L ’étre com m e catégorie de l’éternité pa r Særen Holm Særen K ierkegaard congoit logiquem ent et intem porellem ent l’étre com m e une catégorie caractéristique de l’éternité. C ’est seulem ent en p arlan t vulgairem ent ou h u m oristiquem ent q u ’il lui arrive d ’exprim er l’éternité en term es quantitatifs. C ’est ainsi que, dans le «Postscriptum final non scientifique», il reléve le peu d ’im portance de l’heure et demie q u ’il a å passer parm i les hom m es sur terre en face de l’éternité. Ce co urt in stan t me poursuivrait-il p e n d a n t toutes les é te rn ité s? 1 D ans ce passage, l’éternité est, com m e dans la conception vulgaire, la durée infinim ent longue; m ais K ierkegaard prend aussi le concept de l’éternité q uantitativem ent et spatialem ent en l’ap p liq u an t au séjour des sauvés aprés la m ort. Le pasteu r dit bien que nous nous reverrons, m ais supposons que l’éternité soit si spacieuse que je n ’arrive pas du to u t å y apercevoir le révérend prélat qui me garantissait avec ta n t de bienveillance que nous nous reverrions effectivem ent.2 D ans la pensée philosophique de K ierkegaard, p a r contre, l’éternité est intem porel, la négation du tem ps, conception inspirée de la philosophie grecque, surto u t de Platon, influencé å son to u r p a r la doctrine éléatique de l’étre qui est l’éternel et l’im m uable. A no tre époque si fortem ent im prégnée de philosophie existentialiste qui, chez Jean-P aul S artre, a pris la form e d ’un nom inalism e m éthodique, il ne fau t pas négliger ce fondem ent platonicien de la philosophie de K ierkegaard. E ntre la philosophie existentielle du philosophe danois et l’existentialism e co n tem p o rain les liens ne sont pas to ujours solides, et il ne peut étre question d ’iden tité, ni d ’une co n tin u a tio n directe. D ’aprés la conception platonicienne, l’éternel s’identifie avec l’étan t concret et actuel, qui a com m e antinom ie le n o n -étant, qui change constam m ent et 1. A fsluttende uvidenskabelig E fterskrift til de philosophiske Sm uler. Søren K ierkegaards Sam lede V æ rker, udgivne a f A. B. D rachm ann, J. L. H eiberg og H. O. L ange, 2. U dgave, V II 168. 2. E fterskrift, V II 169. Cfr. S tadier p a a Livets Vej, VI 411. L ’étre com m e catégorie de l’éternité qui p a r conséquent est soum is å la co rru p tib ilité et å l’im perfection. D ans ses «M iettes philosophiques)), K ierkegaard d it que la perfection de l ’éternité, c’est de ne pas avoir d ’histoire et d ’étre la seule chose qui e:Kiste. U n peu autrem ent dit, l’éternité ne co n n ait pas d ’évolution.3 D ans une note explicative ajoutée aux « M iettes philosophiques)),4 K ierkegaard se sert de l’idée de D ieu p o u r illustrer la difference entre l ’éternel et l’historique. II ne croit pas que D ieu existe, m ais il le sait. P ar contre il croit que D ieu a existé, et nous sommes lå en présence de l’historique, alors que dans le prem ier cas nous avons affaire å l’éternel intem porel. D ans «Le C oncept d ’angoisse)), le tem ps est caractérisé com m e la succession infinie, dans laquelle le passé et l’avenir sont séparés p ar 1’instant, et c’est p o u rq u o i le tem ps ne peut jam ais étre le présent actuel. D ans l ’éternité, p a r contre, il n ’y a pas de séparation entre le passé et l’avenir, parce que le présent y est la succession supprim ée. L ’éternel est l’éternel présent, et c’est po u rq u o i les R om ains disaient de la divinité q u ’elle était præsens: Les dieux étaient præsentes dii.5 É tre historique veut toujo u rs dire étre passé. C ’est ap p arten ir au passé, et, p a r essence non historique, l’éternel devient done toujours quelque chose d ’éternellem ent présent. Cela veut dire, négativem ent, que l’éternité est sans succession, idée que nous trouvons chez Jean Scot Érigéne, Spinoza et autres, qui o n t appris du néo-platonism e de Plotin que le m onde est éternel, et que l’étre est dans un éta t de repos p arfait sans aucun passage å l’avenir. En conséquence, Schelling définissait l’éternité com m e l ’étre sans tem ps, un nunc stans, un