exposition professionnelle aux perturbateurs endocriniens

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Air Pur - N°79 - 2010
EXPOSITION PROFESSIONNELLE
AUX PERTURBATEURS ENDOCRINIENS
Nadia NIKOLOVA-PAVAGEAU1
Florence PILLIERE1
1 Conseiller médical en santé au travail,
Département Etudes et Assistance Médicales, INRS
30 rue Olivier-Noyer 75680 Paris cedex 14
[email protected]
I- INTRODUCTION
L’hypothèse d’une perturbation endocrinienne liée à des
substances présentes dans l’environnement a émergé dans
les années 90 suite à l’observation d’anomalies du système
reproducteur de diverses espèces aquatiques (poissons,
mollusques, amphibiens). Les substances suspectées d’être à
l’origine de ces perturbations biologiques sont désignées sous
diverses appellations : perturbateurs endocriniens, disrupteurs
endocriniens, modulateurs endocriniens ou xénestrogènes.
Selon la définition adoptée en 1999 par l’Union Européenne « un
perturbateur endocrinien est une substance ou un mélange
exogène altérant les fonctions du système endocrinien et induisant
donc des effets nocifs sur la santé d’un organisme intact, de
ses descendants ou sous-populations ». Les perturbateurs
endocriniens peuvent interférer avec la synthèse, le stockage,
la sécrétion, le transport, le métabolisme, la fixation, l’action
ou l’élimination des hormones naturelles responsables du
maintien de l’homéostasie, du développement de l’organisme,
des fonctions de reproduction, du comportement (Crisp et al.,
1998).
De nombreuses substances correspondent à cette définition : les
hormones naturelles, mais aussi diverses substances produites
par l’activité industrielle comme certains pesticides (pesticides
organochlorés comme le dichlorodiphényldichloroéthane et la
dieldrine, le dibromochloropropane), des plastifiants (bisphénol
A, phtalates), les dioxines, les polychlorobiphényles (PCB), les
polybromobiphényles, des métaux lourds… Elles sont présentes
de façon ubiquitaire dans l’environnement, soit naturellement,
soit suite à une pollution. Il existe donc une exposition de la
population générale via l’alimentation, la pollution de l’air ou de
l’eau, l’utilisation de produits industriels... En milieu professionnel,
les sources d’exposition sont multiples et concernent plusieurs
secteurs d’activité, notamment l’industrie pharmaceutique, le
secteur agricole, l’industrie des plastiques.
Plusieurs études ont été publiées concernant des effets
potentiels des perturbateurs endocriniens sur la santé humaine :
diminution de la qualité du sperme, fréquence accrue de certaines
anomalies du développement du tractus génital, augmentation
de l’incidence de certaines pathologies hormono-dépendantes…
Cependant, peu de publications concernent spécifiquement
les effets éventuels des perturbateurs endocriniens chez les
travailleurs exposés.
II- EFFETS CHEZ L’HOMME
Les données existantes ne permettent pas d’établir avec
certitude une relation causale entre exposition aux perturbateurs
endocriniens à de faibles doses (niveaux rencontrés dans la
population générale) et effets sur la santé humaine. Dans
la plupart des publications, les données sur l’exposition
sont manquantes, tout particulièrement les données sur
une éventuelle exposition pendant des périodes critiques
du développement humain influençant le fonctionnement
ultérieur du système endocrinien. De plus, au vu des études, il
persiste des lacunes dans les connaissances des mécanismes
sous-jacents, ne permettant pas de conclure formellement
à l’existence d’un mécanisme de perturbation endocrinienne
(Falcy et al, 2000 ; IPCS, 2001).
Les troubles suspectés d’être en rapport avec les effets des
perturbateurs endocriniens chez l’homme sont variés :
- Altération des fonctions de reproduction masculine :
anomalies du sperme ;
- Malformations du système reproducteur masculin :
cryptorchidie et hypoplasie testiculaire (malformations
testiculaires), hypospadias (malformation de l’urètre),
kyste épididymaire ;
- Troubles de la fonction reproductrice féminine : anomalies
de la différenciation sexuelle, de la fonction ovarienne, de
la fertilité, de l’implantation et de la gestation ;
- Inversion du sexe ratio (naissance d’un plus grand nombre
de filles que de garçons) ;
- Augmentation de fréquence de certaines pathologies
hormono-dépendantes (cancer du sein, du testicule ou
de la prostate, endométriose) ;
- Perturbation de la fonction thyroïdienne ;
- Altération du système immunitaire.
