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Le concept de genre : constitution d'un champ d'analyse,
controverses épistémologiques, linguistiques et politiques
PARINI, Lorena
PARINI, Lorena. Le concept de genre : constitution d'un champ d'analyse, controverses
épistémologiques, linguistiques et politiques. Socio-logos, 2010, vol. 5, p. 1-11
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Socio-logos. Revue de
l'association française de
sociologie
Numéro 5 (2010)
Varia
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Lorena Parini
Le concept de genre: constitution
d'un champ d'analyse, controverses
épistémologiques, linguistiques et
politiques
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Référence électronique
Lorena Parini, «Le concept de genre: constitution d'un champ d'analyse, controverses épistémologiques,
linguistiques et politiques», Socio-logos. Revue de l'association française de sociologie [En ligne],5|2010, mis en
ligne le 07 juillet 2010. URL : http://socio-logos.revues.org/2468
DOI : en cours d'attribution
Éditeur : Association française de sociologie
http://socio-logos.revues.org
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Le concept de genre: constitution d'un champ d'analyse, controverses épistémologiques, l (...) 2
Socio-logos. Revue de l'association française de sociologie, 5 | 2010
Lorena Parini
Le concept de genre: constitution
d'un champ d'analyse, controverses
épistémologiques, linguistiques et
politiques
Introduction
1Cet article à pour but de retracer l’historique de la constitution du champ d’analyse des
études genre en France à travers la présentation d’un certain nombre de controverses
épistémologiques, linguistiques et politiques qui portent sur le concept de genre. A travers
cet historique j’entends montrer l’imbrication de ce domaine des sciences sociales avec les
débats politiques et institutionnels qui se posent à différentes périodes et défendre l’utilisation
du concept de genre comme outil d’analyse critique. En particulier, j’aborderais les débats
déclenchés par la traduction en français du terme anglais gender. Ces discussions ne sont de
loin pas uniquement des controverses linguistiques mais, nous le verrons, charrient tout un
ensemble de positionnements politiques et institutionnels qui, de manière explicite ou non,
émaillent la migration du concept d’un espace linguistique à un autre.
2Pour les besoins de la démonstration, mon propos sera divisé en trois parties distinctes mais
historiquement non étanches les unes aux autres. Tout d’abord une première partie qui analyse
la constitution et l’autonomisation du champ de recherche des études de genre, ensuite, la
deuxième qui retrace les débats épistémologiques et conceptuels internes à ce même champ
et enfin, la troisième qui aborde la question de la migration du terme gender dans l’espace
francophone.
1. La constitution et l’autonomisation du champrecherche.
(L’épistémologie fondatrice)
3Le concept de genre est une catégorie d'analyse qui rassemble en un seul mot un ensemble
de phénomènes sociaux, historiques, politiques, économiques, psychologiques qui rendent
compte des conséquences pour les êtres humains de leur appartenance à l’un ou à l’autre sexe.
Comme tout concept en sciences humaines et sociales, celui de genre n’est pas univoque, car il
peut signifier plusieurs approches différentes voire divergentes de ces phénomènes: sexuation
des comportements, constructions identitaires, rapports et inégalités entre femmes et hommes
etc... Le genre est une catégorie d'analyse et non une catégorie de sens commun. Il constitue
un outil analytique qui, d’une façon très générale, nous indique qu’il y a du social dans ce qui
paraît naturel. Plus précisément, il met en lumière l’une des techniques du pouvoir qui consiste
à naturaliser des rapports sociaux dans le but de masquer les phénomènes de pouvoir sous-
jacents. Le concept de genre questionne ces phénomènes et ce que l’on perçoit comme naturel,
dans l’optique selon laquelle toute production de savoir est traversée par des phénomènes de
pouvoir.
4Ce questionnement fondateur traverse les espaces culturels et linguistiques car il est à la base
de l’établissement d’un champ d’analyse nouveau. La phrase de Simone de Beauvoir «on
ne naît pas femme on le devient» ouvre une réflexion qui sera poursuivie et développéeen
France comme ailleurs avec des temporalités diverses. Comme l’écrit Eleni Varikas (2006)
elle ouvre un espace cognitif nouveau, mais également un espace politique nouveau, si l’on en
juge par la violence avec laquelle Le deuxième sexe de Simone de Beauvoir fut accueilli. Son
héritage est contesté et les mouvements féministes qui prennent forme dès le début des années
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1970, ne s’inspirerons pas tous de ses thèses, mais désormais l’historicisation de la question
de l’appartenance sexuelle se posera de plus en plus clairement. Il s’agit en effet d’interroger
l’évidence que l’appartenance sexuelle relève de la nature. Tout l’enjeu est celui d’amener les
sexes hors de la nature, de l’impensé, du pré-social, et de les projeter dans l’histoire, dans le
social et dans le politique.
