs de ces vingt dernières années au moins, soit le développement durable
et la déforestation. Concrètement, nous nous appuierons principalement sur les données
géographiques et temporelles des chercheurs du CREDA pour poser un cadre que nous
questionnerons à partir du concept central d’altérité et à la lumière de l’anthropologie,
du droit et de la science politique principalement. Notre approche cherche véritablement
à dépasser la collecte et la synthèse de simples données pour éclairer une thématique
précise.
5
LE TOURNEAU François-Michel, « La représentation du peuplement en pays pionnier : l'Amazonie brésilienne », L'Espace
géographique, 2002/2 tome 31, p. 145-152 LE TOURNEAU François-Michel, « La distribution du peuplement en Amazonie brésilienne :
l'apport des données par secteur de recensement », L'Espace géographique, 2009/4 Vol. 38, p. 359-375
6
LE TOURNEAU François-Michel et BURSZTYN Marcel, « La réforme agraire en Amazonie est-elle écologiquement
correcte ?», Revue Tiers Monde, 2011/2 n°206, p. 197-214. DOI : 10.3917/rtm.206.0197
7
8
9
10
THERY Hervé, Environnement et développement en Amazonie brésilienne, 208 pages, Belin, 1997
DROULERS Martine, L’Amazonie, vers un développement durable, Paris, A.Colin, 228 p. (2004)
TIERNEY Patrick, Au nom de la civilisation – comment anthropologues et journalistes ont ravagé l’Amazonie, Hachette, 2005
GESLIN Albane, La protection internationale des peuples autochtones : de la reconnaissance d’une identité transnationale
autochtone à l’interculturalité normative. Annuaire français de droit international, 2010 (parution 2011), pp.657-687
11
12
ROULAND Norbert, L’anthropologie juridique. P.U.F., 1995. 128p. ISBN : 9782130429951
SAYAGO Doris, TOURRAND Jean-François, BURSZTYN Marcel, AUGUSTO DRUMMOND José, L’Amazonie, un demi-
siècle après la colonisation. Versailles : Ed. Quae, DL 2010. ISBN : 978-2-7592-0326-0
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ECHASSOUX Jean-Philippe - 2012
Introduction
Nous centrerons notre réflexion autour de la notion d’altérité, à savoir la perception et
les réactions de l’indigène face à la présence de l’autre ; la frontière, soit la séparation réelle
ou symbolique du Brésil en deux (celui du littoral et de l’intérieur, et l’autre, amazonien) et les
dynamiques découlant d’une rencontre entre étrangers : l’acculturation et l’interculturalité.
Notre approche, essentiellement théorique, se veut résolument questionnante.
Notre travail s’articulera autour de la problématique suivante : comment se pose la
question de l’altérité à travers la présence des non-indigènes en Amazonie brésilienne ?
Questionner l’altérité, c’est partir du postulat suivant : il semble que l’indigène se distingue
du non-indigène selon différents critères que nous étudierons au moment de la définition
des termes. Cette distinction semble ainsi établir une frontière, symbolique ou réelle, entre le
Brésil « traditionnel » amazonien et le Brésil de l’intérieur et du littoral plus ou moins intégré
à la « modernité » ; elle établit aussi des intérêts que nous définissons, en introduction
seulement, comme antagonistes, et des rapports qui mettent nécessairement en jeu le
concept d’interculturalité. Tous ces concepts seront ceux que nous questionneront à travers
la présence des non-indigènes en Amazonie brésilienne.
Précisons que nous déclinons cette « présence » en deux points : d’abord l’occupation
de la terre par un certain nombre d’acteurs économiques et l’implantation d’acteurs nongouvernementaux et d’assistance ; ensuite, à l’échelle macro-politique, cette présence
s’exprime à travers la juridicisation du droit des peuples indigènes.
Notre étude s’articulera donc autour de données géographiques et temporelles qui
nous permettront de questionner nos concepts-clés. Ainsi notre plan peut, à première vue,
donner l’impression de passer à côté de ces concepts alors qu’il les analysera dans un
second temps de la réflexion. Nous mobilisons bien les faits et exemples au service de notre
démonstration.
La construction de notre plan répond à la problématique de type « ouverte » que nous
avons définie. C’est ainsi qu’il prétend éclairer les différentes facettes de la notion d’altérité,
et donc les concepts s’y rattachant. Nos différentes parties sont donc tout autant d’angles
d’attaques qui peuvent paraître sans lien entre elles. Nous nous efforcerons de rendre ce
lien plus visible au moment du développement.
L’occupation de la terre par les non-indigènes (agricole et minière) entraine la défense
locale de l’identité indigène (par ONG et FUNAI) qui nécessite l’élaboration de normes
protégeant les peuples autochtones.
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La gestion de l'altérité chez les peuples indigènes de l'Amazonie brésilienne
I. L’occupation de la terre par les nonindigènes pour son exploitation…
A.Une réflexion introductive : l’enjeu de l’identification
de l’autre
En introduction, nous n’avons eu de cesse de faire référence aux termes indigènes
et non-indigènes. D’autres termes existent pour qualifier l’indigène : autochtone, tribal,
aborigène, indien, amérindien, bushman, esquimau. Afin de clarifier l’un de nos objets
d’étude principaux, nous allons d’abord expliciter chaque terme et justifier l’utilisation de l’un
plutôt que l’autre.
Supprimons d’emblée les termes esquimau, bushman et aborigène : ceux-ci qualifient
les indigènes de régions bien spécifiques ; les régions arctiques d’Amérique et du Groenland
pour les esquimaux, l’Afrique australe pour les bushmen, et l’Australie et l’Argentine pour
les aborigènes.
L’adjectif tribal ne se réfère pas à l’indigène. La Convention 169 de l’Organisation
Internationale du Travail (OIT) effectue une différence entre les deux termes. La page
13
internet « terminologie » du site Survival pour les peuples indigènes rappelle cette
distinction opérée par l’OIT :
« Les peuples tribaux dans les pays indépendants qui se distinguent des autres
secteurs de la communauté nationale par leurs conditions sociales, culturelles et
économiques et qui sont totalement ou partiellement régis par des coutumes ou
des traditions qui leur sont propres ou par une législation spéciale Les peuples
dans les pays indépendants qui sont considérés comme indigènes du fait qu’ils
descendent des populations qui habitaient le pays, ou une région géographique à
laquelle appartient le pays, à l’époque de la conquête ou de la colonisation ou de
l’établissement des frontières actuelles de l’Etat et qui, quel que soit leur statut
juridique, conservent leurs institutions sociales, économiques, culturelles et
politiques propres ou certaines d’entre elles »
L’OIT semble prendre le critère de l’antériorité pour différencier le peuple tribal du peuple
indigène : ainsi un individu est indigène parce que son ascendance l’était aussi. Pourtant la
définition de Survival semble inclure ce critère de l’antériorité, puisqu’un peu plus loin, elle
annonce que « ces derniers [les peuples tribaux] étant ceux qui ont suivi durant plusieurs
générations un mode de vie nettement différent du courant principal, qui représentent une
population relativement peu nombreuse et qui ne sont pas ou très peu dépendants de la
13
8
Terminologie [en ligne]. [Page consultée le 15 juillet 2012]. <http://www.survivalfrance.org/qui/terminologie>
ECHASSOUX Jean-Philippe - 2012
I. L’occupation de la terre par les non-indigènes pour son exploitation…
14
société nationale » . Pour les peuples indigènes comme pour les peuples tribaux, leur mode
de vie alternatif (par opposition au mode de vie courant qui est celui des habitants de la
société dominante d’un pays donné) semble avoir été hérité et transmis depuis longtemps.
C’est ce que semble nous dire Survival. En fait, pour ce dernier comme pour l’OIT, la
distinction entre peuples indigènes et tribaux semble résider au niveau des relations avec
l’Etat : l’OIT dit que les peuples tribaux ont une législation qui leur est propre ; Survival
parle d’une faible voire d’aucune dépendance des peuples tribaux à l’égard de la société
15
nationale . Ce n’est pas le cas des peuples indigènes qui ont besoin de l’Etat dans lequel
ils se trouvent pour qu’il régule et légifère sur la présence des non-indigènes sur les terres
indigènes.
16
Etymologiquement, indigène signifie « né à l’intérieur du pays » . Survival abonde
dans le même sens : « qui appartient à un groupe ethnique existant dans un pays avant sa
17
colonisation » . Si nous voulons être précis, le terme indigène est inadapté pour qualifier
les peuples d’Amazonie brésilienne : ceux-ci sont bien issus d’une migration ancienne
de plus de 10 000 ans, donc d’une forme de colonisation. Seulement, relativement à la
« récente » colonisation européenne et à leur usage de leur environnement proche, les
indigènes d’Amazonie brésilienne sont quasiment des natifs de cette terre.
Le « terme ‘autochtone’ renvoie à un rapport particulier d’un groupe avec une terre,
18
un territoire donné » : nous retrouvons cette dimension privilégiée du rapport avec la
terre. Survival rappelle l’étymologie du terme autochtone : « qui est issu du sol même
19
où il habite, qui est censé n’y être pas venu par immigration » : nous retombons sur
la définition d’indigène. Les termes autochtone et indigène sont donc interchangeables.
Seulement sur le plan international le terme « autochtone » est plus employé, notamment
dans les définitions de José Martinez Cobo (rapporteur spécial des Nations Unies) et de
Erika-Irene Daes (ex-présidente du Groupe de Travail sur les Peuples Autochtones des
Nations Unies). Seule l’OIT, sur le plan international, semble employer le terme indigène.
Nous observerons la même utilisation de ces termes tout au long de notre étude.
20
Le terme indien se réfère aux « peuples des Amériques » . Nous pourrions l’employer
dans notre travail s’il ne possédait pas de connotations péjoratives, tout comme en
espagnol.
Enfin le terme non-indigène est assez simple : il qualifie l’individu qui n’est pas indigène.
Attention à ne pas le réduire au seul terme « blanc ». Nous n’entrerons pas plus dans
l’exposé des termes autochtone, indigène et non-indigène car nous donnerons les critères
de définition et entrerons dans le débat sur la reconnaissance des peuples autochtones
dans notre troisième partie.
14
15
Terminologie [en ligne]. [Page consultée le 15 juillet 2012]. <http://www.survivalfrance.org/qui/terminologie>
Ibid.
16
GESLIN Albane, La protection internationale des peuples autochtones : de la reconnaissance d’une identité transnationale
autochtone à l’interculturalité normative. Annuaire français de droit international, 2010 (parution 2011), p.8 du document.
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18
Terminologie [en ligne]. [Page consultée le 15 juillet 2012]. <http://www.survivalfrance.org/qui/terminologie>
GESLIN Albane, La protection internationale des peuples autochtones : de la reconnaissance d’une identité transnationale
autochtone à l’interculturalité normative. Annuaire français de droit international, 2010 (parution 2011), p.8 du document.
19
20
Terminologie [en ligne]. [Page consultée le 15 juillet 2012]. <http://www.survivalfrance.org/qui/terminologie>
Ibid.
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9
La gestion de l'altérité chez les peuples indigènes de l'Amazonie brésilienne
Par ailleurs, il est cependant important de préciser que l’utilisation de ces termes
pose d’emblée l’autre (l’indigène) comme différent de soi (le non-indigène). La question
de l’altérité commence donc par des mots. Ces mots possèdent des contenus et des
classifications à partir de critères. Cette création de catégories repose forcément sur
une forme d’identification. Or, comme le rappelle Albane Geslin, identifier, « c’est,
21
étymologiquement, faire du même, rendre semblable » : on identifie l’autre à partir de
nos propres catégories. Le risque est donc « d’enfermer les peuples autochtones dans
22
des territoires normatifs étrangers » . Au-delà du risque de réduction de l’identité de
l’autre à une identité répondant à nos propres critères, l’autre danger est de consacrer la
définition non-indigène de l’indigène à l’échelle du droit international. Pourquoi ne pas laisser
l’indigène s’auto-définir (autrement que comme autre) ? De là, de nouvelles questions
apparaissent : définir, c’est finir ; en l’occurrence, définir, c’est borner l’identité à des critères
stricts de définition. Or, il existe une myriade de façons d’être indigène étant donné les
différents niveaux d’intégration à la société non-indigène. A-t’on déjà songé à définir le nonindigène ? Enfin, les indigènes souhaitent-ils vraiment s’auto-définir ? Ne se reconnaissentils pas comme individus issus d’un village ou d’une communauté avant tout ?
Tout au long de cette première partie, nous mobiliserons trois études de cas au service
de l’étude de la frontière et de l’altérité. Notre hypothèse pour cette partie est la suivante :
il semble que la distinction indigène/non-indigène se concrétise spatialement à travers un
usage différent de la terre. Ainsi notre distinction, qui s’exprime en mots, à partir de différents
critères tangibles, prend aussi la direction d’une lutte pour la terre avec un champ lexical
tout à fait « guerrier » avec les termes de front et de frontière notamment. Ainsi l’étude de la
frontière, son existence réelle ou symbolique, les usages et la perception de la terre qu’ont
chacun des acteurs nous permettra d’étudier une des facettes de l’altérité.
B… agricole : l’avancée du front agricole vs. Terres
Indigènes
« Nous créons des parcs nationaux pour protéger les animaux ; pourquoi ne pas
le faire avec les humains ? dit-il. Mais fondamentalement, il ajouta, il ne s’agissait
pas d’une lutte pour les animaux mais pour les droits de l’homme. « C’est le
fondement de mon travail, » dit-il. « Je me bats pour les droits de l’homme de
ceux qui ne savent même pas que les droits de l’homme existent. »
Scott Wallace
23
1. Avant d’étudier la question de la frontière dans le domaine de l’occupation agricole
des terres, il nous faut contextualiser la présence non-indigène en Amazonie brésilienne.
21
GESLIN Albane, La protection internationale des peuples autochtones : de la reconnaissance d’une identité transnationale
autochtone à l’interculturalité normative. Annuaire français de droit international, 2010 (parution 2011), p.21 du document.
22
23
Ibid.
Version originale traduite par nos soins : « We create national parks to save animals ; why not do it for humans ? » he said. But
at its core, he added, this was a struggle not for animals but for the rights of human beings. « That’s the fundament of my work, » he
said. « I fight for the human rights of those who do not even know that human rights exist. » Propos de POSSUELO SIDNEY rapportés
par WALLACE Scott dans The unconquered : in search of the Amazon’s last uncontacted tribes. New York, Crown Publishers, 2011.
p.188. ISBN : 978-0-307-46296-1
10
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I. L’occupation de la terre par les non-indigènes pour son exploitation…
Les spécialistes en politiques publiques et géographie de l’Amazonie brésilienne ont dégagé
trois phases de politiques publiques en Amazonie brésilienne. Parmi eux, Marcel Bursztyn,
Hervé Théry et Neli Aparecida de Mello distinguent grossièrement les mêmes phases :
De 1970 à 1980 : nous sommes en période de dictature militaire au Brésil (1964-1985).
Le slogan du gouvernement militaire est « integrar para não entregar » (intégrer pour ne
pas céder) : le gouvernement cherche à asseoir son pouvoir sur l’ensemble du territoire
brésilien et jusqu’en Amazonie : il n’est pas question de laisser l’Amazonie se rapprocher
de pays étrangers. Pour cela, le gouvernement développe les infrastructures en Amazonie
pour mieux intégrer la région au reste du pays. C’est la « phase développementiste »
24
pour Marcel Bursztyn , de « planification » pour Neli Aparecida de Mello et Hervé Théry,
25
qui parlent aussi de la « décennie de plomb » . L’Amazonie devient un véritable chantier
autour de grands projets comme l’installation de la zone franche de Manaus (Suframa), la
construction du complexe minier Grande Carajás et surtout, pour ce qui nous intéresse,
le programme Polonoroeste qui va de pair avec le Programme d’Intégration Nationale
(PIN). Ce dernier programme devait faire « d’une pierre deux coups » : par le biais de
la construction d’un maillage routier transamazonien ainsi qu’une politique de distribution
de terres aux petits agriculteurs, le gouvernement militaire permet l’installation de petits
agriculteurs du Nordeste en Amazonie. Ainsi, officiellement il résout à la fois l’excédent
démographique du Nordeste et le vide amazonien. Officieusement, il ménage ses soutiens
politiques constitués de grands propriétaires en refusant de mener une réforme agraire
dans le Nordeste et en créant de nouvelles terres en Amazonie ; terres susceptibles d’être
26
étendues par le défrichage. C’est ainsi que le gouvernement obtient la pax agrariae
. Le programme Polonoroeste est une composante du PIN. Il s’articule principalement
autour du goudronnage de la route BR 364 entre Cuiabá et Porto Velho. Ainsi la population
afflue au Rondônia qui devient l’Etat qui connaît le plus fort accroissement démographique
entre 1970 et 2000 puisque sa population est multipliée par 11 (passant de 116 620 à
27
1 379 787 habitants) ! Cet afflux massif de population, en grande partie des petits éleveurs
et agriculteurs provoque une déforestation sans précédent qui fait du Rondônia « l’Etat qui
28
détient le plus fort pourcentage de déforestation de la région amazonienne » .
