Sociologie des conflits environnementaux

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Facultad Latinoamericana de Ciencias Sociales
Observatorio Socio Ambiental
Documento de Trabajo No 020
Quito, mayo de 2009
Sociologie des conflits environnementaux
Table
Table .............................................................................................................................................. 1
1.1.1. L´économie politique des conflits environnementaux en Amérique latine .............................. 3
L´influence de l´économie marxiste .............................................................................................. 3
Les critiques contre le réductionnisme économique ....................................................................... 6
1.1.2. L´anthropologie des conflits sociaux ...................................................................................... 7
L´apport de l´anthropologie culturelle .......................................................................................... 7
Le débat sur l´ethnicité et l´écologisme ......................................................................................... 8
1.1.3. L´apport de la sociologie politique ....................................................................................... 11
Les conflits locaux pour l´environnement ................................................................................... 11
Conflits locaux et réseaux transnationaux d´acteurs sociaux ....................................................... 12
Conclusion ................................................................................................................................... 14
1.2.1. Société civile, mouvements sociaux et écologisme ................................................................. 15
Caractérisation de l´écologisme .................................................................................................. 15
Société civile et mouvements sociaux .......................................................................................... 19
1.2.2. Vers une conception éthique du développement ................................................................... 20
Éthique et moralité .................................................................................................................... 20
Éthique discursive et société civile .............................................................................................. 23
1.2.3. L´institutionnalisation des arrangements issus des conflits environnementaux .................... 26
Le rôle de la société civile dans l´espace public............................................................................ 26
Les acteurs en conflits et leurs logiques rationnelles.................................................................... 29
Conclusion ................................................................................................................................... 33
Bibliographie citée........................................................................................................................ 34
1.0. Introduction
Les grands projets des industries extractives dans le bassin amazonien
suscitent une opposition diffuse et multiforme de la part des communautés locales et
d´une partie de la société civile, notamment des organisations sociales (paysannes,
indigènes, etc.) et des organisations non-gouvernementales (ONG) écologistes ou de
développement. Cela peut s´expliquer en partie par un décalage entre le niveau
d´attentes générées par les revenus de l´exportation de pétrole, d´une part, et la
satisfaction des nécessités fondamentales, de l´autre. Un autre facteur explicatif dans
les pays d´Amazonie andine est l´effet négatif des impacts environnementaux de
l´exploitation d´hydrocarbures dans cette région depuis quatre décennies.
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Dans ce contexte, les méthodes de négociation et de résolution dite
« alternative » de conflits peuvent, certes, être efficaces, d´un point de vue
instrumental. Mais elles présentent des effets pervers du point de vue politique, dans
des sociétés qui souffrent de forts déficits démocratiques. En effet, elles ont tendance
à renforcer la position des acteurs dominants au détriment des plus faibles ou à
générer des blocages institutionnels en renforçant la position des « veto players » dans
les négociations. Par ailleurs, les méthodes de gestion communautaire de conflits ont,
il est vrai, le mérite de compenser jusqu´à un certain point, le déséquilibre de pouvoirs
entre les acteurs. Toutefois, elles favorisent à leur tour l´apparition de positions
politiques extrêmes, voire anti-systémiques, et de surenchères qui radicalisent les
conflits au prix de l´institutionnalisation des arrangements.
Au centre de nombreux conflits environnementaux générés par l´extraction
d´hydrocarbures, se trouve la lutte pour la définition d´un modèle de développement,
qui n´est jamais l´objet d´un consensus général, puisque les acteurs qui s´y opposent
sont mus par des visions du monde et des logiques d´action différentes. Ce qui est en
jeu ici, c´est le contrôle de l´historicité, c´est-à-dire la capacité de la société dans son
ensemble de se reproduire, se transformer et accroître son action et sa participation.
En ce sens, les conflits environnementaux dans les pays d´Amazonie andine
constituent un problème pour la démocratie. Cela dit, le radicalisme de certains
mouvements écologistes ou indigénistes, le clientélisme et le paternalisme de nombre
d´entreprises, ou encore l´autoritarisme de l´Etat ont tendance à accentuer la
polarisation des conflits, alors que les arrangements à l´amiable les rendent invisibles
et accentuent, en fin de compte, les déficits de démocratie.
La principale cause structurelle de ces conflits réside dans le fait que le débat
autour des politiques publiques est souvent désarticulé entre trois types d´espaces : le
législatif (où dominent les intérêts corporatifs et locaux), l´exécutif (où dominent les
tendances à l´autoritarisme et la bureaucratie) et l´espace informel de l´opinion
publique (où les demandes et les nécessités de la société sont captées par des
secteurs de la société civile très politisés mais disposant d´une étroite base de
légitimité). Pour atteindre un niveau de légitimité satisfaisant et réduire le niveau de
conflictualité, le lieu de délibération des politiques publiques – en l´occurrence
énergétiques, environnementales, sociales et économiques – devrait être une sphère
publique qui privilégie la participation de la société civile, en interaction avec les
institutions de l´État et les acteurs économiques.
La société civile – ici définie comme le tissus d´associations, organisations,
réseaux et mouvements sociaux, qui agissent comme autant d´intermédiaires entre les
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citoyens et l´État, entre le privé et le public – joue un rôle important dans ce processus,
en général, et dans l´institutionnalisation des arrangements issus des conflits sociaux,
en particulier. En effet, d´un côté, elle porte les demandes et les problèmes de la
société du privé vers le public, de l´autre elle informe la société des réponses et
solutions formulées par le système institutionnel.
Un état de l´art sur l´étude des conflits environnementaux en Amérique latine
montre que les approches traditionnelles se fondent principalement sur trois
disciplines : l´économie politique, l´anthropologie et la sociologie politique. Dans leur
ensemble, elles se présentent comme une « écologie politique des conflits » et mettent
davantage l´accent sur les causes des conflits, prenant souvent partie, que sur leurs
modalités de résolution durable et équitable, qui est notre principale préoccupation.
Après avoir montré les limites de ces approches, on s´attachera donc à définir plus
précisément le rôle de la société civile dans ces conflits.
1.1. Écologie politique des conflits environnementaux
1.1.1. L´économie politique des conflits environnementaux en Amérique
latine
L´étude des mouvements écologistes en Amérique latine doit beaucoup à
l´écologie politique, influencée par l´économie écologique et l´anthropologie culturelle.
Cependant, ces approches se heurtent à certaines limites, qui peuvent être dépassées
par l´apport de la sociologie des conflits environnementaux.
L´influence de l´économie marxiste
Traditionnellement, l´écologie politique présente les mouvements écologistes
comme le produit d´une réaction à la « crise écologique » traversée par le monde, qui
porte une critique du modèle de développement impulsé par le capitalisme global (Leff,
2001). Ce mouvement, entraîné par un secteur « illustré » formé par les organisations
non-gouvernementales spécialisées dans les problèmes de l´environnement depuis les
années 1970-1980 (Leff, idem : 372). Dans certains pays, comme en Colombie, ces
organisations convergèrent en un mouvement disposant d´une ample base sociale qui,
sans parvenir à se structurer en mouvement politique, pénétra les structures du
pouvoir étatique et y exerça une influence durable sur les politiques publiques
(Tobasura Acuña, 2006: 91-213). A partir de la critique anticapitaliste de nombreuses
communautés paysannes et indigènes d´Amérique latine, d´aucuns en vinrent à
formuler l´hypothèse selon laquelle ce mouvement est porteur d´une « rationalité
écologique », selon laquelle la sortie de crise écologique implique d´intégrer la diversité
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culturelle et les relations non capitalistes entre nature et culture dans la valorisation de
l´environnement (Leff, 2004: 396-456).
D´autres ont formulé les principes heuristiques de l´écologie politique à partir de
la notion d´« écologie populaire » ou « écologisme des pauvres ». A l´origine, cette
expression désigne des mouvements collectifs en Inde, qui mirent au point des
tactiques d´action directe pour s´opposer aux projets productifs ou d´extraction
représentant un coût élevé pour l´environnement, afin d´obtenir « justice sociale ». Ce
type de mouvements sociaux s´oppose à l´écologisme de type « conservateur » ou
« naturaliste », développé en Europe et aux États-Unis, et présente une certaine
ressemblance avec le mouvement pour la « justice écologique » aux États-Unis et au
Royaume Uni. Cette approche tente de réfuter la thèse selon laquelle l´écologisme
surgit dans les pays riches, du fait d´un changement d´une génération à l´autre vers
des valeurs « post matérialistes ». (Guha, 1994; Martínez-Alier, 2002.) Selon le mot de
son principal penseur :
La hipótesis de trabajo en la búsqueda del ecologismo de los pobres es
que, si aceptamos que el sistema de mercado generalizado y / o el control
del Estado sobre los recursos naturales implican una lógica de horizonte
temporales cortos y de externalización de los costes ecológicos, entonces,
los pobres, al pedir el acceso a los recursos contra el capital y / o contra el
Estado, contribuyen al mismo tiempo a la conservación de los recursos. La
ecología de la supervivencia hace a los pobres conscientes de la
necesidad de conservar los recursos. (Martínez-Alier, 1994: 326-327.)
