Incompleteness and the Meaning of Mystery for Scientist and

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 HSS I.1 (2012)
DOI: 10.2478/v10317-012-0007-0
Incompleteness and the Meaning of Mystery for
Scientist and Theologian
Thierry Magnin
L’Université Catholique Lyon
[email protected]
1. The most incomprehensible thing would be for the world to be comprehensible; 2. An initial decision regarding the scientific approach: the construction of the meaning in the absence of it (d’in-sensé); 3. The condition and the
elevation to the universal in E. Weil; 4. The initial tension of the identical and
the other in E. Levinas; 5. Richness of the collective attitudes of those confronting with the mystery of knowledge; 6. The act of believing, another way
to enter in the mystery of Believe for a Christian; 7. Knowledge through
signs; 8. The theology in front of the mystery of God; 9. The negative way;
10. The eminence way; 11. The fascination of the Vatican II council for the
unity of contraries.
Keywords
incompleteness, the Other, belief, mystery, science
Incomplétude et sens du mystère
pour le scientifique et le théologien
1. Le plus incompréhensible, c’est que le monde soit compréhensible
Les développements de l’idée de complémentarité précédemment évoqués peuvent être repris en termes de “dialectique du mystère”. La condition d’incomplétude que rencontre le scientifique, non comme une défaite
de la raison mais comme une chance pour progresser, l’introduit à la confrontation au mystère. De quel mystère s’agit-il? C’est le “mystère du connaître” que nous avons évoqué jusqu’ici, à partir d’une réflexion sur
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l’évolution de la connaissance en sciences. La formule d’Einstein, “le plus
incompréhensible, c’est que le monde soit compréhensible”, et la mise en
évidence de “la fécondité” de l’incomplétude, sont comme deux “signes”
du mystère du connaître dans la démarche scientifique moderne.
L’un des essais tes plus intéressants pour repenser l’idée de mystère a
été, au 20ème siècle, celui de Gabriel Marcel (1949, 1935: 183, 1951: 69).
Ce dernier reproche aux philosophes d’avoir “abandonné” le mystère aux
théologiens d’une part, aux vulgarisateurs d’autre part. G. Marcel fait porter sa réflexion non seulement sur le mystère du connaître, mais aussi sur
le mystère de l’union de l’âme et du corps, sur le mystère de l’amour, de
l’espérance, de la présence et de l’être. Il combine l’aspect intellectuel et
l’aspect existentiel du mystère.
L’aspect le plus intéressant pour les questions que nous traitons ici
porte sur la distinction que G. Marcel fait entre le problème et le mystère.
Le problème est une question que nous nous posons sur des éléments
considérés comme étalés devant nous, hors de nous généralement. Certes,
si nous réfléchissons, nous sommes bien obligés de reconnaître qu’il subsiste toujours, entre eux et nous, le lien du connaître. Mais le propre de la
pensée qui se pose des problèmes est de postuler implicitement que le fait
de les connaître ne modifie pas les éléments de ce problème. De plus, à
part l’intérêt purement intellectuel que nous pouvons leur porter, il n’y a
pas de choc en retour sur nous. Le cas le plus clair est celui des problèmes
mathématiques classiques.
Il y a mystère, au contraire, quand celui qui s’interroge appartient à ce
sur quoi il s’interroge. C’est pourquoi l’être est mystère puisque je ne puis
poser de question sur l’être que parce que je suis. “Un mystère, c’est un
problème qui empiète sur ses propres données, qui les envahit et se déplace par là même comme simple problème.... c’est un problème qui empiète sur ses propres conditions immanentes de possibilité.”
Et encore:
le mystère est quelque chose dans lequel je me trouve engagé, et ajouterai-je,
non pas engagé partiellement par quelque aspect déterminé et spécialisé de
moi-même, mais au contraire engagé tout entier en tant que je réalise une unité qui d’ailleurs, par définition, ne peut jamais se saisir elle-même et ne saurait
être qu’objet de création et de foi.
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Le mystère abolit donc la frontière entre “l’en-moi” et “le devant moi”
qui caractérise le domaine du problématique, même si nous savons que
l’acte de connaître est une intervention et que l’on atteint jamais un “ensoi”. Il y a un mystère de l’être qui est aussi “mystère de l’acte de pensée”,
ce qui se traduit aussi par le fait suivant: “nous ne pouvons pas nous interroger sur l’être comme si la pensée qui s’interroge sur l’être était en dehors
de l’être”. Il y a bien un mystère du connaître: “la connaissance se suspend
à un mode de participation dont une épistémologie quelle qu’elle soit ne
peut espérer rendre compte parce qu’elle même le suppose”.
Pour G. Marcel, le mystère n’est ni l’inconnaissable ni une sorte de
pseudo-solution. Loin de désigner une “lacune du connaître”, le mystère
est un appel à explorer. Cette réhabilitation du mystère sur le plan philosophique (G. Marcel emploiera le terme méta-problématique pour désigner le mystère) permet un pont intéressant avec la théologie, comme
nous le verrons plus loin. Une telle approche n’est pas sans rappeler celle
de Saint Augustin pour qui, dans un autre contexte, le mystère n’est pas ce
que l’on ne peut pas comprendre mais ce que l’on n’aura jamais fini de
comprendre.
Reprenons maintenant, à l’aide de l’apport de G. Marcel, notre propre
réflexion sur l’incomplétude, la complémentarité et la logique
d’antagonismes que nous avons développée précédemment. Il s’agit bien
d’un exemple de “ mystère du connaître”. En science, on peut aussi parler
d’une implication du sujet pensant (l’homme est un élément de la nature
qu’il analyse), même si l’engagement du scientifique n’est pas aussi fort que
celui du philosophe, tel que G. Marcel le décrit. De même on peut aussi
parler de modification du réel par le sujet qui l’analyse, même si, une fois
encore, la modification n’est pas aussi forte ou totale que dans la question
philosophique de l’être décrite par G. Marcel (le sujet en physique n’est
pas personnalisé, la modification du réel intervient par l’opération de mesure, elle-même dépersonnalisée).
La question du connaître en science moderne renvoie le scientifique au
mystère du connaître, si bien exprimé par Einstein. Ainsi, la recherche de
l’unité d’antagonismes trouve son origine dans une “pratique première”
qui est celle de l’articulation entre le sujet et le réel auquel appartient le
sujet (articulation entre l’unicité du sujet et la multiplicité du réel dans lequel agit le sujet). L’acceptation du mystère du connaître est une fois de
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plus liée à celui de la finitude de l’homme: elle relève d’un choix moral
implicite ou explicite selon les scientifiques!
Avec la complémentarité, l’incomplétude et la notion de niveau de réalité, nous pouvons davantage parler de “dialectique du mystère” en sciences
(nous verrons plus loin en quoi cette dialectique se différencie de celle de
Hegel). Non seulement le parcours des niveaux de réalité n’est jamais
achevé pour l’homme, mais encore il correspond à un antagonisme jamais
résolu définitivement. Parler du réel pour le scientifique, c’est tenter de
“produire” au grand jour ses composantes. Or ceci revient en quelque
sorte à “trahir” le mystère de ce réel. Grâce aux notions de potentialisation
et d’actualisation, le mystère du réel et la recherche constante de l’homme
pour comprendre sont préservés. Nous sommes en pleine dialectique du
mystère!
C’est cette dialectique que nous retrouverons dans l’approche théologique, avec sa forme et ses contraintes propres. Ce sera l’objectif des chapitres suivants que de montrer, sous forme de pistes de recherches, les
éventuelles analogies (similitudes et différences) entre la pratique de la dialectique du connaître en sciences et celle de la dialectique du mystère en
théologie, sans confusion des domaines.
2. Une décision initiale dans la démarche scientifique: construire du
sens sur fond d’absence de sens (d’in-sensé)
Le schéma gödelien que nous avons développé au sujet de la complémentarité, avec une incessante ouverture à de nouveaux niveaux de compréhension de la réalité, est une illustration du retrait du fondement dont
nous avons déjà parlé avec J. Ladrière. Il y a de l’indécidable, la raison ne
peut s’appuyer sur autre chose que sur elle-même et en même temps elle
éprouve sa finitude: la raison ne peut se boucler sur elle-même. “Quelque
chose échappe”.
D’où une décision initiale du sujet: construire du sens sur fond
d’absence de sens. Nous en avons un bel exemple avec la complémentarité
qui cherche à conjuguer les antagonismes en fonction des niveaux de réalité. Cette décision est un point essentiel dans la démarche scientifique, bien
illustrée par cette phrase d’Einstein (cité par son disciple Frank): “Reconnaissons qu’à la base de tout travail scientifique d’une certaine envergure
se trouve une conviction bien comparable au sentiment religieux, celle que
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le monde est intelligible!”