En ce qui concerne le milieu du travail, relativement peu d’études
se sont intéressées spécifiquement aux effets de l’exposition
professionnelle aux perturbateurs endocriniens sur la santé des
travailleurs. Or, il est difficile d’extrapoler les effets observés
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lors d’expositions environnementales à de faibles doses
mais ayant possiblement lieu à des moments critiques du
développement (puberté par exemple), au milieu professionnel
où les expositions, en règle générale plus importantes et
souvent multiples, surviennent plus tardivement dans la vie.
Les dysfonctionnements hormonaux régressaient après
amélioration des conditions de travail.
2- Pesticides
De nombreuses études ont été réalisées dans le secteur
agricole, parfois spécifiquement chez des applicateurs de
pesticides ou chez des ouvriers de la fabrication. Dans la
plupart de ces études, les conditions d’exposition n’étaient pas
suffisamment précisées et il n’a pas été possible d’identifier un
ou des pesticides en cause, notamment parce que les produits
utilisés étaient multiples et ont varié au cours du temps. Or,
les produits phytosanitaires comprennent un grand nombre
de substances, de structure et de toxicité différentes, pouvant
impliquer différents mécanismes d’action.
III- PERTURBATEURS ENDOCRINIENS
EN MILIEU PROFESSIONNEL
En milieu professionnel, on peut identifier plusieurs substances
ou familles de substances pour lesquelles un mécanisme
perturbateur endocrinien semble plausible d’après les résultats
d’études expérimentales in vivo ou in vitro (qui ne seront
pas présentées ici). Les différentes études recherchant une
association entre exposition professionnelle aux perturbateurs
endocriniens et effets sur la santé des travailleurs ont été
répertoriées dans deux publications françaises du même auteur
(Pillière, 2002 ; Pillière, 2005). La réalisation de telles études en
milieu de travail se heurte à plusieurs problèmes. Du fait de
la multiplicité des sources d’exposition, professionnelles ou
non, la définition des populations « exposée » et « témoin »
n’est pas aisée. Par ailleurs, les éventuels dysfonctionnements
hormonaux pouvant corroborer un mécanisme de perturbation
endocrinienne ont rarement été recherchés. Il est à noter que
les anomalies hormonales, lorsqu’elles ont été observées, ne
s’accompagnaient pas ou peu de signes cliniques chez les
travailleurs.
Principaux effets suspectés
• Cancers hormono-dépendants
Plusieurs études épidémiologiques se sont intéressées au
risque de cancers hormono-dépendants en milieu agricole.
- En ce qui concerne le cancer de la prostate, plusieurs
méta-analyses (publications qui combinent les résultats
de plusieurs études indépendantes) ont retrouvé un
faible excès de risque significatif chez les agriculteurs
par rapport aux témoins. Un excès de risque significatif a
également été observé dans deux méta-analyses qui se
sont intéressées aux sous-populations des applicateurs
de pesticides (considérés comme les plus exposés parmi
les agriculteurs) et les employés d’usines de production
de pesticides. Dans cette dernière sous-population, après
stratification sur la classe chimique des pesticides, il
persistait un excès de risque dans chaque groupe, mais
il n’était statistiquement significatif que dans le groupe
des herbicides phénoxy contaminés accidentellement ou
non par des dioxines et des furanes. Une grande étude de
cohorte prospective aux Etats-Unis (Agricultural Health
Study, AHS) a observé un excès de risque, faible mais
statistiquement significatif, de cancers de la prostate
chez les agriculteurs. Lorsque chaque pesticide a été
étudié de manière indépendante, seule l’utilisation de
bromure de méthyle (gaz utilisé comme fumigant et
désinfectant) a montré une relation dose-dépendante
significative. Pour certains pesticides, seules les personnes
ayant des antécédents familiaux de cancer de la prostate
présentaient un excès de risque significatif (Alavanja
et al, 2003). De multiples facteurs semblent donc être
intriqués et l’existence d’un lien avéré entre utilisation de
pesticides et risque accru de cancer de la prostate chez
les agriculteurs n’a pas été démontrée à ce jour.
1- Médicaments à action hormonale
Les salariés de l’industrie pharmaceutique sont potentiellement
exposés à des médicaments ayant une action hormonale.