29
De 1980 à 1992 : Marcel Bursztyn parle de la phase de « libéralisme » . Les politiques
publiques des années 1980 ont été mises en place dans un contexte restrictif, limité
par les difficultés économiques du Brésil. C’est la raison pour laquelle, a posteriori, les
historiens parlent de « décennie perdue ». L’Etat brésilien, qui devient, officiellement mais
non forcément effectivement, démocratique en 1985, ne change pas l’orientation de ses
politiques publiques durant cette période : il se contente de continuer les grands projets
commencés dans les années 1970 (lancement de l’exploitation du gisement de fer de
la Serra de Carajás notamment). José Sarney, premier président civil depuis la fin de la
24
BURSZTYN Marcel, L’Amazonie, un demi-siècle après la colonisation, Versailles : Ed. Quae, DL 2010. Chapitre 1 : Amazonie
brésilienne – bilan de 40 ans de politiques publiques… et défis pour les 40 ans à venir, p.16, ISBN : 978-2-7592-0326-0
25
APARECIDA DE MELLO Neli et THERY Hervé, « L'État brésilien et l'environnement en Amazonie : évolutions, contradictions
et conflits », L'Espace géographique, 2003/1 tome 32, p. 3-20.
26
BURSZTYN Marcel, L’Amazonie, un demi-siècle après la colonisation, Versailles : Ed. Quae, DL 2010. Chapitre 1 : Amazonie
brésilienne – bilan de 40 ans de politiques publiques… et défis pour les 40 ans à venir, p.7, ISBN : 978-2-7592-0326-0
27
28
29
Ibid.
Ibid.
Ibid.
ECHASSOUX Jean-Philippe - 2012
11
La gestion de l'altérité chez les peuples indigènes de l'Amazonie brésilienne
dictature militaire continue en effet de considérer la doctrine de sûreté nationale comme
paradigme des politiques publiques amazoniennes. Ainsi la militarisation de la région
30
continue (opération Calha Norte par exemple) alliée à des grands projets d’exploitation :
« Indépendamment des changements de pouvoir, la doctrine de sûreté nationale s’est
31
vigoureusement développée et a maintenu son cap en Amazonie » . La préservation de
l’environnement ne fait pas encore partie des objectifs des gouvernements de l’époque.
Ces derniers préfèrent accorder des avantages fiscaux aux agriculteurs et éleveurs qui
s’installent en Amazonie.
1992-2007 : A partir de 1992 et l’organisation du Sommet de la Terre à Rio de
Janeiro, les politiques publiques brésiliennes à direction de l’Amazonie sont traversées
par deux mouvements antagonistes. D’une part, c’est à partir du Sommet de Rio que se
médiatise la question de la protection de l’environnement qui passe notamment par la lutte
contre la déforestation. A travers les projets de développement publics/privés menés en
Amazonie, des couloirs écologiques sont prévus ; les gouvernements successifs cherchent
à contrôler le déboisement. D’autre part, le Brésil continue sa croissance économique et
lance en 1996 le programme Brasil em ação (Brésil en action) articulé autour du volet
social (investissements de 26 milliards de reais dans les secteurs de l’emploi, la santé,
le logement et le crédit) et celui des infrastructures (plus de 44 milliards de reais sont
alloués à la construction ou l’amélioration des infrastructures de transport, énergétiques
32
et de télécommunications) . C’est la reprise de la planification au Brésil. Le programme
33
Avança Brasil (Brésil, avance), de « plus haut niveau scientifique et technique » prendra
le relais de Brasil em ação de 2000 à 2007. En théorie, la limitation de la déforestation
de l’Amazonie n’est pas incompatible avec un programme de développement économique,
seulement dans les faits, la dimension « environnement » n’est qu’une « possibilité pour les
34
investissements » et non une « dimension incluse dans un modèle de développement » .
2. C’est notamment par le biais du Programme d’Intégration Nationale que nous
retrouvons agriculteurs et éleveurs (du Nordeste principalement) en pleine Amazonie. C’est
ainsi que trois villages non-indigènes ont été créés ex-nihilo sur la Terre Indigène Cana
35
Brava, dans l’Etat du Maranhão . Il s’agit de Centro do Meio, Alto Alegre et São Pedro
dos Cacetes. C’est la présence de ce dernier sur les terres démarquées des Tenetehara/
36
Guajajara qui va nous servir d’étude de cas. Selon l’Instituto Socioambiental (ISA) , la
superficie officielle de la Terre Indigène Cana Brava représente 137 329 hectares. Selon la
FUNASA (Fundação Nacional de Saúde) 4510 indigènes vivaient sur la Terre Cana Brava
en 2010. Afin de comprendre les noms propres dont il sera question, il est important de
30
31
Opération dont le but était d’occuper la région nord-amazonienne à partir de 1985
FLAVIO PINTO Lúcio, L’Amazonie, un demi-siècle après la colonisation, Versailles : Ed. Quae, DL 2010. Chapitre 10 :
Politique sur la frontière, p.148. ISBN : 978-2-7592-0326-0
32
APARECIDA DE MELLO Neli et THERY Hervé, « L'État brésilien et l'environnement en Amazonie : évolutions, contradictions
et conflits », L'Espace géographique, 2003/1 tome 32, p. 11
33
APARECIDA DE MELLO Neli et THERY Hervé, « L'État brésilien et l'environnement en Amazonie : évolutions, contradictions
et conflits », L'Espace géographique, 2003/1 tome 32, p. 14
34
35
36
Ibid.
Voir carte 2 à la page des annexes
De olho nas Terras Indigenas, page internet de Instituto Socioambiental [en ligne]. [page consultée le 19 août 2012]. <http://
ti.socioambiental.org/#!/terras-indigenas>
12
ECHASSOUX Jean-Philippe - 2012
I. L’occupation de la terre par les non-indigènes pour son exploitation…
savoir que Guajajara est le nom du peuple résidant sur cette Terre. Ce dernier parle la
langue Tenetehara issue de la famille linguistique Tupi-Guarani.
37
Qu’est-ce qu’une Terre Indigène au juste ? Pourquoi la démarquer ? Les Tenetehara/
Guajajara et paysans récemment installés ne peuvent-ils pas cohabiter sur la même terre ?
Avant d’entrer dans notre exemple, répondre à ces questions nous paraît important afin de
mieux comprendre les enjeux dont il est question. En fait, depuis l’indépendance du Brésil
en 1822, les indigènes ne sont plus considérés comme peuples et nations à part entière
mais comme des citoyens brésiliens. Et comme tout citoyen brésilien vivant au Brésil, ils
doivent posséder un titre de propriété pour pouvoir résider sur les terres qui étaient les leurs
avant l’indépendance, cette disposition faisant l’objet d’une loi en 1850. L’achat de terres
n’étant pas adapté aux cultures indigènes afin de régulariser leurs lieux de résidence, il a
fallu démarquer les terres indigènes. C’est le but premier du Service de Protection de l’Indien
(SPI) créé en 1910. C’est l’ancêtre de la FUNAI. Nous y reviendrons dans la partie idoine.
La Terre Indigène (TI), démarquée, est donc à différencier d’une terre qui est indigène
du point de vue de son peuplement. Le statut de la Terre Indigène est défini dans les
articles 20 et 231 de la Constitution fédérale brésilienne de 1988. La démarcation d’une
38
Terre Indigène fait l’objet d’un processus long résumé en quatre phases par Carlos Q.
39
Ricardo :
Phase 1 : Identification et délimitation
Phase 2 : Démarcation
Phase 3 : Homologation de la démarcation
Phase 4 : Régularisation
Une fois la Terre démarquée, la présence non-indigène n’est plus tolérée au sein de
celle-ci. Une Terre Indigène peut être apparentée à une aire protégée. En l’occurrence, la
Terre Indigène Cana Brava a été démarquée par la FUNAI en 1977, ce qui n’a pas empêché
l’installation (illégale) du village São Pedro dos Cacetes sur celle-ci.
Quelles ont été les réactions et les moyens de contestation des Tenetehara/Guajajara
40
à l’égard des non-indigènes sur leur terre ? Selon Elizabeth Maria Beserra Coelho ,
les indigènes ont alternativement choisi deux moyens d’action :
Soit ils ont privilégié le règlement des conflits par la voie institutionnelle : ils sont
dans leur droit de citoyens brésiliens puisqu’un certain nombre d’articles les concernent
41
spécifiquement .
37
38
Voir carte 1 à la page des annexes
Processus explicité dans le décret présidentiel numéro 022 du 4 février 1991 sur le processus administratif de démarcation
des terres indigènes et des autres provinces
39
Q. RICARDO Carlos. Reconocimiento y demarcaci ό n de territorios ind í genas en la Amazonia. Bogota : CEREC, 1993.
303 p. ISBN : 958-9061-69-9
40
BESERRA COELHO Elizabeth Maria. L’ Amazonie, un demi-siècle après la colonisation. Versailles : Ed. Quae, DL 2010.
Chapitre 11 : Amérindiens et colonisation en Amazonie, p.156. ISBN : 978-2-7592-0326-0
41
Ces articles sont référencés à titre d’annexes dans le document 1 à la fin du chapitre de Q. RICARDO Carlos Reconocimiento
y demarcaciόn de territorios indígenas en la Amazonia. Bogota : CEREC, 1993. 303 p. ISBN : 958-9061-69-9
ECHASSOUX Jean-Philippe - 2012
13
La gestion de l'altérité chez les peuples indigènes de l'Amazonie brésilienne
Soit ils ont recours à des actions plus violentes qui vont des pillages, en passant par
des « mises à sac dans les plantations, des incendies de baraquements » jusqu’à des
assassinats.
A travers ces deux moyens d’action, les indigènes manifestent bien plus qu’une lutte
pour leur propre terre. Il faut bien comprendre ce que signifie pour eux la terre : c’est
leur habitat, leur lieu de ressources (halieutiques et gibier) et la source de leur spiritualité.
Ainsi à travers leur combat ils défendent une terre qui permet l’existence de leurs attributs
fondamentaux ; et ce sont ces attributs qui définissent l’identité indigène. Il s’agit donc
d’une lutte pour la protection de leur identité. C’est bien le sens des propos de Beserra
Coelho : « Pour les Tenetehara/Guajajara le territoire était un espace physique et social
42
qui conditionnait leur identité ethnique/nationale » et de ceux de Irène Bellier : « l’individu
autochtone ne peut se séparer du peuple auquel il appartient lequel fait du rapport au
43
territoire un symbole d’identité » .
A l’inverse, pour les non-indigènes, la terre est un lieu « sur lequel s’inscrivait l’histoire
de la construction d’un sentiment communautaire, de production et de reproduction des
44
relations de parenté et de voisinage » . Si la terre garantit le présent des indigènes soit
un ensemble de pratiques qui constitue leur identité, pour les non-indigènes, la terre est
un lieu qui se charge d’histoire mais ne conditionne aucune existence, puisque des lieux
semblables existent ailleurs.
Le conflit pour la terre de Cana Brava peut être vu comme une simple volonté
des citoyens-indigènes Tenetehara/Guajajara de faire respecter la loi relative aux Terres
Indigènes. En tout cas, ce conflit révèle deux usages et visions distincts de la terre. Pour
les indigènes, ce conflit est même une lutte pour leur identité. C’est ainsi que même si
l’Etat brésilien les considère comme ses citoyens, ils n’en restent pas moins une nation,
avec ses attributs spécifiques. C’est pour cette raison que Beserra Coelho précise que les
45
Tenetehara/Guajajara « se trouvaient dans la position d’une nation en guerre » . Plus loin
elle ajoute : « les Tenetehara/Guajajara ne se sentent donc citoyens que de façon partielle
46
puisqu’ils n’ont pas le sentiment de partager une identité linguistique et culturelle » . Il
nous semble que ces deux citations sont contradictoires : soit la lutte pour la terre révèle la
spécificité des Tenetehara/Guajajara qui deviennent ainsi une nation à part au sein de l’Etat
brésilien, soit le conflit révèle la frontière symbolique et réelle (il y a d’un côté les Terres
Indigènes et de l’autre l’espace hors du territoire démarqué) entre indigènes/non-indigène
et éloigne les Tenetehara/Guajajara de la citoyenneté brésilienne.
Un certain nombre d’auteurs comme Beserra Coelho font référence à tout un champ
lexical de la frontière avec des termes comme « processus de colonisation », « invasions
de non-indiens », « front d’expansion agricole » et bien sûr « démarcation ». Ces termes
ne sont pas anodins et révèlent un état de fait : les Terres Indigènes, espaces de protection
privilégiés des communautés indigènes, établissent une frontière tangible avec l’extérieur.
42
43
Ibid.
BELLIER Irène, « Identité globalisée et droits collectifs : les enjeux des peuples autochtones dans la constellation onusienne
», Autrepart, 2006/2 n° 38, p. 99-118. DOI : 10.3917/autr.038.0099
44
BESERRA COELHO Elizabeth Maria. L’ Amazonie, un demi-siècle après la colonisation. Versailles : Ed. Quae, DL 2010.
Chapitre 11 : Amérindiens et colonisation en Amazonie, p.156. ISBN : 978-2-7592-0326-0
45
BESERRA COELHO Elizabeth Maria. L’ Amazonie, un demi-siècle après la colonisation. Versailles : Ed. Quae, DL 2010.
Chapitre 11 : Amérindiens et colonisation en Amazonie, p.156. ISBN : 978-2-7592-0326-0
46
14
Ibid.
ECHASSOUX Jean-Philippe - 2012
I. L’occupation de la terre par les non-indigènes pour son exploitation…
Cependant, tous ces termes ne font pas forcément références aux Terres Indigènes et plus
largement, ils font référence à une frontière symbolique qui coupe le Brésil en deux : celui
des indigènes et des non-indigènes. La notion de frontière rejoint celle d’altérité. En effet,
la frontière au sens large rend compte de deux identités distinctes notamment dans leur
rapport à la terre. D’un côté, l’identité indigène présente un rapport de connaissance de la
terre qui permet la « durabilité » de leur mode de vie selon les non-indigènes. D’ailleurs,
en protégeant l’indigène on protège aussi son mode de vie et l’environnement : d’où la
47
notion de « front de protection ethno-environnemental » . De l’autre, agriculteurs et éleveurs
perçoivent la terre comme source d’exploitation. Ces deux rapports sont inconciliables,
d’où la frontière que la FUNAI essaie d’établir avec l’initiative de démarcation des Terres
Indigènes.
Nous venons d’appréhender la notion de frontière à partir du point de vue non-indigène.
En est-il de même du point de vue indigène ? Pour répondre à cette question, nous
allons nous pencher sur les narrations des indigènes Kayapό vivant dans l’Etat du Pará.
48
49
Les réserves Kayapό ont été délimitées entre 1980 et 1990. Selon la FUNASA , 4536
indigènes vivaient sur les terres Kayapό (en 2010) d’une superficie de 3 284 005 hectares.
Le peuple Kayapό parle une langue du même nom issue de la famille linguistique Jê. Ils
ont intégralement participé au processus de démarcation de leur Terre Indigène. Ils ont
ainsi pleine connaissance de l’existence, du tracé de leur Terre et de la frontière que cette
démarcation crée avec l’extérieur. Avec leurs propres mots, ils nomment cette frontière pyka50
yr y que l’on traduirait par « terre coupée » . La frontière mentionnée plus haut semble bien
reconnue par non-indigènes et la plupart des indigènes, ce qui renforce sa réalité ainsi que la
séparation de deux identités qu’elle implique : c’est la frontière symbolique que nous venons
d’étudier. Nous pourrions arrêter notre analyse ici si nous ne concevions pas la frontière
autrement qu’une limite d’un territoire géographique. Or la territorialité pour les Kayapό mêle
spatialité, temporalité et lien social. Le dessin du « vieux guerrier » Kupatô en témoigne :
[Une représentation du territoire par Kupatô Kaiapo à Moikarakô en novembre 2001
(reproduction au trait par Pascale de Robert)]
47
WALLACE Scott, The unconquered : in search of the Amazon’s last uncontacted tribes. New York, Crown Publishers, 2011.
p.49. ISBN : 978-0-307-46296-1
48
49
Voir carte 3 en page des annexes
De olho nas Terras Indigenas, page internet de Instituto Socioambiental [en ligne]. [page consultée le 19 août 2012]. <http://
ti.socioambiental.org/#!/terras-indigenas>
50
DE ROBERT Pascale, « « Terre coupée » » Recomposition des territorialités indigènes dans une réserve d'Amazonie,
Ethnologie française, 2004/1 Vol. 34, p. 79-88. DOI : 10.3917/ethn.041.0079
ECHASSOUX Jean-Philippe - 2012
15
La gestion de l'altérité chez les peuples indigènes de l'Amazonie brésilienne
Chaque cercle représente les différents villages Kayapό et les traits les reliant entre
eux marquent la scission d’un village en deux (au moment d’une migration) ou le lien
social unissant deux villages. Ainsi au sein d’un même plan, Kupatô représente le territoire
spatial de sa réserve, les scissions apparues au fil du temps et l’existence de liens sociaux
entre différents villages. Ce dessin pourrait être propre à Kupatô et à sa façon mélangée
d’appréhender spatialité, temporalité et lien social. Seulement depuis quelques années, le
territoire Kayapό, de l’avis de ses membres, s’agrandit bien au-delà de la Terre Indigène
Kayapό, et ce grâce aux liens entretenus avec les ONG et les voyages réalisés dans les
villes environnantes. La « terre coupée » délimite et restreint la Terre Indigène Kayapό
mais les nouveaux réseaux d’échanges élargissent aussi ce territoire. La « territorialité
51
itinérante » est ainsi une autre conception du territoire qui permet non seulement de
l’agrandir mais aussi de former des réseaux d’échanges et de soutien à même de protéger
l’identité Kayapό.