présent statique ou im m uable. C ’est å la lum iére de cette tra d itio n que nous com prenons la définition que K ierkegaard donne de l ’éternité dans le «C oncept d ’angoisse)): «L ’éternel . . . est le présent)). P o u r la pensée, l ’éternel est le présent en ta n t que succession supprim ée (le tem ps était la succession qui passe). P o u r la rep résentation, c’est une progression, m ais qui n ’avance pas, car po u r elle, l ’éternel est le présent infinim ent plein. D ans l’éternel, de nouveau, on ne retrouve done pas la séparatio n du passé et du futur, parce que le présent y est posé com m e étan t la succession su p p rim ée.6 Le term e de «présent plein» rappelle fortem ent la «plénitude)> (jrXi]cpco|ua) du m ysticisme, qui caractérisé l’expérience de l ’éternité ou du présent qui est en dehors du tem ps. M ais aussi, m ysticism e et néo-platonism e o n t m arché souvent de com pagnie au cours de l’histoire. 3. P hilosophiske Sm uler, IV 268. 4. P apirer, VI B 45. 5. Begrebet A ngest, IV 392 et suiv. 6. B egrebet A ngest, IV 392 et suiv. Særen Holm É ta n t p u r et simple, qui n ’est soum is ni au changem ent ni au devenir étre opposé au devenir, pouvons-nous dire aussi - l’éternel s’identifie å la nécessité, car le nécessaire non plus n ’est soum is ni å la catégorie du devenir ni å celle du changem ent. «La nécessité est to u t å fait å p a rt; rien ne devient p ar nécessité, pas plus que la nécessité [m ém e] ne devient, ou que quelque chose, en devenant, ne devient le nécessaire. Rien n’existe parce q u ’il est nécessaire, mais le nécessaire est parce q u ’il est nécessaire ou parce que le nécessaire est».7 Aussi la nécessité et le devenir s’excluent-ils, to u t com m e l’éternité et le de­ venir. A ucun devenir n ’est nécessaire, car to u t devenir se fait librem ent et non p ar nécessité.8 D ans l’histoire nous avons un devenir, et c’est pou rq u o i histoire et éternité s’excluent. C ’était précisém ent le cas chez les Grecs, dans la condition que, dans ses «M iettes philosophiques» K ierkegaard appelle socratique. Chez les G recs, le m aitre ne pouvait, pour le disciple, q u ’étre l’occasion de prendre conscience de la vérité. «Aussi longtem ps que l’éternel et l’histo riq u e restent extérieurs l ’un å l’autre, l’historique n ’est que l’occasion«. T oute connaissance de l’éternel doit done exclure to u t ce qui est tem porel et historique com m e étan t quelque chose de to u t å fait indifférent å l’éternel et qui n ’a aucun ra p p o rt avec lu i.9 Des Éléates une doctrine a été transm ise p ar Platon, le néo-platonism e, Spinoza et Hegel, qui identifie la pensée et l’étre. Parfois on exprim e la méme idée p ar l’identification de l’étre et du parfait, et le concept platonicien d 'idée com prend les deux identifications. Idea est en effet tan t le concept pensé que la représentation pensée et l’idée éternelle, qui, å la fois, est pensé et est éternellem ent, m ais cette éternité et cette essence im m uable im pliquent précisém ent sa perfection. Si nous disons que l’éternel est parfait ou que l’étan t est parfait, nous p o rto n s un jugem ent nettem ent analytique. N ous n ’ajoutons rien au p rédicat qui ne se trouve déjå contenu p a r définition dans le sujet. C ela est peutétre su rto u t sensible chez Spinoza, qui fait de l’étre une déterm ination de l’existence, en disant au début de VÉthique: Per causam sui intelligo id, cujus essentia involvit existentiam . Særen K ierkegaard m ontre, dans les «M iettes philosophiques», q u ’il a noté cette idée, en d o n n an t des citations des Principia philoso­ phiae Cartesianae, ou on lit, Pars I, Propositio VII, Lem m a I: Quo res sua natura perfectior est, eo majorem existentiam et magis necessariam involvit; et contra, quo magis necessariam existentiam res sua natura involvit, eo perfectior est. Ce 7. Philosophiske Sm uler, IV 267. 8. Philosophiske Sm uler, IV 267. 