Estrogènes et progestatifs médicamenteux
Dans le secteur de la production d’estrogènes et progestatifs
de synthèse, différents troubles ont été observés chez les
travailleurs : gynécomastie, nodules mammaires, irrégularités
du cycle menstruel, diminution du nombre de spermatozoïdes
et de la quantité de sperme, troubles de la libido. Ces effets
semblent réversibles après amélioration des conditions de
travail. Dans certaines études, des dosages d’hormones
sexuelles périphériques (estrogènes, testostérone) ou de
produits du métabolisme des androgènes (17-cétostéroïdes
urinaires) ont été réalisés, leur perturbation évoquant un
retentissement sur le fonctionnement endocrinien. Les dosages
des gonadotrophines (hormone de stimulation folliculaire ou
FSH et hormone lutéinisante ou LH) qui reflètent la régulation
hypothalamo-hypophysaire, lorsqu’ils ont été réalisés, étaient
normaux.
Corticostéroïdes médicamenteux
- Pour le cancer du testicule, deux méta-analyses n’ont
pas retrouvé d’excès de risque parmi les agriculteurs.
Des anomalies du test de stimulation surrénalienne, en
faveur d’une dépression du fonctionnement glandulaire, ont
été observées dans une publication, chez 4 des 12 salariés
d’une unité de fabrication de glucocorticoïdes de synthèse.
- Concernant les cancers de l’endomètre, de l’ovaire et de
la thyroïde, quelques études ont observé un excès de
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risque, le plus souvent non significatif. Toutefois, l’étude
de la cohorte AHS a retrouvé un excès de risque significatif
de cancer de l’ovaire chez les agricultrices (Alavanja et al,
2005).
l’homme sont limitées. Initialement utilisé en agriculture,
puis interdit du fait de sa rémanence dans beaucoup de
pays occidentaux, dont la France, dans les années 70, le
DDT est encore utilisé de nos jours dans la lutte contre le
paludisme dans certains pays tropicaux. Quelques études
récentes réalisées chez des travailleurs dans la lutte
contre les moustiques vecteurs du paludisme et chez des
agriculteurs Afro-Américains n’ont pas montré de résultats
concluants quant aux effets du DDT sur le fonctionnement
de l’axe gonadotrope et sur la reproduction.
- La plupart des études n’ont pas montré d’excès de risque
de cancer du sein chez les agricultrices par rapport aux
témoins. Certains auteurs ont d’ailleurs émis l’hypothèse
que l’effet cancérogène évoqué pour certains pesticides
organochlorés serait plus important lors d’expositions
précoces (avant la puberté ou tôt au moment du
développement des seins), donc antérieures au début de
l’activité professionnelle (Clapp et al, 2008).
Chlordécone
Des anomalies qualitatives du sperme ont été rapportées
chez des ouvriers de la fabrication de chlordécone ; des
dosages hormonaux n’ont pas été réalisés. L’utilisation
de chlordécone, notamment contre le charançon du
bananier dans les départements français des Antilles, a été
interdite en 1993, mais il persiste encore une importante
contamination des sols et des eaux.
• Effets sur la reproduction
D’autres études réalisées dans le secteur agricole ont
concerné les effets sur la reproduction. Une grande partie de
ces travaux a porté sur les insecticides organochlorés, pour
la plupart retirés du marché depuis plus de trois décennies
dans les pays occidentaux, cependant peu de données sur
les substances utilisées actuellement sont disponibles.
Plusieurs études ont eu pour objectif d’évaluer les effets
des pesticides sur la qualité du sperme mais à l’exception
de certaines substances pour lesquelles des altérations
majeures ont été observées (1,2-dibromo-3-chloropropane
ou DBCP, chlordécone), les résultats ont été peu concluants.
Un autre paramètre étudié a été le délai avant conception
(TTP ou time to pregnancy), permettant une estimation
de la fertilité, avec des résultats discordants (Bretveld et
al, 2007). Certains auteurs ont également retrouvé une
augmentation du risque d’avortement spontané chez des
agricultrices et des ouvrières de serres. Des incertitudes
demeurent quant aux mécanismes physiopathologiques
en cause (perturbation endocrinienne ou toxicité directe
des pesticides sur les cellules germinales) ainsi que sur
l’existence d’éventuels effets synergiques des mélanges
de pesticides.
• Autres pesticides
1,2-dibromo-3-chloropropane (DBCP)
Le DBCP est un nématocide connu pour sa toxicité
testiculaire en milieu professionnel (ouvriers de fabrication
et ouvriers de bananeraies). Plusieurs auteurs ont rapporté
des oligospermies (réversibles) et des azoospermies
(irréversibles), en fonction de la durée d’exposition, associées
à une augmentation des taux de FSH et de LH. Employé
dans les années 70, surtout dans les bananeraies aux
Antilles, le DBCP a été interdit depuis.