Le deuxième argument procède de l´économie écologique, qui oppose á la
notion
de
développement
durable
« faible »,
assumée
par
les
organismes
internationaux de coopération pour le développement, un développement durable
« fort », qui tient compte des dimensions « illimités » de la diversité biologique et
humaine comme du métabolisme social de l´économie mondiale. Il critique
particulièrement l´approche du développement durable formulée par le rapport
Brundtland et l´économie néoclassique, considérant que celle-ci ne tient pas
suffisamment compte des effets pervers du développement, tels que l´« internalisation
des externalités écologiques », la perte de diversité culturelle et autres valeurs
défendues par nombre de communautés locales dans les pays « pauvres », affectée
par le développement des pays industrialisés. (Martínez-Alier, Op. Cit., 1994.)
Le troisième argument, qui dérive des deux précédents, établit un lien entre
problèmes écologiques globaux, comme le changement climatique, et locaux, comme
la pollution ou le déboisement. Ainsi, l´« écologisme populaire » analyse les réseaux
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transnationaux et organisations non-gouvernementales tels que Rainforest Action
Network, Friends of the Earth ou Greenpeace, comme un mouvement écologiste qui
met en relation le local et le global à travers des programmes et campagnes
thématiques coordonnées à l´échelle mondiale. Dans ce scénario, certains réseaux,
comme Oilwatch, ont la particularité d´avoir été créés dans des pays du Sud (en
l´occurrence, en Équateur et au Nigéria), pour faire connaître les conflits locaux
occasionnés par l´extraction d´hydrocarbures dans le monde. (Martínez-Alier, Op. Cit.,
2002 : 23.)
En fin de compte, l´« écologisme des pauvres » naît d´une division du travail
entre l´économie écologique, qui étudie les tensions entre le développement et
l´environnement, et l´écologie politique, qui étudie les conflits liés à l´exploitation des
ressources naturelles, comme un problème de distribution de ressources (MartínezAlier, idem : 21). Cette spécialisation repose sur deux prémices : d´une part, l´abandon
de tout effort pour corriger la comptabilité macro économique pour « internaliser les
externalités écologiques » (Martínez-Alier, idem: 26) ; de l´autre l´idée selon laquelle la
valeur des externalités dépend de la force des mouvements écologistes (MartínezAlier, 1997: 42).
Ainsi, à partir d´une lecture anarchisante des mouvements collectifs, ce courant
inverse le sens du slogan qui, de la Conférence de Stockholm (1972) à celle de Rio de
Janeiro (1992), fut répété à satiété : la pauvreté est le premier facteur de dégradation
de l´environnement et le principal obstacle au développement durable. Au lieu de
considérer les pauvres comme une menace pour la diversité biologique, on les
convertit en acteurs garants d´un nouvel ordre économique international :
Frente a la pobreza, la degradación ambiental, la explotación interior y
exterior, vivimos actualmente el inicio de un gran movimiento de neonarodnismo ecológico (o como Víctor Toledo lo llama en México, de neozapatismo ecológico), entre los intelectuales y los activistas pero también
entre los grupos indígenas sobrevivientes, entre los campesinos y los
pobres de las ciudades. (Martínez-Alier, Op. Cit., 1997: 332.)
Au-delà de l´enthousiasme suscité par le soulèvement zapatiste en 1994, avec
lequel l´écologie politique a beaucoup d´affinités, ces lignes ont un fort contenu
programmatique, qui s´est approfondi durant la décennie suivante. Au motif d´identifier
les mouvements sociaux qui dénoncent les externalités locales et globales, on dressa
l´inventaire de dizaines de conflits environnementaux, allant de la « bio piraterie
agricole » (sic.) aux conflits urbains, en passant par ceux qui naissent de l´extraction
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d´hydrocarbures, la conservation du mangle ou contre les plantations de palme
africaine. (Martínez-Alier, idem.)
Au fil des écrits, on note une confusion croissante entre les conflits
« écologiques
distributifs »
(synonymes
de
conflits
environnementaux)
et
le
mouvement « écologique » (synonyme d´écologisme populaire). Cette confusion est
justifiée, dans la mesure où la préoccupation centrale de l´économie écologique va
moins à la compréhension et la caractérisation des conflits ou des mouvements
collectifs, qu´à son instrumentalisation au service d´une critique contre le capitalisme et
l´économie néoclassique. Dès lors, peu importe si les protagonistes de ces conflits ont
recours à divers langages (Martínez-Alier, 2004 : 28), puisque tous luttent pour la juste
valorisation de leurs dommages écologiques – y compris les dommages nonmesurables. Il n´importe pas davantage que ces conflits débouchent sur des solutions,
puisque la publicité que génère chaque conflit est sensée inciter les autres pauvres à
lutter contre les forces déprédatrices (sic.) de l´environnement au niveau local ou
global (Martínez-Alier, Op. Cit., 2002 : 53).
Les critiques contre le réductionnisme économique
L´analyse des conflits environnementaux à partir de cette perspective théorique
souffre de sévères critiques, dont certaines furent formulées depuis l´histoire et la
sociologie. Une critique générale est dirigée explicitement contre l´utilisation abusive
de l´expression « écologisme des pauvres ». A partir de plusieurs études empiriques
au Chili, d´aucuns ont montré que les conflits environnementaux n´opposent pas
nécessairement riches et pauvres ; y compris lorsque tel est le cas, les pauvres ne
développement pas nécessairement une « conscience écologique ». Qui plus est, la
lutte ou les conflits liés à la relation entre société et nature, dont on ne saurait nier le
caractère écologique, ne se transforment que rarement en « mouvement écologiste ».
(Folchi, 2001 : 94.) La thèse développée ici est que tout processus de changement
écologique (et non seulement de dommages écologiques) peut générer un conflit,
indépendamment de la valorisation de la nature. Ensuite, elle marque une distinction
entre « tension écologique », c´est-à-dire la situation qui précède un conflit, et « conflit
de nature écologique », qui désigne les cas où n´intervient pas une idéologie
écologiste ancrée dans le conflit social. (Folchi, idem : 92.)
Une deuxième critique a trait au réductionnisme qu´implique la catégorie de
conflits « de distribution écologique », dans la mesure où celle-ci demeure une forme
de rationalité instrumentale. (Leff, 1997: 72.) Il est généralement admis que la lutte
pour l´accès aux ressources rares est une dimension centrale de ces conflits, mais la
sociologie écologique a mis en évidences d´autres dimensions, en particulier
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culturelles. Or, dans la mesure où ces dimensions n´ont aucune valeur économique,
l´analyse des conflits environnementaux à partir de l´économie écologique mène à une
impasse. En effet, cette perspective ne donne pas assez d´importance aux stratégies
de pouvoir et aux formes de rationalité dans lesquelles s´inscrivent les actions :
Por ello conviene no reducir el campo de la ecología política a los
conflictos de “distribución ecológica”. Los nuevos movimientos sociales
están internalizando demandas ambientales dentro de luchas que no son
sólo de defensa del ambiente y los recursos, sino por la democracia, la
autonomía y la autogestión. (Leff, idem : 73.)
Enfin, d´aucuns mettent en question la validité du concept d´« acteurs clé »
dans la génération de politiques publiques, en particulier dans le domaine de
l´environnement, à partir de la sociologie des nouveaux mouvements sociaux de Klaus
Offe. En ce sens, l´« écologisme » regroupe un ensemble hétérogène d´acteurs
(stratégiques ou non), qui comprend des militants des mouvements sociaux, des
organisations de quartier, des groupes autochtones, ou encore des partis politiques,
des scientifiques, voire des cadres d´entreprise. (Gudynas, 2001.) Selon cette
approche, les conflits environnementaux doivent s´analyser à partir des interactions
entre trois niveaux d´action : institutionnel étatique, institutionnel non-gouvernemental
et non-institutionnel.
Asumiendo que la construcción de una política ambiental requiere del
concurso de los actores en las tres esferas, el ambientalismo pone en
evidencia que esas políticas también se pueden construir con aportes
desde espacios no-estatales. Este hecho deja en claro que la postura de
actores clave como vanguardias no es operativa, en tanto suponga anular
las otras esferas de acción, o bien imponer una de ellas sobre la otra [...] la
prioridad consiste antes que en identificar actores clave, en establecer las
condiciones de los escenarios políticos, que permita la expresión de una
amplia diversidad de grupos. (Gudynas, idem : 18-19.)
