Air Pur - N°79 - 2010 EXPOSITION PROFESSIONNELLE AUX PERTURBATEURS ENDOCRINIENS Nadia NIKOLOVA-PAVAGEAU1 Florence PILLIERE1 1 Conseiller médical en santé au travail, Département Etudes et Assistance Médicales, INRS 30 rue Olivier-Noyer 75680 Paris cedex 14 [email protected] I- INTRODUCTION L’hypothèse d’une perturbation endocrinienne liée à des substances présentes dans l’environnement a émergé dans les années 90 suite à l’observation d’anomalies du système reproducteur de diverses espèces aquatiques (poissons, mollusques, amphibiens). Les substances suspectées d’être à l’origine de ces perturbations biologiques sont désignées sous diverses appellations : perturbateurs endocriniens, disrupteurs endocriniens, modulateurs endocriniens ou xénestrogènes. Selon la définition adoptée en 1999 par l’Union Européenne « un perturbateur endocrinien est une substance ou un mélange exogène altérant les fonctions du système endocrinien et induisant donc des effets nocifs sur la santé d’un organisme intact, de ses descendants ou sous-populations ». Les perturbateurs endocriniens peuvent interférer avec la synthèse, le stockage, la sécrétion, le transport, le métabolisme, la fixation, l’action ou l’élimination des hormones naturelles responsables du maintien de l’homéostasie, du développement de l’organisme, des fonctions de reproduction, du comportement (Crisp et al., 1998). De nombreuses substances correspondent à cette définition : les hormones naturelles, mais aussi diverses substances produites par l’activité industrielle comme certains pesticides (pesticides organochlorés comme le dichlorodiphényldichloroéthane et la dieldrine, le dibromochloropropane), des plastifiants (bisphénol A, phtalates), les dioxines, les polychlorobiphényles (PCB), les polybromobiphényles, des métaux lourds… Elles sont présentes de façon ubiquitaire dans l’environnement, soit naturellement, soit suite à une pollution. Il existe donc une exposition de la population générale via l’alimentation, la pollution de l’air ou de l’eau, l’utilisation de produits industriels... En milieu professionnel, les sources d’exposition sont multiples et concernent plusieurs secteurs d’activité, notamment l’industrie pharmaceutique, le secteur agricole, l’industrie des plastiques. Plusieurs études ont été publiées concernant des effets potentiels des perturbateurs endocriniens sur la santé humaine : diminution de la qualité du sperme, fréquence accrue de certaines anomalies du développement du tractus génital, augmentation de l’incidence de certaines pathologies hormono-dépendantes… Cependant, peu de publications concernent spécifiquement les effets éventuels des perturbateurs endocriniens chez les travailleurs exposés. II- EFFETS CHEZ L’HOMME Les données existantes ne permettent pas d’établir avec certitude une relation causale entre exposition aux perturbateurs endocriniens à de faibles doses (niveaux rencontrés dans la population générale) et effets sur la santé humaine. Dans la plupart des publications, les données sur l’exposition sont manquantes, tout particulièrement les données sur une éventuelle exposition pendant des périodes critiques du développement humain influençant le fonctionnement ultérieur du système endocrinien. De plus, au vu des études, il persiste des lacunes dans les connaissances des mécanismes sous-jacents, ne permettant pas de conclure formellement à l’existence d’un mécanisme de perturbation endocrinienne (Falcy et al, 2000 ; IPCS, 2001). Les troubles suspectés d’être en rapport avec les effets des perturbateurs endocriniens chez l’homme sont variés : - Altération des fonctions de reproduction masculine : anomalies du sperme ; - Malformations du système reproducteur masculin : cryptorchidie et hypoplasie testiculaire (malformations testiculaires), hypospadias (malformation de l’urètre), kyste épididymaire ; - Troubles de la fonction reproductrice féminine : anomalies de la différenciation sexuelle, de la fonction ovarienne, de la fertilité, de l’implantation et de la gestation ; - Inversion du sexe ratio (naissance d’un plus grand nombre de filles que de garçons) ; - Augmentation de fréquence de certaines pathologies hormono-dépendantes (cancer du sein, du testicule ou de la prostate, endométriose) ; - Perturbation de la fonction thyroïdienne ; - Altération du système immunitaire. En ce qui concerne le milieu du travail, relativement peu d’études se sont intéressées spécifiquement aux effets de l’exposition professionnelle aux perturbateurs endocriniens sur la santé des travailleurs. Or, il est difficile d’extrapoler les effets observés 25 Contenu_AirPur-79.indd 25 26/04/2011 01:45:10 Air Pur - N°79 - 2010 lors d’expositions environnementales à de faibles doses mais ayant possiblement lieu à des moments critiques du développement (puberté par exemple), au milieu professionnel où les expositions, en règle générale plus importantes et souvent multiples, surviennent plus tardivement dans la vie. Les dysfonctionnements hormonaux régressaient après amélioration des conditions de travail. 