Vinclozoline
Il s’agit d’un fongicide aux propriétés anti-androgéniques,
encore présent sur le marché français, pour lequel il n’existe
pas actuellement de données probantes quant à un éventuel
effet perturbateur endocrinien en milieu professionnel.
Une étude réalisée chez des ouvriers de la production de
vinclozoline a retrouvé une augmentation du taux de FSH
par rapport au groupe témoin, sans effet dose-réponse
et sans différence significative des concentrations de LH
et de testostérone.
Pesticides impliqués
Plusieurs équipes ont étudié les effets de produits spécifiques
et le rôle de certains pesticides a été pointé en particulier :
• Pesticides organochlorés
Les pesticides organochlorés sont des produits rémanents
caractérisés par une bioaccumulation dans la chaîne
alimentaire et une persistance dans l’environnement. Ils
font partie des polluants organiques persistants (POPs).
3- Métaux
Un article récent rapporte les résultats de différentes études
sur le rôle des métaux en tant que perturbateurs endocriniens :
études expérimentales chez l’animal mais également quelques
études en milieu du travail (Iavicoli et al., 2009). Le mécanisme
physiopathologique des dysfonctionnements endocriniens
n’est pas complètement élucidé (toxicité directe sur les cellules
cibles, mécanisme de perturbation endocrinienne ou intrication
des deux mécanismes). précaires.
Dichlorodiphényltrichloroéthane (DDT)
Le cas du DDT est intéressant, puisque des études
expérimentales ont montré que son principal métabolite
se fixe sur le récepteur des androgènes chez le rat mâle,
en inhibant la liaison des hormones androgènes naturelles
et, par conséquent, leur activité ; cependant, les données
sur un potentiel effet anti-androgénique du DDT chez
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Plomb
résultats des études de fertilité sont contradictoires. Les
fumées de soudage contiennent, entre autres métaux, du
manganèse et du chrome hexavalent : il n’a pas été retrouvé
d’association avec l’intensité de l’exposition au chrome mais
il existe, lors des opérations de soudage, une coexposition à
des solvants organiques et à la chaleur, ayant potentiellement
un effet sur la fertilité.
Chez les salariés exposés lors de la récupération de batteries
de plomb ou dans les fonderies de plomb, plusieurs études
ont retrouvé des anomalies qualitatives et quantitatives du
sperme pour des plombémies supérieures à 400 µg/l ainsi que
des anomalies des taux hormonaux (baisse de la testostérone
et augmentation de la LH et de la FSH).
4- Solvants
Mercure
La plupart des études sur les solvants concernent les effets
sur la grossesse (avortements spontanés, malformations
congénitales) ; peu d’auteurs se sont intéressés aux effets
sur la reproduction masculine ou aux autres aspects du
fonctionnement du système endocrinien.
Le mercure inorganique s’accumule dans l’antéhypophyse, la
thyroïde et les testicules. Dans les années 90, certains auteurs
ont observé des effets sur les hormones thyroïdiennes chez
des ouvriers de la production de chlore : augmentation du taux
de la thyroxine (T4) ou de la triiodothyronine inverse (rT3) ainsi
que du ratio T4 libre/T3 libre dans le groupe des salariés les plus
exposés sans retentissement sur le taux de la thyréostimuline
(TSH). D’autres études n’ont cependant pas mis en évidence
de perturbations du fonctionnement thyroïdien ou de l’axe
gonadotrope lors d’expositions professionnelles.
Quelques solvants semblent être plus spécifiquement impliqués
(Figa-Talamanca et al, 2001), (Jensen et al, 2006) :
2-Bromopropane
C’est un solvant utilisé en substitution des chlorofluorocarbones.
Des anomalies du sperme (azoospermie, oligospermie, diminution
de la mobilité des spermatozoïdes) chez les hommes ainsi que
des cas d’aménorrhée secondaire avec augmentation de la
FSH chez les femmes travaillant dans l’industrie électronique
ont été décrits dans les années 1990.
Cobalt
Une étude réalisée chez des peintres sur poterie avec des
expositions faibles au cobalt (contenu dans un colorant bleu)
à la fin des années 80, a mis en évidence une augmentation
du ratio T4 libre/T3 libre.