1.1.2. L´anthropologie des conflits sociaux
L´apport de l´anthropologie culturelle
Un autre courant de l´écologie politique analyse les conflits comme une
expression des relations entre histoire, biologie et culture. Cette approche, qui procède
de l´anthropologie culturelle, part du constat selon lequel le concept de nature s´est
politisé et a donné lieu à une réinterprétation de la relation entre nature et culture
(Escobar, 1999 a: 273-315). L´écologisme fait partie d´un ensemble plus vaste de
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mouvements sociaux, dont la stratégie consisterait à « cultiver » la politique et à
opposer la diversité d´identités culturelles collectives à l´homogénéisation qui
accompagne la globalisation (Álvarez et al., 1998). Les mouvements écologistes latino
américains seraient donc une figure contemporaine de la résistance des communautés
locales et de leurs alliés, contre l´imposition des « régimes » de relations entre le
biologique et l´historique, dits « régimes de la nature capitaliste » (pour désigner la
valorisation économique de l´environnement par le marché) et « techno nature » (pour
désigner par exemple la recherche en biologie) (Escobar, 1999 b: 3-5). Par cette
résistance s´exprimerait la défense d´une « nature hybride » ou tentative d´inclure de
multiples constructions de la nature pour négocier avec des forces exogènes, tout en
préservant une autonomie et une cohésion culturelle minimales (Escobar, idem : 13).
A partir d´une herméneutique des discours autochtones et écologistes, ce
courant présente les mouvements indigènes comme des acteurs politiques émergents
en Amérique latine, qui s´approprient le discours de l´écologisme pour résister à une
sorte de « colonialisme écologique », ici nommé « éco gouvernementalité » (Ulloa,
2004). On interprète la convergence entre les discours et les pratiques de l´ethnicité et
de l´écologisme comme une stratégie politique des groupes ethniques, en particulier à
travers des organisations telles que la Coordination des organisations indigènes du
bassin amazonien (COICA, pour ses initiales en espagnol), immergées dans la
« société civile globale ». Suivant cette analyse, les organisations écologistes et les
organismes de conservation élaborèrent un discours dans lequel apparut la figure du
« natif écologique » (sic.), en réponse aux menaces qui affectaient l´Amazonie.
Cependant, les organisations indigènes instrumentalisèrent cette figure pour formuler
leurs revendications identitaires, culturelles et politiques dans le système international.
Le débat sur l´ethnicité et l´écologisme
Il reste que le rôle des communautés indigènes dans la préservation de
l’environnement continue d´être l’objet de controverses et que l´interprétation du
discours écologiste de l´ethnicité est loin d´être unanime, au sein des experts en
conservation.
Les partisans d´une approche strictement biologique de la conservation
montrent une préoccupation particulière pour la préservation de toutes les espèces et
leurs variations génétiques dans un ensemble d´écosystèmes, ce qui exclut toute
activité humaine « significative » (Redford et Stearman, 1993 a : 252). Selon eux, les
communautés indigènes sont irrésistiblement absorbées par l’économie de marché, et
le changement social conduit à une modification des pratiques traditionnelles, qui ne
sont plus nécessairement adaptées à la préservation de l’environnement, en dépit de
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la rhétorique et des bonnes intentions qui caractérisent les déclarations de la
Conférence de Paris ou encore le rapport « Amazonie sans mythes » publié par le
Traité de Coopération Amazonienne (TCA) en 1991 (Redford et Stearman, 1993 b :
428). Vouées à être assimilées par la société moderne, elles exercent une pression
croissante sur l’environnement, à la fois par la croissance démographique et l’usage de
technologies et d’instruments modernes (armes à feu, outils, etc.), qui menacent
directement les grands prédateurs et le gibier (Bodmer et al., 1997).
Le « savoir indigène » ne saurait donc être considéré comme une garantie pour
la conservation et, partant, pour le développement durable. Par conséquent, pour
certains, la protection de la biodiversité à l’intérieur d’espaces protégés implique que
ces populations soient cantonnées ou déplacées vers les « zones d’amortissement » –
ou espaces intermédiaires entre la frontière agricole et les parcs naturels – en échange
de compensations sous forme de projets d’écodéveloppement ou de postes de gardes
forestiers (Dore et Nogueira, 1994 ; Lovejoy, 1985). Cette approche n´écarte pas la
collaboration avec les populations locales, mais considère qu´elles sont vulnérables
face aux grandes entreprises et autres acteurs exogènes, avec lesquels elles
négocient directement la vente de leurs ressources (Redford et Sanderson, 2000). Par
conséquent, non seulement les parcs naturels ne sauraient être administrés par ces
communautés, mais la délimitation de territoires indigènes (comme en Bolivie et en
Colombie) ou de réserves extractives (dans le cas du Brésil), n´est qu´un moyen ou
une mesure provisoire et non une fin, dans la politique de conservation de l´Amazonie
(Terborgh, 2000 : 1359).
Les partisans d´une approche plus culturelle de la conservation mettent l´accent
sur l´interaction entre l´homme et la nature et valorisent la transmission de
connaissances et croyances de génération en génération, qui atteste la capacité des
indigènes à vivre et se reproduire dans un environnement fragile (Gadgil et al., 1993).
Selon cette approche, la protection de la biodiversité passe donc par la
reconnaissance de la propriété intellectuelle, la délimitation de territoires indigènes et
l’utilisation collective des ressources naturelles (Brush et Stabindky, 1996 ; Gray,
1991). D´un côté, l´échec de la stratégie de conservation basée sur la délimitation de
parcs inhabités conduit à repenser la collaboration avec les communautés locales, en
faisant de ces dernières les partenaires des ONG de conservation et en leur
reconnaissant une capacité autant qu´un droit à appliquer des méthodes modernes de
planification et de pilotage dans la gestion de l´environnement (Alcorn, 1993). De
l´autre, la politique de démarcation de territoires indigènes en Amazonie, qui se
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superposent majoritairement avec les espaces abritant la diversité biologique à
protéger, fait des communautés locales des partenaires obligés de la coopération
internationale pour la conservation (Peres, 1994).
Cette approche coïncide avec celle des indigénistes, selon qui la principale
menace pour l’environnement vient des changements dans l’organisation socio
politique des communautés indigènes et de la réforme du régime de propriété foncière
dans leurs pays respectifs. Elle met l’accent sur la dimension politique des processus
de décision et alerte avant tout sur les risques que présentent les mégaprojets
d´infrastructures et d´extraction en Amazonie. Le développement durable dépend donc
de la mise en œuvre de réformes agraires privilégiant la participation et la consultation
préalables des premiers intéressés (Colchester, 1994 ; Colchester et Lohmann, 1993),
voire le droit à l´autodétermination (Schwartzman et al., 2000 a et 2000 b), qui sont au
cœur de l´ethnicité en Amazonie.
On rencontre des exemples de partenariat de ce type au Brésil, en particulier
avec l´exploitation sélective de l´acajou par les Kayapó et la régulation de la chasse
par les Xavantes (Peres et Zimmerman, 2001 ; Schwartzman et Zimmerman, 2005).
Au Pérou la régulation des espaces protégés offre certaines garanties aux indigènes
contre l´exploitation pétrolière en l´absence de sécurité juridique pour les territoires
ethniques (Chicchón, 2000). Au Venezuela, la création de la réserve de biosphère du
Haut-Orinoque-Casiquiare,
protège
les
Yanomami
et
Ye´kuana
contre
le
développement de projets miniers sur leurs territoires (Colchester, 2000).
Toutefois, selon certains, les programmes intégrés de conservation et
développement mis en œuvre dans les années 1990 furent en général paternalistes et
orientés en fonction de l´agenda des ONG de conservation, laissant peu de place à
l´initiative des communautés locales (Chapin, 2004 : 20). Ce résultat mitigé tient autant
au manque de préparation des ONG pour le travail social et économique, qu´à
l´évolution de la coopération internationale pour le développement, de plus en plus
axée autour d´une stratégie globale et de projets à grande échelle, qu´il s´agisse des
« hotspots » et « couloirs biologiques » définis par Conservation Internationale, des
« écorégions » et des « Global 200 » du WWF ou encore des « paysages vivants » de
la Société de Conservation de la Vie Sauvage (WCS). D´une part, cette stratégie met
en jeu des financements millionnaires pour lesquels la Banque Mondiale, US-AID, le
Fonds mondial pour l´environnement (GEF) et les organismes de coopération
bilatéraux confient avant tout en la capacité de gestion des grandes ONG de
conservation. De l´autre, elle coïncide avec le recours croissant aux financements
d´origine privée, de la part d´entreprises aux activités polluantes, comme Shell,
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Chevron-Texaco, British Petroleum, avec lesquelles la COICA est précisément en
conflit (Chapin, idem : 25).
En fin de compte, les limites de l´écologie politique interdisent de tirer des
conclusions définitives quant aux relations entre les divers éléments de l´écologisme
en Amérique latine, d´une part, et entre l´écologisme et les acteurs économiques ou
politiques de l´autre. Pour dépasser cette lacune, la sociologie des conflits
environnementaux apporte de nouveaux éléments empiriques. Cela nous amène à
redéfinir l´objet d´étude et surtout à libérer le cadre analytique de la sociologie des
conflits environnementaux de l´orientation normative, voire idéologique, qui caractérise
l´économie écologique.