Einstein parle bien d’une conviction qui nous situe dans le domaine de
l’éthique, comme nous allons maintenant l’analyser plus en détails. En fait,
comme indiqué précédemment, il faut bien distinguer les plans: la recherche de sens sur fond d’absence de sens correspond au plan général de
la métaphysique. Mais la décision de construire du sens sur fond “d’insensé” peut conduire au plan de l’éthique selon l’intentionnalité (décision
personnelle) qui lui correspond, selon l’engagement qui est lié à cette décision.
C’est dans la recherche de vérité que les acteurs des différentes disciplines (scientifiques, philosophes, artistes, théologiens...) se retrouvent
engagés dans un choix moral qui consiste à trouver des possibilités de sens
sur ce qui apparaît souvent comme un fond de non sens (exemple de la
mise en évidence d’antagonismes). A chaque fois que la pensée bute sur le
réel et met à nu sa finitude pour le représenter, surgit un dynamisme de
base de cette raison qui la rend capable d’accueillir de nouvelles structures
et de construire de nouveaux concepts susceptibles de favoriser une progression dans l’intelligibilité du réel. Dans cette dynamique de la raison, le
choix de l’intelligibilité du monde est central et moteur.
De plus, comme nous l’avons déjà indiqué, les moyens conceptuels
choisis pour progresser dans l’intelligibilité correspondent eux aussi à un
choix risqué (par exemple accepter positivement l’incomplétude alors que
règne encore l’attrait de la certitude). Cette démarche n’est pas sans lien
avec les notions de bien et de mal: prôner la certitude (ou, à l’opposé,
l’incertitude) est vu comme positif ou négatif selon les individus. Il s’agit
alors d’un engagement moral, de décisions d’ordre éthique. Du reste, les
affrontements des différentes écoles de pensée, dans chaque discipline,
sont là pour manifester des oppositions qui, en science par exemple, ne
sont pas que d’ordre technique mais bien d’ordre éthique (par exemple, les
débats sur le darwinisme et les théories de l’évolution).
Abordant cette “dynamique de la raison”, J. Ladrière (1993) montre
qu’elle se fonde sur un souci éthique qui la précède. L’essentiel se définit
par le mouvement de montée vers la vie morale, à partir de la recherche
toujours en marche de nouvelles représentations du réel et l’accueil des
manifestations de celui-ci. La dynamique de la raison se comprend donc
comme une activité de mise en représentation, une fois accueilli le monde
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à analyser et à comprendre. Le point d’accueil nécessaire à cette démarche
passe par la prise en compte d’une altérité fondamentale (l’autre), constituée notamment par ce qui résiste à nos représentations. Il y a des moments dans la recherche scientifique où le réel se manifeste dans des modalités pour lesquelles nos modes de représentation s’avèrent insuffisants.
Il nous faut donc accueillir cette “nouvelle manifestation”.
Cet “accueil” contribue à son tour à constituer le sujet connaissant, en
tant que bon scientifique notamment. La constitution du sujet à partir de
cet accueil est un élément capital dans le processus moral. C’est dans la
réception de ce qui n’est pas moi que je me constitue comme sujet. Cette
altérité n’est pas en soi une valeur morale, mais elle correspond à un processus de prise de décision dans lequel opère à la fois la reconnaissance de
l’altérité et une tension vers l’unité. C’est l’ouverture à ce qui est autre
(chose et personne) qui est de l’ordre de l’éthique. Un nouveau rapport à
la totalité s’ouvre ainsi, une nouvelle interaction avec la totalité, ce qui engendre un processus créateur qui suppose une ouverture à l’universalité.
Non seulement chacun accueille, selon l’expression de J. Ladrière, la totalité de l’univers, dans sa créativité personnelle, mais cette créativité produit elle-même un nouvel espace de communication qui dépasse les contradictions antérieures. Tout domaine d’objectivité est donc la projection
dans l’extériorité de ce qui s’effectue dans un champ pratique, et corrélativement tout champ pratique est lui- même traversé par l’exigence de sa
propre extériorisation. Sur la base de la compréhension de cette articulation entre champ d’objectivité et champ pratique, la raison réfléchissante
peut alors, en un troisième moment, découvrir d’une part que, dans toutes
les objectivités constituées qu’elle croyait d’abord seulement reconnaître
en leur contraignance d’extériorité, sa propre activité constituante est à
l’œuvre, et d’autre part que cette activité même ne peut se découvrir elle
même que sous le statut objectivité qu’elle se donne en se thématisant
(Ladrière, 1993: 58).
Selon Ladrière, au lieu de considérer l’activité humaine pratique comme
une simple résultante de processus infra-conscientiels appartenant à
l’espace et au temps (cette activité est, du reste, déjà présente dans ces processus), on peut inverser l’analyse. Il s’agit alors de voir dans cette activité
humaine la manifestation de ce qui fut à l’œuvre dans les processus infraconscientiels eux-mêmes. On considère alors la morale comme un proces114
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sus, partant de l’altérité d’une totalité saisie comme extériorité, avec laquelle le sujet se pose et devient créateur.
Le développement de l’idée de complémentarité chez Bohr nous conduit à souligner que la complémentarité des antagonismes repose sur une
activité de l’esprit qui rend progressivement intelligible la complexité de la
réalité, sur fond de tension entre l’identique et l’autre. Cette perspective de
l’esprit en acte s’inscrit dans une perspective morale puisqu’elle décide de
créer du sens sur fond de non sens, de créer du sens à partir de faits “ insensés”, de s’ouvrir à l’altérité et à l’universalité.
Bachelard avait inauguré un mouvement pour réconcilier l’esprit de la
contradiction et la pensée scientifique. La pensée complémentaire élargit
ce mouvement. Finalement, la formule suivante de Pascal résume bien la
dynamique de cette pensée: les deux raisons contraires. Il faut commencer
par là, sans cela on n’entend rien et tout est hérétique. Et même à la fin de
chaque vérité il faut ajouter qu’on se souvient de la vérité opposée (Pascal,
frag. 5,6,7).
Toutes ces visions de sens basées sur la reconnaissance de l’unité
d’antagonismes (ou qui conduisent à cette reconnaissance) trouvent leur
origine dans “une pratique première” qui est celle de l’articulation entre le
sujet et le réel auquel appartient ce sujet, articulation entre l’unicité du sujet
et la multiplicité du réel dans lequel agit le sujet. Tout ceci illustre bien le
processus créateur dont parle J. Ladrière, ainsi que les positions de É. Weil
sur “l’élévation vers l’universel” et celles de E. Levinas sur “le rôle de la
tension initiale comme ouverture active à l’autre”. Nous pouvons maintenant aborder ces positions ; elles vont nous aider à découvrir encore les
fondements de l’idée de complémentarité.
3. La condition et l’élévation à l’universel chez E. Weil
On peut trouver chez E. Weil, un kantien imprégné de Hegel, de nombreux éléments de réflexion qui peuvent servir de fondements aux ingrédients de la complémentarité (même si notre perspective n’est pas celle de
Hegel, comme nous le verrons plus loin). Dans son ouvrage “Logique de
la Philosophie” notamment les chapitres “Non Sens”, “Conditions”, “Absolu” et “Œuvre”, E. Weil montre que la philosophie vise la recherche
personnelle de la vie sensée pour elle-même et identifie de ce fait les obstacles qui rendent difficile, voire impossible, cette vie sensée. Weil dis115
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tingue chez l’homme à la fois la finitude de l’être connaissant, incapable de
comprendre la réalité sans la reconstruire artificiellement, et l’infini de sa
liberté qui le conduit personnellement à créer du sens, par le refus de la
violence identifiée comme refus d’un discours cohérent. Ainsi la philosophie consiste-t-elle en l’organisation d’un discours cohérent, faisant sens,
et fondé sur la connaissance (historique, politique, économique...) des attitudes à partir desquelles l’homme a agi par le passé et agit dans le présent.
Le discours philosophique comme refus de la violence repose sur un
domaine (la condition, notre situation au monde) qui peut apparaître luimême in-sensé. Notons ici que Weil distingue le discours et le langage, en
soulignant que ce dernier est dans “la condition” (au sens d’une irréductible finitude). Il faut insister sur cette distinction essentielle chez Weil
entre le langage et le discours. Quand l’homme utilise le langage, il utilise
celui de la collectivité: le langage de l’homme de la condition ne lui appartient pas. Le discours, lui, est de l’ordre de la recherche de cohérence qui
va permettre de redécouvrir une universalité perdue dans “la condition”.
Notons qu’à travers cette notion de “condition”, on retrouve bien ici le
problème de la démarche scientifique qui vise une réalité qu’elle ne peut
pas atteindre totalement, avec un langage dit “classique” (pour la physique
quantique par exemple) qui entraîne des contradictions.
Le discours philosophique repose, selon Weil, sur une vérité première
de l’existence qui apparaît comme non-fondée elle-même, et donc insensée.
