Særen Holm
idées sont des concepts purs, elles ne sont pas supranatura comme chez Platon.
Mais Kierkegaard n’est pas nominaliste. Chez lui, contrairement å ce qui est
le cas de Sartre, Yexistentia est précédée d'essentia.
Si nous poussons plus loin cette distinction de degrés d’existence de l’étre
concret et actuel et que nous prolongions la graduation dans l’étre des idées,
il s’ensuit que les idées entrent dans la sphére du devenir, que domine le change
ment et ou les phénoménes surgissent et disparaissent alternativement. Or,
Kierkegaard ne veut pas admettre cette conséquence. Selon lui, les idées
appartiennent å la sphére de l’éternité, ou il ne peut y avoir de changement,
parce que tout, étant en dehors du temps, y doit étre, non devenir. L’éternité
n’est pas dialectique10 dans le sens du devenir ou du passé, pourrait-on dire
en se servant de la terminologie particuliére de Kierkegaard. Nous avons ici
une opposition évidente å la tentative de Hegel d’unir l’étre et le devenir en
«introduisant le mouvement dans la logique», comme dit Kierkegaard per-
tinemment. Pour Hegel, i’étre peut s’appliquer aussi å ce qui devient. «Ferner
aber ist das, was anfångt, schon, eben so sehr aber ist es auch noch nicht. Die
Entgegengesetzten, Seyn und Nichtseyn sind also in ihm in unmittelbarer
Vereinigung; oder er [der Anfang] ist ihre ununterschiedene Einheit.»11
La faute de Spinoza et d’autres est done qu’ils établissent des degrés d’étre
dans l’étre concret ou empirique, bien que la distinction n’existe que pour
l’étre idéal ou éternel d’une part et l’étre concret et changeant de l’autre, que
nous trouvons partiellement dans la nature et entiérement dans l’histoire.12
«Le pur étre de l’éternel»13 ne passe pas d’une maniére continue dans l’étre
inférieur et empirique, comme le veut le platonisme. L’éternel est toujours
supérieur å l’historique, parce que c’est ce qui est å la base.14 L’historique
nous offre, par contre, un exemple de l’étre concret et actuel, et devant cet
étre concret, toute distinction de plus ou moins d’étre est absurde, selon
Kierkegaard. Concrétement, une mouche a autant d’étre que le dieu, et cette
sotte remarque a, å son tour, autant d’étre que les subtilités profondes de
Spinoza; car en ce qui concerne l’étre concret, c’est la dialectique d’Hamlet qui
vaut:15 étre ou ne pas étre. II n’y a pas de moyen terme ni de troisiéme possibi-
10. C.-å-d. qu’elle ne se laisse pas determiner par l’intelligence. Nous verrons par la suite
plusieurs acceptions différentes de l’adjectif ou du nom «dialectique» chez Kierkegaard, et
toutes les fois que le contexte n’en donnera pas clairement le sens, nous le préciserons par
une note.
11. Hegels Werke III, Logik I, 1833, p. 68.
12. Philosophiske Smuler, IV 268.
13. Efterskrift, VII 561.
14. Efterskrift, VII 564.
15. dialectique veut dire ici: distinction de concepts.