1.1.3. L´apport de la sociologie politique
Les conflits locaux pour l´environnement
L´apport de la sociologie des conflits locaux est particulière suggestif, puisqu´il
considère les multiples dimensions de ces conflits. En effet, outre leur aspect distributif,
dans le sens de l´inclusion des impacts environnementaux, sociaux, culturels et
économiques, ces conflits sont aussi politiques, ils affectent les rapports de forces
inégaux (par exemple entre les connaissances traditionnelles et le savoir technique et
scientifique), ils sont territoriaux (surtout quand ils concerne des communautés
autochtones) et ils ont un potentiel politique de transformation sociale :
El desafío específico que los conflictos ambientales locales plantean a los
profesionales latinoamericanos comprometidos con el cambio social es el
de forzar mesas de negociación formal donde se definan compensaciones
y criterios para distribuir los costos y beneficios ambientales, económicos y
sociales de los proyectos de inversión. Algo así como un ejercicio práctico
y democrático de economía política. (Sabatini, 1997: 63.)
Plusieurs types de tensions ont été identifiés, qui peuvent donner lieu à des
conflits environnementaux. Parmi elles, il faut en particulier mentionner celles entre le
rôle de médiateur et de négociateur assumé par les autorités locales, d´une part, et la
volonté de participation et de négociation directe exprimée par les communautés, de
l´autre. Il existe également des tensions entre les aspirations démocratiques des
organisations de la société civile et les relations de pouvoir internes, qui les
caractérisent ; entre la défense de l´économie territoriale et la défense de
l´environnement ; ou entre l´écologie stricto sensu et l´écologisme politique. (Sabatini,
idem : 64-649.)
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Dans l´effort de concilier les apports de l´économie écologie et de l´écologie
politique, apparaît donc une confusion entre les niveaux d´analyse, non seulement
entre ce qu´est et ce que devrait être un conflit environnemental, mais aussi entre les
raisons qui motivent une population pauvre à s´opposer l´État et les acteurs du
marché, d´une part, et le niveau de conscience écologique qu´elle assume.
L´études des conflits environnementaux en Amérique latine utilise des
ressources méthodologiques propres de la sociologie politique et de l´écologie sociale,
pour rendre consistante l´hypothèse selon laquelle l´écologisme est un vecteur de
démocratie participative. Une première approche reprend de l´économie écologique le
concept de conflits de distribution, mais considère que les préoccupations politiques
des communautés vont au-delà de l´expression d´un « écologisme des pauvres ». En
ce sens, elle souligne le pragmatisme des acteurs sociaux et le potentiel des conflits
environnementaux locaux de devenir des vecteurs de changement social (Sabatini,
idem : 55). L´enjeu, plus que la valorisation des coûts écologiques pour atteindre le
développement durable « fort », est de forcer les négociations avec les acteurs
politiques et économiques pour redistribuer les coûts et bénéfices écologiques,
économiques et sociaux de tout projet d´investissements (Sabatini, idem : 63).
Une deuxième approche, influencée par l´étude du mouvement Vert allemand
(Offe, 1988; Galtung, 1990) se s´intéresse plutôt aux expériences de conflits et de
coopération entre les mouvements écologistes et l´État. Lorsqu´elles pénètrent
système institutionnel, les demandes de ces acteurs vont plus loin que de simples
revendications pour le droit à un style de vie, elles interpellent l´État pour l´obliger à
consolider la législation et mettre en œuvre des politiques publiques qui régulent le
marché (Gudynas et Santandreu, 1998). Les acteurs sociaux influencent la politique
écologique dans trois domaines : le domaine institutionnel public (étatique), le domaine
institutionnel privé (non-étatique) et le domaine non-institutionnel (Gudynas, Op. Cit.,
2001). Les niveaux d´institutionnalisation des conflits environnementaux dépendent
alors de leur interaction entre les communautés locales, les autres mouvements
collectifs et le système de partis politiques.
Conflits locaux et réseaux transnationaux d´acteurs sociaux
Une troisième approche concerne les dimensions transnationales des conflits
environnementaux, vus comme l´expression de la globalisation des relations sociales.
Dans cette perspective, l´écologisme est une manifestation des « réseaux de
défense » ou « structures communicatives », qui s´efforcent d´influencer la politique,
grâce
à
l´information,
la
politique
symbolique,
12
l´appui
et
la
pression,
la
Observatorio Socio Ambiental de la FLACSO – Working Paper No 020 – 2009/05
responsabilisation morale, etc. (Keck et Sikkink, 2000 : 20 et 36). Ces réseaux – qu´il
faut distinguer des coalitions, des mouvements sociaux et de la société civile – entrent
en interactions stratégiques à travers des « campagnes », ou activités articulées au
niveau international pour promouvoir des causes et des idées qui reposent sur des
principes et des normes. Leur insertion dans ce domaine produit un « effet
boomerang », selon lequel l´influence politique des acteurs locaux peut passer par une
internationalisation de leurs demandes, pour revenir ensuite dans le cadre national et
forcer l´État à modifier sa politique (Keck et Sikkink, idem : 26-27 et 32).
Plusieurs études de cas récentes en Amérique latine viennent compléter ces
apports théoriques. Tout d´abord, la métaphore de l´« effet boomerang » ne suffit pas à
expliquer les processus de transformation des politiques publiques en relation avec les
mouvements écologistes locaux. En réalité, la capacité d´influence des « réseaux
transnationaux de défense » dépend de facteurs institutionnels et politiques locaux. En
effet, les conflits tels que celui qui opposa les écologistes du Brésil et de l´Argentine au
projet de canal affectant le fleuve La Plata dans les années 1980 montrent que ce qui
survient au niveau local après l´« effet boomerang » dépend autant du degré
d´acceptation des normes et régulations internationales de la part de l´État, que de
l´existence de la capacité nationale de traitement des demandes sociales (Hochstetler,
2002). En outre, une démocratie stable facilite la collaboration entre secteurs de la
société civile et le gouvernement, comme l´illustrent l´exemple du Costa Rica ou du
Venezuela (Christen et al., 1998), bien que l´institutionnalisation de l´écologisme
puisse influencer de façon négative la capacité critique et l´autonomie du mouvement,
comme le montre l´expérience du Venezuela après l´Assemblée Constituante de 1999
(García Guadilla, 2001).
Ensuite, la coopération entre le Nord et le Sud à travers les réseaux de défense
écologistes ne saurait être considérée comme une constante. Celle-ci repose sur une
sorte de division internationale du travail, car les organisations non-gouvernementales
du Nord tendent à agir dans le domaine international et à se spécialiser dans le
financement de leurs homologues du Sud. Pour leur part, ces dernières agissent avant
tout dans le cadre national ou local et se spécialisent dans la production et la diffusion
d´information (Rohrschneider et Dalton, 2002). En dépit de cette complémentarité de
rôles, il existe une certaine tension entre les organisations écologistes, au sujet de
leurs priorités d´action. Ainsi, la priorité donnée par les organisations du Nord au
financement de la conservation des écosystèmes tropicaux humides oriente en partie
l´agenda des organisations du Sud. Par conséquent, les gouvernements peuvent être
plus sensibles à la conservation d´espaces protégés qu´à la réhabilitation et l´entretien
13
Observatorio Socio Ambiental de la FLACSO – Working Paper No 020 – 2009/05
de l´environnement urbain, comme au Costa Rica, au Mexique, au Venezuela ou
encore au Brésil (Christen et al., Op. Cit., 1998).
Finalement, l´efficacité d´une campagne internationale dépend de l´existence
d´un mouvement local doté d´un haut niveau d´organisation et d´une grande capacité
de mobilisation. Cela dit, l´unité des mouvements locaux est loin d´être permanente. La
force de ce mouvement au Brésil, qui s´accrut lors de la préparation du Sommet de la
Terre de 1992 et se maintint durant la décennie suivante, explique en partie le succès
des campagnes contre le projet d´autoroute BR364 dans l´Acre, le projet de
développement « Polonoroeste » en Rondônia, ou encore la taille de l´acajou dans le
Pará (Barbosa, 2003; Moog Rodrígues, 2004; Worcman, 1990). Il n´en demeure pas
moins que les mouvements écologistes d´Amérique latine souffrent, en général, d´une
grande fragmentation entre des secteurs qui défendent des intérêts et des positions
idéologiques parfois différents, voire opposés, comme le montrent les études réalisées
au Chili (Folchi, Op. Cit. 2001), en Colombie (Tobasura Acuña, 2002), en Équateur
(Fontaine, 2003) et au Venezuela (García Guadilla, 1998).
Conclusion
L´écologie politique tend à réduire les mouvements écologistes aux acteurs des
conflits environnementaux radicaux, dont l´enjeu est la lutte contre le modèle de
développement capitaliste. Cependant, elle n´explique pas comment les autres
processus de conflit et de collaboration contribuent à redéfinir les politiques publiques.