2- Pesticides De nombreuses études ont été réalisées dans le secteur agricole, parfois spécifiquement chez des applicateurs de pesticides ou chez des ouvriers de la fabrication. Dans la plupart de ces études, les conditions d’exposition n’étaient pas suffisamment précisées et il n’a pas été possible d’identifier un ou des pesticides en cause, notamment parce que les produits utilisés étaient multiples et ont varié au cours du temps. Or, les produits phytosanitaires comprennent un grand nombre de substances, de structure et de toxicité différentes, pouvant impliquer différents mécanismes d’action. III- PERTURBATEURS ENDOCRINIENS EN MILIEU PROFESSIONNEL En milieu professionnel, on peut identifier plusieurs substances ou familles de substances pour lesquelles un mécanisme perturbateur endocrinien semble plausible d’après les résultats d’études expérimentales in vivo ou in vitro (qui ne seront pas présentées ici). Les différentes études recherchant une association entre exposition professionnelle aux perturbateurs endocriniens et effets sur la santé des travailleurs ont été répertoriées dans deux publications françaises du même auteur (Pillière, 2002 ; Pillière, 2005). La réalisation de telles études en milieu de travail se heurte à plusieurs problèmes. Du fait de la multiplicité des sources d’exposition, professionnelles ou non, la définition des populations « exposée » et « témoin » n’est pas aisée. Par ailleurs, les éventuels dysfonctionnements hormonaux pouvant corroborer un mécanisme de perturbation endocrinienne ont rarement été recherchés. Il est à noter que les anomalies hormonales, lorsqu’elles ont été observées, ne s’accompagnaient pas ou peu de signes cliniques chez les travailleurs. Principaux effets suspectés • Cancers hormono-dépendants Plusieurs études épidémiologiques se sont intéressées au risque de cancers hormono-dépendants en milieu agricole. - En ce qui concerne le cancer de la prostate, plusieurs méta-analyses (publications qui combinent les résultats de plusieurs études indépendantes) ont retrouvé un faible excès de risque significatif chez les agriculteurs par rapport aux témoins. Un excès de risque significatif a également été observé dans deux méta-analyses qui se sont intéressées aux sous-populations des applicateurs de pesticides (considérés comme les plus exposés parmi les agriculteurs) et les employés d’usines de production de pesticides. Dans cette dernière sous-population, après stratification sur la classe chimique des pesticides, il persistait un excès de risque dans chaque groupe, mais il n’était statistiquement significatif que dans le groupe des herbicides phénoxy contaminés accidentellement ou non par des dioxines et des furanes. Une grande étude de cohorte prospective aux Etats-Unis (Agricultural Health Study, AHS) a observé un excès de risque, faible mais statistiquement significatif, de cancers de la prostate chez les agriculteurs. Lorsque chaque pesticide a été étudié de manière indépendante, seule l’utilisation de bromure de méthyle (gaz utilisé comme fumigant et désinfectant) a montré une relation dose-dépendante significative. Pour certains pesticides, seules les personnes ayant des antécédents familiaux de cancer de la prostate présentaient un excès de risque significatif (Alavanja et al, 2003). De multiples facteurs semblent donc être intriqués et l’existence d’un lien avéré entre utilisation de pesticides et risque accru de cancer de la prostate chez les agriculteurs n’a pas été démontrée à ce jour. 1- Médicaments à action hormonale Les salariés de l’industrie pharmaceutique sont potentiellement exposés à des médicaments ayant une action hormonale. Estrogènes et progestatifs médicamenteux Dans le secteur de la production d’estrogènes et progestatifs de synthèse, différents troubles ont été