Nous venons d’appréhender le conflit pour la terre à partir de l’antagonisme indigène/
non-indigène qui créé une frontière physique matérialisée par l’opposition de deux fronts :
le front d’expansion agricole contre le front des Terres Indigènes démarquées. Avec une
telle approche, nous avons oublié un troisième acteur : l’Etat. L’Etat brésilien au sens large
est essentiel dans ce contexte : par l’orientation de ses politiques publiques il permettra
une présence massive ou restreinte des non-indigènes en Amazonie, le ministre de la
52
justice approuvera les terres indigènes identifiées et délimitées par le Groupe Technique ,
la participation des indigènes aux différentes phases de la démarcation de leurs terres est
51
DE ROBERT Pascale, « « Terre coupée » » Recomposition des territorialités indigènes dans une réserve d'Amazonie,
Ethnologie française, 2004/1 Vol. 34, p. 79-88. DOI : 10.3917/ethn.041.0079
52
Nous faisons référence ici à l’une des étapes de la Phase 1 (Identification et délimitation) – énoncée plus haut - de la
démarcation des Terres Indigènes au cours de laquelle l’accord du Ministre de la Justice est nécessaire
16
ECHASSOUX Jean-Philippe - 2012
I. L’occupation de la terre par les non-indigènes pour son exploitation…
conditionnée par un décret présidentiel. Ainsi Beserra Coelho opte pour une position biaisée
de l’Etat brésilien. A titre d’exemple, la participation indigène au processus de démarcation
53
des terres a beau être stipulée dans un décret présidentiel , celle-ci n’est pas toujours
54
effective et dépend des « règles et intérêts de l’Etat » . C’est pour cette raison que Beserra
Coelho parle d’ « un processus de domination sous un masque de participation ». Par sa
politique et ses différents acteurs, l’Etat brésilien conditionne le contact et la façon dont se
rencontrent acteurs indigènes et non-indigènes. Or, si nous élargissons la focale, il n’est pas
neutre dans ce contexte du fait de la médiatisation des acteurs indigènes (cristallisée autour
du grand thème de la déforestation en général et du barrage de Belo Monte actuellement)
et de sa volonté de tirer profit des richesses de l’Amazonie. Est-il possible de concilier
protection des territoires indigènes et exploitation des ressources amazoniennes ?
Nous venons d’étudier le cas de l’incursion des paysans en Terre Indigène. Dans
l’exemple de l’établissement du village de São Pedro dos Cacetes sur la Terre Cana Brava,
il s’agit véritablement d’une colonisation étrangère et illégale : les Terres Indigènes sont
comme des aires protégées interdites à tout acteur non-indigène. Les Tenetehara/Guajajara
ont donc réagi, de façon non violente et plus virulente, voire meurtrière pour faire respecter
leurs droits. Leur lutte est aussi un combat pour la protection de leur identité, profondément
liée à la terre et qui est un révélateur de l’incompatibilité entre deux modes de vie. Cette
distinction rend les indigènes à part dans l’ensemble des nations de l’Union et semble créer
une frontière symbolique entre le Brésil du littoral et de l’intérieur, développé et intégré aux
infrastructures d’un pays industrialisé, et l’autre Brésil, celui de l’Amazonie.
Quand cette frontière symbolique et réelle devient ténue, au-delà des conflits qui
peuvent exister entre indigènes et non-indigènes, c’est l’organisation socio-économique des
indigènes qui peut être menacée, sans pour autant que la/les communautés en question ne
disparaissent. A travers la ruée vers l’or dans l’Etat du Roraima, nous allons étudier le cas
d’un groupe Yanomami dont l’organisation socio-économique traditionnelle est menacée.
C…minière : la ruée vers l’or bouleverse l’organisation
socio-économique des indigènes
« Les géologues sondaient le sous-sol avec des appareils acoustiques à la
recherche de pétrole et de richesses minérales dont les indigènes finiraient par
être dépossédés, leurs terres étant spoliées par le même processus ».
Scott Wallace
55
1. Ici aussi, nous allons contextualiser notre étude de cas, prélude nécessaire à la pleine
compréhension de notre analyse.
53
54
Décret No. 022, article 2, paragraphe 3 du 04 février 1991
BESERRA COELHO Elizabeth Maria. L’ Amazonie, un demi-siècle après la colonisation. Versailles : Ed. Quae, DL 2010.
Chapitre 11 : Amérindiens et colonisation en Amazonie, p.159. ISBN : 978-2-7592-0326-0
55
Version originale traduite par nos soins : « Geologists probed the subsoil with acoustic devices in search of oil and mineral wealth
that would ultimately be usurped from the Indians, despoiling their lands in the process » WALLACE Scott, The unconquered : in
search of the Amazon’s last uncontacted tribes. New York, Crown Publishers, 2011. p.186. ISBN : 978-0-307-46296-1
ECHASSOUX Jean-Philippe - 2012
17
La gestion de l'altérité chez les peuples indigènes de l'Amazonie brésilienne
De 1910 à 1987, hormis des contacts plus fréquents lors de la construction de la route
56
Perimetral Norte dans le sud-est de la Terre Indigène Yanomami homologuée en mai 1992,
les contacts entre Yanomami et non-indigènes sont peu importants, marginaux par rapport
57
à la ruée vers l’or qu’a connu l’Etat du Roraima entre 1987 et 1989 .
La Terre Indigène Yanomami, dont le peuple a fait l’objet de beaucoup de recherches
scientifiques, est la plus importante au Brésil avec 9 664 980 hectares. Selon la FUNASA, ils
représentent 19 338 individus en 2011. Plusieurs langues sont parlées par les Yanomami.
58
Celles-ci sont issues de la famille linguistique Yanomami .
Cette ruée vers l’or à une origine : la révélation de richesses minérales. Celles-ci
sont connues en février 1975 grâce aux opérations de cartographie et de recherche de
ressources minières menées dans le cadre du projeto RADAM lancé par le gouvernement
militaire. Le projet permet de révéler la présence de gisements d’or, de cassitérite,
de manganèse et d’uranium notamment dans la Serra Parima, au centre du territoire
Yanomami. Un mois plus tard, quelques prospecteurs de cassitérite pénètrent le territoire
indigène. Face à l’afflux constant de prospecteurs clandestins, le gouvernement interdit
l’accès de la zone en février 1976. Dans le même temps, il autorise deux entreprises à
exploiter deux gisements dans la zone : le manganèse pour l’ICOMI (Indústria e Comércio
de Minérios) à partir de novembre 1975 et l’étain pour la DOCEGEO (Rio Doce Geologia) en
avril 1978. Ce mélange d’interdictions et d’autorisations démontre bien que l’Etat brésilien
est ce troisième acteur qui mitige la présence non-indigène, en l’occurrence sur le territoire
Yanomami. A l’époque, et jusqu’en 1985 au moins, l’Etat est de surcroît pris entre deux
dynamiques antagonistes : protéger les territoires indigènes par la démarcation des Terres
et occuper l’Amazonie pour ne pas qu’elle tombe aux mains de compagnies étrangères et
développer son intégration au reste du Brésil (« integrar para não entregar »). Cependant,
aucune des deux entreprises n’exploitera effectivement les gisements concernés, ceux-ci
étant trop loin de voies de communications. En plus, un gisement d’étain d’importance et
plus accessible est découvert près de Manaus. Enfin, un grand groupe Yanomami promet
de s’opposer aux projets d’exploitation.
L’exploitation minière à grande échelle est mise entre parenthèses mais pas la
prospection aurifère clandestine des garimpeiros. La découverte de trois placers (des
gisements aurifères présents dans les sédiments d’un cours d’eau) permet de lancer la
phase (définie rétrospectivement) de l’exploitation de l’or dans le Roraima. Il s’agit du placer
Santa Rosa ré-exploité en 1980, Apiaú Velho, dont l’exploitation massive commence en
1984 et Cambalacho en 1986. Pour donner un ordre d’idée, on dénombre environ 3800
59
orpailleurs sur le seul site de Santa Rosa au milieu de l’année 1983 .
Sur le plan national, le projet Calha Norte confirme la volonté du gouvernement
d’occuper militairement le nord de l’Amazonie : le dilemme (protection des Yanomami/
autorisation de prospection et d’exploitation des minerais en territoire Yanomami) qui
traversait les autorités brésiliennes disparait. On peut penser que la présence des
56
57
Voir carte 4 en page des annexes
ALBERT Bruce et LE TOURNEAU François-Michel, « Homoxi : ruée vers l'or chez les Indiens Yanomami du haut rio Mucajaí
(Brésil) », Autrepart, 2005/2 n° 34, p. 3-28. DOI : 10.3917/autr.034.0003
58
De olho nas Terras Indigenas, page internet de Instituto Socioambiental [en ligne]. [page consultée le 19 août 2012]. <http://
ti.socioambiental.org/#!/terras-indigenas>
59
ALBERT Bruce et LE TOURNEAU François-Michel, « Homoxi : ruée vers l'or chez les Indiens Yanomami du haut rio Mucajaí
(Brésil) », Autrepart, 2005/2 n° 34, p. 3-28. DOI : 10.3917/autr.034.0003
18
ECHASSOUX Jean-Philippe - 2012
I. L’occupation de la terre par les non-indigènes pour son exploitation…
garimpeiros arrange le gouvernement dans son optique d’occupation de l’Amazonie. C’est
ce que nous confirme Bruce Albert : « Confrontés au processus d’occupation accélérée
de l’ouest du Roraima, les généraux semblent considérer plus intéressant d’y favoriser
la présence des chercheurs d’or (« véritables » brésiliens), que de réserver une grande
quantité de terres aux Yanomami, considérés peu ou prou comme d’inutiles et dangereux
60
apatrides » .
Sur le plan international, le cours de l’or explose et passe à 850 US$ l’once (31.1g)
alors que pendant trois décennies, de 1943 à 1973, il s’était maintenu autour de 42 US$.
Convertissez le montant de l’once en reais et vous trouvez l’une des raisons majeures de
la ruée vers l’or de 1987.
Entre décembre 1987 et 1989, le nombre d’orpailleurs travaillant dans les placers du
61
62
territoire Yanomami augmente considérablement, passant de 5000 à 40 000 personnes !
C’est une véritable invasion permise par la construction de 73 pistes d’aviation clandestines.
Outre des chercheurs d’or professionnels, on compte des « petits agriculteurs, mais aussi
des pompiers, policiers, employés, conseillers municipaux, maires, avocats, médecins qui
abandonnent leur emploi, de façon temporaire ou permanente, pour les placers des terres
63
yanomami » . Les Yanomami sont « encerclés » par la population non-indigène environ
six fois plus nombreuse.
Le problème pour les Yanomami est que l’Etat favorise la présence militaire et celle des
orpailleurs pour reconnaître l’invasion des garimpeiros comme un état de fait afin de limiter
le territoire de la future Terre Indigène Yanomami. Ainsi en 1989, des décrets réduisent le
territoire indigène à 19 micro-réserves. Le processus d’invasion semble irréversible, d’autant
plus que l’Etat ne s’y oppose pas.
Pourtant, le rapport de force va s’inverser grâce à la médiatisation internationale du
« génocide des Yanomami ». L’organisation à Rio du futur sommet de la Terre en 1992 joue
en plus en défaveur de ce processus d’invasion, notamment parce que dans ce contexte, la
ruée vers l’or détruit les berges et la faune des rivières exploitées. A partir de janvier 1990, le
nouveau président Collor lance le plan « Selva Livre » (Jungle Libre) constitué d’un certain
nombre d’opérations destinées à expulser les orpailleurs. Si ce plan manque d’organisation
et de constance, les opérations d’expulsion et de destruction de matériel lancées par la
Police fédérale à la fin de la même année sont décisives. C’est la fin de la ruée vers l’or
mais pas la fin de l’orpaillage clandestin pour autant. Le 18 juillet 2012, Survival France
révélait l’arrestation récente de 26 orpailleurs et la présence de cinq groupes criminels qui
64
financent une partie de l’activité .
60
ALBERT Bruce [1990], « Développement Amazonien et Sécurité Nationale : les Indiens Yanomami face au projet “Calha
Norte” », Ethnies, n° 11-12, p. 116-127. ALBERT Bruce [1992], « Indian lands, environmental policy, and military geopolitics in the
development of the Brazilian Amazon : The case of the Yanomami », Development and Change, n° 23 (1), p. 35-70.
61
ALBERT Bruce et LE TOURNEAU François-Michel, « Homoxi : ruée vers l'or chez les Indiens Yanomami du haut rio Mucajaí
(Brésil) », Autrepart, 2005/2 n° 34, p. 3-28. DOI : 10.3917/autr.034.0003
62
MACMILLAN G. [1995], At the End of the Rainbow ? Gold, Land and People in the Brazilian Amazon, Londres, Earthscan,
p.31.
63
ALBERT Bruce et LE TOURNEAU François-Michel, « Homoxi : ruée vers l'or chez les Indiens Yanomami du haut rio Mucajaí
(Brésil) », Autrepart, 2005/2 n° 34, p. 3-28. DOI : 10.3917/autr.034.0003
64
La police arrête des orpailleurs illégaux en territoire yanomami [en ligne]. [page consultée le 23 juillet 2012] < http://
www.survivalfrance.org/actu/8500>
ECHASSOUX Jean-Philippe - 2012
19
La gestion de l'altérité chez les peuples indigènes de l'Amazonie brésilienne
En mai 1992, La Terre Indigène Yanomami de 96 650 km² est homologuée. Aujourd’hui,
65
Survival chiffre à 32 000 leur population totale répartie entre le Venezuela et le Brésil.
2. Dans quelle mesure l’orpaillage et l’invasion des garimpeiros en territoire Yanomami
a-t-il modifié l’organisation socio-économique de ce peuple ? Pour répondre à cette
problématique, nous nous pencherons sur le cas des Tirei.
Les Tirei sont un groupe Yanomami de 85 personnes (en avril 2002) de la région du
haut rio Mucajaí. Lorsque les orpailleurs pénètrent leur territoire, ils habitent quatre maisons
collectives, puis ils doivent en abandonner une. En effet, sur le même emplacement est
construite une piste d’aviation. Face à cette invasion, les Tirei migrent et finissent par
s’installer près de la piste Jeremias là où se trouvent les postes de la FUNAI et de la FNS.
Aujourd’hui la piste Jeremias (nom issu de l’époque de l’orpaillage intensif) est devenue
Posto Homoxi, lieu où se trouve un poste détaché de la FUNAI ainsi que des ONG.
Dès la première rencontre entre chercheurs d’or et Tirei, des relations d’échange
se sont mises en place. Celles-ci étant justifiées par le mythe de création des Blancs
selon les Yanomami : ils auraient été « créés à partir de l’écume du sang d’ancêtres
yanomami par le démiurge Omama. Lors de leur retour dans la forêt avec les marchandises
octroyées par leur créateur, ces étrangers devraient être ainsi tenus à un devoir de
66
générosité envers les yanomami dont ils sont issus et qui sont restés sur place » . Les
Tirei échangent alors leur production agricole contre des vêtements, des hamacs, des fusils
et cartouches. Ils échangent aussi des services (transport de matériel par exemple) contre
des denrées alimentaires (riz, farine de manioc, sel, sucre, etc). Malgré la dégradation de
l’environnement, ils décident de s’installer aux abords du Poste Homoxi en 2001, privilégiant
les relations d’échanges initiées avec les garimpeiros. Ainsi aux équipes sanitaires de la
FNS (poste détaché du Fundo Nacional de Saúde), les Tirei demandent la même chose
qu’aux orpailleurs : aliments et produits industriels. La sortie de ce schéma de dépendance
se fait peu à peu avec l’implantation de nouvelles ONG (URIHI pour la santé et CCPY pour
l’éducation et l’environnement) à Homoxi en lieu et place de la FNS.
La rencontre Tirei/orpailleurs s’est rapidement basée sur l’échange et non forcément
sur le conflit (nous n’occultons pas non plus les possibles différends locaux, ni les épidémies
inhérentes à ce genre de rencontre). L’échange n’est pas en soi néfaste. C’est sa durée
et son intensité qui, à la longue, créent de nouveaux besoins qui n’existaient pas avant
l’arrivée des chercheurs d’or. Ces besoins deviennent une constante au fur et à mesure des
années et finit par créer un système de dépendance vis-à-vis des non-indigènes (orpailleurs
d’abord, responsables du poste de santé de la FNS ensuite). Ainsi, sur le journal du poste
de santé, à la date du 29 janvier 1994, les Tirei étaient décrits comme « un groupe qui a
pratiquement cessé toute activité agricole et dépend, pour sa nourriture, de ses demandes
67
à la FUNAI et à la FNS » .
Au-delà des problèmes de la dépendance liés à des relations d’échanges constantes,
l’orpaillage est en soi néfaste pour l’environnement des Tirei. La création de sentiers et de
pistes ont réduit la taille des jardins indigènes ; la recherche de l’or a aussi réduit le cours
supérieur du Mucajaí en abîmant ses berges et diminuant sa faune ; les nuisances sonores
65
66
Les Yanomami [en ligne]. [page consultée le 23 juillet 2012] <http://www.survivalfrance.org/peuples/yanomami>
Mythes recueillis par ALBERT Bruce à partir de WILBERT J. et SIMONEAU K. (éd.) [1990], Folk Literature of the Yanomami
Indians, Los Angeles, UCLA Latin American Center Publications, 789 p.
67
ALBERT Bruce et LE TOURNEAU François-Michel, « Homoxi : ruée vers l'or chez les Indiens Yanomami du haut rio Mucajaí
(Brésil) », Autrepart, 2005/2 n° 34, p. 3-28. DOI : 10.3917/autr.034.0003
20
ECHASSOUX Jean-Philippe - 2012
I. L’occupation de la terre par les non-indigènes pour son exploitation…
et la surpopulation ont fait fuir le gibier qui était de surcroit chassé par les orpailleurs ; enfin
ces derniers ont introduit les chiens ainsi que leurs maladies qui ont décimé la faune locale.