D´autre part, dans cette représentation, les militants écologistes assument un rôle
d´intermédiaire culturels, mais on ignore si d´autres agents de changement peuvent
assumer un rôle comparable dans le sens de la modernité capitaliste. Enfin,
l´opposition entre écologisme des pauvres et d´autres formes d´expression de
l´écologisme – telles que celles qui prédominent dans les pays industrialisés à
économie de marché – ne se justifie pas en soi : il s´agit plutôt d´une option normative
qui nuit à l´analyse, en particulier dans la mesure où elle interdit de comprendre les
alliances entre différents secteurs, qui traversent les mouvements écologistes.
La théorie des « régimes de la nature » est contradictoire. En effet, si les
paysages sont des constructions sociales, comme le rappelle opportunément cette
théorie, alors le concept de régime organique de la nature n´a pas lieu d´être. Le
concept de « nature hybride » n´est pas non plus d´une grande utilité pour l´analyse de
l´écologisme, car il s´agit ontologiquement d´une construction sociale, sujet aux
modifications cognitives qu´induit le changement social dans les communautés. En
réalité, on ne saurait opposer un régime de la nature organique ou hybride (doté d´une
14
Observatorio Socio Ambiental de la FLACSO – Working Paper No 020 – 2009/05
forte connotation essentialiste) sans réifier les communautés qui sont sensées les
défendre contre des régimes de la nature capitaliste ou technologique. Dès lors, la
proposition de penser le lieu de la nature au-delà de sa dimension objective – la nature
comme lieu – tombe dans un raisonnement circulaire.
De même, la thèse de la lutte du « natif écologique » contre l´« éco
gouvernementalité » est discutable. Selon cette dernière, le « natif écologique » est
objectivé – ou instrumentalisé – à la fois par les politiques publiques et les
mouvements collectifs exogènes, mais on ne voit pas comment il parvient à se
transformer en sujet de sa propre historicité. Le problème que pose ce concept est que
l´on ne saurait parler d´une identité écologiste dans les mêmes termes que de l´identité
ethnique ou autochtone. L´écologisme est le produit d´une construction discursive
moderne et d´une vision du monde, qui ne repose pas sur des critères ontologiques ou
des traits culturels, mais sur une « nouvelles rationalité », selon le mot de Leff. Il est le
produit d´une critique de la modernité et d´un raisonnement téléologique, qui le conduit
à proposer diverses réponses à la « crise écologique ». Or l´acteur écologiste ne peut
assumer une telle construction sans établir une distance minime avec la société dans
laquelle il vit, ses valeurs, ses pratiques culturelles et son identité collective. En
revanche, l´ethnicité, souvent performative, se construit à partir d´une différenciation
avec l´autre et de critères culturels propres au groupe qui produit le discours
« identitaire ethnique ». En d´autres termes, il n´existe pas d´« identité écologiste » en
soi, l´écologisme est une catégorie sui generis d´action collective ; tandis que l´identité
ethnique est une identité en soi, qui se convertit en identité pour soi, comme moyen
d´émancipation pour un acteur dominé.
1.2. Société civile et conflits environnementaux
1.2.1. Société civile, mouvements sociaux et écologisme
Caractérisation de l´écologisme
Entre les organisations écologistes, les écologues et les économistes, on peut
distinguer au moins trois lignes d´interprétation du concept de développement durable.
La première met l´accent sur la participation des communautés locales dans le
développement, en essayant de développer l´agriculture à petite échelle et considérant
que ces solutions pour le développement ne peuvent se généraliser, compte tenu de
l´hétérogénéité de la région amazonienne. La deuxième valorise la dimension
économique des ressources naturelles, en essayant de calculer la valeur du capital
naturel ou écologique, en termes de coûts et bénéfices externalisés. La troisième
option insiste sur la nécessité de conserver les écosystèmes, en maximisant l´usage
15
Observatorio Socio Ambiental de la FLACSO – Working Paper No 020 – 2009/05
de la biomasse et en limitant le déboisement, notamment grâce à des programmes
agro-forestiers à l´échelle locale. (Becker, 1994 : 174-176 ; Colchester et Lohmann,
Op. Cit. : 62.)
Certes, ces trois courants convergent au niveau opérationnel pour considérer
que la décentralisation des politiques environnementales et la coopération entre l´État
et les acteurs locaux sont nécessaires, mais ils suivent des chemins très différents au
niveau institutionnel et de l´organisation. Au plan institutionnel, ces divergences
théoriques concernent l´ensemble des positions politiques quant au modèle de
développement considéré comme « durable » – qui va de l´anthropocentrisme
caractéristique des politiques de développement de l´après-guerre, à l´éco-centrisme
de l´écologie profonde ou radicale diffusée dans les années 1970 par quelques
organisations européennes. Ces écarts recoupent les divergences politiques et
philosophiques qui traversent le mouvement écologiste, lesquelles reposent sur
différentes approches économiques de l´écologie : la protection de l´environnement, la
gestion des ressources naturelles ou l´écodéveloppement.
Pourtant, en dépit de ces divergences, il existe une certaine articulation entre
ces courants de l´écologisme contemporain, comme le note Castells (2000 : 39), qui
vient d´une préoccupation commune pour la destruction de l´environnement et de sa
vision holiste du développement. Sans doute ces divergences renvoient-elles en fin de
compte à l´éthique de conviction qui caractérise la vitalité et la profusion de possibilités
du mouvement pris dans son ensemble.
Le mouvement pour l´écologie profonde (deep ecology) prétend redécouvrir
une « égalité biosphérique » entre les êtres humains et les organismes vivants de la
planète. En s´inspirant du bouddhisme et du chamanisme, réinventant au passage
l´anthropologie pour valoriser des connaissances traditionnelles réifiées, l´écologie
profonde pose le principe d´une responsabilité de l´homme envers la nature. En
revanche, l´écologie radicale insiste plutôt sur la nécessité d´un développement
durable (Merchant, 1992 : 86-92). En ce sens, celle-ci en appelle à l´alliance entre
organisations des pays « du Sud » et « du Nord », au boycott des multinationales
visées par le mouvement écologiste, ainsi qu´au non-paiement de la dette externe des
pays en voie de développement. Pour sa part, l´écologie sociale reprend à son compte
la formule médiatique de la Conférence de Stockholm sur la relation entre la pauvreté
et la dégradation de l´environnement – « la pauvreté est la pire forme de pollution » –,
sans toutefois appliquer une stratégie contre les entreprises ou l´Occident.
D´un côté, ces organisations plus ou moins radicalisées politiquement
établissent une corrélation entre la crise économique des pays pauvres et la crise
16
Observatorio Socio Ambiental de la FLACSO – Working Paper No 020 – 2009/05
écologique, suivant le cercle vicieux dette publique-destruction de l´environnement, qui
s´explique rationnellement par la pression de la dette externe sur les « économies
périphériques » de Wallerstein (1984) et la nécessité de profiter des avantages relatifs
que représente l´abondance des ressources naturelles. De l´autre, elles valorisent le
développement personnel contre la perte de sens provoquée par la vie moderne – non
seulement par la pollution mais aussi par le stress, la concurrence, etc. – et défendent
la culture contre le marché, la « justice environnementale » contre la « crise
écologique », à travers l´activisme culturel ou politique et la production de nouveaux
schémas de relations sociales reposant sur l´égalitarisme. (Hofrichter, 1993 : 85-89;
Weissman, 1993 : 186-191; Bello, 1993 : 202-203.)
Enfin, les conservateurs constituent un quatrième courant du mouvement
écologiste, dont l´action est fondamentalement d´ordre géopolitique. Selon Colchester
(Op. Cit., 1994: 11), ces derniers ont tendance à concentrer leur action dans les
régions tropicales, qui rassemblent la moitié des espèces animales et végétales de la
planète, sur une superficie de l´ordre de 12% du globe terrestre. Il en résulte que la
pratique de la conservation tend à s´articuler autour d´un axe Nord-Sud, suivant lequel
les institutions de conservation financées par leurs membres ou par des agences
d´aide des pays industrialisés se substituent au monde industriel et prétendent
protéger les ressources des pays en développement contre la déprédation de leurs
propres populations.
Ces acteurs du mouvement écologiste proviennent d´une nouvelle « classe de
connaissance », selon l´expression forgée par Yearley (1994 : 157), dont l´activité
centrale est la production et la distribution de savoir symbolique. Ils se composent
d´intellectuels et salariés du secteur tertiaire, dont le savoir en général ne s´applique
pas à la production matérielle mais plutôt à l´éducation, le conseil ou la communication
dans les agences bureaucratiques de la « société programmée » identifiée par
Touraine (1973). Ces « nouveaux savants » produisent un discours universaliste
légitimateur, qui associe la protection de l´environnement avec la survie de l´humanité,
sans pour autant rechercher la conquête du pouvoir, puisque « le savoir, en soi, c´est
le pouvoir » (Breyman, 1993 : 125).