La réflexion montre que la vie de la conscience est entre le sens et le nonsens, et les deux sont constamment dans le discours... Pour le moment, il suffit de rappeler des polarités comme langage-condition, décision-situation,
moi-monde... On peut dire que la vérité est le domaine, et que tout ce qui
remplit ce domaine et qui nous en livre l’existence est le non-sens. (Weil,
1950: 95)
Le discours philosophique comme refus de la violence repose donc sur un
domaine (condition, situation, monde) devenant lui-même insensé par
l’acte selon lequel ce domaine est saisi. Mais avant même que ce non-sens
du domaine puisse être pensé comme tel dans le discours philosophique, il
est d’abord “vie reçue” comme un fait indémontrable.
L’universalité “perdue” ne pourra être retrouvée, atteinte, que dans
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l’intériorité, par une action effective. C’est par une telle action dans le
monde historique que l’homme peut se comprendre, et, se comprenant,
entrer dans la logique de la philosophie en cherchant dans l’action une
cohérence totale avec les valeurs qu’il a reconnues par la pensée (on retrouve ici quelque chose du processus créateur de J. Ladrière). C’est dans
cette opération que se produit l’élévation à l’universel, car
l’universel, une fois que le choix s’est fait en faveur d’un discours cohérent,
précède l’individuel, non seulement au sens transcendantal, mais aussi au sens
historique le plus banal. L’homme ne commence pas par être un individu
pour lui-même : il l’est d’abord pour les autres. (Weil, 1950: 68)
C’est cette élévation à l’universel qui confère de la valeur à toute action
personnelle et qui est le critère d’une véritable morale de l’humanité.
Comme le souligne E. Weil, la raison ne se “boucle pas sur elle-même”.
Elle s’éprouve elle- même dans l’absence de sens, signe d’une finitude de
la connaissance humaine, d’une “incomplétude” dirait le scientifique
d’aujourd’hui. C’est l’action qui accepte la finitude, la contingence de
l’homme, qui ouvre à l’universel. A la base de ce processus, il y a le choix
moral du discours cohérent (ici comme refus de la violence). Ce choix
moral n’est pas sans rejoindre la conviction de Einstein et de bien d’autres:
le monde est intelligible ! ...en même temps, il y toujours quelque chose qui
échappe. Le sujet est amené à trouver du sens sur fond de non-sens... en
acceptant les limites de la raison et en retrouvant l’universalité perdue par
une action, un choix effectif: c’est bien ce qui est au fondement de la
complémentarité telle que nous l’avons introduite avec Bohr, Nicolescu et
la structure en niveaux de réalité. C’est cette élévation à l’universel qui confère de la validité à toute action personnelle et qui forme, selon Weil, le
seul critère d’une véritable morale de l’humanité.
Avec cette pertinente analyse de Weil, on peut de nouveau retrouver la
distinction des différents plans sur lesquels nous travaillons. C’est le refus
de la violence qui permet ici de passer du plan de la métaphysique (recherche de sens sur fond de non sens) au plan de la morale (le sujet est
amené à trouver du sens en retrouvant l’universalité perdue par une action,
un choix effectif qui l’engage). Cette action, nous l’avons dit, contient une
acceptation de la finitude, de la contingence de l’homme, de son incomplétude. Une telle “sagesse” (tirer la leçon de la contingence de l’homme)
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ouvre un espace privilégié pour le dialogue avec les théologiens qui euxaussi sont en recherche du mystère de Dieu.
4. La tension initiale de l’identique et de l’autre chez E. Levinas
L’intuition centrale du livre de É. Levinas “Totalité et Infini” est que
l’ontologie au sens classique d’un “discours sur l’être” repose sur une tension première entre l’identique et l’autre (l’autre chose et l’autre homme).
L’extériorité, comme essence de l’être, signifie la résistance de la multiplicité sociale à la logique qui totalise le multiple. Pour cette logique, la multiplicité est une déchéance de l’Un ou de l’infini, une diminution dans l’être
que chacun des êtres multiples aurait à surmonter pour revenir du multiple
à l’Un, du fini à l’Infini. La métaphysique, le rapport avec l’extériorité –
c’est à dire avec la supériorité – indique, par contre, que le rapport entre le
fini et l’infini ne consiste pas, pour le fini, à s’absorber dans ce qui lui fait
face, mais à demeurer dans son être propre, à s’y tenir, à agir ici-bas.... Poser l’être comme extériorité, c’est apercevoir l’infini comme le Désir de
l’infini, et, par là, comprendre que la production de l’infini appelle la séparation, la production de l’arbitraire absolu du moi ou de l’origine (Levinas,
1971: 324-325).
D’après l’auteur, l’aventure qu’ouvre la séparation est absolument nouvelle par rapport à la Béatitude de l’Un et à sa fameuse liberté qui consiste
à nier ou à absorber l’Autre pour ne rien rencontrer. A l’idée de totalité où
la philosophie ontologique réunit, ou comprend, véritablement le multiple,
il s’agit de substituer l’idée d’une séparation résistante à la synthèse. Cela
préserve la résistance des êtres à la totalisation d’une multiplicité sans total
qu’ils constituent, de l’impossibilité de leur conciliation dans le Même.
L’extériorité de l’être ne signifie pas, en effet, que la multiplicité soit sans
rapport. Seulement le rapport qui relie cette multiplicité ne comble pas
l’abîme de la séparation, il la confirme (Levinas, 1971: 328).
Voici la fameuse tension initiale entre l’identique et l’autre, avec le
thème important chez Levinas du face à face et du “visage”. Il est clair
qu’il s’agit surtout, chez Levinas, de “l’autre homme”, plus que de” l’autre
chose”. Mais les deux ne doivent pas être séparés. A la pensée métaphysique où un fini a l’idée de l’infini – où se produisent la séparation radicale,
et, simultanément, le rapport avec l’autre – nous avons réservé le terme
d’intentionnalité, de conscience de... Elle est attention à la parole ou ac118
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cueil du visage, hospitalité et non pas thématisation (Levinas, 1971: 334).
La présence de l’extériorité dans le langage qui commence, pour Levinas, par la présence du visage, ne se produit pas comme affirmation dont
le sens resterait sans développement.
La relation avec le visage se produit comme bonté. L’extériorité de l’être, c’est
la moralité même. La liberté, évènement de séparation dans l’arbitraire, qui
constitue le moi, maintient en même temps la relation avec l’extériorité qui résiste moralement à toute appropriation et à toute totalisation dans l’être. (Levinas, 1971: 337)
Du reste, si la liberté se posait en dehors de cette relation, tout rapport, au
sein de la multiplicité, n’opérerait que la saisie d’un être par un autre ou leur
participation commune à la raison où aucun être ne regarde le visage de
l’autre, mais où tous les êtres se nient.
Que ce soit dans la pensée scientifique ou dans l’objet de la science, que ce
soit enfin dans l’histoire comprise comme manifestation de la raison et où la
violence se révèle elle-même comme raison, la philosophie se présente
comme réalisation de l’être, c’est à dire comme sa libération par la suppression de la multiplicité. La connaissance serait la suppression de l’Autre par la
saisie, par la prise ou par la vision qui saisit avant la saisie. Dans cet ouvrage,
la métaphysique a un sens tout à fait différent. Si son mouvement mène vers
le transcendant comme tel, la transcendance ne signifie pas appropriation de
ce qui est, mais son respect. La vérité comme respect de l’être, voilà le sens de
la vérité métaphysique. (Levinas, 1971: 337-338)
Ce thème de l’extériorité, s’il déborde largement le cadre de la complémentarité, n’en demeure pas moins central pour notre sujet. L’histoire du
développement de l’idée de complémentarité nous a du reste permis de
souligner à plusieurs reprises l’importance de la problématique développée
par Levinas et de la tension initiale dont il parle, comme ouverture active à
l’autre. L’articulation entre l’unicité du sujet et la multiplicité du réel dans
lequel agit ce sujet, qui est au cœur de l’idée de complémentarité, est bien
fondée sur cette tension première entre l’identique et l’autre. Ainsi, penser
la différence à partir de la complémentarité en passant d’une pensée identitaire duale à une pensée vraiment complémentaire est comme une explici119
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tation concrète de cette tension première, fondatrice.
Nous avons mis en évidence, avec Levinas, Weil et Ladrière, des fondements de la complémentarité qui s’écarte d’une vision purement dualiste
pour chercher des chemins d’unité d’antagonismes. La complémentarité
apparaît ainsi comme une illustration, parmi d’autres, de la problématique
du Même et de l’Autre. Ce qui est particulièrement intéressant, c’est que
notre démarche, qui avait comme point de départ une réflexion sur
l’évolution des idées en science aujourd’hui, nous conduise en fait sur le
terrain de la philosophie morale (éthique de la connaissance), via la métaphysique (trois plans à bien distinguer). Nous soulignons par cette démarche comment la philosophie morale peut constituer un pont pour un
dialogue fécond entre scientifiques, philosophes, chercheurs de sens, et,
nous allons le voir, théologiens.