5Toute pensée s’insère dans un espace cognitif existant avec ses concepts et ses épistémologies
dominantes. En France durant les années ‘60/’70 c’est l’épistémologie marxiste qui domine
le champ des sciences sociales et c’est à l’intérieur de celle-ci que la sociologie française
travaillera à l’élaboration d’une analyse sociologique des classes de sexe. On doit, entre autres,
à Christine Delphy (1998-2002) l’analyse de l’incapacité de la théorie marxiste à saisir les
rapports sociaux de sexe autrement que sous le prisme de l’analyse des classes sociales. Le
terme classes de sexe s’inspire à la fois du marxisme (classes) tout en prenant ses distances en
se focalisant sur les rapports sociaux de sexe et leur autonomie.Il faut montrer que les rapports
hiérarchiques entre hommes et femmes ont une autonomie par rapport à la hiérarchie entre
bourgeoisie et prolétariat et que, par conséquent, ils doivent faire l’objet d’analyses spécifiques
à l’aide de concepts différents que celui de lutte des classes par exemple. L’idée de Delphy
dans L’ennemi principal (texte de 1970 republié dans le recueil de 1998-2002) est de mettre le
travail ménager, une activité non rémunérée qui se déroule dans l’espace privé, au centre de la
problématique des classes de sexe. L’une des étapes fondamentales de ce moment fondateur
du champ d’analyse des études genre est, par conséquent, celui qui consiste à se détacher de
l’analyse marxiste dominante à travers la création d’un terme nouveau: les classes de sexe.
Presqu’au même moment, en 1971, Nicole-Claude Mathieu publie un article qui a pour but
d'ancrer la catégorie de sexe dans la sociologie: « Notes pour une définition sociologique
des catégories de sexe »1. Elle entreprend de montrer qu'à l’instar des catégories d’âge et
socioprofessionnelles, celle de sexe doit être analysée à l'aune de ses significations sociales et
non biologiques. Mathieu ne parle pas de genre mais utilise d’autres concepts voisins «sexe
social » ou « système social des sexes » dans le but de nuancer le terme « sexe », trop
biologisant, en l'accompagnant de l'adjectif social qui signifie bien que c’est l’aspect social
des sexes qui fait l’objet de ses investigations.
6L'approche matérialiste propre à l'analyse marxiste demeure à la base de l'épistémologie de
Delphy ou de Mathieu : ce sont les rapports sociaux de sexe qui produisent les catégories
de sexe et non l’inverse. Comme bourgeoisie et prolétariat sont des catégories ou des classes
consubstantielles ayant un sens l’une part rapport à l’autre et non des catégories en soi, les
catégories de sexes en sont de même. Il paraît plus problématique néanmoins d’imposer cette
idée que celle concernant les classes sociales dans le champ scientifique, car il y a toujours
une composante «naturelle» dans le sexe (au sens commun du terme mais aussi dans son
acception savante) qui ramène constamment ce dernier à la fixité, ou à l’a-historicité.
7C’est Colette Guillaumin qui nous éclaire sur les conséquences d’une sociologie qui s’appuie
sur la catégorie de « nature » et qui pense ainsi avec des catégories pré-sociales (ou a-
historiques). Le livre «Sexe, Race et pratiques du pouvoir» (1992) rassemble un grand nombre
de ses écrits sur les classes de sexe et de race. Le schéma cognitif que propose Guillaumin
est le suivant: dans toute société il y a des faits matériels qui sont la conséquence de rapports
sociaux de pouvoir et des faits idéologiques qui sont les formes mentales que prennent ces
rapports. En ce qui concerne le racisme et le sexisme c’est l’idée de Nature qui constitue
l’habillage idéologique des rapports de pouvoir. Sans le nommer comme tel, elle décrit les
processus qui sont à la base de la constitution du «système de genre» (Parini, 2006), un
ensemble de pratiques et de représentations hiérarchisées du féminin et du masculin dont les
mécanismes de pouvoir sont masqués par l’idée de nature.
8Pas plus que Mathieu ou Delphy à ses débuts, Guillaumin ne parle de genre dans ses travaux.