observés chez les travailleurs : gynécomastie, nodules mammaires, irrégularités du cycle menstruel, diminution du nombre de spermatozoïdes et de la quantité de sperme, troubles de la libido. Ces effets semblent réversibles après amélioration des conditions de travail. Dans certaines études, des dosages d’hormones sexuelles périphériques (estrogènes, testostérone) ou de produits du métabolisme des androgènes (17-cétostéroïdes urinaires) ont été réalisés, leur perturbation évoquant un retentissement sur le fonctionnement endocrinien. Les dosages des gonadotrophines (hormone de stimulation folliculaire ou FSH et hormone lutéinisante ou LH) qui reflètent la régulation hypothalamo-hypophysaire, lorsqu’ils ont été réalisés, étaient normaux. Corticostéroïdes médicamenteux - Pour le cancer du testicule, deux méta-analyses n’ont pas retrouvé d’excès de risque parmi les agriculteurs. Des anomalies du test de stimulation surrénalienne, en faveur d’une dépression du fonctionnement glandulaire, ont été observées dans une publication, chez 4 des 12 salariés d’une unité de fabrication de glucocorticoïdes de synthèse. - Concernant les cancers de l’endomètre, de l’ovaire et de la thyroïde, quelques études ont observé un excès de 26 Contenu_AirPur-79.indd 26 26/04/2011 01:45:10 Air Pur - N°79 - 2010 risque, le plus souvent non significatif. Toutefois, l’étude de la cohorte AHS a retrouvé un excès de risque significatif de cancer de l’ovaire chez les agricultrices (Alavanja et al, 2005). l’homme sont limitées. Initialement utilisé en agriculture, puis interdit du fait de sa rémanence dans beaucoup de pays occidentaux, dont la France, dans les années 70, le DDT est encore utilisé de nos jours dans la lutte contre le paludisme dans certains pays tropicaux. Quelques études récentes réalisées chez des travailleurs dans la lutte contre les moustiques vecteurs du paludisme et chez des agriculteurs Afro-Américains n’ont pas montré de résultats concluants quant aux effets du DDT sur le fonctionnement de l’axe gonadotrope et sur la reproduction. - La plupart des études n’ont pas montré d’excès de risque de cancer du sein chez les agricultrices par rapport aux témoins. Certains auteurs ont d’ailleurs émis l’hypothèse que l’effet cancérogène évoqué pour certains pesticides organochlorés serait plus important lors d’expositions précoces (avant la puberté ou tôt au moment du développement des seins), donc antérieures au début de l’activité professionnelle (Clapp et al, 2008). Chlordécone Des anomalies qualitatives du sperme ont été rapportées chez des ouvriers de la fabrication de chlordécone ; des dosages hormonaux n’ont pas été réalisés. L’utilisation de chlordécone, notamment contre le charançon du bananier dans les départements français des Antilles, a été interdite en 1993, mais il persiste encore une importante contamination des sols et des eaux. • Effets sur la reproduction D’autres études réalisées dans le secteur agricole ont concerné les effets sur la reproduction. Une grande partie de ces travaux a porté sur les insecticides organochlorés, pour la plupart retirés du marché depuis plus de trois décennies dans les pays occidentaux, cependant peu de données sur les substances utilisées actuellement sont disponibles. Plusieurs études ont eu pour objectif d’évaluer les effets des pesticides sur la qualité du sperme mais à l’exception de certaines substances pour lesquelles des altérations majeures ont été observées (1,2-dibromo-3-chloropropane ou DBCP, chlordécone), les résultats ont été peu concluants. Un autre paramètre étudié a été le délai avant conception (TTP ou time to pregnancy), permettant une estimation de la fertilité, avec des résultats discordants (Bretveld et al, 2007). Certains auteurs ont également retrouvé une augmentation du risque d’avortement spontané chez des agricultrices et des ouvrières de serres. Des incertitudes demeurent quant aux mécanismes physiopathologiques en cause (perturbation endocrinienne ou toxicité directe des pesticides sur les cellules germinales) ainsi que sur l’existence d’éventuels effets synergiques des mélanges de pesticides. • Autres pesticides 1,2-dibromo-3-chloropropane (DBCP) Le DBCP est un nématocide connu pour sa toxicité testiculaire en milieu professionnel (ouvriers de fabrication et ouvriers de bananeraies). Plusieurs auteurs ont rapporté des oligospermies (réversibles) et des azoospermies (irréversibles), en fonction de