Disulfure de carbone
Manganèse
Dans des études anciennes chez des ouvriers de l’industrie de
la viscose exposés à des concentrations élevées de disulfure de
carbone, on a observé une baisse de la libido, une diminution
de la puissance et, pour certaines, des altérations de la qualité
du sperme. Les données concernant le fonctionnement de
l’axe gonadotrope sont contradictoires.
Dans les années 80/90, deux études de fertilité chez des
travailleurs exposés à des poussières de manganèse (fabrication
de piles alcalines et production de sels de manganèse à partir
de minerais) ont eu des résultats contradictoires. Au cours
des deux dernières décennies, certains auteurs ont observé
une augmentation de la prolactinémie chez des ouvriers de
la production d’alliages au manganèse (en particulier des
ferro-alliages) alors que d’autres ont rapporté des résultats
négatifs. Dans une récente étude coréenne chez des soudeurs
exposés au manganèse les auteurs avançaient l’hypothèse
qu’une augmentation de la TRH (hormone de libération
de la thyréostimuline) et une suppression de l’inhibition
dopaminergique au niveau de l’anté-hypophyse pourraient
être à l’origine de l’augmentation de la prolactinémie chez
les soudeurs.
Ethers de glycol
Dans les années 80/90, des études réalisées chez des peintres,
des ouvriers de l’industrie chimique et de l’industrie des semiconducteurs exposés au 2-éthoxyéthanol et au 2-méthoxyéthanol
ont mis en évidence un effet sur la fertilité masculine (anomalies
qualitatives du sperme, difficulté à concevoir). Au début des
années 2000, deux études épidémiologiques françaises
réalisées chez des agents de la Ville de Paris et de la RATP
concluaient à une association entre exposition professionnelle
à des produits contenant des éthers de glycol et atteinte de
la qualité séminale, sans modification des niveaux circulants
d’hormones de la reproduction (Multigner L et al., 2004). Cette
association était observée chez les sujets exposés avant 1995
mais aucun lien n’était montré avec l’exposition récente. Ces
résultats sont cohérents avec l’importante réduction des
éthers de glycol reprotoxiques dans les préparations à usage
professionnel au cours de la première moitié des années 1990.
Par ailleurs, l’absence d’anomalies hormonales n’est pas en
faveur d’un mécanisme de perturbation endocrinienne mais
évoque plutôt une possible toxicité directe.
Fumées de soudage
Dans les années 80/90, plusieurs équipes se sont intéressées
à la fonction reproductrice chez les soudeurs. Selon certaines
études, le soudage en général, et en particulier le soudage
d’acier inoxydable, pourrait être associé avec une altération
de la qualité du sperme. D’autres auteurs par contre ont
rapporté une augmentation statistiquement significative
des anomalies du sperme uniquement chez les soudeurs
d’acier doux (et non chez les soudeurs d’acier inoxydable)
ainsi qu’une augmentation non significative de la FSH. Les
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statistiquement significative du taux de testostérone a été
observée chez des ouvriers de la fabrication par rapport à
des sujets témoins.
Trichloroéthylène et tétrachloroéthylène
Au début des années 90, certains auteurs ont retrouvé une
augmentation des anomalies du sperme chez des salariés du
nettoyage à sec exposés au tétrachloroéthylène ainsi qu’une
augmentation du délai avant conception chez leurs épouses.
Des études effectuées dans les années 80/90 chez des ouvriers
utilisant du trichloroéthylène pour le dégraissage de pièces
métalliques n’ont pas montré d’anomalies significatives du
sperme. Une étude a observé une diminution progressive des
taux de FSH et de testostérone avec la durée d’exposition au
trichloroéthylène chez des salariés de l’industrie électronique
(significative uniquement pour le taux de FSH dans le groupe
des sujets exposés plus de 7 ans), ainsi qu’une augmentation de
la concentration de DHEA (sulfate de déhydroépiandrostérone,
hormone corticosurrénalienne) corrélée à la durée d’exposition.
Les taux hormonaux ajustés sur l’âge, le volume testiculaire
et le tabagisme restaient cependant dans les limites des
normales du laboratoire.
Plastifiants
Dans une étude chinoise récente, on a observé une diminution
de la testostérone chez des ouvriers de la fabrication de
revêtements de sol en PVC, exposés à des phtalates (phtalate
de di-n-dibutyle et phtalate de di-2-éthylhexyle).