Compte tenue de la présence prédatrice des garimpeiros, pourquoi les Tirei ne se sontils pas éloignés des chercheurs d’or et des zones d’orpaillages ? Il semble que les objets
obtenus des orpailleurs aient une valeur symbolique qui dépasse la valeur issue de leur
usage. Les objets venus de l’extérieur ont une grande valeur d’échange qui permet de sceller
des alliances avec d’autres villages. L’acquisition massive d’objets manufacturés permet
en fait de tisser un réseau d’alliances pour se prémunir d’attaques de villages ennemis et
paradoxalement des orpailleurs mêmes. Ainsi le système de dépendance semble autant
subi (à partir de la création de nouveaux besoins) que voulu (la dépendance est stratégique
en permettant l’acquisition d’objets qui une fois échangés scellent des alliances).
Jusqu’ici nous nous sommes penchés sur les recherches a posteriori des nonindigènes. Pour étudier les conséquences de l’orpaillage sur l’organisation sociale et même
les perceptions de l’autre, il est intéressant de se plonger, encore une fois, dans les
narrations Yanomami. Nous prendrons l’exemple des Yanomam, communauté yanomami
la plus représentée au Brésil. La plupart vit sur le cours supérieur des affluents de la rive
droite du Rio Branco. Les Yanomam ont connu à peu près les mêmes dynamiques de
contacts que les Tirei avec une période de contact indirect de 1730 à 1930 environ ; des
premiers contacts directs entre 1920 et 1940 ; une période de contacts intermittents de
1920 à 1965 avec un poste détaché du SPI et une période de contact permanent du début
des années 1960 jusqu’à aujourd’hui. Cette périodisation de la chronologie récente des
Yanomam nous est utile pour préciser qu’à chaque période correspond une intensité et des
acteurs différents du contact. De là, une perception différente des non-indigènes et de leurs
« pouvoir pathogène ». En effet, pour les Yanomam, si une maladie touche le groupe, c’est
la faute d’un étranger (un autre groupe Yanomami ou un non-indigène). C’est ainsi que le
contact permanent de la période de l’orpaillage a modifié la perception des Yanomam des
chercheurs d’or et surtout leurs attributions. Après avoir connu des contacts bienveillants à
l’époque des missions sur leur territoire, les chercheurs d’or arrivent en masse, détruisent
l’environnement proche des communautés Yanomami et leur transmettent des maladies
contre lesquelles ils ne sont pas immunisés. Les Yanomam pensent alors que tous les
« étrangers ( nabëbë), indépendamment de leur bienveillance ou malveillance
et de leurs situations géographiques, sont maintenant associés à des doubles
surnaturels maléfiques (nabëribë). Ces « esprits étrangers » , créés par le
frelon mythologique Remori, comme tous les étrangers et leurs possessions,
hanteraient le territoire des « blancs » (nabëbë urihi) de la même manière que
les esprits maléfiques në waribë se déplacent en forêt pour « dévorer » les
68
Yanomam » .
Ce mythe expliqué en 1984 par un Yanomam de la mission Catrimani n’est que le dernier
69
(à l’époque de l’étude de Bruce Albert ) d’une longue série déterminée par l’intensité et
la forme des contacts Yanomam/non-indigènes. Dans cette lignée, on peut légitimement
penser que d’autres mythes se sont élaborés depuis, notamment avec l’implantation des
postes détachés de la FUNAI et le rapprochement des ONG des communautés indigènes.
Ainsi, les contacts indigènes/non-indigènes modifient aussi les perceptions de l’autre,
notamment dans le domaine de ses croyances.
68
ALBERT Bruce. La fumée du métal. Histoire et représentations du contact chez les Yanomami (Brésil). L’homme
106-107, avril-sept.1988, XXVIII (2-3), pp.87-119
69
De 1988
ECHASSOUX Jean-Philippe - 2012
21
La gestion de l'altérité chez les peuples indigènes de l'Amazonie brésilienne
Revenons maintenant à notre problématique : comment se pose la question de l’altérité
en Amazonie brésilienne ? A première vue, il faudrait la compléter, la préciser : pour qui se
pose la question de l’altérité ? En fait, il faut bien la comprendre littéralement : comment se
pose-t-elle ? Quelles sont ses implications ?
Ainsi notre travail essaie de répondre à ces dernières questions à partir de différents
« angles d’attaques ». Il y a bien sûr l’approche revendiquée dans notre plan, à partir
d’une classification des acteurs non-indigènes. Dans notre première partie, nous avons
donc distingué deux acteurs non-indigènes : agriculteurs/éleveurs et orpailleurs et l’acteur
étatique. Une telle approche nous a permis d’appréhender dans un premier temps les
rapports conflictuels entre indigènes et non-indigènes. Surtout, elle nous a permis de
rappeler la diversité des rencontres indigènes/non-indigènes, la diversité des acteurs en
présence et de replacer chacun au cœur d’un contexte plus large, celui des politiques
publiques et d’aménagement du territoire. C’est ainsi que nous avons distingué un troisième
acteur : l’Etat brésilien. Nous avons donc posé un cadre qui nous a servi de contexte et de
justification de la présence des paysans et chercheurs d’or en Amazonie.
Un autre angle d’attaque, clairement défini, nous a amené à l’approche indigène/
non-indigène : cette distinction nous a permis d’insister sur l’opposition des deux acteurs
notamment dans leur rapport à la terre. Ainsi nous avons pu parler du concept d’identité lié
à celui de frontière (réelle et symbolique) grâce au moyen de la question de la terre.
Enfin, nous avons raisonné à partir de différentes échelles, ceci étant du à nos deux
approches précédentes. Nous pouvons distinguer trois niveaux d’analyse :
Macro : c’est l’analyse du cadre posé par les politiques publiques et les politiques
d’aménagement de l’Etat brésilien
Méso : c’est l’ensemble des études de cas
Micro : quand au sein de nos exemples, nous avons fait référence aux narrations
indigènes (c’est le dessin de Kupatô notamment)
Tous ces angles d’attaques nous amènent à avoir une approche pluridisciplinaire qui
nous permet de pallier les limites de notre étude théorique. En effet, nous n’avons pas accès
directement à des témoignages indigènes. Nous nous sommes contentés d’études de cas
précises basées sur l’immersion et le travail de recherche des anthropologues, notamment
pour les illustrations. Ces études de cas nous ont néanmoins permis d’avoir accès à des
narrations indigènes. Notre travail s’appuie donc sur des cas singuliers et des narrations
(obtenus dans des recherches bien précises) que nous généralisons : notre méthode est
donc inductive. Nous sommes conscients des limites de cette méthode en termes de
justesse et d’appréciation d’un objet. C’est pour cette raison que nous avons adopté une
telle pluralité d’approches et d’échelles.
En conclusion, la notion d’altérité pose un certain nombre de questions. Premièrement,
elle renvoie à deux identités distinctes, antagonistes quand celles-ci sont en lien avec un
même lieu d’occupation. En fait, au-delà de sa différence physique, l’autre est différent par
ses attributs et son utilisation de la terre, véritable pierre d’achoppement. L’utilisation de la
terre d’un acteur ne semble pas, pour l’instant, compatible avec l’occupation de l’autre sur
le même espace. Il y a incompatibilité entre deux identités. D’où les Terres Indigènes qui
marquent une véritable frontière. La frontière symbolique crée cette séparation indigène/
non-indigène qui existe depuis bien longtemps. Ainsi chacun possède un terme pour définir
l’autre auquel on attribue des croyances, des mythes, et ce des deux côtés.
22
ECHASSOUX Jean-Philippe - 2012
I. L’occupation de la terre par les non-indigènes pour son exploitation…
Du côté indigène, nous avons vu quelques mythes relatifs à ceux qu’ils nomment
« blancs ». C’est l’apport des narrations indigènes qui nous permet aussi de comprendre
l’autre facette de l’altérité : les perceptions de l’autre que nous croyons maitriser, connaître
ou que nous supputons par ethnocentrisme. Or nous avons vu que la territorialité est conçue
autrement chez les indigènes, et l’origine de l’épidémie est attribuée à différents facteurs
selon les époques, à différents « pouvoirs pathogènes ».
Puisque nous avons principalement étudié la rencontre comme conflit, nous allons
maintenant l’étudier comme échange et soutien, a priori, pour les communautés indigènes.
La rencontre est-elle souhaitable pour les indigènes ? Leur est-elle bénéfique ? Quelles
sont leurs revendications ? Ce sont toutes ces interrogations qui vont guider l’analyse de
notre seconde partie.
ECHASSOUX Jean-Philippe - 2012
23
La gestion de l'altérité chez les peuples indigènes de l'Amazonie brésilienne
II…entraîne la défense locale de
l’identité indigène
A.La FUNAI et la question de la protection de
l’indigène
« Nous ne pouvons pas entrer en contact avec eux sans, en fin de compte, les
exterminer »
Scott Wallace
70
1. Dans cette partie, nous allons nous concentrer sur une aile précise de la FUNAI :
le Département des Indiens Isolés. A travers l’étude de cette section de la FUNAI, nous
pourrons analyser la rencontre indigène/non-indigène, ses avantages et inconvénients.
Nous étudierons aussi la (non) rencontre des tribus isolées à partir du travail des sertanistas.
Ce sont les notions de rencontre, de contact et de l’isolement qui seront appréhendées.
C’est en 1910 que commence officiellement au Brésil la politique de protection des
indigènes. Nous trouvons à la tête de l’initiative le colonel Cândido Rondon et Alípio
Bandeira qui créent le Service de Protection des Indiens (Serviço de Proteção aos Indios,
SPI). La mission du SPI était d’intégrer les communautés indigènes à la société nationale
brésilienne, puis de les protéger des pertes humaines et des déplacements de population
71
qui affectaient les indigènes à l’époque . Une politique d’assimilation implique d’abord le
contact. Ainsi les frères Villas Boas, fonctionnaires du SPI, ouvrent des pistes d’atterrissages
pour mieux accéder aux territoires isolés amazoniens. Ils créent aussi le Parc indigène Xingu
qui sert de camp de réfugiés pour les indigènes chassés de leurs terres avec l’avancée des
fronts agricoles et d’exploration. Au début du XXe siècle, le jeune Etat brésilien cherche
encore à prendre possession de son territoire et à connaître l’ensemble de sa population.
72
C’est le paradigme « contact to save » (contacter pour protéger) qui prédomine à l’époque.
En 1967, le SPI fusionne avec la Fondation Centrale du Brésil et devient la Fondation
Nationale de l’Indien, aussi connue par son acronyme portugais FUNAI. Petit à petit,
le paradigme initial s’effrite au fur et à mesure que les fonctionnaires de la FUNAI se
rendent compte que contact et destruction de la culture indigène sont intimement liés.
Un fonctionnaire de la FUNAI en particulier va permettre un changement de paradigme.
70
Version originale traduite par nos soins : « We can’t enter into contact with them without, in essence, destroying them » WALLACE
Scott, The unconquered : in search of the Amazon’s last uncontacted tribes. New York, Crown Publishers, 2011. p.51. ISBN :
978-0-307-46296-1 (traduit de l’anglais par nos soins)
71
WALLACE Scott, The unconquered : in search of the Amazon’s last uncontacted tribes. New York, Crown Publishers, 2011.
p.32. ISBN : 978-0-307-46296-1
72
24
Ibid.
ECHASSOUX Jean-Philippe - 2012
II…entraîne la défense locale de l’identité indigène
Ainsi en 1987, de la politique du « contact to save » nous passons à celle du « save
without contact » (protéger sans contacter). L’instigateur de ce glissement se nomme Sidney
Possuelo. C’est le journaliste américain Scott Wallace, qui effectua une expédition de nonrencontre de la tribu isolée des Flecheiros en 2002 aux côtés de Sidney Possuelo qui octroie
73
la paternité d’un tel changement à un seul homme :
« Le terme de ‘front de protection ethno-environnemental’ soulignait aussi le
changement dramatique que Possuelo avait élaboré, faisant passer la FUNAI d’un
bureau qui par le passé traquait les indigènes sauvages pour les contacter et les
pacifier à une agence qui localisait dorénavant les tribus isolées et menait des
74
recherches sur leur présence pour les protéger du contact » .
Ce glissement de paradigme est entériné par la création du Département des Indiens Isolé
(Coordenação Geral de Indios Isolados (CGII)) dirigé à ses débuts par Sidney Possuelo.
2. Qu’est-ce que des « indiens isolés » ? Barbara Maisonnave Arisi pose différentes
définitions. La position officielle de l’Etat brésilien est énoncée dans l’article 4 du statut
de l’indien : « Quand ils vivent en groupes inconnus ou à partir desquels l’on possède
de peu et de vagues informations à travers d’éventuels contacts avec les éléments de la
75
communauté nationale » . L’ONG brésilienne Instituto Socioambiental (ISA) énonce pour
sa part que « ainsi sont nommés ceux dont le contact avec l’organe indigéniste officiel
76
(Fondation Nationale de l’Indien - FUNAI) n’a pas été établi » .
Antônio Carlos de Souza Lima affirme que les indigènes isolés sont ceux qui « ne
se sont pas encore soumis aux formes actuelles de conquête et d’action étatique sur les
77
populations et territoires » . Ces définitions sont intéressantes car elles portent toutes la
marque de l’ethnocentrisme : elles définissent l’autre à partir des paradigmes occidentaux :
l’Etat, l’action étatique notamment. Elles sont du domaine de l’identification.
Ensuite, il est intéressant de parler d’isolement, de tribus « non
contactées » (uncontacted tribes) ou de « non-conquis » (the unconquered). Ces termes
sont bien sûr des créations des « blancs ». Lesdites communautés se considèrent-elles
isolées ? Il semble que non selon Barbara Maisonnave Arisi :
« Mais, surtout, comme nous le lisons dans leurs narrations, il est important de
prendre en compte que les matis ne se pensent ou ne se pensaient pas comme
isolés ; ils menaient leur vie dans les bois, dans leurs cabanes, avec leurs fêtes
73
Nous tenons à souligner qu’un tel changement de paradigme n’est pas instantané, ni forcément le fait de la volonté d’un
seul homme même si le journaliste Scott Wallace l’affirme.
74
Version originale traduite par nos soins : « The term ‘ethno-environmental protection front’ also highlighted the
dramatic shift Possuelo had masterminded, moving FUNAI from a bureau that once tracked down wild Indians to contact
and pacify them to an agency that now located isolated tribes and documented their presence in order to shield them
from contact »WALLACE Scott, The unconquered : in search of the Amazon’s last uncontacted tribes. New York, Crown
Publishers, 2011. p.49. ISBN : 978-0-307-46296-1
75
Version originale traduite par nos soins : « Quando vivem em grupos desconhecidos ou de que se possuem poucos e vagos
informes através de contatos eventuais com elementos da comunhão nacional » Statut de l’indien, loi n°6.001 du 19 décembre 1973
76
Version originale traduite par nos soins : « assim são chamados aqueles cujo contato com o órgão indigenista oficial
(Fundação Nacional do Índio - Funai) não foi estabelecido
77
Version originale traduite par nos soins : « ainda não se submeteram às presentes formas de conquista e ação estatizada
sobre populações e territórios ».
ECHASSOUX Jean-Philippe - 2012
25
La gestion de l'altérité chez les peuples indigènes de l'Amazonie brésilienne
de tatouages, leurs parties de chasses, et parfois, quelques rencontres avec ces
78
autres qui circulent ou circulaient par là-bas » .
L’isolement est en fait une perception des non-indigènes de la non-intégration d’une
communauté indigène à une société nationale donnée. Au-delà de cette perception, les
termes « non conquis » et « non contactés » à l’égard des indigènes sont forcément
connotés.
Ainsi l’utilisation de tels termes nous montrent que les non-indigènes, journalistes
et anthropologues notamment, identifient les indigènes isolés à partir de leurs propres
paradigmes, en l’occurrence celui de la société civile dominante, qui impose un mode de vie
si répandu que ceux qui ne le suivent pas sont pensés comme isolés, non-conquis ou non
contactés. L’étude de l’isolement de certaines communautés nous renseigne donc un peu
plus sur les perceptions de l’autre. Poser la question de l’altérité, c’est notamment étudier
les perceptions de l’indigène et du non-indigène à l’égard de l’autre.