la durée d’exposition, associées à une augmentation des taux de FSH et de LH. Employé dans les années 70, surtout dans les bananeraies aux Antilles, le DBCP a été interdit depuis. Vinclozoline Il s’agit d’un fongicide aux propriétés anti-androgéniques, encore présent sur le marché français, pour lequel il n’existe pas actuellement de données probantes quant à un éventuel effet perturbateur endocrinien en milieu professionnel. Une étude réalisée chez des ouvriers de la production de vinclozoline a retrouvé une augmentation du taux de FSH par rapport au groupe témoin, sans effet dose-réponse et sans différence significative des concentrations de LH et de testostérone. Pesticides impliqués Plusieurs équipes ont étudié les effets de produits spécifiques et le rôle de certains pesticides a été pointé en particulier : • Pesticides organochlorés Les pesticides organochlorés sont des produits rémanents caractérisés par une bioaccumulation dans la chaîne alimentaire et une persistance dans l’environnement. Ils font partie des polluants organiques persistants (POPs). 3- Métaux Un article récent rapporte les résultats de différentes études sur le rôle des métaux en tant que perturbateurs endocriniens : études expérimentales chez l’animal mais également quelques études en milieu du travail (Iavicoli et al., 2009). Le mécanisme physiopathologique des dysfonctionnements endocriniens n’est pas complètement élucidé (toxicité directe sur les cellules cibles, mécanisme de perturbation endocrinienne ou intrication des deux mécanismes). précaires. Dichlorodiphényltrichloroéthane (DDT) Le cas du DDT est intéressant, puisque des études expérimentales ont montré que son principal métabolite se fixe sur le récepteur des androgènes chez le rat mâle, en inhibant la liaison des hormones androgènes naturelles et, par conséquent, leur activité ; cependant, les données sur un potentiel effet anti-androgénique du DDT chez 27 Contenu_AirPur-79.indd 27 26/04/2011 01:45:10 Air Pur - N°79 - 2010 Plomb résultats des études de fertilité sont contradictoires. Les fumées de soudage contiennent, entre autres métaux, du manganèse et du chrome hexavalent : il n’a pas été retrouvé d’association avec l’intensité de l’exposition au chrome mais il existe, lors des opérations de soudage, une coexposition à des solvants organiques et à la chaleur, ayant potentiellement un effet sur la fertilité. Chez les salariés exposés lors de la récupération de batteries de plomb ou dans les fonderies de plomb, plusieurs études ont retrouvé des anomalies qualitatives et quantitatives du sperme pour des plombémies supérieures à 400 µg/l ainsi que des anomalies des taux hormonaux (baisse de la testostérone et augmentation de la LH et de la FSH). 4- Solvants Mercure La plupart des études sur les solvants concernent les effets sur la grossesse (avortements spontanés, malformations congénitales) ; peu d’auteurs se sont intéressés aux effets sur la reproduction masculine ou aux autres aspects du fonctionnement du système endocrinien. Le mercure inorganique s’accumule dans l’antéhypophyse, la thyroïde et les testicules. Dans les années 90, certains auteurs ont observé des effets sur les hormones thyroïdiennes chez des ouvriers de la production de chlore : augmentation du taux de la thyroxine (T4) ou de la triiodothyronine inverse (rT3) ainsi que du ratio T4 libre/T3 libre dans le groupe des salariés les plus exposés sans retentissement sur le taux de la thyréostimuline (TSH). D’autres études n’ont cependant pas mis en évidence de perturbations du fonctionnement thyroïdien ou de l’axe gonadotrope lors d’expositions professionnelles. Quelques solvants semblent être plus spécifiquement impliqués (Figa-Talamanca et al, 2001), (Jensen et al, 2006) : 2-Bromopropane C’est un solvant utilisé en substitution des chlorofluorocarbones. Des anomalies du sperme (azoospermie, oligospermie, diminution de la mobilité des spermatozoïdes) chez les hommes ainsi que des cas d’aménorrhée secondaire avec augmentation de la FSH chez les femmes travaillant dans l’industrie électronique ont été décrits dans les années 1990. Cobalt Une étude réalisée chez des peintres sur poterie avec des expositions faibles au cobalt (contenu dans un colorant bleu) à la fin des années 80, a mis en évidence une augmentation du ratio T4 libre/T3 libre. Disulfure de carbone Manganèse Dans des études anciennes chez des ouvriers de l’industrie de la viscose