9. P hilosophiske Sm uler, IV 253. L ’étre com m e catégorie de l’éternité qui veut dire en frangais que plus une chose est parfaite p ar essence, plus elle com porte d ’étre et de nécessité, et inversem ent, plus une chose a d ’étre et de nécessité p a r essence, plus elle est parfaite. L a condition de la vérité de cette conception et ce qui nous autorise å lire la pro p o sition dans les deux sens, c’est l’identité de l’étre et de la perfection, et en effet, dans la note II q u ’il y jo in t, Spinoza dit clairem ent que Per perfectionem intelligo tantum realitatem sive esse, p ar perfection j ’entends exclusivem ent réalité ou étre. K ierkegaard, qui cite to u t ce passage, au rait pertinem m ent pu ajouter que la derniére p ro p o ­ sition est reprise dans la V Ie définition de la partie II de VÉthique, ou on lit: Per realitatem et perfectionem idem intelligo, p a r réalité et perfection j ’entends la méme chose. C ’est en fait aussi cette identité de l’étre et de la perfection qui, historiquem ent, est le fondem ent du raisonnem ent de la preuve ontologique de D ieu, qui veut déduire l’existence de D ieu de sa perfection. K ierkegaard n ’ignore pas que nous avons affaire ici å la doctrine néoplatonicienne et en réalité aussi platonicienne des degrés d ’existence. Une chose peut avoir plus d ’étre q u ’une autre, et les m oins étant ou - ce qui revient au méme - les plus im parfaits p articipent si peu å l’étre q u ’on peut les appeler les «non-existants», t& jaf] tntcx, form ule que nous rencontrons aussi chez saint Paul. D ans l’épitre aux R om ains 4, 17, D ieu est appelé celui qui donne la vie aux m orts et qui appelle r a jirj o v ra toc o v ta , les choses qui ne sont p o int com m e si elles étaient, et dans la prem iere épitre aux Corinthiens 1,28, l’apo tre dit que D ieu a choisi les choses viles du m onde et les plus méprisées, p o u r réduire å néant celles qui sont. II a choisi r a jut'| o v ra p o u r réduire å néant t & o v ra , celles qui sont. K ierkegaard se rend parfaitem ent com pte de ce que cette g raduation d ’existences n ’est pas to u t å fait tenable, et que son défaut est précisém ent une absence de distinction entre étre réel et étre idéal. Tout le défaut de l’idéologie de P lato n , dit-on en général, est q u ’il ahy p o stasié les idées, les ram en an t p ar lå sur le plan de l ’étre concret et actuel. N ous pourrons peut-étre expliquer le m ieux cette confusion p a r deux term es que le fondateur de la philosophie de M arbourg, H erm ann Cohen, a employés dans un autre ra p p o rt d ’idées: L ’erreur de P lato n est done q u ’il attribue aux idées le Dasein alors q u ’il au rait du leur attrib u er «seulem ent» le Sein. Le m ot «seulem ent» ne m arque p o u rta n t nullem ent une réduction de fait, car, si Sein s’écrit avec m oins de lettres que Dasein, le m o t désigne p o u rtan t quelque chose de supérieur et de plus fondam ental. Le Sein est au-dessus du m onde sensible, alors que le Dasein est l’objet de l’observation em pirique. On ne trouve pas une pareille hypostase des idées chez K ierkegaard. Chez lui, les Særen Holm idées sont des concepts purs, elles ne sont pas supranatura com m e chez P laton. M ais K ierkegaard n ’est pas nom inaliste. Chez lui, contrairem ent å ce qui est le cas de Sartre, Yexistentia est précédée d 'essentia. Si nous poussons plus loin cette distinction de degrés d ’existence de l’étre concret et actuel et que nous prolongions la graduation dans l’étre des idées, il s’ensuit que les idées entrent dans la sphére du devenir, que dom ine le change­ m ent et ou les phénom énes surgissent et disparaissent alternativem ent. Or, K ierkegaard ne veut pas adm ettre cette conséquence. Selon lui, les idées ap p artien n en t å la sphére de l’éternité, ou il ne peut y avoir de changem ent, parce que to u t, étan t en dehors du tem ps, y doit étre, non devenir. L ’éternité n ’est pas d ialectique10 dans le sens du devenir ou du passé, p o u rrait-o n dire en se servant de la term inologie particuliére de K ierkegaard. N ous avons ici une o pposition évidente å la tentative de Hegel d ’unir l’étre et le devenir en « in tro d u isan t le m ouvem ent dans la logique», com m e dit K ierkegaard pertinem m ent. P o u r H egel, i’étre peut s’appliquer aussi å ce qui devient. «Ferner aber ist das, was anfångt, schon, eben so sehr aber ist es auch noch nicht. Die Entgegengesetzten, Seyn und N ichtseyn sind also in ihm in unm ittelbarer V ereinigung; oder er [der A nfang] ist ihre ununterschiedene Einheit.» 