Pourquoi l’isolement ? Les communautés en question ont-elles toujours vécu
« isolées » ? Pour Scott Wallace comme pour Barbara Maisonnave Arisi, les communautés
non contactées n’ont pas toujours vécu dans l’isolement. Maisonnave Arisi distingue trois
grandes explications de l’isolement :
La nécessité d’échapper à des maladies nouvelles
La nécessité de trouver de nouveaux sites giboyeux et un accès à des ressources
halieutiques conséquentes
La nécessité de se prémunir de groupes indigènes et non-indigènes armés
Si ces trois nécessités paraissent tout à fait légitimes pour expliquer la cause de
l’isolement, elles n’en restent pas moins, dans au moins certains cas, trois facettes d’une
seule et même cause : l’invasion des non-indigènes. Et cette invasion est source de terreur
et de mort pour les indigènes. Scott Wallace semble ainsi expliquer assez clairement
l’isolement : « Ce n’était pas que les Indigènes avaient été hermétiquement fermés au
reste du monde ; c’était qu’ils avaient subi ses intrusions comme des formes de terreur
79
qu’ils fuyaient » . Il faut bien comprendre la citation comme elle est : vivre dans l’isolement
ne signifie pas que les indigènes ont toujours vécu ainsi, sans contact avec d’autres
communautés indigènes ou des non-indigènes. En fait, un groupe vit dans l’isolement parce
qu’il évoluait dans un environnement de rencontre et d’échange auparavant mais ce mode
de vie a été néfaste pour lui d’où sa migration vers des régions plus reculées et son isolement
actuel. Son isolement n’est pas littéral pour deux raisons. La première est qu’il a déjà (ou
ce fut le cas pour un certain nombre de ses ancêtres) connu l’autre, qu’il soit indigène ou
non-indigène, à un moment plus ou moins lointain. C’est ainsi que les membres d’un groupe
isolé connaissent le danger mortel d’un coup de feu. C’est pourquoi ils fuient quand ils en
entendent un. Cela n’a pas toujours été le cas car ce n’est pas la déflagration causée par
un coup de feu qui fait fuir l’indigène mais bien la connaissance de son danger. Ensuite,
78
Version originale traduite par nos soins : « Pero, sobre todo, como leemos en sus narrativas, es importante tener en
cuenta que los matis no se piensan o no se pensaban como aislados, estaban llevando a cabo su vida en el monte, con
sus malocas, sus fiestas de tatuaje, cacerías y, a veces, encuentros con esos otros que por allí circulan o circulaban »
MAISONNAVE ARISI Barbara. Matis y Korubo, contacto y pueblos aislados : narrativas nativas y etnografía en la Amazonia
brasilera. Mundo Amazonico 1, 2010, p.41-64. ISSN : 2145-5082
79
Version originale traduite par nos soins : « It wasn’t that the Indians had been hermetically sealed off from the rest of the
world ; it was that they had experienced its intrusions as a form of terror from which they fled » WALLACE Scott, The unconquered :
in search of the Amazon’s last uncontacted tribes. New York, Crown Publishers, 2011. p.173. ISBN : 978-0-307-46296-1
26
ECHASSOUX Jean-Philippe - 2012
II…entraîne la défense locale de l’identité indigène
l’isolement est relatif dans la mesure où les groupes isolés peuvent posséder un certain
nombre d’outils créés par les non-indigènes telles des machettes. Ils peuvent les avoir
volées à des trafiquants ou des orpailleurs locaux ou même les avoir trouvées. Pour ces
deux raisons et parce que l’isolement n’est pas total, « beaucoup de sympathisants à la
80
cause des indigènes persécutés » préfèrent parler de « personnes indigènes vivant dans
81
un isolement choisi » .
Il semble y avoir au moins deux grands types de justification à l’isolement. L’expérience
(prédatrice) passée ou actuelle de l’invasion par les non-indigènes façonne le comportement
actuel des tribus isolées. Le contact peut être craint à partir des expériences mortelles
relatées par les plus anciens. Ceux-ci savent que le contact est en soi néfaste car
mortel : à travers la rencontre initiale entre indigènes isolés et non-indigènes circulent
tout un ensemble de virus et de bactéries contre lesquels les indigènes ne sont pas
immunisés. Ces récits restent fortement ancrés dans la tradition orale de beaucoup de
communautés. L’isolement peut aussi découler d’une justification socio-cognitive. Parce que
l’autre appartient à une sphère d’altérité lointaine, il est donc méconnu et par conséquent
violent. Il faut donc éviter sa rencontre. L’autre est tellement lointain qu’il ne possède aucune
relation de parenté avec soi. Or la filiation permet d’éviter la violence. C’est la conception
de l’isolement des indigènes Yanomam : « ‘les autres’, univers incertain où à mesure que
82
s’atténue et se dénoue l’emprise de la parenté grandit le règne de la violence » . Pour
aller plus loin, pour les Yanomam, comme les « blancs » n’ont aucun lien de parenté avec
eux, ils sont naturellement des ennemis et non des étrangers. Ce n’est qu’une fois que
leurs pouvoirs pathogènes de transmetteurs de maladies sont avérés que les « blancs »
accèdent à l’humanité : c’est parce qu’ils sont ennemis qu’ils deviennent humains. Ainsi,
dans le système social yanomam, les non-Yanomam sont toujours des ennemis avant d’être
des étrangers et ne sont des étrangers (et non des esprits) que parce qu’ils sont des
ennemis : « ce qui explique pourquoi ce n’est qu’une fois crédités de pouvoirs pathogènes
83
caractéristiques des ennemis que les ‘blancs’ ont pu accéder à l’humanité » . Pour les
Yanomam, et pour d’autres groupes, l’autre est avant tout ennemi avant d’être différent et
étranger, et donc humain. Ainsi l’altérité pose la question de l’inimitié et de l’humanité.
Dans notre hypothèse de départ, nous avons admis l’indigène comme différent et
comme autre. Nous avons donc pensé que la notion centrale de notre travail serait l’altérité.
C’est sans doute effectivement le cas dans le cadre d’une étude de l’indigène par l’acteur
non-indigène. Mais puisqu’il s’agit de poser la question de l’altérité en Amazonie brésilienne,
alors il s’agit aussi de comprendre comment l’indigène perçoit le non-indigène, malgré le
caractère théorique de notre étude. Or, par ethnocentrisme, nous (en tant qu’acteur nonindigène) avons pensé que pour lui aussi, c’était l’altérité qui était le prisme par lequel il
percevait l’autre. Maintenant il semble qu’il existe au moins un autre prisme : l’inimitié car
80
Version originale coupée et traduite par nos soins : « Even many sympathetic to the plight of persecuted Indians view the
term uncontacted as a misnomer that discredits their cause […] »WALLACE Scott, The unconquered : in search of the Amazon’s last
uncontacted tribes. New York, Crown Publishers, 2011. p.224. ISBN : 978-0-307-46296-1
81
82
Ibid.
ALBERT Bruce. La fumée du métal. Histoire et représentations du contact chez les Yanomami (Brésil). L’homme 106-107,
avril-sept.1988, XXVIII (2-3), pp.87-119
83
Ibid.
ECHASSOUX Jean-Philippe - 2012
27
La gestion de l'altérité chez les peuples indigènes de l'Amazonie brésilienne
84
pour certaines communautés , l’autre est avant tout un ennemi et même pas humain parce
qu’il n’est pas même pas représenté dans l’imaginaire indigène.
3. Aujourd’hui, le Département des Indiens Isolés de la Fondation de l’Indien s’attache
à recenser les communautés isolées puis à s’en approcher sans jamais les rencontrer car
ses dirigeants savent combien le contact peut être funeste. Comment les équipes d’un
front d’attraction agissent-elles pour s’approcher de communautés isolées sans jamais
les contacter ? Afin d’expliciter l’organisation d’une expédition d’un front d’attraction, nous
allons nous appuyer sur les récits de Scott Wallace qui prit part en 2002 à une expédition
85
d’approche du peuple des Flecheiros (« People of the Arrow », Peuple de la Flèche) .
En 2002, Sidney Possuelo se retrouve à la tête de l’expédition de « non-rencontre »
des Flecheiros qui se trouvent au sud-est de la Terre Indigène Vale do Javari dans l’Etat
de L’Amazonas.
86
La Terre Indigène Vale do Javari est la seconde plus importante du pays avec
8 544 480 hectares sur lesquelles vivent 3759 individus (répartis en 7 peuples identifiés)
87
en 2009 selon le CONDISI (Conselho Distrital de Saúde Indigena) . C’est au sein de cette
Terre Indigène que l’on retrouve le plus de tribus isolées au Brésil. L’Etat sur lequel se trouve
cette Terre l’Amazonas compte d’ailleurs 13 groupes isolés sur 38 recensés au Brésil en
88
2003 .
Le but d’une telle expédition est de recueillir des informations sur un groupe inconnu
des non-indigènes telles que : « l’extension de ses pérégrinations, la santé relative de ses
communautés, l’abondance du gibier et du poisson dans la forêt sauvage où les personnes
89
habitaient » . Le corps expéditionnaire est généralement conséquent afin de faire face à
une éventuelle attaque des indigènes isolés, des trafiquants de drogues ou de chercheurs
d’or présents dans la région. L’expédition dure plusieurs mois (3 pour l’expédition de 2002 :
du 8 juin au 3 septembre), sa longueur s’expliquant par les longs temps de transport fluvial
et surtout l’inexistence de routes ou de sentiers dans ces régions :
« Nous parlons d’ouverture à travers une jungle dense et fermée, à partir de l’utilisation
90
d’une pointe de compas pour indiquer la direction générale [à suivre] » . Ainsi une
expédition de ce genre est pionnière. Elle crée son propre chemin, traversant sans détour
collines et rivières (faute de cartes suffisamment précises) qui entravent le passage.
84
Il semble que nous sommes face à une aporie, le qualificatif « certaines » ne pouvant être précisé face au caractère théorique
de notre étude
85
86
87
Voir carte 5 en page des annexes
Voir carte 6 en page des annexes
De olho nas Terras Indigenas, page internet de Instituto Socioambiental [en ligne]. [page consultée le 19 août 2012]. <http://
ti.socioambiental.org/#!/terras-indigenas>
88
89
Departement des Indigènes Isolés – DEII/FUNAI/BSB, février 2003.
Version originale traduite par nos soins : « the extent of its wanderings, the relative health of its communities, the abundance
of game and fish in the deep forest where the people lived »WALLACE Scott, The unconquered : in search of the Amazon’s last
uncontacted tribes. New York, Crown Publishers, 2011. p.5. ISBN : 978-0-307-46296-1
90
Version originale traduite par nos soins : « We’re talking about breaking open dense and closed jungle, using the needle of
a compass to indicate the general direction » POSSUELO Sidney. Frentes de atração : A ú ltima fronteira. Brasília : FUNAI archives,
August 27, 1981.
28
ECHASSOUX Jean-Philippe - 2012
II…entraîne la défense locale de l’identité indigène
L’équipe s’appuie essentiellement sur les traces de pas laissés par les indigènes isolés
au moment de la cueillette, de la chasse ou de la pêche et des quebradas, ces branches
vertes volontairement brisées par les indigènes pour marquer leur chemin (« snapped
91
branch left by natives to mark their path as they walk through the forest » ).
En amont, la composition de l’équipe du front d’attraction est essentielle. Il s’agit
d’enrôler des indigènes précédemment contactés par les équipes de la FUNAI parce qu’ils
sont familiers avec les méthodes et les fonctionnaires de la Fondation et surtout parce
qu’ils parlent une langue indigène dont certains termes pourraient être connus par la tribu
approchée : « Nous avions maintenant trois différentes langues natives représentées dans
nos rangs [langues matis, marubo et kanamari]. Nous augmentions ainsi les possibilités,
Possuelo espérait, d’un contact pacifique en cas de rencontre avec le Peuple de la
92
Flèche » . Scott Wallace ajoute qu’une équipe formée d’indigènes issus de différents
groupes implique un travail d’équipe favorable à l’émergence d’une « conscience pan93
indienne » . Or cette conscience semble essentielle dans la mesure où l’entité Terre
Indigène semble une condition nécessaire mais non suffisante pour protéger les indigènes
d’intrusions des « blancs ». Il faut bien une « conscience pan-indienne » pour lier les
différentes tribus et groupes qui ont intérêt à coopérer et à s’associer pour faire valoir leurs
droits. En fait, de telles alliances sont comme des tentatives d’intégration dans des espaces
normatifs étrangers, en l’occurrence l’espace associatif non-indigène : en effet pour faire
valoir leurs droits, les indigènes ne peuvent plus lutter à partir de leurs entités de référence,
(le village, la tribu, le groupe) ; il leur faut dépasser ce cadre normatif et intégrer celui des
non-indigènes. C’est ainsi que nous allons maintenant étudier le lien entre communautés
indigènes et associations, ONG. Dans un second temps nous essaierons d’étudier les
bénéfices du contact et de la représentation indigène par les ONG.
B.Les ONG permettent la défense d’intérêts locaux et
la transnationalisation de la question indigène
1.La défense d’intérêts locaux : les associations en lutte contre la
biopiraterie
« J’ouvris mes yeux et regardai autour de moi. Au-delà du cercle de visages
me souriant, je percevais une forêt différente de celle à travers laquelle
j’avais marché durant les quatre derniers jours. Ce n’était plus un écran
monochromatique aux marrons et verts ternes et en deux dimensions. Chaque
détail se distinguait plus nettement, dans un relief quasi-psychédélique. Je
percevais de la profondeur là où auparavant il n’y en avait aucune. Les couleurs
91
WALLACE Scott, The unconquered : in search of the Amazon’s last uncontacted tribes. New York, Crown Publishers, 2011.
p.470. ISBN : 978-0-307-46296-1
92
Version originale traduite par nos soins : « We now had three different native languages represented in our ranks, heightening
the prospects, Possuelo hoped, for a peaceful outcome in the event of an encounter with the Arrow People » Ibid.
93
Ibid.
ECHASSOUX Jean-Philippe - 2012
29
La gestion de l'altérité chez les peuples indigènes de l'Amazonie brésilienne
semblaient vibrer – les verts étaient électriques, les marrons plus contrastés.
Il y avait des nuances de gris, violet et orange qui m’avaient échappé. Je
n’hallucinais pas tout à fait ; c’était plutôt comme voir la jungle à travers une
vision 3D. « Buchité, » dit Ivan Arapá en pointant du doigt le « collyre ». « C’est
comme ça que nous l’appelons ».
Scott Wallace
94
1. Si l’Amazonie fournit à l’homme une biodiversité à la fois unique et méconnue,
elle peut aussi permettre à l’indigène de posséder un savoir sur la flore très particulière
constituant son environnement. C’est ainsi que la tribu Matis résidant au cœur de la Terre
Indigène Vale do Javari connait l’usage d’une plante qu’elle appelle buchité. Celle-ci permet
aux Matis de mieux chasser, grâce à la vision plus contrastée qu’elle permet d’obtenir. Cette
sorte de collyre que l’on applique directement sur l’œil permet aussi de gagner en agilité
et de réduire la fatigue. Le buchité n’est qu’un élément de l’ensemble du savoir que les
indigènes tirent de la biodiversité amazonienne. C’est notamment ce savoir qui est menacé
par les activités d’ « ethno-bioprospection » qui peuvent tendre vers la biopiraterie.
Qu’est-ce que la biopiraterie ? C’est un terme qui apparaît au début des années 1990.
Pour Rodolpho Zahluth Bastos, la biopiraterie est « l’appropriation indue de ressources
génétiques et de savoirs traditionnels associés (notamment par le biais de demandes de
95
brevets) » . Albane Geslin va plus loin en précisant que « la biopiraterie n’est pas le vol de la
matière vivante. Ce qui est en cause est la captation et la marchandisation d’un savoir sur la
96
matière vivante. Le plus souvent ce savoir est détenu par des populations autochtones » .
97
La biopiraterie n’est pas un concept juridique mais bien une « représentation des conflits »
car elle dénonce essentiellement l’appropriation du savoir traditionnel indigène par des
non-indigènes qui profitent souvent de l’absence d’un droit international réglementant la
protection et la circulation du savoir indigène. La biopiraterie est un concept pluriel traitant
différentes dimensions de la propriété intellectuelle (droits d’auteur, marques, brevets)
mais surtout elle dénonce « des rapports de force inéquitables dans l’exploitation de
98
ces ressources [génétiques] » . Ces rapports sont inéquitables dans la mesure où les
communautés indigènes ne possèdent pas de droit réglementant l’accès à leurs ressources
99
et savoirs. De surcroît, c’est ce même droit, pure création occidentale , qui permet dans un
second temps de breveter des découvertes issues de recherches scientifiques et d’occulter
94
Version originale traduite par nos soins : « I opened my eyes and looked around. Beyond the circle of faces beaming at me, I beheld
a different forest from the one I’d been marching through for the past four days. It was no longer a two-dimensionnal, monochromatic
screen of dull browns and greens. Everything stood out in sharp, almost psychedelic relief. I perceived depth where before there was
none. The colors seemed to vibrate – the greens electric, the browns more differentiated. There were shades of gray, purple, amber
that had previously escaped my notice. I wasn’t hallucinating exactly ; it was more like looking at the jungle through a 3-D View-Master.
« Buchité, » said Ivan Arapá, pointing at the eyedropper. « That’s what we call it ». WALLACE Scott, The unconquered : in search of
the Amazon’s last uncontacted tribes. New York, Crown Publishers, 2011. p.470. ISBN : 978-0-307-46296-1
95
ZAHLUTH BASTOS Rodolpho, « La biopiraterie : réalité ou manipulation médiatico-politique ? » Le cas des Indiens Krahó
en Amazonie brésilienne, Hérodote, 2009/3 n° 134, p. 138-150. DOI : 10.3917/her.134.0347
96
Cours de quatrième année à l’IEP de Lyon (2011-2012) donné par GESLIN Albane et intitulé Souveraineté et mondialisation ;
sous-partie Notions et évolutions de la souveraineté sur les ressources naturelles et les richesses nationales
97
ZAHLUTH BASTOS Rodolpho, « La biopiraterie : réalité ou manipulation médiatico-politique ? » Le cas des Indiens Krahó
en Amazonie brésilienne, Hérodote, 2009/3 n° 134, p. 138-150. DOI : 10.3917/her.134.0347
98
99
30
Ibid.
A. SCHIAVONE, Ius. L’invention du droit en Occident, Belin, Paris, 2008, 142 p.
ECHASSOUX Jean-Philippe - 2012
II…entraîne la défense locale de l’identité indigène
sa paternité indigène. C’est donc bien souvent l’espace normatif occidental, le droit, qui
l’emporte sur l’espace normatif indigène par le biais des brevets notamment.
2. Quel rôle jouent les associations et ONG dans le cadre de la biopiraterie ? Quels sont
les enjeux de la protection du savoir traditionnel indigène ? Pour répondre à ces questions,
nous nous appuierons sur une affaire de biopiraterie impliquant l’Université Fédérale de São
Paulo (UNIFESP) et la communauté indigène Krahό dans l’Etat du Tocantins.