exposés à des concentrations élevées de disulfure de carbone, on a observé une baisse de la libido, une diminution de la puissance et, pour certaines, des altérations de la qualité du sperme. Les données concernant le fonctionnement de l’axe gonadotrope sont contradictoires. Dans les années 80/90, deux études de fertilité chez des travailleurs exposés à des poussières de manganèse (fabrication de piles alcalines et production de sels de manganèse à partir de minerais) ont eu des résultats contradictoires. Au cours des deux dernières décennies, certains auteurs ont observé une augmentation de la prolactinémie chez des ouvriers de la production d’alliages au manganèse (en particulier des ferro-alliages) alors que d’autres ont rapporté des résultats négatifs. Dans une récente étude coréenne chez des soudeurs exposés au manganèse les auteurs avançaient l’hypothèse qu’une augmentation de la TRH (hormone de libération de la thyréostimuline) et une suppression de l’inhibition dopaminergique au niveau de l’anté-hypophyse pourraient être à l’origine de l’augmentation de la prolactinémie chez les soudeurs. Ethers de glycol Dans les années 80/90, des études réalisées chez des peintres, des ouvriers de l’industrie chimique et de l’industrie des semiconducteurs exposés au 2-éthoxyéthanol et au 2-méthoxyéthanol ont mis en évidence un effet sur la fertilité masculine (anomalies qualitatives du sperme, difficulté à concevoir). Au début des années 2000, deux études épidémiologiques françaises réalisées chez des agents de la Ville de Paris et de la RATP concluaient à une association entre exposition professionnelle à des produits contenant des éthers de glycol et atteinte de la qualité séminale, sans modification des niveaux circulants d’hormones de la reproduction (Multigner L et al., 2004). Cette association était observée chez les sujets exposés avant 1995 mais aucun lien n’était montré avec l’exposition récente. Ces résultats sont cohérents avec l’importante réduction des éthers de glycol reprotoxiques dans les préparations à usage professionnel au cours de la première moitié des années 1990. Par ailleurs, l’absence d’anomalies hormonales n’est pas en faveur d’un mécanisme de perturbation endocrinienne mais évoque plutôt une possible toxicité directe. Fumées de soudage Dans les années 80/90, plusieurs équipes se sont intéressées à la fonction reproductrice chez les soudeurs. Selon certaines études, le soudage en général, et en particulier le soudage d’acier inoxydable, pourrait être associé avec une altération de la qualité du sperme. D’autres auteurs par contre ont rapporté une augmentation statistiquement significative des anomalies du sperme uniquement chez les soudeurs d’acier doux (et non chez les soudeurs d’acier inoxydable) ainsi qu’une augmentation non significative de la FSH. Les 28 Contenu_AirPur-79.indd 28 26/04/2011 01:45:10 Air Pur - N°79 - 2010 statistiquement significative du taux de testostérone a été observée chez des ouvriers de la fabrication par rapport à des sujets témoins. Trichloroéthylène et tétrachloroéthylène Au début des années 90, certains auteurs ont retrouvé une augmentation des anomalies du sperme chez des salariés du nettoyage à sec exposés au tétrachloroéthylène ainsi qu’une augmentation du délai avant conception chez leurs épouses. Des études effectuées dans les années 80/90 chez des ouvriers utilisant du trichloroéthylène pour le dégraissage de pièces métalliques n’ont pas montré d’anomalies significatives du sperme. Une étude a observé une diminution progressive des taux de FSH et de testostérone avec la durée d’exposition au trichloroéthylène chez des salariés de l’industrie électronique (significative uniquement pour le taux de FSH dans le groupe des sujets exposés plus de 7 ans), ainsi qu’une augmentation de la concentration de DHEA (sulfate de déhydroépiandrostérone, hormone corticosurrénalienne) corrélée à la durée d’exposition. Les taux hormonaux ajustés sur l’âge, le volume testiculaire et le tabagisme restaient cependant dans les limites des normales du laboratoire. Plastifiants Dans une étude chinoise récente, on a observé une diminution de la testostérone chez des ouvriers de la fabrication de revêtements de sol en PVC, exposés à des phtalates (phtalate de di-n-dibutyle et phtalate de di-2-éthylhexyle). Au début des années 2000, des auteurs japonais ont retrouvé, chez des ouvriers qui pulvérisent du diglycyl ether du