5. Richesses des attitudes communes à ceux qui se confrontent au
mystère du connaître
La première “valeur” sous jacente à la démarche scientifique est qui
conduit le chercheur à être un explorateur et non pas un répétiteur. Cette
ouverture à la nouveauté, à partir des données du passé, est une magnifique attitude de base: allier tradition et ouverture à la nouveauté radicale!
Des attitudes morales fondamentales sont comme appelées par toute
recherche de vérité devant la complexité, comme c’est le cas pour la pratique de la complémentarité. Les voici en résumé:
1. Accueillir la réalité comme quelque chose qui résiste à nos représentations.
2. Accepter positivement l’incomplétude de notre compréhension de la
réalité.
3. Chercher à construire du sens sur fond de non sens apparent
4. S’ouvrir à une altérité fondamentale
5. Se confronter au réel pour devenir un bon chercheur
6. S’ouvrir à l’universel
7. Entrer dans le sens du mystère
La philosophie morale apparaît ainsi comme un lieu privilégié pour le
dialogue entre scientifiques et croyants, via l’homme qui peut expérimenter les mêmes attitudes dans sa vie de scientifique et dans sa vie de
croyant, sans confusion des domaines.
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6. L’acte de croire, une autre manière d’entrer dans le mystère Croire,
pour un chrétien
La foi naît d’une rencontre et y conduit. Croire en quelqu’un, c’est le
rencontrer, s’en remettre à lui et lui faire confiance. Dans l’Évangile, les
rencontres de Jésus avec les Zachée, Marie-Madeleine, Pierre..., avec les
lépreux ou les malades, sont significatives du lien fondamental qui unit foi
et rencontre. C’est la rencontre, à l’initiative de Dieu, qui transforme, guérit, fait “voir”, ouvrant à la relation et au chemin du salut: “ta foi t’a sauvé”. Cette foi s’exprime certes dans des mots, mais elle a des gestes, des
attitudes qui traduisent la “conversion” qu’entraîne la rencontre, la relation
interpersonnelle.
En même temps, la foi naît aussi de la prise de conscience par l’homme
de son impuissance à se réaliser lui-même. Cette idée d’un “manque fondamental’ qu’éprouve l’homme en quête d’infini se situe dans la grande
tradition philosophique et théologique portant sur la question du fini et de
l’infini. Saint Augustin parle de “l’insatisfaction de l’âme humaine” qui
traduit ce manque. D’une autre manière, Descartes dira que la présence en
nous de l’idée de parfait est cette image en creux que Dieu a mise au cœur
de l’homme “comme la marque de l’ouvrier empreinte sur son ouvrage”.
Malebranche verra à son tour dans la volonté humaine, toujours en mouvement pour aller plus loin, la marque de notre finitude en même temps
que le signe de notre participation à l’infini.
Paul Tillich (1971) se situe dans la même tradition quand il dit que
l’homme est conduit à la foi par la prise de conscience de l’infini auquel il
appartient mais qu’il ne peut posséder en propre. Du coup, Tillich définit
la foi comme le fait d’être saisi par ce qui nous importe de façon ultime
(‘ultimate concern’, en anglais), c’est à dire l’absolu de l’être et du sens.
“Toutes les fois que l’absolu, l’inconditionné, est recherché en quelque
domaine que ce soit (esthétique, juridique, social), un chemin vers la foi est
ouvert... la foi est le fait d’être saisi par la puissance de l’Etre même. ”
Où il y a foi, il y a tension entre la participation à l’absolu et la séparation d’avec lui. Tout acte de foi présuppose une participation à ce qu’il
vise: sans une participation à l’absolu, il ne peut y avoir de foi dans
l’absolu. Sans la manifestation de Dieu dans l’homme, la question de Dieu
et la foi en Dieu ne seraient pas possibles. Mais la foi cesserait d’être la foi
sans cet élément opposé qu’est la séparation. Qui a la foi est aussi séparé
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de l’objet de foi. Autrement, il en serait le possesseur. La préoccupation de
la foi est identique à l’intuition de l’amour: toutes deux expriment
l’aspiration de l’homme à rejoindre ce à quoi il appartient et dont il est
séparé. Le grand commandement d’amour de Jésus dans l’Évangile trace
ce chemin. La foi implique l’amour, l’amour vivant dans les œuvres: en ce
sens la foi se manifeste réellement dans les œuvres. Là, il y a désir passionné de mettre en acte le chemin suscité par “l’ultimate concern” de Tillich.
De l’élément de participation résulte “la certitude de la foi”. De
l’élément de séparation résulte “le doute de la foi’. Les deux interviennent
dans l’acte de croire. Ce qui fonde la certitude du croyant, c’est que la foi
est perçue comme adhésion à une Parole transmise par la tradition chrétienne, Parole reconnue comme Révélation de Dieu. Il est clair que si,
pour le croyant, c’est Dieu qui lui parle, la certitude de sa foi repose sur le
plus solide fondement! Mais cette certitude n’est pas une certitude qui naît
de l’évidence, comme pour une démonstration. Elle est de l’ordre de la
connaissance qu’une personne a de l’autre, comme dans l’amour d’un
homme et d’une femme. Il n’y a ni démonstration, ni “preuves intellectuelles” en amour, il y a des signes.
La foi est une manière de posséder déjà ce qu’on espère, un moyen de connaître des réalités qu’on ne voit pas…Par la foi nous comprenons que les
mondes ont été organisés par la Parole de Dieu. Il s’en suit que le monde visible ne prend pas son origine en des apparences. (Lettre aux Hébreux, 11, 1-3)
La foi naît d’une rencontre avec quelqu’un qui se manifeste par des
signes objectifs (refus du fidéisme qui retirerait à la foi tout support rationnel),
signes que l’on peut (veut) ou ne peut (veut) pas lire. Cette connaissance
par signes forme la trame de l’existence humaine: elle fonde les raisons de
vivre et d’agir. Nous reviendrons au point suivant sur la connaissance par
signes.
A quiconque veut trouver la vérité, des repères sont proposés (les
signes objectifs que la théologie explicite). Mais pour découvrir quelqu’un,
encore faut-il vouloir le rencontrer. Du coup, pas de certitude dans la foi
sans désir sincère d’accueillir l’Autre, le Tout Autre. Cet accueil suppose
que la certitude de la foi ouvre à l’accueil et ne renferme pas le croyant sur
lui-même. C’est là le risque de la foi, qui comprend l’acceptation du doute
de la foi et qui permet à l’homme de comprendre que la foi est donnée,
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que le salut est donné par un Autre. Adhérer au Christ, lui faire confiance,
et, à travers lui, faire confiance au Père, dans la mouvance de l’Esprit, ce
n’est pas en effet éliminer toute part de doute: c’est risquer, avec d’autres,
l’aventure d’un amour, c’est oser miser sa vie sur la Parole de Dieu. Le
doute peut certes conduire au scepticisme; il peut aussi permettre
d’approfondir, au delà de la tentation des idoles, les fondements de la foi.
Bien des saints et des mystiques ont connu cette épreuve et en sont sortis
fortifiés et grandis dans leur amour de Dieu.
Une lecture rapide de l’enseignement de l’Église pourrait faire croire
que tout est déjà joué dans la foi chrétienne: il y a une réalité, le salut. Ce
salut a une origine, Jésus-Christ, un lieu social, l’Église, des moyens pour
se répandre, les sacrements. Tout semble joué, le rôle de l’homme étant
juste de s’approprier la Révélation, ce qu’il faut croire. Il n’en est rien: la
foi conduit à vivre un chemin, une aventure d’alliance entre deux partenaires, l’homme et Dieu, école de liberté et de responsabilité. La foi est en
même temps certitude de Dieu, recherche de Dieu, et conscience que
l’homme ne peut penser Dieu par ses propres forces. Là aussi “quelque
chose échappe”, “Quelqu’un échappe”. Le croyant sait que toute représentation de Dieu est insuffisante, et que cette insuffisance radicale traduit
l’impuissance radicale de l’homme à atteindre Dieu. La foi est ainsi attente
de cette communion que seul Dieu donne, elle est réponse à l’appel de
Dieu, dans un engagement à construire un monde digne de son amour.
La foi vivante comporte donc certitude et doute, ensemble; elle suppose ce que Tillich appelle “le courage d’être”:
ce n’est pas la répression mais c’est le courage qui vainc le doute. Le courage
ne nie pas l’existence du doute, mais il l’intègre en lui comme expression de sa
propre finitude et il affirme, en dépit du doute, ce qui le préoccupe de manière absolue. Le courage n’a pas besoin de la sécurité que donne une conviction inébranlable. Il porte en lui le risque sans lequel aucune vie créatrice n’est
possible. Par exemple, si la foi de quelqu’un a pour contenu cette affirmation
que Jésus est le Christ, une telle foi ne relève pas de la certitude indubitable
mais d’un courage audacieux qui porte avec lui le risque de l’échec. Même si
c’est d’une manière vigoureuse et positive que l’on confesse que Jésus est le
Christ, le fait qu’il s’agisse d’une confession implique courage et risque.