Toutefois, les militants écologistes n´échappent pas à certaines contradictions
car ils jouissent d´une situation sociale privilégiée, qui reposer sur les « valeurs postmatérialistes » d´Inglehart (1977) ou le « capital culturel » de Bourdieu (1994). Dans la
perspective de ce dernier, le fait que les scientifiques et activistes des organisations
environnementales se montrent aussi critiques envers le capitalisme peut s´expliquer
17
Observatorio Socio Ambiental de la FLACSO – Working Paper No 020 – 2009/05
par l´habitus propre au champ social dans lequel ils évoluent. Ainsi, les agents du
champ économique agissent selon un habitus différenciateur marqué par le niveau de
richesse matérielle et le pouvoir, alors que ceux du champ scientifique, artistique ou
culturel ont intérêt à apparaître généreux ou altruistes. En ce sens, l´apparent
désintérêt de ces derniers obéirait plus à une logique de reproduction sociale qu´à une
redéfinition des valeurs morales de l´humanité, en dépit de son « virage écocentrique ». Cette hypothèse est confirmée par le décalage entre la pratique et
l´idéologie écologiste, en particulier dans la mesure où il s´agit d´expliquer le passage
du groupe de pression au mouvement social. En effet, bien que certains militants
puissent se prévaloir d´une orientation anarchiste ou marxiste léniniste, il n´en va pas
nécessairement de même de leurs sympathisants – ou électeurs, dans le cas des
partis verts européens. En outre, force est d´admettre que les plus grands progrès
réalisés dans la prévention des catastrophes écologiques et la prise en compte de
l´environnement dans les processus de production et de consommation résultent
davantage de réformes légales et institutionnelles que du triomphe d´un « nouvel ordre
écologique », que certains opposent au « nouvel ordre mondial » de l´après-guerre
froide.
En fin de compte, en identifiant une dimension éthique dans le mouvement
écologiste transnational, on souligne en premier lieu que, plutôt que développer un
discours de revendications susceptible de modifier la relation entre coûts et bénéfices,
les organisations qui animent ce mouvement parlent de liberté, de projet de vie, de
respect pour les droits fondamentaux, qui ne se réduisent pas à des gains politiques ou
matériels. Cela s´apparente, selon les termes de Castells (Op. Cit., 2000 : 157), à un
concept de « justice environnementale » qui affirme la « valeur d´usage de la vie »
contre les intérêts de la richesse, le pouvoir et la technologie. La modernité s´efforçait
de séparer la culture et la société ; la crise de la modernité se traduit par la séparation
de l´acteur et du système. Selon Touraine (1997 : 98-99 et 103), c´est pour cette raison
que les protestations morales dépassent aujourd´hui les protestations sociales. De
même, l´éthique se confond avec l´appel à un sujet, qui ne se confond pas avec le
principe d´organisation d´une culture ou d´une société, mais évoque un acteur en
situation sociale de résistance à l´ordre et au pouvoir. En d´autres termes, il se définit
comme la recherche par l´individu des conditions qui lui permettent de devenir acteur
de sa propre histoire, contre la souffrance que provoquent la perte d´identité et
d´individuation. Cela revient à inverser en partie le processus de la modernisation,
puisque la subjectivation devient un principe de résistance à la perte d´identité et
18
Observatorio Socio Ambiental de la FLACSO – Working Paper No 020 – 2009/05
d´autonomie. Reste à savoir si le discours éthique de l´écologisme est susceptible de
se généraliser à la sphère publique et d´influencer les politiques de développement,
notamment celles qui concernent l´énergie.
Société civile et mouvements sociaux
Cohen et Arato (2000 : 567-568) observent que les mouvements sociaux
contemporains mettent en œuvre une politique duale d´identité et d´influence, dirigée à
la fois vers le système d´organisations politiques (ou société politique) et vers la
société civile. Ces mouvements peuvent être défensifs ou réactifs, mais rarement
fermés ou traditionnels, car ils défendent des espaces pour la création de nouvelles
identités et solidarités, voire luttent pour l´inclusion et l´influence politique. Cette
politique d´influence et les politiques d´identité font appel à l´autonomie des sujets et à
la démocratisation des relations sociales, en dehors du système politique. Le
recentrage de notre analyse des mouvements sociaux vers la société civile permet
d´interpréter la double nature – défensive et offensive – de ces mouvements, au-delà
de la mobilisation de ressources ou de la professionnalisation de l´action collective,
caractéristique des mouvements sociaux depuis les années 1970. Ainsi, l´action
collective est défensive, en ce qu´elle vise à conserver et développer des styles de vie,
des réseaux de communications et des modes de relations interpersonnelles.
Cependant, elle est aussi offensive, en ce qu´elle vise à influencer la société politique
et l´économie, à réformer les institutions de l´État, à développer les processus
démocratiques formels.
La clé pour comprendre les métamorphoses du concept de développement
durable dans le discours de la société civile réside dans l´évolution de la publicité du
débat démocratique. Comme le rappelle Boladeras (1996 : 38), l´Illustration fut une
étape fondamentale pour affronter le pouvoir absolu et poser des concepts
programmatiques pour la structuration du pouvoir social. Cependant, dès le 19e siècle
fut formulée une première critique de la modernité, qui dénonçait l´usurpation de la
publicité par la bourgeoisie convertie en classe dominante. En résultèrent les
affrontements de classes qui surgirent dans le prolongement de l´industrialisation
massive. Pour cette raison, Marx (1982) considérait la société civile comme
l´expression d´une fausse conscience. Dans la mesure où il assimilait le pouvoir social
à la force de production multipliée, qui nait de l´œuvre de la coopération des individus
sous l´action de la division du travail, il le situaient en marge des individus et le
considéraient comme un pouvoir étranger que les individus ne pouvaient déjà plus
dominer. Par conséquent, la société civile ne se développait qu´avec la bourgeoisie,
comme l´ensemble des échanges matériels entre les individus et l´ensemble de la vie
19
Observatorio Socio Ambiental de la FLACSO – Working Paper No 020 – 2009/05
commerciale et industrielle, pour lequel servaient l´État et la nation. Pour l´auteur du
Capital, l´unique issue était l´effondrement du système et l´avènement du
communisme.
Bien que cette proposition continue de séduire certains intellectuels et
théoriciens des mouvements sociaux (Guido Béjar, 1990), la critique du concept
marxiste de crise, formulée par Habermas (1999 : 15-48), est assez claire pour éviter
de revenir ici sur de longs débats sur la nature anti-systémique ou systémique des
mouvements ethniques et écologistes. La transformation de l´État libéral en État social
après la crise de 1929 et la Deuxième Guerre mondiale renforcèrent une fois de plus la
publicité et le rôle de la société civile dans la démocratie. Dans la situation actuelle de
la vie démocratique et sociale, elle est la seule à pouvoir participer dans un processus
de publicité critique, avec la légitimité nécessaire pour s´imposer aux organisations de
l´État et de la société politique. (Habermas, idem : 41.)
Selon Touraine (Op. Cit., 1997), l´appel au sujet est une forme commune de
résistance à toute forme de domination (qu´il s´agisse du totalitarisme ou de la
modernisation répressive), qui s´appuie sur une éthique de la conviction et s´oppose à
l´éthique de la responsabilité des administrateurs d´entreprises ou des élus politiques.
Néanmoins, il semble que dans le cas des mouvements environnementalistes et
ethniques, tels que ceux qui convergent en Amérique latine depuis les années 1980,
ces deux types idéaux d´éthique s´articulent dans l´action. Chez Weber (1995 : 71),
l´une et l´autre font référence à un ensemble de valeurs qui définissent la limite
subjective entre ce qui est juste ou injuste, le bien et le mal, etc. La différence réside
dans le degré de rationalisation introduit dans la norme qui régit les relations de
coexistence entre les membres d´une société et fait que ces-derniers respectent ces
valeurs. Ainsi, l´éthique de conviction n´a pas besoin de normes écrites car elle
s´appuie sur un consensus au sein de la communauté ou la société, qui dérive d´un
substrat religieux ou mythique et se constitue en norme consuétudinaire. Par contre,
l´éthique de responsabilité repose sur un contrat ou un acte formel, qui souligne les
obligations et droits de chaque partie.
1.2.2. Vers une conception éthique du développement
Éthique et moralité
La relation entre morale et éthique fait partie du contexte plus ample de
rationalisation de la société, identifié par Weber (Op. Cit.), qui conduit à la
spécialisation des cultures en fonction de trois questions : la vérité, le goût et la justice.
Ce processus entraîne une séparation des sphères de valeur, entre la production
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Observatorio Socio Ambiental de la FLACSO – Working Paper No 020 – 2009/05
scientifique et la culture, l´art et la critique d´art, le droit et la morale, etc. A son tour,
cette division entraîne un changement de réflexivité en relation avec le monde de la vie
– défini par Habermas (1990 : 169) comme l´espace dans lequel évoluent les sujets
communicant – ; c´est-à-dire que les devoirs ont de plus en plus à voir avec des
habitudes concrètes.