L’affaire se passe sur la Terre Indigène Krahό nommée « Kraolândia » dans le nord-est
100
de l’Etat du Tocantins . Il s’agit d’une terre de 302 533 hectares en bordure de l’Amazonie
brésilienne, là où le cerrado, sorte de savane sud-américaine se mêle à la forêt. Les Krahό
sont un des peuples indigènes de la nation ethnique Timbira dont ils parlent la langue du
même nom. Leur langue provient de la famille linguistique Jê comme celle des Kayapό. Ils
sont répartis en dix-huit villages dans lesquelles vivent 2989 personnes en 2010 selon la
101
FUNASA .
En 1998, la doctorante Eliana Rodrigues présente son projet de recherche pour sa
thèse sur les plantes médicinales au potentiel psycho-actif. Elle obtient un financement
de la part de la Fondation de soutien à la recherche de l’Etat de São Paulo (FAPESP)
en 1999. Cette même année, elle débute ses travaux de recherche sur le terrain : elle se
rendra dix fois vingt jours dans les villages de la communauté Krahό pendant deux ans. En
décembre 2001, elle soutient sa thèse finalement intitulée « Usages rituels de plantes qui
indiquent des actions sur le système nerveux central par les Indiens Krahó, en particulier les
plantes psycho-actives ». Pour les besoins de sa thèse, Eliana Rodrigues a du rencontrer
des guérisseurs traditionnels du groupe Krahό. C’est grâce à l’ONG Centro de Trabalho
Indigenista (CTI), elle aussi basée à São Paulo, qu’elle a pu établir un premier contact avec
les Krahό. Plus précisément, l’anthropologue Gilberto Azanha a joué le rôle d’intermédiaire
puisqu’il est coordinateur de la CTI et de l’association indigène Vyty-Cati qui représente
quatre villages krahό.
L’association Vyty-Cati a été fondée en 1994 et enregistrée officiellement en avril 1996.
Elle rassemble quatre villages krahό (Aldeia Nova, Bacuri, Cachoeira, Rio Vermelho) et
treize villages de cinq autres peuples de l’ethnie Timbira. Elle n’est pas la seule association
représentant les dix-huit villages krahό.
Pour mener à bien ses recherches, Eliana Rodrigues doit obtenir l’accord des Krahό.
Mais de quels Krahό s’agit-il ? Faut-il obtenir l’accord des seuls chamans ? Faut-il l’accord
du (des) représentant(s) du (des) village (s) concerné(s) ? Faut-il l’accord de tous les
membres du (des) village(s) ? En fait pour répondre à ces questions, encore faut-il savoir
à qui appartient le savoir indigène relatif aux plantes psycho-actives. C’est dans ce cadrelà qu’apparait le premier problème dans cette affaire d’ « ethno-bioprospection » : ne
sachant pas vraiment à qui appartient le savoir indigène relatif aux plantes psycho-actives
et donc ne sachant pas à qui s’adresser pour obtenir un accord s’apparentant à un contrat,
Eliana Rodrigues ne s’est référée qu’aux villages représentés par l’association Vyty-Cati,
privilégiant ainsi le contact initial lui ayant permis de pénétrer au sein de la communauté
Krahό. C’est ainsi qu’elle obtient l’accord de seulement trois villages (Aldeia Nova, Forno
Velho et Serra Grande) alors que le peuple Krahό en est constitué de dix-huit.
100
101
Voir carte 7 en page des annexes
De olho nas Terras Indigenas, page internet de Instituto Socioambiental [en ligne]. [page consultée le 19 août 2012]. <http://
ti.socioambiental.org/#!/terras-indigenas>
ECHASSOUX Jean-Philippe - 2012
31
La gestion de l'altérité chez les peuples indigènes de l'Amazonie brésilienne
Lorsque la revue Pesquisa Fapesp révèle en novembre 2001 les activités d’ « ethnobioprospection » réalisée dans le cadre d’une thèse menée à l’UNIFESP et surtout la volonté
de l’université de développer des médicaments phytopharmaceutiques, les autres villages
non consultés par Eliana Rodrigues s’insurgent. Et notamment l’association Kapèy qui
représente l’ensemble des dix-huit villages krahό. Elle a été créée en 1993 et c’est la plus
active au sein des Krahό. L’association Kapèy dénonce le fait de ne pas avoir été consultée
pour valider ou non les activités d’ « ethno-bioprospection » sur le territoire de trois de ses
villages en plus de ne pas avoir été mis au courant de la marchandisation du savoir indigène
issu des recherches en question. La Kapèy parle alors de biopiraterie.
Au-delà de la question du ou des détenteurs du savoir indigène krahό, nous touchons
du doigt l’importance de la représentation indigène. Aujourd’hui, notamment dans le cadre
des activités d’ « ethno-bioprospection », la représentation des villages indigènes est
indispensable pour faire connaître les volontés de l’ensemble des membres concernés. En
fait, le « rapport de force inéquitable » énoncé plus haut ne réside pas seulement dans
l’absence de droit international protégeant les ressources et savoirs traditionnels détenus
sur ces ressources ; il réside aussi dans le fait que la présence indigène est morcelée,
divisée. Au sein d’une nation ethnique existent différents groupes représentés par différents
villages. Ces divisions et sous-divisions sont tout autant d’intérêts distincts. Ce sont ces
intérêts pluriels et parfois contradictoires que nous avons essayé de relater lors de l’étude
de groupes Yanomami dans le cadre de la « ruée vers l’or ». Nous avons donc d’un côté,
différentes nations, groupes et villages indigènes et de l’autre, une Fondation et un Etat qui
régit l’accès des terres indigènes aux « étrangers ».
La représentation par des associations ou des ONG permet de faire valoir une seule
voix en dépassant le morcellement géographique et social indigène et de rejoindre l’espace
normatif non-indigène qui reconnait le principe de représentation. L’organisation sociale
indigène ne semble donc pas adaptée pour se faire entendre notamment dans les affaires
de biopiraterie. Il lui faut alors sortir de son espace normatif que nous avons qualifié de
morcelé pour rejoindre celui des non-indigènes qui reconnait le statut de l’association et de
l’ONG ainsi que son pouvoir de lobbying.
L’exemple de la Kapèy nous montre assez bien le pouvoir de lobbying que peut exercer
une association indigène. Les 25 et 26 mai 2002, la Kapèy organise une réunion à laquelle
l’UNIFESP est conviée afin de régler le différend portant sur le cas de biopiraterie. Sur
les conseils de la Vyty-Cati l’UNIFESP ne se rend pas à la réunion. Sans la présence de
l’autre camp, l’explication ne peut avoir lieu et la réunion devient alors le lieu où l’indignation
s’impose. La Kapèy décide alors de rédiger une lettre ouverte (« Carta aberta do povo
Krahό ») dans laquelle « les Krahó demandent à l’UNIFESP la somme de 20 millions de
reales (R$) de taxe de bioprospection plus 5 millions à titre d’indemnisation du préjudice
102
moral, soit un total de 25 millions de reales (environ 8 millions d’euros) » . L’affaire se
médiatise encore plus depuis l’article paru en novembre 2001 dans la revue Pesquisa
Fapesp. Les grands journaux brésiliens s’emparent de l’affaire. O Globo parle d’un cas
présumé de biopiraterie.
102
ZAHLUTH BASTOS Rodolpho, « La biopiraterie : réalité ou manipulation médiatico-politique ? » Le cas des Indiens Krahó
en Amazonie brésilienne, Hérodote, 2009/3 n° 134, p. 138-150. DOI : 10.3917/her.134.0347
32
ECHASSOUX Jean-Philippe - 2012
II…entraîne la défense locale de l’identité indigène
L’UNIFESP rejette les accusations de biopiraterie et ne comprend pas le montant très
103
élevé de l’indemnisation. Malgré le prestige et la posture de négation de l’UNIFESP,
la publication de la lettre conduit au désistement des laboratoires pharmaceutiques : ce
sont autant de financements en moins pour la seconde phase du projet de l’université. La
FUNAI réagit également en interdisant l’accès de la Terre Indigène Krahό aux chercheurs
de l’UNIFESP (alors qu’elle leur avait auparavant donné l’autorisation). Le projet prendra
fin en 2005.
Nous venons d’étudier la question de la représentation par des associations des intérêts
indigènes. Cette représentation peut être problématique quand plusieurs associations
représentent les mêmes villages : quel est l’interlocuteur le plus légitime ? Le cas de la
biopiraterie pose en plus une autre question : à qui appartient le savoir indigène ? Une
réponse à cette question pourrait éclairer un peu plus sur l’interlocuteur à privilégier. Au-delà
de ces considérations, la représentation semble être un des outils propres au droit occidental
mais aussi utilisé par les communautés indigènes. Il s’agira maintenant d’aller plus loin
et d’étudier la représentation à l’échelle internationale et la dynamique de représentation
indigène transnationale qu’elle implique.
2.La transnationalisation de la question indigène
1. Dans cette partie, nous allons commencer à élargir la focale de notre analyse pour
atteindre l’échelle transnationale. C’est également à partir de cette échelle que nous
raisonnerons dans notre dernière grande partie. Nous pouvons justifier ce choix par le fait
que nous considérons que la question indigène amazonienne et ses dynamiques de soutien
et de représentation par les associations et ONG s’inscrit dans une échelle et un mouvement
plus large, les évènements relatifs aux indigènes d’Amazonie brésilienne alimentant cette
dynamique transnationale tout comme le font d’autres évènements. Ainsi, il s’agira ici de
replacer la question indigène dans son contexte national et international d’émergence.
Enfin nous verrons comment les espaces politiques de l’autre servent à l’expression des
revendications indigènes.
C’est à partir de 1968 que naissent les premières associations de défense des
indigènes grâce à des organisations des Droits de l’Homme et quelques anthropologues.
Sur la scène internationale et par le biais de conférences (à Genève), des débats portant
essentiellement sur la discrimination des autochtones sont levés. Une première conférence
est organisée en 1977 portant sur « la discrimination contre les populations autochtones
des Amériques » ; une seconde est intitulée « le racisme et la discrimination raciale »
en 1981. La troisième traite des « peuples autochtones et leur rapport à la terre ». Ces
conférences sont fondatrices et posent pour la première fois des questions relatives aux
indigènes sur la scène internationale. En 1982, ce rituel de conférences prend la forme
d’une instance avec la création du Groupe de Travail sur les Populations Autochtones
(GTPA) qui continuera de poser les grandes questions relatives à l’autochtonie. Le GTPA
est composé de cinq experts et est ouvert à tous les représentants des peuples. C’est la
première tribune internationale d’expression pour les indigènes. Dans la partie précédente,
nous avions évoqué l’importance de la représentation ; nous la prouvons ici : la constituency
103
Selon ZAHLUTH BASTOS, « Le ministère brésilien de l’Éducation (MEC) a jugé l’UNIFESP la meilleure université du Brésil
en 2008. Il faut quand même dire que l’université de São Paulo (USP) et l’université de Campinas (UNICAMP) se refusent à participer
de l’évaluation du MEC ».
ECHASSOUX Jean-Philippe - 2012
33
La gestion de l'altérité chez les peuples indigènes de l'Amazonie brésilienne
104
(« degré de représentativité résultant de la base d’origine » ) est essentielle pour pénétrer
les espaces politiques reconnus de l’autre. Pour ce faire, il ne suffit pas d’être chef d’une
tribu, encore faut-il en avoir les compétences. Comme le dit Irène Bellier :
« la personne du représentant autochtone [...] associe des qualités politiques et
identitaires à une image d’expert dans les domaines de la plus haute modernité.
En apprenant sur une base expérimentale à maîtriser les mécanismes onusiens,
les leaders autochtones, hommes et femmes, se sont forgés une compétence qui
les conduit à mesurer l’importance d’inscrire un point à l’ordre du jour des États
105
»
.
Ces leaders autochtones se forgent de telles compétences oratoires et techniques au
contact de l’altérité, au sein des ONG locales tout comme des instances internationales
comme celles de l’ONU. Ces compétences et attributs ne vont généralement pas de soi
pour ces leaders qui, au sein de leur communauté, exercent une autre langue et évoluent
dans une autre culture juridique qui requiert ses propres règles et savoirs-faire. Si cette
adaptation et intégration des compétences de l’autre culture juridique peut-être un obstacle,
c’est aussi une réelle opportunité pour ceux qui arrivent à se faire entendre dans les tribunes
onusiennes.
A travers la création du GTPA, la question indigène se médiatise et devient
transnationale : des leaders autochtones parlent au nom de leur groupe et des autres au
106
nom d’une « communauté de destin » . Cette fonction de représentation qui les incombe
va bien de pair avec la perception sociale des indigènes, de manière générale. En effet, les
107
populations traditionnelles valorisent le groupe sur l’individu . C’est pour cette raison que
dans leurs sociétés, le droit des groupes prend le dessus sur les droits individuels. C’est
cette logique que l’on retrouve d’une certain façon à l’échelle transnationale : les leaders
autochtones ainsi que les ONG de soutien ne se battent pas pour une reconnaissance d’un
groupe en particulier, ni pour la reconnaissance de droits individuels pour l’autochtone (ce
n’est d’ailleurs pas le lieu pour de telles revendications) mais bien pour la reconnaissance de
droits collectifs. Pour qu’il y ait existence de droits collectifs pour les peuples autochtones,
encore faut-il savoir ce qu’est un peuple autochtone. C’est pour cela que le débat actuel
dans le domaine des questions indigènes se cristallise autour de la définition d’un peuple
108
autochtone .
C’est le Groupe de Travail sur les Populations Autochtones qui a l’idée de mettre en
place une Déclaration des droits des peuples autochtones. Le texte est adopté le 26 août
1994 par la Sous Commission pour la promotion et la protection des droits de l’homme. Il
est présenté à la Commission des droits de l’homme dont les membres n’arrivent pas à se
mettre d’accord sur son contenu. L’Assemblée générale des Nations Unies ordonne alors
104
VILLA DA COSTA FERREIRA Henrique, L’Amazonie, un demi-siècle après la colonisation, Versailles : Ed. Quae, DL 2010.
Chapitre 17 : Territoire en transformation : l’influence des ONG sur le processus de développement durable de l’Amazonie, p.254.
ISBN : 978-2-7592-0326-0
105
BELLIER Irène, « Identité globalisée et droits collectifs : les enjeux des peuples autochtones dans la constellation
onusienne », Autrepart, 2006/2 n° 38, p. 99-118. DOI : 10.3917/autr.038.0099
106
107
108
Ibid.
ROULAND Norbert, L’anthropologie juridique. P.U.F., 1995. 128p. ISBN : 9782130429951
La question a été largement débattue au moment de l’élaboration de la Déclaration des droits des peuples autochtones
de 2007, débat dont nous rendrons compte dans notre troisième partie.
34
ECHASSOUX Jean-Philippe - 2012
II…entraîne la défense locale de l’identité indigène
la création d’un Groupe de Travail sur le Projet de Déclaration (GTPD). En janvier 2005,
le nouveau texte n’a toujours pas abouti. Il ne sera adopté qu’en 2007. Cette Déclaration
apparaît comme une étape majeure du processus d’émergence et de transnationalisation
de la question indigène. Une telle dynamique permet bien de lutter pour l’adoption de droits
collectifs. Ce sont des textes comme la Déclaration de 2007, sur laquelle nous reviendrons
dans notre dernière partie, qui servent d’étalon de référence pour l’élaboration de textes de
loi qui légifèrent sur la question indigène. Le Brésil pourrait très bien s’en inspirer.
Dans un premier temps nous avons envisagé l’autre non-indigène comme prédateur
dans le cadre d’un contact pionnier avec les tribus non-conquises, isolées. C’était le cas
lorsque la FUNAI cherchait à établir le contact avec des peuples isolés à partir de fronts
d’attraction. Malgré toute la bienveillance des spécialistes de la question indigène (les
fonctionnaires de la FUNAI), le contact n’est que le prémisse d’un bouleversement des
sociétés traditionnelles, voire de leur extermination. Partant de ce constat, Sidney Possuelo
a fondé le Département des Indigènes Isolés dont le but est de répertorier et connaître ces
populations isolées sans jamais les rencontrer.
Dans un second temps, nous avons essayé d’envisager l’acteur non-indigène non
plus comme prédateur mais comme représentant et soutien des sociétés traditionnelles.
Pour ces dernières, distinguer l’acteur non-indigène prédateur de celui qui est présent pour
l’assister ou le représenter est délicat, la transmission de mythes au sujet de l’autre n’aidant
pas. En outre, la frontière est mince entre un don d’outils comme une arme à feu ou une
machette pour conclure une rencontre et un échange pacifiques et des dons de matériels
qui conduisent à déstabiliser l’organisation socio-économique d’un groupe indigène. C’est
tout l’enjeu de la question que Scott Wallace pose à Sidney Possuelo : « Si tu veux juste les
laisser tranquille, » demandais-je, « pourquoi leur donnes-tu ces trucs [un couteau et une
109
machette] ? N’es-tu pas en train de contaminer leur société ? »
Les relations indigènes/non-indigènes apparaissent enfin comme une condition
nécessaire pour porter les intérêts de chaque groupe sur la scène politique nationale, voire
internationale. Ces relations permettent ainsi l’intégration de groupes indigènes à l’espace
normatif occidental puisque la représentation et le soutien d’associations et/ou ONG n’existe
pas ab initio pour ces groupes. Un certain nombre d’associations et d’ONG oeuvrant pour
la cause indigène lutte pour la mise en place d’un droit national et international respectant
l’identité, la territorialité et les volontés indigènes. Avant la mise en place d’un tel cadre
normatif, encore faut-il qu’il existe une définition du « peuple autochtone » sur la scène
internationale qui puisse servir d’étalon de référence aux cadres législatifs nationaux et
conventions internationales
109
Version originale traduite par nos soins : « If you just want to leave them alone, » I asked, « why are you giving them this
stuff ? Aren’t you just contaminating their society ? » WALLACE Scott, The unconquered : in search of the Amazon’s last uncontacted
tribes. New York, Crown Publishers, 2011. p.186. ISBN : 978-0-307-46296-1
ECHASSOUX Jean-Philippe - 2012
35
La gestion de l'altérité chez les peuples indigènes de l'Amazonie brésilienne
III... qui nécessite l’élaboration de
normes protégeant l’autochtone
A.Reconnaître l’autre, c’est prendre le risque
de l’ « enfermer dans des territoires normatifs
étrangers »…
« Identifier les cultures n’autorise […] pas à en réifier l’existence »
Michel Izard
110
1. Le 13 septembre 2007 est adoptée la Déclaration des droits des peuples autochtones
(rappelons d’ailleurs que dans cette partie sera préféré le terme « autochtone » comme
il est d’usage sur le plan international ; nous reviendrons au terme indigène quand nous
111
évoquerons l’OIT qui préfère ce dernier) par les Nations Unies . La Déclaration de 2007
112
semble bien plus moderne que la Convention 107 de l’Organisation Internationale du
113
Travail notamment en gommant ses aspects évolutionnistes et pourtant elle ne propose
aucune définition d’un peuple autochtone. Pourquoi ?