Tillich ajoute que le chrétien sait que les déviations idolâtriques sont
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possibles et même inévitables, mais il sait aussi que pour juger les abus
idolâtriques un critère lui est donné par la Croix du Christ. C’est à partir de
ce critère que peut être annoncé aux hommes le message qui est au cœur
même du christianisme et qui rend possible le courage de croire dans le
Christ: ce message, c’est l’annonce que, en dépit de toutes les forces de
destruction, la séparation entre Dieu et l’homme est surmontée de la part
de Dieu.
Demeure ainsi cette certitude que même l’échec que comporte le risque
de la foi ne peut séparer définitivement l’homme de Dieu. Tillich parle
alors du fossé infini que la foi comble:
Dieu, dans la rencontre divino-humaine transcende l’homme inconditionnellement. En dépit du fossé, la puissance de l’être est présente, celui qui est séparé est accepté. La foi n’est pas une opinion, mais un état. Elle est l’état
d’être saisi par la puissance de l’Etre qui transcende tout ce qui est et auquel
participe tout ce qui est. Celui qui est saisi par cette puissance est capable de
s’affirmer parce qu’il sait qu’il est affirmé par la puissance de l’Etre lui- même.
La foi marque ainsi la rencontre de l’impuissance de l’homme et de la
puissance de Dieu, et Jésus peut dire en même temps “tout est possible à
Dieu” (Mc 10, 27) et “tout est possible à celui qui croit” (Mc 9, 23). Dans
la foi, l’homme, prenant conscience de ses limitations, est touché, saisi, par
l’absolu. En ce sens, l’homme de foi se sent proche de ceux qui ne savent
pas grand chose de Dieu et cherchent à construire le monde. En même
temps, il sait que Dieu a parlé en Jésus-Christ, il sait… grâce au Christ, que
Dieu est un Père qui envoie l’Esprit pour aimer et vivre la liberté des enfants de Dieu.
Avant d’aller plus loin, il faut ici introduire quelques remarques importantes sur le mode de connaissance par signe qui intervient dans la démarche de foi.
7. Connaissance par signes
En matière de foi, il est évident que la raison ne peut opérer exactement
comme dans la démonstration d’un théorème en mathématique. Ceci exclurait le rôle de la grâce de Dieu et de la volonté libre de l’homme dans
son adhésion. Mais cela ne signifie pas que le rôle de la raison soit réduit
ou inutile, bien au contraire. Dans l’adhésion de foi, ce qui va jouer,
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comme nous l’avons indiqué précédemment, c’est un mode de connaissance par signe, relié bien sûr à une réflexion sur le contenu de la foi. Notons au passage que ce mode de connaissance par signe joue également
pour les relations interpersonnelles (avec les gestes et les regards par
exemple) et aussi en science, comme cela est bien connu.
Dans un signe, il faut prendre en compte deux pôles: le signifiant et le signifié. Comprendre le signe, ce sera découvrir le signifié à travers un phénomène sensible (Morren, 1975). Le signe unit toujours un fait à un sens.
Si en science, le signifiant et le signifié restent du même ordre, en matière
de foi, ils appartiennent à des ordres différents. Le signe joue alors de manière forte: d’une part il devra faire partie du monde de l’expérience
(comme phénomène sensible) et d’autre part, en tant qu’il est significatif, il
devra soutenir une relation avec le monde spirituel qu’il manifeste.
Corrélativement, en raison de cette appartenance à deux mondes, le signe ne
pourra être compris que par un sujet doué d’une faculté percevante doublement accordée, c’est-à-dire accordée d’une part au signe comme phénomène
de l’expérience, et d’autre part à l’univers supérieur signifié. C’est ainsi que ni
un aveugle, ni un animal ne peuvent lire, l’un parce qu’il ne perçoit pas le
signe, l’autre parce qu’il ne perçoit pas le sens... Puisque l’ordre surnaturel en
lui-même déborde les prises de la connaissance humaine, il est clair qu’il ne
peut être atteint que par une connaissance de type connaissance par signe,
c’est à dire à travers un élément qui participe à la fois du monde naturel par
son existence et du monde surnaturel par sa signification. (De La Bonnardière, 1949: 48-49)
Ce mode de connaissance par signe est essentiel pour situer le rôle de la
raison dans l’adhésion de foi. Il ne faut cependant pas “couper les deux
mondes” (monde de l’expérience et monde spirituel) reliés par le signe et
éviter un dualisme trompeur.
Il faut souligner ici une autre particularité de ce mode de connaissance.
Dans la saisie du sens dans le signe, la grâce confère un nouveau regard.
L’adhésion de foi correspond au oui de l’homme à l’appel de Dieu et demande, pour se vivre, une relation, une mutuelle attirance. La grâce devient réellement faculté “percevante” pour éclairer la raison sur le sens des
signes. La réponse de l’homme éclairée par la grâce (Dieu est le premier à
désirer la rencontre), nécessite qu’intervienne l’élan de sa propre volonté.
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Pour reprendre Thomas d’Aquin et Blondel, on dira que le désir de
l’homme rencontre le désir de Dieu. Dans ce mouvement qui engage
l’homme tout entier, la vérité aperçue oriente en retour la vie de l’homme,
tant il est vrai que le sens est ici tout autant direction que signification. On
peut parler d’une volonté qui fait voir et d’une vérité qui fait vivre. La volonté qui fait voir n’est pas auto-suggestion, mais ouverture des yeux, et la
vérité qui fait vivre manifeste que la lumière ainsi découverte n’est pas extérieure, mais est, du plus profond d’elle- même, animatrice.
On pourrait résumer en disant avec de nombreux théologiens, que
grâce et volonté conjuguent leurs efforts pour donner à la raison les yeux
qui font voir, tout en sachant que la grâce est déjà présente dans cette
orientation de la volonté. Sous l’éclairage percevant de la grâce, c’est bien
en définitive notre raison qui voit et qui choisit de dire oui et notre volonté qui l’oriente dans sa quête du vrai. L’amour suscite la faculté de connaître et la connaissance légitime à nos yeux l’amour. C’est ce que Thomas
d’Aquin lui-même affirme vers la fin de sa vie lorsqu’il disait: “On n’aime
que ce que l’on connaît et on ne connaît que ce que l’on aime.” En pleine
recherche entre science et foi, ces quelques remarques sur le mode de
connaissance par signe sont importantes, notamment pour mettre en évidence des similitudes et des différences dans l’articulation du donné et de
la conceptualisation en science et en théologie.
8. La théologie devant le mystère de Dieu
La théologie chrétienne s’intéresse au Mystère que nous appelons Dieu,
et sa relation avec nous, dans la mesure où nous la fait connaître la Révélation de Dieu en Jésus-Christ. Ce mystère est le Mystère absolu. On parle
ainsi du mystère de la Trinité, du mystère de l’Incarnation, du mystère de
la Rédemption…et du mystère de l’homme, de ce qu’il est et de ce à quoi
il est appelé!
La Parole, le Verbe de Dieu, qui s’est manifesté à nous dans
l’Incarnation, est la Sagesse de Dieu, dont Il nous révèle le Mystère (dans
lequel nous n’aurons jamais fini d’avancer). Cette Sagesse est amour, contemplation et adoration du Mystère.
La mystique est l’expression de l’expérience de la “saisie de l’être” dans
l’unité-présence-communion avec Dieu, faisant échos à “l’ultimate concern” dont parlait Tillich (la foi est le fait d’être saisi par la Puissance de
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l’Etre). Cette expérience ne pourra s’exprimer que dans un langage qui
tente de dire “l’indicible”, donc un langage qui procédera par négations
successives comme approches du Mystère de l’Inconnaissable (on commence par dire ce que Dieu n’est pas). C’est ce qu’on appelle la “voie négative” (via negativa) en Occident, correspondant en Orient surtout à la
théologie dite “apophatique”.
On ne sera pas étonné que les mystiques, pour tenter de dire l’indicible,
utilisent des procédés linguistiques tels que le paradoxe ou l’oxymore (la
mise en relation de deux termes contradictoires ou s’excluant mutuellement). On ira jusqu’à utiliser la voie de la “coïncidence des opposés”
(coïncidentia oppositorum), surtout avec Nicolas de Cuse, comme nous le
verrons plus loin. Mais attention, il s’agit bien d’une théologie, dite mystique, qui est ici envisagée et pas seulement d’une expérience spirituelle.
