Le concept de genre: constitution d'un champ d'analyse, controverses épistémologiques, l (...) 3
Socio-logos. Revue de l'association française de sociologie, 5 | 2010
1970, ne s’inspirerons pas tous de ses thèses, mais désormais l’historicisation de la question
de l’appartenance sexuelle se posera de plus en plus clairement. Il s’agit en effet d’interroger
l’évidence que l’appartenance sexuelle relève de la nature. Tout l’enjeu est celui d’amener les
sexes hors de la nature, de l’impensé, du pré-social, et de les projeter dans l’histoire, dans le
social et dans le politique.
5Toute pensée s’insère dans un espace cognitif existant avec ses concepts et ses épistémologies
dominantes. En France durant les années ‘60/’70 c’est l’épistémologie marxiste qui domine
le champ des sciences sociales et c’est à l’intérieur de celle-ci que la sociologie française
travaillera à l’élaboration d’une analyse sociologique des classes de sexe. On doit, entre autres,
à Christine Delphy (1998-2002) l’analyse de l’incapacité de la théorie marxiste à saisir les
rapports sociaux de sexe autrement que sous le prisme de l’analyse des classes sociales. Le
terme classes de sexe s’inspire à la fois du marxisme (classes) tout en prenant ses distances en
se focalisant sur les rapports sociaux de sexe et leur autonomie.Il faut montrer que les rapports
hiérarchiques entre hommes et femmes ont une autonomie par rapport à la hiérarchie entre
bourgeoisie et prolétariat et que, par conséquent, ils doivent faire l’objet d’analyses spécifiques
à l’aide de concepts différents que celui de lutte des classes par exemple. L’idée de Delphy
dans L’ennemi principal (texte de 1970 republié dans le recueil de 1998-2002) est de mettre le
travail ménager, une activité non rémunérée qui se déroule dans l’espace privé, au centre de la
problématique des classes de sexe. L’une des étapes fondamentales de ce moment fondateur
du champ d’analyse des études genre est, par conséquent, celui qui consiste à se détacher de
l’analyse marxiste dominante à travers la création d’un terme nouveau: les classes de sexe.
Presqu’au même moment, en 1971, Nicole-Claude Mathieu publie un article qui a pour but
d'ancrer la catégorie de sexe dans la sociologie: « Notes pour une définition sociologique
des catégories de sexe »1. Elle entreprend de montrer qu'à l’instar des catégories d’âge et
socioprofessionnelles, celle de sexe doit être analysée à l'aune de ses significations sociales et
non biologiques. Mathieu ne parle pas de genre mais utilise d’autres concepts voisins «sexe
social » ou « système social des sexes » dans le but de nuancer le terme « sexe », trop
biologisant, en l'accompagnant de l'adjectif social qui signifie bien que c’est l’aspect social
des sexes qui fait l’objet de ses investigations.
6L'approche matérialiste propre à l'analyse marxiste demeure à la base de l'épistémologie de
Delphy ou de Mathieu : ce sont les rapports sociaux de sexe qui produisent les catégories
de sexe et non l’inverse. Comme bourgeoisie et prolétariat sont des catégories ou des classes
consubstantielles ayant un sens l’une part rapport à l’autre et non des catégories en soi, les
catégories de sexes en sont de même. Il paraît plus problématique néanmoins d’imposer cette
idée que celle concernant les classes sociales dans le champ scientifique, car il y a toujours
une composante «naturelle» dans le sexe (au sens commun du terme mais aussi dans son
acception savante) qui ramène constamment ce dernier à la fixité, ou à l’a-historicité.
7C’est Colette Guillaumin qui nous éclaire sur les conséquences d’une sociologie qui s’appuie
sur la catégorie de « nature » et qui pense ainsi avec des catégories pré-sociales (ou a-
historiques). Le livre «Sexe, Race et pratiques du pouvoir» (1992) rassemble un grand nombre
de ses écrits sur les classes de sexe et de race. Le schéma cognitif que propose Guillaumin
est le suivant: dans toute société il y a des faits matériels qui sont la conséquence de rapports
sociaux de pouvoir et des faits idéologiques qui sont les formes mentales que prennent ces
rapports. En ce qui concerne le racisme et le sexisme c’est l’idée de Nature qui constitue
l’habillage idéologique des rapports de pouvoir. Sans le nommer comme tel, elle décrit les
processus qui sont à la base de la constitution du «système de genre» (Parini, 2006), un
ensemble de pratiques et de représentations hiérarchisées du féminin et du masculin dont les
mécanismes de pouvoir sont masqués par l’idée de nature.
8Pas plus que Mathieu ou Delphy à ses débuts, Guillaumin ne parle de genre dans ses travaux.
Elle utilise par contre le concept de sexage qui indique, à l’instar d’esclavage, les processus