Premièrement, il semble bien que ce ne sont pas les dirigeants des Nations Unies qui
ont refusé d’inscrire une définition d’un peuple autochtone dans la Déclaration de 2007
114
mais bien les organisations représentant les peuples autochtones : « Le droit de définir
ce qu’est une personne indigène doit être réservé aux seuls peuples indigènes. Sous
aucune circonstance nous devrions laisser la définition artificielle […] nous dire ce que nous
110
e
M. IZARD, « Culture », in P. BONTE et M. IZARD (dir.), Dictionnaire de l’ethnologie et de l’anthropologie, 3 éd., Quadrige, PUF,
Paris, 2004, p.191.
111
Résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies 61/295 portant Déclaration des droits des peuples autochtones,
A/RES/61/295, 13 septembre 2007.
112
L’héritage évolutionniste est particulièrement visible au a) de l’article premier qui stipule que « La présente convention
s’applique : a) aux membres des populations tribales ou semitribales dans les pays indépendants, dont les conditions sociales et
économiques correspondent à un stade moins avancé que le stade atteint par les autres secteurs de la communauté nationale et qui
sont régies totalement ou partiellement par des coutumes ou des traditions qui leur sont propres ou par une législation spéciale »
113
Un chapitre entier pourrait être consacré à ce concept d’anthropologie. Cependant il est important de savoir en quoi consiste
l’évolutionnisme unilinéaire. Selon Norbert ROULAND (dansL’anthropologie juridique. P.U.F., 1995. 128p. ISBN : 9782130429951),
l’évolutionnisme unilinéaire considère que les sociétés humaines sont soumises « à des lois de transformation globales et générales,
qui font passer toutes les sociétés par des phases identiques dans leur contenu et leur succession, s’emboîtant les unes dans les
autres. Les sociétés « sauvages » dès lors qualifiées de « primitives » représenteraient un stade de développement originel par lequel
sont passées nos propres sociétés […]. »
114
GESLIN Albane, La protection internationale des peuples autochtones : de la reconnaissance d’une identité transnationale
autochtone à l’interculturalité normative. Annuaire français de droit international, 2010 (parution 2011), pp.657-687
36
ECHASSOUX Jean-Philippe - 2012
III... qui nécessite l’élaboration de normes protégeant l’autochtone
115
sommes » . Il semble que les autochtones et les organisations les représentant refusent
une telle définition pour au moins deux motifs :
Définir l’autre pose un problème ontologique, celui de l’ethnocentrisme. Nous l’avons
vu en début de développement, identifier « c’est étymologiquement, faire du même, rendre
semblable ». Pour définir l’autochtone, il a bien fallu l’identifier, soit le définir à partir de nos
propres critères, donc en le ramenant à nous-mêmes. Le danger est donc de passer à côté
de critères essentiels qui sont utilisés par l’autre pour se définir. La muséographie semble
révéler cette absence de compréhension de la culture de l’autre depuis l’intérieur. En effet,
nous ne savons pas faire un autre usage des objets et outils d’autres cultures et civilisations
que la conservation derrière une vitrine :
« Tout ce qui avait été pris à ces peuples aux différents stades de leur
développement culturel : les tambours, les masques de chaman, les breloques,
les poupées de sadeev (des idoles), les ustensiles d’usage courant, les
superbes vêtements portés lors des fêtes ou à l’occasion de rites, tout cela était
mort, s’était desséché dans nos musées sans pour autant faire partie d’une
culture commune. Ce qui est normal. Nous ne savions pas utiliser ces objets
parce que nous n’en avions pas besoin, et la seule chose dont nous ayons été
capables avant de les reporter dans nos registres, fut de les trier selon l’idée
que nous avions de ces cultures. (…) Et ces fragments inanimés de cultures
jadis vivantes montraient à quel point notre science pragmatique pouvait devenir
116
mortelle »
.
Les peuples autochtones refusent d’être définis par l’autre car ils y voient la réminiscence de
l’imposition d’un espace normatif étranger qui par le passé a été porteur d’une violence tant
symbolique que réelle : « L’on peut bien évidemment comprendre cette attitude par le fait
que ces peuples se sont longtemps vus imposer des systèmes culturel, éducatif, juridique,
117
économique, politique…, par définition de l’extérieur » . Ainsi, si une définition des peuples
autochtones doit exister, eux-seuls la donneront, avec leurs propres critères issus de leur
propre perception.
Deuxièmement, rappelons que l’étymologie du terme indigène signifie « né à l’intérieur
du pays ». Le terme autochtone fait référence à un rapport particulier d’un groupe avec une
terre, un territoire donné. L’autochtone est donc défini par rapport à son antériorité et surtout
par le colonisateur. Or, les groupes autochtones de toute l’Amérique sont parvenus sur ce
continent par le détroit de Béring il y a environ 12 000 ans: à partir de combien d’années
est-on considéré comme le natif d’une terre ? Un autre problème se pose quand plusieurs
couches de migrations s’ajoutent. Puisque le terme indigène ou autochtone est attribué par
le colonisateur, quel groupe est considéré comme autochtone ?
Enfin, la définition d’un peuple autochtone donnée par la Convention 169 de l’OIT
de 1989 avait implicitement défini les peuples autochtones relativement au colonisateur
européeen. C’est ainsi que des pays comme l’Indonésie, relativement peu touché par la
colonisation européenne ne s’est pas sentie concerné par la Convention 169 de l’OIT :
115
Version originale traduite par nos soins : « The right to define what is an indigenous person be reserved for the indigenous
peoples themselves. Under no circumstances should we let artificial definition […] tell us who we are » World Council of Indigenous
Peoples, cité par J.R.M. COBO, Volume II, op. cit., § 9, p. 5.
116
117
V. GOLOVANOV, Eloge des voyages insensés (trad. du russe par H. Châlelain), coll. Slovo, Verdier, Paris, 2008, p. 384.
GESLIN Albane, La protection internationale des peuples autochtones : de la reconnaissance d’une identité transnationale
autochtone à l’interculturalité normative. Annuaire français de droit international, 2010 (parution 2011), pp.657-687
ECHASSOUX Jean-Philippe - 2012
37
La gestion de l'altérité chez les peuples indigènes de l'Amazonie brésilienne
« Etant donné que l’ensemble de la population indonésienne n’a pas changé
depuis l’époque de sa colonisation et de l’indépendance qui a suivi et que
l’Indonésie est un pays multiculturel et multiethnique qui ne pratique aucune
discrimination à l’encontre de sa population pour quelque raison que ce soit, les
droits énoncés dans la présente Déclaration accordés exclusivement aux peuples
118
autochtones ne sont pas applicables dans le contexte de l’Indonésie »
.
Ce sont pour toutes ces raisons que la Déclaration des droits des peuples autochtones de
2007 ne possède pas de définition d’un peuple autochtone.
2. La Déclaration de 2007 ne proposant aucune définition sur ce qu’est un peuple
autochtone, le droit international doit alors s’appuyer sur une ou des définitions plus
anciennes. Aujourd’hui il existe deux grandes définitions d’un peuple autochtone, se
différenciant à partir d’un seul critère.
119
Il existe d’une part la « working definition » de José R. Martinez Cobo, Rapporteur
spécial des Nations Unies chargé en 1971 de mener une étude sur les discriminations à
l’encontre des populations autochtones qui aboutira onze années plus tard à la définition
que nous allons étudier. Celle-ci prend en compte trois critères objectifs et un subjectif.
Les critères objectifs :
Le concept d’antériorité : un individu est indigène, autochtone, aborigène, indien, etc.
parce qu’il descend d’une population native d’un pays.
Le critère culturel : un individu est indigène lorsque dans son groupe d’appartenance
prédominent des critères « indigènes » tels la religion, le fait de vivre sous un système
tribal, l’appartenance à une communauté indigène, la façon de s’habiller et les conditions
de subsistance.
La langue autochtone : un indigène l’acquiert dès sa naissance et peut moins l’utiliser
que d’autres langues acquises par la suite.
Le critère subjectif :
La perception que l’individu a de son « autochtonie » : c’est le critère de conscience :
l’individu doit se déclarer comme autochtone.
A partir de tous ces critères, J.R.M. Cobo nous donne la définition synthétique suivante :
« Les peuples autochtones sont ‘des peuples et nations qui présentent une
continuité historique avec les sociétés précédant la conquête et la colonisation
de leurs territoires, qui se considèrent comme distincts des autres secteurs de la
société dominant aujourd’hui ces territoires ou qui en sont partie. Ils constituent,
aujourd’hui, des secteurs non dominants de la société et sont déterminés à
préserver, développer et transmettre aux générations futures leurs territoires
ancestraux et leur identité ethnique, sur la base de leur existence continue en
tant que peuple, en accord avec leurs propres systèmes culturels, leurs systèmes
120
légaux et leurs institutions sociales’ »
.
118
Assemblée générale, 108e séance plénière, 13 septembre 2007 (10h), A/61/PV/108, p. 4.
119
J.R.M. COBO, Study of the problem of discrimination against indigenous peoples, Volume II, Chapter V, E/CN.4/
Sub.2/1986/7/Add.1, 20 juin 1982, § 1, p. 3.
120
Version originale : « Indigenous communities, peoples and nations are those which having a historical continuity
with pre-invasion and pre-colonial societies that developed on their territories, consider themselves distinct from other
38
ECHASSOUX Jean-Philippe - 2012
III... qui nécessite l’élaboration de normes protégeant l’autochtone
Dans cette définition, un cinquième critère (objectif) semble apparaître : le fait que les
« communautés indigènes » se placent dans une continuité historique avec les sociétés
pré-coloniales. Cobo ajoute donc qu’une communauté n’est indigène que relativement à
une colonisation.
Cette définition sera en grande partie reprise par la Convention 169 de l’OIT qui
actualise et corrige la Convention 107. C’est cette définition qui prédomine au sein du droit
er
international. Ainsi l’article 1 , b) de la Convention 169 s’applique aux
« peuples dans les pays indépendants qui sont considérés comme indigènes
du fait qu’ils descendent des populations qui habitaient le pays, ou une région
géographique à laquelle appartient le pays, à l’époque de la conquête ou de
la colonisation ou de l’établissement des frontières actuelles de l’Etat, et
qui, quel que soit leur statut juridique, conservent leurs institutions sociales,
121
économiques, culturelles et politiques propres ou certaines d’entre elles »
.
En 1996, Erika-Irene A. Daes, Présidente et Rapporteur du Groupe de Travail sur les
Populations autochtones (GTPA) reprend en grande partie la définition de J.R.M. Cobo.
Ainsi elle distingue trois critères :
L’occupation et l’usage d’un territoire particulier.
La perpétuation volontaire d’une distinction culturelle ; inclut le langage, l’organisation
sociale, la religion et les valeurs spirituelles, les modes de production, les lois et institutions.
Le fait de s’auto-identifier comme indigène et d’être reconnu comme tel par d’autres
groupes ou par les autorités étatiques.
Auxquels elle ajoute un dernier. Et c’est en celui-ci que réside la nouveauté :
Le critère de la violence : l’indigène est victime de marginalisations, spoliations,
exclusions ou discriminations, que ces conditions persistent ou non.
Ainsi le critère de l’antériorité (fait d’être natif d’une terre relativement à des colons
arrivés dans un second temps) disparaît au profit du critère de la violence, critère beaucoup
plus subjectif qui révèle en 1996 la situation générale alarmante des communautés
indigènes dans le monde. C’est sur ce dernier critère que se fondera la définition de
la Commission Africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) qui distingue
l’élément de définition suivant :
« l’attachement spécial et l’utilisation de leur territoire traditionnel alors que
leurs terres ancestrales ont une importance capitale pour leur survie collective
physique et culturelle en tant que peuples ; le phénomène d’assujettissement, de
marginalisation, de dépossession, d’exclusion ou de discrimination, parce que
sectors of the societies now prevailing in those territories, or parts of them. They form at present non-dominant sectors
of society and are determined to preserve, develop and transmit to future generations their ancestral territories, and their
ethnic identity, as the basis of their continued existence as peoples, in accordance with their own cultural patterns, social
institutions and legal system »J.R.M. COBO, Study of the problem of discrimination against indigenous peoples, Volume
V E/CN.4/Sub.2/1986/7/Add.4, 1987, § 379, p. 29 ; La version française est issue du travail de BELLIER Irène, « Identité
globalisée et droits collectifs : les enjeux des peuples autochtones dans la constellation onusienne », Autrepart, 2006/2 n°
38, p. 99-118. DOI : 10.3917/autr.038.0099
121
Article 1.1.b de la Convention 169 relative aux peuples indigènes et tribaux, 27 juin 1989. Convention 169
téléchargeable sur la page Convention 169 du site Survival <http://www.survivalfrance.org/campagnes/169>
ECHASSOUX Jean-Philippe - 2012
39
La gestion de l'altérité chez les peuples indigènes de l'Amazonie brésilienne
ces peuples ont différentes cultures, divers modes de vie ou de production, par
122
rapport à l’hégémonie nationale et au modèle dominant »
.
Ces définitions sont essentielles dans le cadre d’une étude qui considère le peuple
autochtone comme un de ses objets d’étude centraux. A un moment donné, il faut rendre
compte des définitions officielles qui ont été données sur le peuple autochtone. Nous
avons déjà expliqué que ces définitions portent la marque de l’ethnocentrisme, ne seraitce que parce que le terme indigène ou autochtone est attribué par ceux qui ont colonisé
leurs territoires et non décidé par ceux qui font l’objet de la définition. Nous nous sommes
déjà expliqués sur ce point, nous ne reviendrons pas dessus. En outre, la définition
récente d’Erika-Irene A. Daes est intéressante dans la mesure où elle substitue le critère
d’antériorité par celui de la marginalisation. En d’autres termes, elle remplace un critère
objectif mais discutable du fait de sa marque ethnocentriste par un critère subjectif et
tout aussi discutable : si la spoliation paraît mesurable, qu’en est-il de la marginalisation
ou de la discrimination ? Toutes les communautés autochtones sont-elles victimes de
discriminations ? Cette définition de Daes met en exergue l’évolution de la définition d’un
peuple autochtone à partir de cette substitution de critère. Implicitement, elle semble nous
dire que le droit international, à travers les conventions de l’OIT, s’est trop longtemps reposé
sur une définition objective des peuples autochtones qui ne prenait pas en compte leur
multiplicité et complexité et leur volonté d’être ou de ne pas être définis et encore moins
identifiés. C’est tout l’enjeu de la citation de M.Izard : « identifier les cultures n’autorise […]
pas à en réifier l’existence ».
En plus d’être fondamentales pour notre travail, ces définitions, aussi critiquables
puissent-elles être, sont un pas vers la reconnaissance de l’autochtone. Si les peuples
autochtones refusent d’être définis et identifiés, ils souhaitent bien être reconnus pour
ce qu’ils sont et reconnus dans les conditions de marginalisation dans lesquelles ils
évoluent. Si la reconnaissance implique la définition de l’autre et présente donc le risque
123
« d’enfermement dans des territoires normatifs étrangers » , elle est aussi la condition pour
124
construire un « espace politique commun » . Un tel espace se bâtit à partir d’un dialogue
interpersonnel et d’un autre interculturel, entre deux espace normatifs distincts.
B.… mais c’est aussi la condition pour construire
un « espace politique commun » et penser
l’ « interculturalité normative »
« Elles [les lois] doivent être tellement propres au peuple pour lequel elles sont
faites que c’est un grand hasard si celles d’une nation peuvent convenir à une
autre. »
122
CADHP, Avis juridique de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples sur la Déclaration des
Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, 41e session ordinaire, mai 2007, § 12, p. 4.
123
GESLIN Albane, La protection internationale des peuples autochtones : de la reconnaissance d’une identité transnationale
autochtone à l’interculturalité normative. Annuaire français de droit international, 2010 (parution 2011), pp.657-687
124
40
Ibid.
ECHASSOUX Jean-Philippe - 2012
III... qui nécessite l’élaboration de normes protégeant l’autochtone
Montesquieu
125
1. Le droit est bien une invention occidentale. Est-ce à dire qu’il n’existe que dans nos
sociétés développées (par opposition aux sociétés traditionnelles) ? Non bien sûr. En ce
sens, il faut bien comprendre Louis Assier-Andrieu quand il dit que : « le droit, tel qu’il se
présente dans les sociétés occidentales, est un fait de culture et, comme tel, une possibilité
dont certaines sociétés ont très légitimement pu faire le choix de se passer, en concevant
126
d’autres solutions pour installer en leur sein la normativité qui chapeaute toute société » .