9. La voie négative
Le premier grand théologien chrétien à parler de théologie mystique fut
Denys l’Aéropagite, ou le “Pseudo-Denys (Vème- VIème siècle). Denys,
marqué par le travail du néoplatonicien païen Proclus, conçoit deux voies
théologiques possibles:
‐ La voie “cataphatique”ou positive, qui procède par affirmations et
nous fait accéder à une certaine connaissance de Dieu. Cette voie est selon
lui imparfaite.
‐ La voie “apophatique ou négative qui procède par négations et
nous conduit à l’ignorance totale. Mais c’est par ce type d’ignorance que
l’on peut connaître Celui qui est au dessus de tous les objets de connaissances possibles. Cette voie est pour Denys la seule convenable à l’égard
de Dieu, inconnaissable par nature. La seule approche est alors de nier
tout ce qui lui est inférieur en quelque sorte. Par la négation on écarte progressivement tout le connu pour s’approcher de l’Inconnu dans les ténèbres de l’Ignorance (condition extrême d’incomplétude!).
Et Il (Dieu) n’a pas de force et Il n’est aucune force ni aucune lumière. Et Il
ne vit pas et n’est pas non plus la vie. Et Il n’est pas l’être, ni l’éternité, ni le
temps. Et Il n’est ni le savoir ni même la vérité, ni la seigneurie ni la sagesse,
ni non plus l’Un ou l’unité, ni même la divinité…Parce qu’Il est totalement
au-delà de tout et au-dessus de tout et de chacun…Il est Celui qui transcende
toute affirmation…et toute négation. (Pseudo-Denys, 1943)
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On dit ce que Dieu n’est pas (l’être, la sagesse, l’Un, même la divinité)… pour mieux entrer dans le Mystère de l’Etre, de la Sagesse…de
Dieu ! Afin de saisir la vraie nature de l’apophatisme, il faut renoncer aux
sens et à l’intelligence rationnelle (sans la négliger pour autant), à tout ce
qui est et n’est pas. Ainsi seulement peut-on atteindre dans l’ignorance
absolue l’union avec Celui qui surpasse tout être et toute science. Il y a là
un chemin de purification (une catharsis), qui est nécessaire pour
s’affranchir progressivement de l’emprise de tout ce qui peut-être connu,
une sorte de chemin de sainteté, une voie vers l’union mystique avec Dieu
dans laquelle on s’affranchit de ce qu’on voit (le sujet) et de ce qui est vu
(l’objet). Denys compare cette voie à la montée de Moïse sur le Sinaï: renonçant à tout savoir positif, il pénètre dans les ténèbres de
l’inconnaissance.
Notons au passage que pour Denys, Dieu étant inconnaissable par nature, il ne peut être le Dieu-unité primordial des néo-platoniciens. S’il est
inconnaissable, ce n’est pas à cause de l’inintelligence de notre entendement qui n’arrive qu’à saisir du multiple dans la nature. C’est là que la
théologie de Denys se démarque de celle de Plotin et de sa proposition de
l’Un (que nous avons déjà évoqué dans la conversation avec Bernard
d’Espagnat).
Selon Plotin, la nature de l’Un est génératrice de tout mais l’âme qui
veut saisir cette unité s’en éloigne si elle le fait en utilisant la science ou
l’intuition qui ne peuvent que saisir le multiple. Pour Plotin, il s’agit en fait
de recourir à la voie extatique, c’est-à-dire à l’union où on est un avec son
objet, où le sujet ne se distingue plus de son objet. Intervient alors une
réduction de l’être à la simplicité absolue. L’union avec le Un est prise de
conscience de l’unité ontologique de l’homme avec Dieu, ce qui engendre
une mystique impersonnelle bien sûr.
Or chez Denys, Dieu n’est pas l’Un, ni l’Unité dans le sens indiqué par
Plotin. Pour lui, le nom “le plus sublime” est celui de Trinité, qui nous
apprend que Dieu n’est ni l’un ni le multiple, mais surpasse cette antinomie (nous reprendrons plus loin, avec Nicolas de Cuse notamment, cette
relation entre l’un et le multiple, pour mieux les relier). C’est la conscience
de l’incognoscibilité foncière de Dieu qui marque la limite entre le Dieu
des philosophes et le Dieu de la Révélation. Nous reviendrons à la fin du
livre sur ce point en soulignant l’importance en christianisme de la notion
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de création à partir de rien, et le fait que la philosophie grecque ignore la
différence entre le créé et l’incréé. Retenons que pour Denys, il y a un tel
abîme entre la créature et le Créateur (même s’il y a alliance) que cet abîme
creuse l’incognoscibilité de Dieu. L’extase chez Denys sera une “sortie de
l’être comme tel”, un renoncement au domaine du créé pour accéder à
l’incréé, ce qui nécessite une perpétuelle conversion et une prière qui devient un dialogue amoureux et qui se traduit en chant liturgique.
On peut dire que pour la théologie négative, Dieu réside là où nos concepts n’ont pas accès. Il n’y a qu’un seul nom pour exprimer la nature divine, c’est l’étonnement qui saisit l’âme quand elle pense à Dieu. Aucun
concept philosophique n’est apte à rendre compte des profondeurs insondables de Dieu. Dans l’union mystique le sujet ne connait Dieu que
comme inconnaissable, mais cette expérience permet, par grâce, une rencontre avec le Dieu personnel de la Révélation, la Trinité. Le Cantique des
Cantiques rend bien compte, pour Denys, de l’ascension spirituelle du
sujet dans son union à Dieu : un amour qui n’atteint son Bien Aimé que
dans la conscience que l’union n’aura pas de fin, l’ascension pas de terme.
Dans ce contexte, il n’y pas de théologie possible en dehors de
l’expérience de l’incognoscibilité de Dieu et de la rencontre avec le Dieu
Trinité au cœur de cette “incomplétude fondamentale” dirons-nous!
L’apophatisme des Pères de la tradition orientale permet de garder leur
pensée sur le seuil du mystère et de ne pas remplacer Dieu par des concepts, voire des idoles. En rappelant que cette incognoscibilité n’est pas
une fin en soi, mais le chemin qui permet l’union et la déification, dans
une contemplation qui élève l’esprit et le cœur vers des réalités qui dépassent l’entendement.
Le pape Benoît XVI a récemment repris l’intérêt pour hier et aujourd’hui de l’approche de Denys l’Aréopagite:
Et ainsi une grande et mystérieuse théologie devient en même temps une
théologie très concrète, aussi bien quant à l’interprétation de la liturgie que
dans le discours sur Jésus-Christ. Par tout cela, Denys l’Aréopagite exerça une
grande influence sur toute la théologie médiévale, sur toute la théologie mystique de l’Orient comme de l’Occident, ayant été pour ainsi dire redécouvert
au XIIIème siècle, en particulier par saint Bonaventure, le grand théologien
franciscain qui trouva dans cette théologie mystique l’instrument conceptuel
d’interprétation de l’héritage si simple et si profond de saint François : avec
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Denys, le “poverello” nous dit finalement que l’amour voit mieux que la raison. Où est la lumière de l’amour n’ont plus accès les ténèbres de la raison;
l’amour voit, l’amour est un œil et l’expérience nous donne davantage que la
réflexion. Ce qu’est cette expérience, Bonaventure le découvrit dans saint
François: c’est l’expérience d’une voie très humble, très réaliste, jour après
jour, c’est cela “aller avec le Christ” en acceptant sa croix. Dans cette pauvreté
et cette humilité, dans l’humilité vécue aussi en Église, se fait une expérience
de Dieu qui est plus haute que celle qui s’obtient par la réflexion: en elle nous
touchons vraiment au cœur de Dieu.
Se présente encore de nos jours une nouvelle actualité de Denys
l’Aréopagite: il apparaît comme un grand médiateur dans le dialogue moderne
entre le christianisme et les théologies mystiques de l’Asie dont la caractéristique commune réside dans la conviction que l’on ne peut rien dire de Dieu;
de lui, on ne peut parler que sous des formes négatives; de Dieu on ne peut
parler qu’avec des négations, et ce n’est qu’en entrant dans cette expérience
du non qu’on le rejoint. On reconnaît là quelque voisinage entre la pensée de
l’Aréopagite et celle des religions asiatiques: il peut être aujourd’hui un médiateur, comme il le fut jadis entre l’esprit grec et l’Évangile.
On voit également que le dialogue n’accepte pas la superficialité. C’est précisément quand on pénètre dans les profondeurs de la rencontre avec le
Christ que s’ouvre aussi le vaste espace du dialogue. (Benoît XVI, 2008: 582)
10. La voie d’éminence
Après Denys, les théologiens auront généralement tendance à considérer la voie négative comme la moins imparfaite des deux voies: dire ce que
Dieu n’est pas, c’est implicitement faire l’aveu de notre impuissance à
l’englober sous un concept. C’est ce qui ressort du passage suivant extrait
de la Somme contre les Gentils de Thomas d’Aquin:
Dans l’étude de la substance divine, il faut surtout recourir à la voie négative.