11 La faute de Spinoza et d ’autres est done q u ’ils établissent des degrés d ’étre dans l ’étre concret ou em pirique, bien que la distinction n’existe que pour l ’étre idéal ou éternel d ’une p a rt et l’étre concret et changeant de l’autre, que nous trouvons partiellem ent dans la n ature et entiérem ent dans l’h istoire.12 «Le p u r étre de l ’étern el» 13 ne passe pas d ’une m aniére continue dans l’étre inférieur et em pirique, com m e le veut le platonism e. L ’éternel est toujours supérieur å l’historique, parce que c’est ce qui est å la b a se .14 L ’historique nous offre, p a r contre, un exemple de l’étre concret et actuel, et devant cet étre concret, to u te distinction de plus ou m oins d ’étre est absurde, selon K ierkegaard. C oncrétem ent, une m ouche a a u ta n t d ’étre que le dieu, et cette sotte rem arque a, å son tour, au ta n t d ’étre que les subtilités profondes de Spinoza; car en ce qui concerne l’étre concret, c’est la dialectique d ’H am let qui v a u t:15 étre ou ne pas étre. II n ’y a pas de m oyen term e ni de troisiém e possibi10. C .-å-d. q u ’elle ne se laisse pas determ iner p a r l’intelligence. N o u s verrons p a r la suite plusieurs acceptions différentes de l’adjectif ou du nom «dialectique» chez K ierkegaard, et to u tes les fois que le contexte n ’en donnera pas clairem ent le sens, nous le préciserons p a r 11. 12. 13. 14. 15. une note. Hegels W erke III, Logik I, 1833, p. 68. Philosophiske Sm uler, IV 268. E fterskrift, V II 561. E fterskrift, V II 564. dialectique veut dire ici: distinction de concepts. L ’étre com m e catégorie de l’éternité lité, com m e le pensait Hegel, nous venons de le voir. «L ’étre concret est in­ different å to u te difference de déterm inations d ’étre, et to u t ce qui est participe å l’étre sans jalo u sie m esquine, et y participe égalem ent».16 Q uant å l’étre idéal, il en est to u t au trem ent que de 1'étre concret, car quand nous parlons idéalem ent, nous ne parlons plus de l ’étre concret ou existentia, m ais de l’essence ou essentia, et dés lors nous nous trouvons dans la sphére de la nécessité, ou to u t est et ou rien ne devient jam ais. Le nécessaire a l’idéalité suprém e, et c’est pou rq u o i il est. Cet étre-lå est son essence. Ici, la preuve spinozienne de D ieu que essentia involvit existentiam au rait vraim ent une valeur incontestable. M ais com m e il s’agit d ’un étre éternel, l’essence de la nécessité ne peut jam ais se trad u ire en un étre concret, ou, selon la term inologie de K ierkegaard, l’essence du nécessaire «ne peut pas devenir dialectique dans les déterm inations de l’étre concret, parce q u ’il est.» Q uand il s’agit de Dieu, la difficulté est de lui attrib u er l’étre concret, «de faire entrer dialectiquem ent l’idéalité de D ieu dans l ’étre concret et actu el» .17 II n ’est done pas possible d ’attrib u er sim plem ent å D ieu une réalité com m e celle, p ar exemple, du soleil et de N ew Y ork, qui ne p articip en t pas å l’étre idéal, mais exclusivem ent å l ’étre concret, et qui y p articipent done égalem ent. Com m e il reléve cette difficulté de «faire entrer l’idéalité de D ieu dans l’étre concret et actuel», K ierkegaard p a ra it, dans le «Post-scriptum », vouloir nier l’«existence» de D ieu dans la sphére du concret, q u and il dit que «l’existence est elle-méme un s y s té m e -p o u r D ieu, m ais ne peut l ’étre p o u r un esprit ex istan t.» 18 On ne peu t done pas dire que D ieu «existe», au sens vulgaire du m ot, com m e lo rsq u ’on dit, p ar exemple, que le Yésuve ou R om e existent. Q uant å l’existence de D ieu, le fait est to u t sim plem ent, selon P laton, que D ieu est, ce qui revient å dire que D ieu est éternel, to u t com m e les vérités logiques, et p a r conséquent D ieu est en som m