Dans nos sociétés occidentales, le droit se présente à partir d’articles écrits rassemblés
dans des codes. C’est en ce sens qu’il est propre à notre culture. Mais il peut exister sous
d’autres formes comme l’oralité. C’est de cette façon que le droit est conçu dans les sociétés
traditionnelles. Mais ce n’est pas parce qu’il n’est pas écrit et qu’il n’émane pas de l’Etat
qu’il n’existe pas. Le droit peut exister sans l’Etat et l’écriture. Norbert Rouland abonde
dans ce sens : « ce sont des caractères [l’Etat et l’écriture], dont l’absence ou la présence
traduit, selon les sociétés, des états différents de complexification sociale, de différenciation
et d’extension du droit. Mais ils ne constituent pas des essences : le droit peut exister avec
127
ou sans eux » . Comme le dit Assier-Andrieu, la normativité chapeaute toute société. C’est
ainsi qu’un autre type de droit existe dans les sociétés traditionnelles amazoniennes.
En dépit de la connaissance de son existence, le droit des sociétés traditionnelles
a longtemps été minoré. Sans doute leur droit était considéré comme arriéré, primitif à
l’instar de leur société victime jusque dans la seconde moitié du XXe siècle des thèses néo128
évolutionnistes . Quand un droit ou une forme de normativité est ainsi déconsidérée, le
danger est qu’un autre prenne le dessus dans des situations de rencontre. C’est ce qu’il s’est
passé durant les colonisations espagnole et portugaise : les deux couronnes ont importé
et imposé leur système juridique, celui-ci étant considéré par ses protagonistes comme
supérieur à celui des sociétés traditionnelles.
Un tel danger existe encore. Certes, aucun Etat, aucune institution n’essaie d’imposer
son droit, ses lois et ses conceptions à une société traditionnelle, mais c’est en privilégiant
les outils de résolution des conflits du droit occidental, en privilégiant les brevets et droits
de propriété ou même en consacrant des lois et décrets fixant les droits et obligations
des autochtones au sein des Terres Indigènes qu’un droit peut l’emporter sur l’autre.
Consciemment ou non (l’étude des discours des dirigeants de la FUNAI et de l’Etat brésilien
en ce qui concerne notre sujet serait nécessaire pour trancher ici), « la culture juridique
129
occidentale se donne le rôle dominant dans cette rencontre » .
Quand une culture juridique prend le pas sur l’autre, le risque est celui de l’acculturation
juridique définie par Norbert Rouland comme « la transformation globale que subit un
système juridique au contact d’un autre, processus impliquant la mise en œuvre de moyens
de contrainte de nature et de degrés divers et pouvant répondre à certains besoins de la
125
MONTESQUIEU. L’esprit des lois, livres I à V, Nathan, 3 novembre 1999, 128 p.
126
127
128
L. ASSIER-ANDRIEU, Le droit dans les sociétés humaines, coll. Essais et Recherches, Nathan, Paris, 1996, p. 101
ROULAND Norbert, L’anthropologie juridique. P.U.F., 1995. 128p. ISBN : 9782130429951
Le néo-évolutionnisme se développe à partir des années 1940. Leurs fondateurs, L.A. White et Steward prennent en
compte les critiques adressées à l’évolutionnisme unilinéaire et mettent l’accent sur le concept d’évolution multilinéaire. Dans leur
esprit, chaque société est toujours vouée à se développer et se complexifier à travers la division des pouvoirs et des institutions mais
chaque société change à son propre rythme, peut même revenir en arrière ; le changement n’est pas uniforme.
129
GESLIN Albane, La protection internationale des peuples autochtones : de la reconnaissance d’une identité transnationale
autochtone à l’interculturalité normative. Annuaire français de droit international, 2010 (parution 2011), pp.657-687
ECHASSOUX Jean-Philippe - 2012
41
La gestion de l'altérité chez les peuples indigènes de l'Amazonie brésilienne
130
société qui la subit. Cette transformation peut être unilatérale ou réciproque » . Dans les
cas que nous avons brièvement cités, la culture juridique occidentale ne semble pas modifier
la culture juridique indigène. Seulement il y a acculturation juridique dans la mesure où sont
privilégiés les outils et moyens d’expression propres au droit occidental.
Il y a acculturation juridique quand, notamment, au lendemain de l’indépendance du
Brésil, l’Etat exige des titres de propriété de la part des indigènes résidant sur les terres de
l’Etat ou quand les brevets sont considérés comme la seule forme de protection du savoir
indigène. L’acculturation juridique actuelle dont sont victimes les sociétés traditionnelles
amazoniennes n’est pas aussi explicite que celle qui était en vigueur durant la colonisation.
Pourtant la violence symbolique qu’elle exerce est tout aussi puissante. Ce n’est d’ailleurs
pas par hasard qu’Elizabeth Maria Beserra Coelho parle de colonialisme post-moderne pour
définir « la mise en œuvre [actuelle] de stratégies subtiles et symboliques qui n’impliquent
131
pas de violences physiques » . En fait il y aurait comme une nouvelle forme de colonisation
imposée par le droit international et le droit brésilien sur les sociétés indigènes en privilégiant
les outils, voies de recours et de manière générale la culture juridique occidentale.
Au-delà de l’acculturation juridique, il semble que les sociétés traditionnelles indigènes
sont aussi victimes d’une domination politique plus subtile car dissimulée derrière des lois
et décrets en protection de l’indigène. Ainsi, si la participation des peuples indigènes à
la démarcation de leurs terres est inscrite dans le paragraphe 3 de l’article 2 du décret
No.022 du 4 février 1991, la participation effective de ces peuples est soumise aux « règles
et intérêts de l’Etat ». De même, dans le milieu des années 1980, sous couvert de
quelques tentatives d’expulsion conjointement menées avec la FUNAI, l’Etat brésilien laisse
les garimpeiros s’infiltrer en terre yanomami privilégiant ainsi la présence de chercheurs
d’or. Il pense qu’une politique de laisser-faire permettra de consolider la présence nonindigène et ainsi d’être face à un nouvel état de fait : un territoire yanomami plus réduit
qu’auparavant qui permettra de surcroît de coloniser la partie du territoire qui n’appartient
plus aux indigènes. Par ailleurs, Beserra Coelho dénonce aussi le fait qu’au sein des
Districts sanitaires spéciaux pour les indigènes (DSEI), « les agents indigènes de santé
[ne] sont utilisés [que] comme simples traducteurs des connaissances et des pratiques
132
médicales occidentales » . Dans le domaine de l’éducation, les indigènes ont droit à une
éducation scolaire indigène donc à une éducation différenciée. Or il n’existe aucune forme
de pédagogie différenciée effective.
Si l’acculturation juridique est effectivement le danger dans les droits brésilien et
international, l’ensemble des lois et décrets peuvent aussi fournir un alibi à l’Etat brésilien
pour ne pas lutter contre la présence de trafiquants de drogue dans la Terre Indigène Vale
133
do Javari ou la déforestation qui menace directement les populations indigènes.
2. Néanmoins, c’est bien le droit occidental qui apparaît comme l’espace privilégié de
dialogue entre indigènes et non-indigènes, que ce soit à l’échelle du Brésil ou au niveau du
droit international. En l’absence d’une reconnaissance internationale de la culture juridique
130
131
ROULAND Norbert, L’anthropologie juridique. P.U.F., 1995. 128p. ISBN : 9782130429951
BESERRA COELHO Elizabeth Maria. L’ Amazonie, un demi-siècle après la colonisation. Versailles : Ed. Quae, DL 2010.
Chapitre 11 : Amérindiens et colonisation en Amazonie, p.151. ISBN : 978-2-7592-0326-0
132
BESERRA COELHO Elizabeth Maria. L’ Amazonie, un demi-siècle après la colonisation. Versailles : Ed. Quae, DL 2010.
Chapitre 11 : Amérindiens et colonisation en Amazonie, p.160. ISBN : 978-2-7592-0326-0
133
WALLACE Scott, The unconquered : in search of the Amazon’s last uncontacted tribes. New York, Crown Publishers, 2011.
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ECHASSOUX Jean-Philippe - 2012
III... qui nécessite l’élaboration de normes protégeant l’autochtone
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indigène , c’est bien le droit occidental qui sert d’outil de dialogue et de règlement des
contentieux à l’échelle brésilienne et internationale.
Puisque l’on ne peut rejeter la culture juridique occidentale dominante et qu’en plus
ce droit occidental sert, au moins depuis les années 1950, d’espace de dialogue, de
reconnaissance et d’émancipation pour les peuples autochtones, alors sans doute fautil commencer à penser un dialogue entre les deux cultures juridiques. Un tel dialogue
s’appelle l’interculturalité normative. Comment pourrait fonctionner ce dialogue ?
La Déclaration de 2007 présente une avancée certaine vers ce dialogue. En effet,
son article 26 évoque un ensemble de termes – possession, occupation, appartenance
et utilisation – pour évoquer l’emplacement des lieux de vie autochtones sur des terres
données. Là où la Convention 169 de l’OIT parlait de « droits de propriété et de
possession », la Déclaration de 2007 supprime les termes consacrés par le droit occidental,
en l’occurrence droit de propriété et de possession. Elle lui préfère des termes qui font
sens dans les deux cultures juridiques. Ainsi, l’interculturalité normative suppose l’utilisation
de termes communs pour désigner la même chose ; termes qui ne recouvrent pas une
procédure ou un titre officiel dans l’un ou l’autre droit.
L’interculturalité normative va de pair avec un dialogue effectif. C’est ainsi que l’Instance
Permanente sur les Questions Autochtones (IPQA) exige que soit respecté le « droit au
consentement libre et préalablement informé ». Il s’agit d’un droit propre aux populations
autochtones qui peuvent l’exiger à l’égard des actions des instances onusiennes et de la
Banque mondiale sur leur territoire. Un tel droit implique forcément un dialogue puisqu’il
faut un consentement explicite. C’est ce dialogue qui semble être le prélude à l’ouverture
de « territoires politiques communs » et la condition d’une ébauche de l’interculturalité
normative.
Les enseignements de notre travail sont multiples et variés. Nous avons d’abord
commencé par envisager le non-indigène comme prédateur à l’égard de l’indigène. Nous
n’avons pas fait état d’un tel postulat lors de la première partie parce que nous n’avions
rien prouvé au départ. Cependant, dans les rapports indigènes/non-indigènes qui ont trait
à l’occupation de la terre, deux conceptions s’opposent, révélant deux identités distinctes,
cette antinomie créant la frontière réelle et donc les Terres Indigènes qui prennent des
allures de parcs protégés. Cette frontière réelle révèle une frontière plus symbolique qui
semble séparer deux visions de la terre. Pour le non-indigène, elle est ressources et
exploitation ; pour le non-indigène, elle est source de sa spiritualité et de sa vie. D’ailleurs,
en protégeant l’indigène à travers la démarcation des Terres Indigènes, c’est aussi
l’environnement qu’on préserve, d’où le terme de front de protection ethno-environnemental.
Le fait est que ces visions ne semblent pas compatibles, du moins quand elles portent
sur une même terre et qu’elles font cohabiter indigènes et paysans ou orpailleurs. Ces
derniers menacent les villages, installations et jardins indigènes par leur usage de la terre.
Or c’est bien la terre qui fournit aux indigènes les attributs de leur identité. En menaçant leurs
terres, les non-indigènes menacent par la même leur identité. Par ailleurs, les orpailleurs
notamment sont capables de déstabiliser l’organisation socio-économiques de certains
groupes. Un tel bouleversement commence par une simple interaction et se prolonge par
des échanges de nourritures et d’outils qui n’existaient pas dans ces groupes traditionnels.
Dans ce cas précis, l’altérité serait-elle en soi prédatrice ?
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Une telle absence de reconnaissance pourrait s’expliquer par la myriade de systèmes juridiques traditionnels existants ainsi
que par le paradoxe suivant : comment consacrer une culture juridique essentiellement orale dans une culture juridique dominante
basée sur l’écriture ?
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La gestion de l'altérité chez les peuples indigènes de l'Amazonie brésilienne
La question est légitime quand nous remarquons que le contact pionnier est mortel.
Lorsqu’une équipe d’un front d’attraction de la FUNAI rencontre pour la première fois une
communauté isolée, le prestige du sertanista, leader de l’expédition grimpe en flèche,
mais derrière de simples échanges se cachent une transmission de virus et bactéries. Si
le contact est maintenu, de simples postures d’échange d’objets ou le fait de prodiguer
des soins au sein de postes de santé peut être néfaste pour les groupes indigènes.
Outre les maladies dont ils peuvent être les victimes mortelles et le bouleversement socioéconomique que nous avons mentionné, ce sont leurs choix de vivre isolé que le nonindigène remet en cause. Rappelons encore une fois que l’isolement d’un groupe indigène
n’est pas le vestige d’une tribu qui aurait été « oubliée » d’être découverte à l’époque de la
colonisation portugaise et espagnole ; l’isolement est bien un choix résultant des prédations
passées.
Au milieu de notre seconde partie, nous avons « changé notre fusil d’épaule » en
essayant de considérer l’altérité comme un médiateur pour un dialogue avec l’acteur
décideur non-indigène et comme un moyen d’intégration à d’autres espaces normatifs. Nous
avons alors étudié les liens entre ONG, associations et indigènes. Il est important de préciser
qu’il est facile, par écrit, de considérer l’existence d’un acteur non-indigène prédateur pour
l’indigène et un autre, représentant et portant les intérêts de l’acteur autochtone. Seulement,
la représentation est délicate pour les ONG non-indigène en soutien des groupes indigènes.
Comment représenter l’acteur indigène ? Qui représenter ? Les postes de santé détachés
sont-ils souhaitables pour les communautés indigènes ? La frontière est parfois ténue entre
une action de soutien et une autre prédatrice. Sans doute qu’une façon de rendre plus visible
cette frontière est de se référer au « droit au consentement libre et préalablement éclairé ».
Dans le cadre associatif, l’altérité est aussi un moyen d’intégration à d’autres espaces
normatifs. L’espace associatif et représentatif ne va pas de soi pour les indigènes. Pourtant
il semble être le moyen d’expression privilégié pour l’action sociale. A un échelon plus élevé,
c’est la représentation au sein des grandes instances internationales comme l’Organisation
des Nations Unies qui permet de faire avancer les droits collectifs des peuples autochtones.
Certes, les leaders autochtones doivent faire l’effort de s’exprimer dans les instances et les
règles établis par l’autre, mais cette forme d’expression montre quelques réussites comme
la Déclaration des droits des peuples autochtones de 2007 ou encore la mobilisation autour
du chef Kayapό Raoni qui a réussi à lever une pétition en France contre la construction du
barrage de Belo Monte.
Enfin, c’est au sein des instances internationales que les peuples autochtones peuvent
exprimer leur désir de reconnaissance. C’est dans ce terme qu’ils expriment leur besoin
d’être reconnus pour ce qu’ils sont avec leur propre culture juridique. Si les seuls moyens
de reconnaissances passent par les tribunes des instances internationales et par les
moyens de représentation propres à la culture juridique occidentale, alors peut-être que la
reconnaissance des peuples autochtones passe par la mise en place d’une gestion propre
de leurs terres, ressources et systèmes politiques, soit par eux-mêmes.
Jusqu’ à ce jour, c’est le dialogue entre les deux cultures juridiques qui semble être
préféré par les instances onusiennes. C’est en mettant en place des espaces normatifs
communs aux deux types de droits que le dialogue juridique et politique est possible.
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Annexes
Annexes
Cartes des Terres Indigènes étudiées
Carte 1 – Situation des Terres Indigènes au Brésil en mars 2011 – Les Terres
Indigènes étudiées ont leur nom souligné en rouge [source : Blog do planalto < http://
blog.planalto.gov.br/abril-saude-marca-atencao-as-populacoes-indigenas-brasileiras/>]
Carte 2 – Terre Indigène Cana Brava (Maranhão, MA) [source : Universidade
Estadual do Maranhão, affiché par le blog de Territόrios livres do Baixo Parnaíba <
http://territorioslivresdobaixoparnaiba.blogspot.fr/2010_06_01_archive.html>]
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Carte 3 – Terre Indigène Kayapό (Pará, PA) [source : site de l’association Iakiô <
http://iakiopanara.org/panara/historia/>]
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Annexes
Carte 4 – Terre Indigène Yanomami (Roraima et Amazonas, RR et AM) [source :
ALBERT Bruce et LE TOURNEAU François-Michel, « Homoxi : ruée vers l'or chez les
Indiens Yanomami du haut rio Mucajaí (Brésil) », Autrepart , 2005/2 n° 34, p. 3-28.
DOI : 10.3917/autr.034.0003]
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Carte 5 – Terre Indigène Vale do Javari avec mise en évidence des peuples connus
et isolés [source : MAISONNAVE ARISI Barbara. Matis y Korubo, contacto y pueblos
aislados : narrativas nativas y etnografía en la Amazonia brasilera. Mundo Amazonico
1, 2010, p.41-64. ISSN : 2145-5082]
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Annexes
Carte 6 – Terre Indigène Vale do Javari (Amazonas, AM) [source : Instituto
Socioambiental]
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La gestion de l'altérité chez les peuples indigènes de l'Amazonie brésilienne
Carte 7 – Terre Indigène Kraolândia (Tocantins, TO) [source : site internet Palmas
Tocantins < http://www.palmas.org/tocantinsindios.htm>]
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Annexes
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