bisphénol A (BADGE) mélangé à des solvants organiques, utilisé comme durcisseur de résine époxy, une augmentation de l’excrétion urinaire de bisphénol A (qui serait produit par le métabolisme du BADGE) et une diminution de la concentration plasmatique de FSH (mais sans effet sur celles de LH et de testostérone). Dioxines Trinitrotoluène Des études chez des salariés de l’industrie chimique employés à la production de sel de sodium de trichlorophénol ou dérivés (substances contaminées par la 2,3,7,8-tétrachlorodibenzop-dioxine ou TCDD) dans les années 50 à 70, ont montré une augmentation des taux de LH et FSH et une baisse de la testostérone ainsi qu’une augmentation de la glycémie à jeun et de la T4. Chez des applicateurs d’herbicides de la famille des chlorphénoxy (acide 2,4,5-trichlorophénoxyacétique ou 2,4,5-T) contenant du TCDD comme impureté on a décrit une relation inverse entre le niveau de TCDD et les concentrations de prolactine, T3, TSH et testostérone, et une relation positive avec la concentration de glucagon. Chez des salariés de la production d’explosifs exposés au trinitrotoluène dans les années 1990, on a rapporté des altérations du sperme. Des dosages hormonaux n’ont pas été réalisés. Styrène Dans les décennies 90, quelques études ont montré une augmentation de la concentration de prolactine chez des salariés de l’industrie des plastiques exposés au styrène, cet effet pouvant être attribué à une baisse de l’activité de la dopamine béta-hydroxylase. Dans une étude récente réalisée chez des ouvriers de l’incinération de déchets, la quantité toxique équivalente (TEQ) de dioxines, polychlorobiphényles (PCB) et furanes dans le sang était positivement corrélée avec la concentration urinaire d’estriol évoquant, d’après les auteurs, une influence de ces substances sur le métabolisme des estrogènes. Toluène Au début des années 90, une étude a mis en évidence une diminution des concentrations sanguines de testostérone et de gonadotrophines (LH et FSH) chez des ouvriers de la rotogravure comparés à un groupe de témoins. Une autre publication de la même équipe a fait état d’une baisse des taux de LH et de testostérone associée à l’intensité de l’exposition au toluène (au moment de l’étude) chez des ouvriers du même secteur d’activité. Toutefois, seules les concentrations de LH et de FSH dans le groupe des salariés âgés de moins de 40 ans étaient significativement plus basses par rapport aux témoins dans la même tranche d’âge. IV- CONCLUSION Peu de données probantes existent quant aux effets des perturbateurs endocriniens dans la population générale, mais aussi en milieu professionnel, et le développement de nouvelles études expérimentales et appliquées dans ce domaine est nécessaire. Plusieurs axes de recherche restent à explorer ou à mieux développer : améliorer les connaissances sur les mécanismes d’action, mettre au point des biomarqueurs d’exposition et d’effet plus facilement accessibles en milieu de travail, caractériser les relations dose-effet, élargir le champ des études aux dysfonctionnements du système endocrinien autres que les anomalies de la fonction de reproduction et les effets sur la thyroïde. 5- Autres substances Acide diaminostilbène-disulfonique (DAS) Le DAS est un intermédiaire de synthèse d’un agent de blanchiment fluorescent ajouté dans le papier, les tissus et les détergents à lessive, de structure similaire à l’estradiol et au diéthylstilbestrol (DES), estrogène de synthèse. Une diminution La problématique de la surveillance médicale des travailleurs 29 Contenu_AirPur-79.indd 29 26/04/2011 01:45:10 Air Pur - N°79 - 2010 exposés pose de multiples interrogations. Les perturbations hormonales observées dans les études n’ont pas, le plus souvent, de retentissement clinique, les éventuels effets étant alors difficiles à suspecter lors d’une consultation médicale. D’autre part, la pertinence des dosages hormonaux dans le suivi des salariés n’est pas établie et il est difficile d’envisager en pratique courante des explorations plus complexes (tests de stimulation hormonale, spermogramme…). Malgré les nombreuses inconnues, l’intérêt des mesures de prévention en milieu de travail reste indiscutable, la principale étant la substitution par des substances pour lesquelles les résultats des études expérimentales ne font pas suspecter un effet perturbateur endocrinien. disruptors. 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