e, com m e la logique, incom m ensurable ou non-dialectique p o u r le m ouvem ent et le devenir. D ieu étan t celui qui a l’étre, se rap p o rte au devenir et au m ouvem ent com m e un est å un fit, 16. Philosophiske Sm uler, IV 235 note. - K ierkegaard p a rait ad m ettre lui-m ém e des degrés d ’étre quand, dans les «M iettes philosophiques», IV 214, il dit en p a ssan t que «le non étre antérieu r å la renaissance a plus d ’étre que le non-étre qui précéde la naissance». Puisque celui qui renait est né et q u ’il d oit p a r ce fait m ém e exister, aussi a v an t la renaissance, alors que celui qui d o it d ’ab o rd n aitre n ’existe pas encore, la difference d ’étre entre celui qui va naitre et celui qui va renaitre n ’est done pas une difference de degré ou de q uantité, m ais une difference de qualité. Ce sera lå la difference entre étre et ne pas étre, et l’em ploi que K ierkegaard fait de la form ule «plus d ’étre» d o it done étre pris ici com m e u n em ploi hum oristique. 17. Philosophiske Sm uler, IV 235. 18. E fterskrift, V II 106. Særen Holm po urrions-nous dire, et ce ra p p o rt, K ierkegaard a cherché å l’exprim er dans les «Étapes sur le chem in de la vie» q u an d il parle des rap p o rts de l’hom m e au m étaphysique. 11 y d it que le m étaphysique est l’abstraction, et q u ’aucun étre hum ain n ’existe m étaphysiquem ent. Le m étaphysique ou ontologique «est», m ais n ’«existe» pas, et s’il devient, il app arait toujours dans l’esthétique, l ’éthique ou le religieux. Q uand le m étaphysique est, c’est toujours l’abstractio n ou un prius - ou a priori, dirions-nous au jo u rd ’hui - de l’esthétique, de l’é th iq u e o u du religieux.19 D ans le «Post-scriptum », K ierkegaard dit form ellem ent que «D ieu n ’existe pas, il est éternel», tandis que l’hom m e a p o u r m ission de penser et d ’exister.20 É ta n t celui qui est, D ieu ne peut étre l’objet de la foi, m ais seulem ent de la supposition. «D u point de vue éternel, on ne croit pas que D ieu existe, méme lo rsq u ’on adm et q u ’il existe», car l’étre éternel ou pur est une sim ple déterm ination d ’essence et non une déterm ination d ’étre dans l ’intérieur de l’étre concret et actuel. P ar contre la foi prétend que D ieu est devenu dans l’étre historique, p ar quoi son essence éternelle a été infléchie dans les déterm inations dialectiques du devenir.21 D ans ce fait historique, il faut p o u rta n t adm ettre que D ieu est devenu, parce que nous som m es sortis de l’étre purem ent in tem p o rel.22 Selon K ierkegaard, Hegel a eu to rt de faire de l’étre concret et actuel, qui est toujo u rs et p ar essence soum is å la catégorie du devenir, une expression de la pensée, d o n t la sphére est dom inée p ar la nécessité et l’éternité et ou rien en p eu t devenir, m ais ou to u t est, sim plem ent. L a logique dit que rien ne comm ence, car to u t est, et l’erreur des Éléatiques est q u ’ils reportaient cette déter­ m ination å l’existence ou å l’étre concret et em pirique en déclarant que «rien ne com m ence, to u t est» .23 II en résulte nécessairem ent un scepticisme devant le tém oignage des sens; m ais å l’égard de ce tém oignage, K ierkegaard a la m ém e attitu d e que Grundtvig. Ils sont tous les deux, en m atiére de théorie de la connaissance, de nai'fs réalistes, em piriques et nom inalistes. K ierkegaard dit que Hegel a com m is la grave erreur de déterm iner le «W esen» com m e étant le «w asgew esen ist», car «gewesen» est le prétérit d ’«étre», et p ar conséquent, Wesen doit étre l’«étre» supprim é, l’«étre» qui a été, mais c’est lå un m ouvem ent logique qui supprim erait l’atem poralité qui caractérise les concepts d ’éternité, d ’étre et de nécessité.24 19. 20. 21. 22. 23. 24. Stadier, VI 499. E fterskrift, V II 321. C.