Elle utilise par contre le concept de sexage qui indique, à l’instar d’esclavage, les processus
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de socialisation des femmes. Ces processus s'expriment de diverses manières: par le langage,
l’appropriation du temps, le confinement dans l’espace, la contrainte sexuelle, le travail du
corps etc… Ces contraintes s’inscrivent dans la subjectivité des femmes et constituent une
part de leur identité.
9Cette approche matérialiste vient se heurter au sein des débats internes au féminisme avec
celle proposée par le groupe « Psychanalyse et politique » (Picq, 1993 ; Fougeyrollas-
Schwebel, 2005). On pourrait appeler cette controverse "le débat entre universalisme vs
différencialisme". L’enjeu qui est au centre des discussions entre ces deux courants est le
suivant : "…pour les unes, il s'agit d'effacer toute distinction entre les hommes et les femmes
et d'accéder à part égale pour tous à un véritable universel, pour les autres, il s'agit de
subvertir cet universel fondement d'une féminité aliénée en ouvrant à d'autres alternatives"
(Fougeyrollas-Schwebel, 2005 : 17). Il s'agit là d'une réflexion partagée sur l'identité féminine
assignée (ou prescrite) mais qui débouche sur une analyse différente et surtout qui propose des
modes de subversion différents (Jackson, 1999). Pour les unes la subversion de l'ordre établi se
réalise à travers la déconstruction de la bicatégorisation de sexe (femmes / hommes), pour les
autres la subversion consiste en une ré-appropriation et une re-définition de leur identité par les
femmes. Cette réflexion se prolongera outre Atlantique sous l'étiquette de French Feminism,
étiquette largement controversée en France (Delphy, 2002) car elle est "le produit d'une
appropriation sélective et d'une réélaboration par certains cercles universitaires américains
de la pensée d'un certain nombre d'intellectuels français qui sont rarement regroupés ainsi
en France…" (Varikas, 2004 : 2).
10 Au-delà des controverses internes à la pensée féministe, la question de la fondation du champ
de recherche des études genre s’appuie donc sur trois éléments fondamentaux:
11 - l'analyse critique de l’idée de nature et de la naturalisation comme idéologie,
12 - l'analyse critique du marxisme et la création du concept de classes de sexe
13 - l'analyse critique de l’identité féminine assignée (prescrite)
2. Les discussions sur l’épistémologie interne au champ
14 Durant les années 1980 dans l’espace anglophone, le concept de genre acquiert de plus en plus
d’audience et de nombreuses chercheuses l’utilisent dans leurs travaux pour signifier ce que,
auparavant, on nommait «sexe social», «différenciation sexuelle», «rapports sociaux de
sexe» etc. Comme l’a écrit Fassin (2008), l’origine du concept n’est toutefois pas à attribuer
aux féministes mais aux travaux sur l’hermaphrodisme ou ce que l’on appelle aujourd’hui
l’intersexualité. Les interrogations qui jaillissent de l’étude de cas de personnes qui présentent
des «troubles» entre le sexe et le genre préparent le terrain cognitif pour la dissociation de ces
deux éléments. Pour ce qui est des sciences sociales, des anthropologues anglophones comme
Gayle Rubin ou Ann Oakley utilisent le concept de genre dans les années 1970 pour signifier
les constructions sociales et culturelles de l’appartenance sexuelle. Selon Eric Fassin (2008)
durant ces années les chercheuses françaises et anglo-saxonnes travaillent à la constitution
du champ d’analyse dans une relative connivence intellectuelle. C’est avec la publication de
l’article de Joan Scott (1988) et sa traduction en français que le concept sera de plus en plus
discuté, critiqué mais également adopté par un grand nombre de chercheur-e-s francophones.
Il faut donc constater que si l’espace cognitif pour une réflexion sur la construction sociale
de l’appartenance sexuelle est ouvert depuis de Beauvoir et le mouvement féministe de la
deuxième vague, l’outil analytique «genre» émergera par la conjonction de travaux très divers
et transitera de l’espace anglophone à celui francophone: c’est dans cette migration que les
controverses prendront place.
15 En effet, dès l'émergence du concept de genre et la généralisation de son utilisation dans
l'espace anglophone, des discussions critiques internes se développent sur l'opportunité de son
«importation» dans l'espace francophone. Beaucoup d’auteur-e-s se sont exprimé-e-s sur
ces sujets et il n’est pas ici le lieu de retracer l’ensemble des controverses suscitées par sa
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