Depuis Kant, on sait que le fondement rationnel des jugements moraux ne peut
reposer sur la foi, ni sur des considérations de félicité ou de prudence, pas plus que
sur des considérations substantives de la nature ou du bien. Avec Hegel, nous avons
appris que la socialisation était nécessaire pour qu´un sujet qui juge moralement
puisse agir selon son propre jugement. Habermas nous invite à reconsidérer la relation
entre morale et éthique à partir des opérations d´abstraction morale, qui séparent la
justice
et
le
concept
aristotélicien
de
« bonne
vie »1,
entendu
comme
« autoréalisation ». (Pía Lara, 1992 : 69-70.)
Selon la « théorie de l´agir communicationnel », une forme de vie est un
contexte de convictions morales gouvernées par des principes universalistes et traduits
en pratiques (Habermas, 1984 : 84). Le problème est que la transformation des
principes universalistes et des convictions morales en pratiques dépend aussi du
contexte contingent, ce qui signifie que le changement de pratique conditionne et
dépend des principes universalistes. Dans cette perspective, l´éthique des formes de
vie n´est que l´expression d´une morale universelle (c´est-à-dire à prétention de validité
universelle). La sphère de l´éthique est un monde de la vie distancié, qui inclut des
auto-évidences de type moral, cognitif et expressif. Cependant, elle ne saurait se
fonder sur des questions relatives à la « bonne vie » qui n´aient déjà été résolues par
la norme.
La distinction entre la validité normative et la validité sociale s´opère
simultanément à la distinction entre la pratique en normes et la pratique en valeurs.
Cela signifie en particulier que les normes peuvent être soumises à des critères de
justification morale, à la différence des valeurs, qui ne sont pas susceptibles de
moralisation mais incluent les orientations évaluatives particulières qui font partie d´une
forme de vie. Selon Habermas, les valeurs culturelles sont des syndromes historiques
ou biographiques d´orientations évaluatives, qui permettent de distinguer la « bonne
vie » de la « simple vie ». Mais les idées de la bonne vie ne sont pas le résultat d´un
devoir-être abstrait. En réalité, la formation du jugement moral accompagne la
distinction pratique entre les questions morales et évaluatives. Les questions morales
1
Ce concept, popularisé par l´économiste Amartya Sen, a récemment été remis au goût du jour dans les
pays andins, avec les réformes constitutionnelles de Bolivie, puis de l´Équateur.
21
Observatorio Socio Ambiental de la FLACSO – Working Paper No 020 – 2009/05
dépendent de la définition de la justice et des intérêts universalisables, alors que les
questions évaluatives dépendent de la définition du concept de la « bonne vie », qui
peut s´apparenter au « sens commun » que Bourdieu (1980) oppose au « sens
pratique ».
L´une et l´autre sont le produit de la modernisation, dont les caractéristiques
avaient été identifiées par Weber (Op. Cit.) à travers la rationalisation et la
subjectivation. Tandis que la rationalisation entraîne la médiation entre morale et
éthique, la subjectivation entraîne le passage à une étape post-conventionnelle de la
conscience morale, une séparation du jugement moral et des conventions locales.
Cela provoque la disparition des évidences de fond, qui étaient caractéristiques du
monde de la vie et, par conséquent, provoque une perte de la force d´impulsion
caractéristique des motifs empiriquement efficaces. En cela réside, par exemple, la
différence entre l´écologisme de type NIMBY (de l´anglais « not in my backyard », qui
signifie littéralement : « hors de ma cour ») et celui des campagnes pour sauver les
baleines ; chacun se caractérise par un degré différent d´abstraction et de distance
avec la réalité empirique du sujet parlant.
Selon Habermas, il faut que la morale universaliste compense cette perte
d´« éthique concrète » pour être efficace au plan pratique, autrement dit, il faut qu´elle
neutralise l´abstraction par rapport aux contextes d´action et la séparation d´idées
rationnellement motivées, para rapport aux attitudes empiriques. Cela pose un double
problème : Dans quelles conditions les formes de la vie peuvent-elles donner lieu à
une pratique qui permette d´associer les jugements de valeurs et les principes
universels ? Comment agir en conformité avec de telles convictions morales ?
L´hypothèse de « l´éthique discursive » développée ici est que la morale
universaliste constitue le noyau de formes historiques variables, sous une enveloppe
de formes de vie éthique, nécessaire pour trouver un critère rationnel de jugement de
ces formes de vie. Elle repose sur un double principe – issu de l´éthique formaliste –
selon lequel, d´une part, les normes valides sont celles qui peuvent recevoir
l´approbation de tous les affectés en tant que participants d´un discours pratique
(« principe D ») ; et, de l´autre, les résultats et effets secondaires, qui résultent de
l´application universelle d´une norme valide pour la satisfaction des intérêts de tous,
doivent pouvoir être acceptés de tous sans coaction (« principe U »). (Habermas, Op.
Cit., 2000 : 16.)
Pour Habermas (Op. Cit., 1984 : 87), le jugement moral ne peut se confondre
avec l´éthique de conviction, car le principe fondamental de l´éthique discursive, le
« principe D », ne peut réguler les problèmes de sa propre application. L´efficacité de
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Observatorio Socio Ambiental de la FLACSO – Working Paper No 020 – 2009/05
ce principe dépend de l´association des jugements moraux et des conventions locales,
dans la perspective d´un tiers. Les normes fondamentales telles que le droit de
l´environnement ou les droits de l´homme ne commencent à être reconnues
institutionnellement que lorsqu´elles sont traitées comme « questions de principes » ;
dès lors, leurs applications suivent le cours d´une orientation de plus en plus
consistante avec leur contenu universaliste. Or, si le « test révélateur » de
l´universalisation d´une norme est l´histoire (ou les expériences historiques), le moyen
d´universalisation est l´apprentissage, qui s´ajoute à l´union entre la faculté de
jugement et la raison pratique. De sorte que l´apprentissage de principes universels
dépend de l´interaction entre les idées juridiques et les institutions, et détermine la
conversion de ces principes en normes.
Il en va de même de la relation entre motivation et idéaux moraux. (Habermas,
idem : 88.) En effet, la séparation de la morale et de l´éthique entraîne la perte du
soutien apporté par les preuves culturelles et les certitudes du monde de la vie. À son
tour, cet épiphénomène de la modernité entraîne la séparation des jugements moraux
et des actions morales, ce qui implique la nécessité d´un système de contrôle interne
du comportement. En d´autres termes, un tel système répond à des jugements moraux
dirigés par des principes (ou convictions rationnellement motivées) qui rendent
possible l´auto-régulation du comportement. Toutefois, il obéit à deux conditions
préalables : d´une part il faut qu´il puisse fonctionner de manière autonome, de l´autre,
il faut qu´il intègre des principes abstraits et généraux (c´est-à-dire des présupposés ou
implications de la procédure du fondement des normes).
En fin de compte, l´efficacité de la morale universaliste dépend de la
socialisation et la formation si – et seulement si – l´individuation dépasse l´identité
conventionnelle. (Habermas, idem : 89.) Cela introduit une troisième condition pour
l´élaboration d´une théorie politique soucieuse à la fois de la légitimité démocratique et
des droits fondamentaux, à savoir la nécessité d´associer un mode réflexif de la
tradition, caractérisé par la rénovation de traditions avec la disponibilité à la critique et
la capacité d´innovation individuelle. Ainsi, la transformation de la tradition résulte de
l´accroissement de l´innovation ou de la conjonction de la socialisation et de la
formation qui renforcent la subjectivation au prix de l´identité conventionnelle.
Éthique discursive et société civile
En dépit de la tendance à la professionnalisation qui accompagne la
rationalisation de la vie sociale, dans un État de droit, c´est l´opinion publique qui peut
définir la validité des normes. Il ne s´agit pas là d´un jugement de valeur, mais d´un
constat relatif à la sécularisation résultant de la rationalisation produite par la modernité
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Observatorio Socio Ambiental de la FLACSO – Working Paper No 020 – 2009/05
depuis l´Illustration. Habermas coïncide avec Marx pour souligner qu´il est difficile de
rencontrer quelque chose comme la « volonté générale » des contractualistes, qui ne
se confonde pas avec la volonté d´une classe dominante. En ce sens, l´opinion
publique n´est pas un ensemble social homogène susceptible de déléguer son pouvoir
de décision une fois pour toutes. C´est à ce point qu´il faut souligner le rôle de la
société civile dans la promotion ou la discussion des normes.