Au début des années 2000, des auteurs japonais ont retrouvé,
chez des ouvriers qui pulvérisent du diglycyl ether du bisphénol
A (BADGE) mélangé à des solvants organiques, utilisé comme
durcisseur de résine époxy, une augmentation de l’excrétion
urinaire de bisphénol A (qui serait produit par le métabolisme
du BADGE) et une diminution de la concentration plasmatique
de FSH (mais sans effet sur celles de LH et de testostérone).
Dioxines
Trinitrotoluène
Des études chez des salariés de l’industrie chimique employés
à la production de sel de sodium de trichlorophénol ou dérivés
(substances contaminées par la 2,3,7,8-tétrachlorodibenzop-dioxine ou TCDD) dans les années 50 à 70, ont montré une
augmentation des taux de LH et FSH et une baisse de la
testostérone ainsi qu’une augmentation de la glycémie à jeun
et de la T4. Chez des applicateurs d’herbicides de la famille
des chlorphénoxy (acide 2,4,5-trichlorophénoxyacétique ou
2,4,5-T) contenant du TCDD comme impureté on a décrit une
relation inverse entre le niveau de TCDD et les concentrations
de prolactine, T3, TSH et testostérone, et une relation positive
avec la concentration de glucagon.
Chez des salariés de la production d’explosifs exposés au
trinitrotoluène dans les années 1990, on a rapporté des
altérations du sperme. Des dosages hormonaux n’ont pas
été réalisés.
Styrène
Dans les décennies 90, quelques études ont montré une
augmentation de la concentration de prolactine chez des
salariés de l’industrie des plastiques exposés au styrène, cet
effet pouvant être attribué à une baisse de l’activité de la
dopamine béta-hydroxylase.
Dans une étude récente réalisée chez des ouvriers de
l’incinération de déchets, la quantité toxique équivalente (TEQ)
de dioxines, polychlorobiphényles (PCB) et furanes dans le
sang était positivement corrélée avec la concentration urinaire
d’estriol évoquant, d’après les auteurs, une influence de ces
substances sur le métabolisme des estrogènes.
Toluène
Au début des années 90, une étude a mis en évidence une
diminution des concentrations sanguines de testostérone
et de gonadotrophines (LH et FSH) chez des ouvriers de la
rotogravure comparés à un groupe de témoins. Une autre
publication de la même équipe a fait état d’une baisse des taux
de LH et de testostérone associée à l’intensité de l’exposition
au toluène (au moment de l’étude) chez des ouvriers du même
secteur d’activité. Toutefois, seules les concentrations de LH
et de FSH dans le groupe des salariés âgés de moins de 40
ans étaient significativement plus basses par rapport aux
témoins dans la même tranche d’âge.
IV- CONCLUSION
Peu de données probantes existent quant aux effets des
perturbateurs endocriniens dans la population générale, mais
aussi en milieu professionnel, et le développement de nouvelles
études expérimentales et appliquées dans ce domaine est
nécessaire. Plusieurs axes de recherche restent à explorer
ou à mieux développer : améliorer les connaissances sur les
mécanismes d’action, mettre au point des biomarqueurs
d’exposition et d’effet plus facilement accessibles en milieu de
travail, caractériser les relations dose-effet, élargir le champ
des études aux dysfonctionnements du système endocrinien
autres que les anomalies de la fonction de reproduction et les
effets sur la thyroïde.
5- Autres substances
Acide diaminostilbène-disulfonique (DAS)
Le DAS est un intermédiaire de synthèse d’un agent de
blanchiment fluorescent ajouté dans le papier, les tissus et les
détergents à lessive, de structure similaire à l’estradiol et au
diéthylstilbestrol (DES), estrogène de synthèse. Une diminution
La problématique de la surveillance médicale des travailleurs
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exposés pose de multiples interrogations. Les perturbations
hormonales observées dans les études n’ont pas, le plus
souvent, de retentissement clinique, les éventuels effets étant
alors difficiles à suspecter lors d’une consultation médicale.
D’autre part, la pertinence des dosages hormonaux dans le
suivi des salariés n’est pas établie et il est difficile d’envisager
en pratique courante des explorations plus complexes (tests
de stimulation hormonale, spermogramme…). Malgré les
nombreuses inconnues, l’intérêt des mesures de prévention
en milieu de travail reste indiscutable, la principale étant la
substitution par des substances pour lesquelles les résultats
des études expérimentales ne font pas suspecter un effet
perturbateur endocrinien.
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p.544-553.
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IPCS 2001. Global assessment of the state-of-the-science of endocrine
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