Car la substance divine dépasse par son immensité toute forme que notre intellect atteint: nous ne pouvons donc pas l’appréhender en connaissant ce
qu’elle est, et nous ne pouvons ainsi la saisir en connaissant ce qu’elle est.
Mais nous en avons une certaine connaissance en connaissant ce qu’elle n’est
pas. (d’Aquin, 1999: 176)
Thomas d’Aquin ne nie pas dans ce passage qu’il soit vrai de dire, par
exemple, que “Dieu est sage”, ce qu’il nie c’est que le concept “sage” dé130
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crive de façon adéquate ce qu’est la Sagesse divine. L’affirmation “Dieu est
sage” est vraie, certes, mais sa vérité est pour nous chose mystérieuse; elle
n’est ni objet d’intuition, ni objet de démonstration scientifique.
Thomas d’Aquin, au XIIIème siècle, cherchera à faire une synthèse entre
la voie négative et la voie affirmative. Il proposera la “voie d’éminence”
(via eminentiae), qui pousse les attributs que nous donnons à Dieu au-delà
de ce que nous pouvons concevoir: Dieu est cela et n’est pas cela…Il est
au-delà de cela! Les négations se rapportent à la limitation de nos moyens
d’expression alors que les affirmations cherchent à se rapporter à la perfection que l’on veut exprimer, qui est en Dieu autrement que dans les
créatures.
C’est cette méthode qu’applique le jésuite F. Varillon pour présenter
Dieu dans son livre L’Humilité de Dieu (1974).
La toile de fond à partir de laquelle l’auteur parle de l’humilité de Dieu
(qui est pour l’auteur le secret le plus profond de son mystère) est, là aussi,
la question du sens. L’auteur part du constat évident que l’expérience immédiate est à la fois expérience de sens et de non-sens: “sens et non-sens
sont mêlés comme le froment et l’ivraie de la parabole ... L’existence n’est
pas absurde, elle est contradictoire”. A partir de ce constat, l’auteur pose la
question de l’absolu,
source de tout sens et fondement dont la présence se fait justement sentir, en
creux, dans la conjonction des sens, qui restent tous particuliers, et de la contingence qui est immédiatement non-sens. En d’autres termes, confesser la
contingence et reconnaître l’absolu sont un seul et même acte indivisible de
raison et de liberté.
Je ne puis rien affirmer de Dieu purement et simplement. La négation doit
aussitôt traverser l’affirmation de part en part: Dieu est humble, Dieu n’est
pas humble. Plus radicalement : Dieu est, Dieu n’est pas.
Et l’auteur de montrer que la négation de l’affirmation Dieu est humble
est une sorte de mort que l’homme inflige au concept pour que, ressuscitant autre qu’il n’était, il dise de Dieu quelque chose de vrai.
Varillon parle de mystère pascal de l’intelligence:
rien sans mort: l’intelligence n’échappe pas à cette loi de la vie. Mais la négation qui traverse l’affirmation ne l’abolit pas... Dieu est humble, Dieu n’est pas
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humble; Dieu est éminemment humble. Ce mode éminent ne peut être déterminé: il nous échappe.
C’est donc au niveau du concept qu’il est important pour Varillon
d’utiliser des formulations contradictoires quand on veut parler de Dieu,
Celui qu’aucun concept ne peut représenter.
Dieu révèle ce qu’Il est par ce qu’il fait. Son dessein sur l’homme, réalisé en
Jésus-Christ, dévoile son être intime. On ne peut disjoindre en Lui l’acte et
l’être. Si l’Incarnation est acte d’humilité, c’est que Dieu est être d’humilité.
“Qui m’a vu a vu le Père”, dit Jésus. Le voyant laver avec humilité des pieds
d’hommes, je “vois” donc, s’il dit vrai, Dieu même éternellement , mystérieusement Serviteur avec humilité au plus profond de sa Gloire. L’humiliation du
Christ n’est pas un avatar exceptionnel de la gloire. Elle manifeste dans le
temps que l’humilité est au cœur de la gloire.
Comme le dit l’auteur lui-même, voici un paradoxe si fort que la raison
vacille. Pourtant, accepter ce paradoxe, c’est déjà s’ouvrir à l’expérience
d’un Dieu que l’homme a toujours tendance à chercher du côté de la puissance et qui pourtant se révèle dans l’amour. Si Dieu est Amour, Il est
humble.
“Le Père Varillon utilise alors cette même méthode pour parler de la
toute puissance de Dieu.” C’est la Toute – Impuissance du Calvaire qui
révèle la vraie nature de la Toute-Puissance de Dieu. L’humilité de l’amour
donne la clef. Il faut peu de puissance pour s’exhiber, il en faut beaucoup
pour s’effacer. Dieu est Puissance illimitée d’effacement de soi ... Nous
pardonnons malaisément à un homme de l’emporter sur nous en quelque
domaine que ce soit, s’il n’est pas humble. S’il l’est, tout change: sa supériorité est à la fois annulée et confirmée. Annulée, en ce qu’elle ne risque
pas de nous annuler. Confirmée, parce que l’humilité la marque de son
sceau. “La toute puissance de Dieu se dit dans sa puissance d’accueillir et
de donner, dans sa” pauvreté comme dit Varillon. La puissance de dieu est
dans son Amour infini, dans sa volonté de dépendance car le plus aimant
est le plus dépendant.
Dieu est souverainement indépendant, donc libre. Mais libre d’aimer et d’aller
jusqu’au bout de l’amour. Le bout de l’amour, c’est le renoncement à
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l’indépendance... Dieu est tel que sa richesse, sa liberté, sa puissance – richesse d’amour, liberté d’amour, puissance d’amour, ne peuvent être et ne
sont en fait traduites, exprimées, révélées, que par la pauvreté, la dépendance
et l’humilité de Jésus-Christ.
C’est dans cette perspective que nous pouvons parler du Dieu à la fois
Tout-“Autre et plus intime à moi-même que moi-même, du Dieu qui se
fait tout proche de l’homme”. Dieu se suffit absolument à lui-même; indépendamment du monde, ll est Dieu. Il est pourtant vulnérable. Dieu n’est
blessé de rien, mais on peut blesser Dieu. Deux propositions qui sont
formellement contradictoires. En entrant dans cette contradiction,
l’homme peut pressentir quelque chose de la Gratuité et de la Liberté de
Dieu. De plus, en s’incarnant et en mourant, Dieu renonce à la gloire, mais
révèle la Gloire qui est au-delà de la gloire. Alors Varillon parle de Dieu
comme à la fois infiniment discret et infiniment audacieux, ce qui, là aussi,
peut apparaître contradictoire. Il faut essayer de penser, à partir de nos
moments fugitifs de sensibilité plus fine, la coexistence des contraires
(pour parler de Dieu).
Le Père Varillon aborde enfin la Trinité, mystère essentiel à la foi chrétienne: paradoxe du Dieu un et trine. L’amour veut à la fois la distinction et
l’unité, l’altérité et l’identité. Dans la condition humaine, ce vœu profond:
être non seulement uni à l’autre mais un avec lui tout en restant soi, est
incoercible et irréalisable. C’est pourquoi nul n’entre sans souffrance dans
le royaume de l’amour. Le mystère de la Trinité est l’exaucement éternel de
ce vœu. Chacune des trois Personnes n’est pour elle-même qu’en étant
pour les deux autres ... C’est la Toute-puissance d’un absolu renoncement
à soi, lequel constitue Dieu en son être trinitaire. C’est l’expérience de
l’amour que nous vivons, même imparfaitement, qui nous permet, avec
Varillon, de percevoir combien bonheur et sacrifice, si opposés contradictoirement dans nos mentalités modernes, sont vécus en unité par Jésus sur
la croix. Ce n’est qu’au niveau du sacrifice consenti par amour que l’on
peut expérimenter l’unité paradoxale de la souffrance et de la joie ... Dans
la vie à son plus haut degré d’intensité, disait Cabasilas, vie et mort ne s’opposent plus,
mais se composent dans la figure libératrice de la Croix ... La Croix est la figure
centrale de la Révélation : un homme défiguré dévoile l’Être éternel sans
figure.
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Nous verrons que les attitudes des auteurs comme Denys, Thomas
d’Aquin (sur lequel Varillon s’appuie) et Nicolas de Cuse devant le Mystère de Dieu ne sont pas sans lien avec les attitudes que nous avons repérées pour l’homme confronté à l’incomplétude devant la complexité,
même si les activités des scientifiques sont d’un ordre totalement différent.
