Tours et détours de l`internement psychiatrique

«Tours et détours de l’internement psychiatrique »
Dr Alexandra. PINELLI
Praticien hospitalier
Secteur 75 G10/11
Avant de vous parler de cette histoire d’internement qu’on pourrait sous titrer « comment faire pour
rendre l’autre encore plus fou », laissez moi évoquer le contexte d’arrivée de ce patient très difficile et
l’ambiance de l’unité. Nous avons traversé l’hiver dernier une période, comme on en connait tous à
l’hôpital psychiatrique, pendant laquelle nos CSI n’ont pas désemplies, avec une concentration de
patients difficiles, agités et résistants aux traitements. Il arrive que la symptomatologie de ces patients
induise un sentiment de découragement et de fatigue chez les soignants, même si, comme aime le
répéter le Dr vidon, « on y arrive toujours ». Ajoutez à cela, le départ en retraite du Dr lagrange, qui
avait été le référent de l’unité depuis une bonne vingtaine d’année- rappelons nous que quand l’ombre
de l’objet tombe sur le moi ça fait mal, alors quand il s’agit de l’ombre de lagrange..-, moi qui devais
prendre la suite, a titre provisoire, sans grande expérience pour ce qui est du traitement de ce type de
patients et la gestion des soins en CSI (je venais de centre de crise)...ainsi, vous pouvez vous faire une
vague idée de l’ambiance du service durant cette période.
Il s’agit donc d’un patient de trente ans, un schizophrène difficile, connu du secteur depuis une dizaine
d’année, hospitalisé a plusieurs reprises dans le service, toujours sous contrainte, pour des épisodes de
compensation délirante. La symptomatologie schizophrénique de ce patient est marquée par des
idées délirantes paranoïdes, une mégalomanie, un déni de la pathologie, une consommation de
toxiques divers et aggravée par de nombreuses ruptures de soin. Lors d’une nouvelle décompensation
délirante, il viole son amie. Il se retrouve alors en détention provisoire à la santé et va y rester prés
d’un an. Durant son incarcération, il refuse de se soumettre à l’expertise psychiatrique demandée par le
juge d’instruction, et refuse le traitement neuroleptique proposé par le psychiatre du smpr, qui accède
cependant à sa demande de traitement substitutif par subutex. C’est donc un patient schizophrène,
sans traitement et incarcéré depuis un an qui agresse très violemment un surveillant pénitentiaire, dans
un contexte de recrudescence délirante. Il est alors adressé dans le service en HO, en application de
l’article D-398 du code de procédure pénale. Le certificat médical initial du médecin du smpr (qui
n’est pas son psychiatre habituel, parti en vacances), évoque un syndrome dissociatif au premier plan,
des mouvements instinctivaux affectifs paradoxaux avec des conduites agressives et d’inhibition
psychomotrice contradictoire. Il est aussi noté que le syndrome délirant, qui est manifeste depuis
l’incarcération, s’aggrave de jour en jour, aboutissant à une incapacité à s’adapter au réel.
En pratique, avant l’arrivée du patient, nous nous sommes réunis, le chef de service, le cadre infirmier
supérieur et l’ensemble des soignants de l’unité afin de rédiger un document relatif à l’organisation des
soins de ce patient détenu, qui fera référence pour le bon déroulement de la prise en charge (nous nous
sommes inspirés d’un document de saint Anne). Comme le précise l’article D-395 du code de
procédure pénale, un détenu admis à l’hôpital est considéré comme continuant à subir sa peine, ou, s’il
est prévenu, comme plaçé en détention provisoire ; la réglementation pénitentiaire et judiciaire
s’applique donc à son égard. Ce qui signifie que le patient doit rester en CSI pendant toute la durée de
son hospitalisation, ceci non seulement dans un but thérapeutique, mais aussi pour éviter tout risque de
fugue, assimilée alors à une évasion. Les visites sont conditionnées par la maison d’arrêt (les permis
de visites sont délivrés par le magistrat instructeur, s’il s’agit d’une personne détenue à titre provisoire
ou par le directeur de l’établissement pénitentiaire s’il s’agit d’une personne
condamnée).L’information à la famille ou aux proches ne peut pas être faite par le personnel
hospitalier. Le courrier transite par la maison d’arrêt. Le patient n’a pas accès au téléphone, sauf
accord préalable du magistrat instructeur en cas de détenu à titre provisoire. Il n’y a évidemment pas
de sorties possibles. Pour ce qui est des soins somatiques, le déplacement de l’équipe médicale est
privilégié ; si une consultation à l’extérieur de l’hôpital est nécessaire, le médecin doit adresser un
certificat médical au préfet de police de paris, comme c’est le cas lors de toute HO, qui transmet ce
certificat à la direction de la maison d’arrêt. En cas de soins urgent, l’équipe soignante du service doit
mettre en œuvre tous les moyens jugés nécessaires tels que le transfert du patient dans un autre
hôpital. Le médecin en avertit immédiatement le directeur de l’hôpital Esquirol ou l’administrateur de
garde, qui contacte le directeur de la maison d’arrêt et le préfet de police de paris, et rédige un
certificat de situation transmis à la préfecture de police et à la direction de la maison d’arrêt. Enfin en
cas de fugue ou d’évasion, on doit procéder à une recherche active dans l’enceinte de l’établissement,
en contrôler les accès et informer les directeurs de l’hôpital et de la maison d’arrêt ; un certificat de
situation doit être rédigé par le médecin et adressé à la préfecture de police et à la maison d’arrêt. Les
institutions policières et judiciaires doivent être contactées (commissariat des 12éme et 14éme
arrondissement, état major de la brigade de répression de la délinquance contre les personnes…). Si le
patient évadé est repris, le HO se poursuit tant que l’autorité préfectorale n’y a pas mis fin.
C’est l’équipe soignante de l’unité qui est allé chercher le patient à la maison d’arrêt et a assuré le
transfert vers l’hôpital Esquirol. (Un détenu en HO passe sous la responsabilité du service hospitalier).
L’entretien médical initial a permis d’évaluer la nature et la gravité des troubles, essentiellement de
nature dissociatifs avec une subexcitation, d’instaurer un traitement et de lui préciser les conditions de
son hospitalisation, en particulier son maintien en CSI fermée. Durant son séjour, ce patient anécessité
un transfert en urgence à lhôpital Mondor pour un épisode infectieux, il y est resté en subsistance
pendant 48h, nécessitant la présence sur place permanente d’infirmiers de l’unité et des fonctionnaires
des forces de police. Au terme d’un mois d’hospitalisation dans le service, il a réintégré la maison
d’arrêt de la santé. Le certificat de demande d’abrogation de HO note une régression de l’état
d’excitation et de la sthénicité, une persistance de la dissociation et du délire à minima, une relative
compliance aux soins. Il est aussi noté que le maintien en isolement est impossible et même
préjudiciable à son état clinique, le service ne disposant pas des mesures de sécurité permettant une
sortie de CSI. Ceci est aussi évoqué dans le rapport d’expertise des deux psychiatres, qui ont pu venir
expertiser le patient dans le service, dans le cadre de sa procédure d’instruction. Leur rapport conclue
à un état d’irresponsabilité pénale, selon les termes de l’article 122-1 du code de procédure pénale. Ce
patient est actuellement hospitalisé d’office en UMD, ce qui est sans doute le mieux pour lui, mais il
est resté une année en prison, sans médicament, aggravant ainsi sa symptomatologie schizophrénique
et aboutissant à un passage à l’acte hétéroaggressif sur un surveillant. Cette longue et dangereuse
descente aux enfers aurait pu être évitée.
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