-å-d. dans les déterm inations conceptuelles de la catégorie du devenir. P hilosophiske Sm uler, IV 279. Begrebet A ngest, IV 317 note. Begrebet A ngest, IV 316 note. - Le réalism e nai'f de K ierkegaard se tra d u it dans la fam euse L ’étre com m e catégorie de l’éternité C ontrairem ent å Hegel, K ierkegaard soutient que: «En logique, aucun m ouvem ent ne do it devenir; car la logique est, et to u t ce qui est logique est seulem ent,25 et cette im puissance du logique est26 le passage du logique au devenir, ou paraissent l’existence et la réalité». Q uand la logique considére son contenu concret, elle verra que ce q u ’elle contient, elle l’a eu des le comm encem ent, et to u t «m ouvem ent», en logique, est un m ouvem ent im m anent dans les lim ites propres de la logique; m ais dés lors, ce n ’est pas, en réalité, un m ouvem ent, car to u t vrai m ouvem ent exprim e to ujours une transcendance, qui ne peut tro u v er de place en logique. L ’élém ent négatif de la logique, la négation, est l’im m anence du m ouvem ent, il est ce qui disparait, ce qui est annulé, et de cette fagon il n ’arrive en réalité rien en logique. Le négatif devient un fantom e. O r Hegel, cependant, ne voulait pas se contenter de cela, et p o u r q u ’il arrive quelque chose en logique, il fit du négatif quelque chose de plus q u ’il n ’était en réalité en logique. II en fit ce qui p roduit son contraire, mais dés lors ce ne pouvait plus étre sim plem ent la négation, ce fu t une contrepo sitio n .27 D ans les «Actes de l ’am our», qui p aru ren t en 1847, K ierkegaard traite aussi dans quelques passages les rapp o rts dialectiques du tem porel et de l’éternel. «Le tem porel a trois tem ps [le présent, le fu tu r et le prétérit], et n ’existe done jam ais entiérem ent, ni entiérem ent dans aucun d ’eux; l’éternel est».28 D ans le prétérit, nous avons le réel ou le concret, et de m éme nous avons dans le fu tu r le possible; mais «éternellem ent l’éternel est l’éternel».29 Le concret et l’actuel est done ce qui est devenu historiquem ent, alors que de p a r son caractére de nécessité, l’éternel est en dehors de la sphére du tem porel et du devenir. N ous pouvons résum er la conception de K ierkegaard en disant que p o u r lui la réalité était la déterm ination concréte de l ’étre, qui est concrétem ent et actuellem ent com m e l’objet de notre observation em pirique, alors que, selon K ierkegaard, Hegel considérait la réalité com m e une déterm ination d ’essence, com m e quelque chose qui concernait le «W esen» ou Vessentia, la nécessité et assertion que «Pexistence est supérieure å la preuve» (par ex. E fterskrift, V II 30 note) K ierkegaard p a rait avoir repris ce point de vue de J. G. H am an n , qui exer^a une profonde influence sur lui p endant les années m ouvem entées de sa jeunesse de 1830 å 1840. H am ann dit que l’existence précéde la connaissance. N ’oublie pas p o u r le cogito le noble sum. (Tage Schack: H am an n , 1948, p. 272). 25. C.-å-d. q u ’en logique il ne peut étre question que d ’étre, et jam ais de devenir, seulem ent de nécessité et jam ais de la liberté qui caractérisé to u t devenir. 26. C .-å-d. tient å. 27. Begrebet A ngest, IV 317. 28. K jerlighedens G jerninger, IX 318. 29. K jerlighedens G jerninger, IX 284. Særen Holm l’éternité. H egel ne distinguait pas entre essentia et existentia, entre mundus intelligibilis et mundus sensibilis, entre le m onde form el de la pensée et le m onde m atériel des sens. O r, c ’est parce que K ierkegaard fait cette distinction q u ’il considére le p u r étre et la nécessité logique com m e des catégories de l’éternité, qui ne sont pas dialectiques p o u r le devenir ou le changem ent, ni p ar conséquent p o u r l’histoire. M ais c’est précisém ent cette incom m ensurabilité de l’éternel et de l’historique qui est la base du paradoxe chez K ierkegaard. Ce p aradoxe se présente avec une nécessité logique, des que l’éternel entre dans l’histoire, p ar le fait que D ieu se fait hom m e. Le dieu sous form e d ’hom m e n ’est pas chez K ierkegaard l’«hom m e-dieu» de H egel: unité logique supérieure de D ieu et de l’hom m e ou m édiation des contrastes. Chez K ierkegaard, le dieu sous form e d ’hom m e est le paradoxe absolu, qui ap p arait q uand cela entre dans l’histoire qui p a r essence ne peut devenir historique, parce que ap p a rte n a n t å l’éternité.