Cette voie de la théologie (apophatique, négative et d’éminence) peut probablement rejoindre la recherche de scientifiques marqués par le “Réel
voilé”et les “ouvertures à l’Un” (dans le sens que nous avons donné avec
Bernard d’Espagnat et repris avec Denys en différence avec Plotin) et désireux de chercher Dieu, le Tout-Autre. Nous verrons aussi comment
l’approche par la complémentarité, adaptée au champ propre de la théologie, peut être utile pour une présentation des grands mystères chrétiens
aujourd’hui, respectant le mystère de l’Indicible qui se donne à connaître,
sans bien sûr mettre sur le même plan l’objet de la physique et l’objet de la
théologie !
Approche générale de la théologie en termes d’unité de contraires ou de
contradictoires
Au centre du débat se trouve la notion d’un Dieu personnel, si difficile
à appréhender (notamment pour certains scientifiques plutôt tentés par
une sorte de Dieu-Nature ou par un monisme comme l’Un de Plotin, de
type impersonnel). Il appartient à l’essence même du Dieu de la Bible de
faire éclater toutes les catégories; on ne peut le présenter qu’à l’aide de
paradoxes (de Lubac, 1955).
Ainsi le Dieu de la Bible n’est ni personnel ni impersonnel (selon notre
langage) mais les deux à la fois, de même qu’Il est l’infini dans le fini,
l’Etre-même dans ce qui est. Jésus Christ réalise l’unité des contradictoires.
Vrai Homme et vrai Dieu, Il réalise par sa Pâque l’unité des antagonismes
Toute-Puissance – Non Puissance de Dieu, nous révélant par là un visage
de Dieu à la fois paradoxal et attrayant. En vivant l’unité des contradictoires, Jésus nous révèle, par sa vie, sa mort et sa résurrection, à la fois
Dieu et l’Homme. Le Christ nous dit en vivant jusqu’au bout le paradoxe
que le mode de présence au monde du Créateur Tout- Puissant s’exprime
pleinement à travers le visage de l’Agneau Pascal, Dieu livré dans la liberté
et la gratuité totales.
C’est une véritable dynamique du contradictoire (ou de l’antagonisme)
que le Christ nous révèle sur la Croix et dans laquelle il permet à ses dis134
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ciples d’entrer. Pour eux, s’abandonner à Dieu et devenir soi sont des contradictoires vérifiables mais pourtant unis à un certain niveau d’expérience
(nous détaillerons ce point, au niveau de la méthode, plus loin). C’est ce
qui leur ouvre la porte d’une vie nouvelle. A travers la vie des disciples du
Christ, le droit au bonheur et la participation à la Croix, vécus de manière
si contradictoires par beaucoup d’hommes, apparaissent à la fois difficiles
à vivre ensemble et pourtant très unis expérimentalement. On comprend
mieux à travers la vie nouvelle et la vie ecclésiale des disciples du Christ
comment la présence au monde peut aller de pair avec la rupture d’avec le
monde. Le déjà-là et le pas-encore-là sont intimement liés dès maintenant,
comme l’alpha et l’oméga qui agissent en même temps. Le Christ nous
ouvre la voie de l’unité des contradictoires pour un seuil, une pâque, un
passage vers une vie nouvelle. Notons ici que seul le Christ réalise pleinement l’unité des contradictoires : ses disciples continuent, comme tout
homme, d’expérimenter les paradoxes tout en entrant progressivement par
Lui dans l’unité.
Les notions d’acte-puissance développées par Aristote peuvent être très
utiles au niveau de la méthode d’analyse du théologien. Ainsi lorsque celuici s’intéresse à l’humanité du Christ (actualisation du Christ-Homme), il ne
peut le faire pleinement qu’en ayant conscience que la dimension divine du
Christ est “en puissance” dans son discours. Réciproquement, il en va de
même lorsque le Christ-Dieu (Fils) est actualisé dans le discours du théologien: le Christ-Homme est alors “en puissance », de l’intérieur. En
d’autres termes, le théologien affirme par là que nous ne pouvons décrire
pleinement l’humanité du Christ qu’en ayant en mémoire sa divinité. Réciproquement, nous ne pouvons parler de la divinité du Christ qu’en ayant
en mémoire son humanité.
De même, le disciple de Jésus ne pourra évoquer le déjà-là qu’en potentialisant le pas-encore-là. Il ne peut de même envisager le pas-encore-là qu’en
potentialisant le déjà-là. C’est, semble-t-il, dans une dynamique du contradictoire que le théologien peut lui aussi franchir des seuils de compréhension.
11. L’attrait du concile Vatican II pour l’unité des contraires
Dans son livre Les idées maîtresses de Vatican II, G. Martelet (1985) traite
de l’union paradoxale des contraires pour présenter le mystère du Seigneur
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tel que le Concile l’a repris. Après avoir défini le mot “contraire” (ce qui
est directement opposé à quelque chose ou quelqu’un) afin de ne pas faire
de confusion avec le mot “contradictoire” (incompatibilité d’une chose ou
d’une personne avec une autre chose ou une autre personne, pour G. Martelet), l’auteur souligne que l’union des contraires, si elle joue un si grand
rôle au Concile, c’est qu’elle est, à ses yeux, “un reflet positif du mystère
du Christ” (Martelet, 1985: 70).
Dans le Christ, en effet, apparaît au grand jour... non pas la confusion ou le
mélange, pas davantage la distance ou le conflit, mais bien l’union sublime des
contraires, ou, selon l’expression liturgique de l’office de l’Octave de la Nativité, leur admirable commerce. (Martelet, 1985: 71)
Et G. Martelet ajoute:
Du point de vue qui nous occupe, nous pouvons donc bien l’affirmer : le
mystère du Christ, c’est en l’unité de sa Personne cette paradoxale union et de
l’homme et de Dieu dont les conséquences, comme union des contraires,
vont se montrer, dans l’œuvre du Concile, inépuisables. (Martelet, 1985: 73)
Puis l’auteur souligne que l’unanimité recherchée au Concile ne fut obtenue qu’au
prix d’un sacrifice continuel des points de vue inutilement exclusifs pour une
mise en lumière du respect des contraires comme règle dans les rapports
entre personnes. La haute règle des grands Conciles christologiques, synthétiser les contraires en les différenciant et les distinguer en vue de les unir, se
trouve ici (Vatican II) mise en pleine lumière... Norme cachée mais toujours
agissante, moins souvent évoquée que celle des Pères, mais encore plus constamment présente qu’elle, l’union christologique des contraires a joué au
Concile le rôle d’instinct spirituel et d’une régulation spontanée des esprits
dans la foi. (Martelet, 1985: 75-76)
L’auteur précise bien qu’il ne faut pas confondre les contraires de structure, féconds et qui doivent durer, avec les contraires de rupture qui entraînent des divisions (comme celle des chrétiens).
Pour distinguer les contraires vivifiants de ces contraires mortels, disons qu’il
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s’agit dans un cas pour l’Église d’accomplir une union des contraires qui doivent, tels quels, demeurer, et dans l’autre, d’une union aux contraires, je veux
dire aux pécheurs que nous sommes. (Martelet, 1985: 91)
Revenant au Christ, G. Martelet ajoute:
Le Christ, en effet, n’est pas seulement, comme Homme- Dieu, le Médiateur
filial des contraires intégrés, il est aussi comme Homme des douleurs, le réconciliateur des contraires disloqués par la faute de l’homme... celui qui unit
les contraires dans la paix de la médiation réunie, agonise d’abord au pressoir,
pour détruire nos péchés par sa propre Passion. Il y a donc bien dans le
Christ un rapport crucifiant à des contraires mortels... le Christ, dans la sacramentalité de l’Église, se lie à tout jamais à la fragilité de ses contraires pour
communiquer, par quelques uns, la Vie qui doit nous transfigurer tous. (Martelet, 1985: 92,101)
Le sens que G. Martelet donne ici à l’union des contraires est proche de
celui que nous avons défini sous le vocable “unité des antagonismes”.
Nous soulignons ici encore les évolutions des définitions des mots contraire et contradictoire. Il nous faudra donc revenir sans cesse au sept caractéristiques de la complémentarité lorsque nous tenterons d’utiliser cette
méthode pour rendre compte des paradoxes, antagonismes ou antinomies
des grands mystères en christianisme. Mais avant cela, il nous est nécessaire de nous arrêter sur la notion de “coïncidence des opposés” développée par Nicolas de Cuse en théologie. Elle est à la fois originale et signe de
l’acceptation d’une “condition d’incomplétude” caractéristique du théologien-chercheur de Dieu.
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Biographical Note
Thierry Magnin is both Professor in Physics and a Catholic priest, presently Rector of the Catholic University of Lyon, France. He has a Ph.D.
in physics (solid state physics) and a PHD in theology (Moral philosophy
as a ground for a new dialogue between science and religion). He has
written about 200 papers in solid state physics and three books on the
relation between science and religion: Quel Dieu pour un monde scientifique?
(Nouvelle Cité, 1993); Entre science et religion (Le Rocher, 1998); Paraboles
scientifiques (Nouvelle Cité, 2000). He received a prize from the academy
of science in France, and is a member of the SSQII programme.
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