Cohen et Arato (Op. Cit.) ont essayé de placer la société civile au centre de
cette théorie politique, en substituant au concept d´intérêt général celui d´« identité
commune ». L´éthique discursive permettrait de découvrir les éléments communs entre
les membres en interaction d´une société (caractérisée par le pluralisme de systèmes
de valeurs, de modes de vie et d´identités individuelles), qui sont affectés par les
décisions politiques et les lois. En effet, à travers le discours, les individus s´affirment
et indiquent sous quelles lois ils veulent vivre ensemble, en dépit de leurs identités
particulières et de leurs différences. (Cohen et Arato, idem : 416.)
Pour que les droits fondamentaux soient institutionnalisés, il faut qu´ils soient
établis par des processus discursifs, soit au niveau de l´origine constitutionnelle des
droits, soit au niveau de l´argumentation et de la participation dans la discussion
publique. La qualité de l´argumentation et de la participation dans cette discussion
dépendent des opportunités de réunion, d´association et d´articulation de positions sur
le terrain de la société civile. (Cohen et Arato, idem : 442.) Dans un tel contexte, le rôle
de la société civile est de lutter pour la réalisation, l´expansion et la réinterprétation de
ces droits. Avec les mouvements sociaux qui en font partie, elle est en fait le facteur
dynamique de ce processus et contribue à associer indirectement la culture politique et
l´institutionnalisation démocratique.
Ainsi, selon Cohen et Arato, l´éthique discursive rend compte du processus
sociopolitique de création et d´amplification des droits fondamentaux, qui associent « le
droit d´avoir des droits » à l´autonomie des individus. Ils prétendent ainsi échapper au
choix forcé entre révolution, résignation ou réforme. D´autre part, la séparation de la
société civile, de l´État et de l´économie permet d´écarter l´objection marxiste et
hégélienne d´une identité ontologique entre la première et la bourgeoisie capitaliste.
Cette séparation, qu´ils empruntent à Gramsci autant qu´à Parsons les conduit à voir
l´institutionnalisation de la société civile comme un processus qui implique la
stabilisation des institutions de la société, sur la base des droits, un processus qui peut
toujours être plus démocratique et dont les normes requièrent la démocratisation
interne et externe. (Cohen et Arato, idem : 447 et 456-457.)
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Observatorio Socio Ambiental de la FLACSO – Working Paper No 020 – 2009/05
Ainsi conçue, la société civile serait le champ de possibilités de n´importe quelle
éthique politique moderne. Mais à la différence des éthiques naturalistes, utilitaristes,
néo-contractualistes ou néo-aristotélicienne, l´éthique discursive se centre sur la
nécessité normative et la possibilité empirique de démocratiser cette société civile, ce
qui permet, selon ces auteurs, de concilier démocratie représentatives et démocratie
directe. La société politique organisée en démocratie représentative et la société civile
moderne ont en commun deux institutions médiatrices : les sphères publiques et les
associations volontaires. Au niveau juridique, cette dualité se traduit, d´une part, par
l´existence de droits politiques permettant et régulant la participation des citoyens à
travers la représentation parlementaire et locale, de l´autre, par l´existence de droits
privés et de communication garantissant l´autonomie des personnes et des
associations de la société civile. (Cohen et Arato, idem : 460.)
L´articulation de la légitimité démocratique avec les droits fondamentaux, dans
le sens de l´éthique discursive, implique donc une pluralité de démocraties, pour
laquelle la société civile représente un terrain institutionnel qui accroît le potentiel
démocratique de deux façons. D´un côté, sa séparation d´avec l´État et l´économie
permet de définir la démocratie et la démocratisation selon les logiques respectives de
ces sphères institutionnelles ; de l´autre, les structures du pluralisme permettent de
démocratiser la sphère sociale à travers la participation et la publicité des institutions
culturelles et de la communication. (Cohen et Arato, idem : 464.)
Cette proposition présente cependant certaines limites. Tout d´abord, elle
repose sur une prémisse non démontrable, à savoir l´homogénéité de la société civile.
Si l´on peut admettre que toute société se fonde sur une identité commune, il n´en va
pas de même pour la société civile, sauf à réduire la notion d´identité à une simple
communauté de langage. On a vu, par exemple, que l´écologisme est traversé par des
tendances plus ou moins irréductibles, qui l´empêchent en général de dépasser un
degré de consensus relativement faible et, a fortiori, de développer une argumentation
unique face à l´État et au marché – notamment pour définir le développement durable.
Qui plus est, dans les sociétés multiculturelles ou pluriethniques, telles que les sociétés
des pays andins, le pluralisme est plus souvent un facteur de divisions qu´un vecteur
de convergences, qui se répercute également sur les relations avec la société politique
et l´économie.
En deuxième lieu, Cohen et Arato s´appuient sur une représentation idéale de
la société civile, qui prête à celle-ci des vertus improbables. La société civile n´est pas
démocratique en soi, pas plus qu´elle n´a vocation à être un agent de démocratisation
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Observatorio Socio Ambiental de la FLACSO – Working Paper No 020 – 2009/05
en soi. Elle obéit plus couramment à des logiques corporatives et n´échappe ni aux
conflits d´intérêts de certains de ses membres, ni aux risques de manipulation par des
acteurs hégémoniques. Par conséquent, en dehors de certains secteurs elle ne saurait
incarner une volonté de démocratisation, ni même représenter une garantie pour la
démocratie. Tel est, sans doute, le cas des mouvements de défense des droits de
l´homme ou des droits civiques, voire des mouvements féministes. C´est moins évident
pour les mouvements écologistes et pan-ethniques.
En outre, l´éthique discursive n´est pas une éthique pratique mais une théorie
soucieuse du fondement de la légitimité des normes sociales. Les principes U et D, au
fondement de la légitimité démocratique et des droits fondamentaux, ne sont pas
applicables empiriquement à l´ensemble d´une société. Il faudrait en effet que toutes
les parties présentes parviennent à un consensus minimal – qui peut être la diversité
ou le pluralisme – et reconnaissent mutuellement la prétention de validité de leurs
discours. Or dans le cas des conflits environnementaux, ce n´est pas toujours le cas,
notamment dans ceux qui mettent au prises des entreprises pétrolières et des
communautés autochtones défendant un territoire ancestral. Tous les conflits sociaux
ne débouchent pas sur des arrangements institutionnels, par conséquent, ils ne
contribuent pas forcément à la stabilisation du système social ni à la démocratisation
de la société.
Finalement, la prétention de concilier démocratie représentative et démocratie
directe à travers la société civile n´échappe pas aux critiques formulées à l´encontre de
la seconde. D´une part, la complexité des processus de prise de décision dans les
sociétés modernes est telle, qu´elle restreint considérablement le domaine de la
participation directe des citoyens. D´autre part, la question de la représentation des
intérêts ne saurait être résolue par la multiplication des participants ni des canaux de
communication, sans poser un problème de viabilité des processus et des décisions.
Enfin, dans des contextes de confrontation extrême, tels que certains conflits
environnementaux, elle aboutit au mieux à des situations irréversibles de blocage, au
pire à l´irruption de la violence entre les parties adverses.
Cela nous conduit à revoir le rôle de la société civile dans l´espace public de
formation d´opinion politique et de volonté, comme un rôle délibératif, et non
démocratisant.
1.2.3. L´institutionnalisation des arrangements issus des conflits
environnementaux
Le rôle de la société civile dans l´espace public
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Observatorio Socio Ambiental de la FLACSO – Working Paper No 020 – 2009/05
Certes, la légitimité des décisions de caractère contraignant, prises au sein de
l´État, dépend de processus plus ou moins spontanés, qui se développent à sa
périphérie et conduisent à la formation d´opinion et de volonté politique (l´opinion
publique). Néanmoins, ces processus dépendent autant des attentes de l´opinion
publique et de l´ancrage social des espaces où ils se développent, que de structures
du « monde de la vie » qui échappent partiellement à l´intervention administrative ainsi
qu´à la régulation politique et juridique. Par conséquent, la société civile ne saurait être
placée au centre de la politique mais au cœur de l´interaction entre le public et le privé.
En redéfinissant le rôle de la société civile en termes d´influence et de lien entre
« le monde de la vie » et le système socio-économique qui structure les relations
sociales, on peut redéfinir le contenu de la démocratie représentative sans la substituer
par la démocratie directe. Tel est le sens de la « politique délibérative », qui combine
les principes U et D de l´éthique discursive, avec les procédures démocratiques
participatives. Ce faisant, la politique délibérative prétend de dépasser le clivage
irréductible entre les conceptions libérales et républicaines de la démocratie, entre la
« liberté des modernes » (qui repose sur un compromis entre intérêts et où la formation
de l´opinion et la volonté politique est un moyen pour la société de garantir le bien
commun) et la « liberté des anciens » (qui repose sur l´auto-compréhension éthicopolitique et où la formation de l´opinion et la volonté politique est un moyen pour la
société de se constituer en un ensemble politiquement structuré). (Habermas, 1998 :
372.)
L´éthique discursive part de la prémisse selon laquelle l´action orientée à la
compréhension mutuelle est la procédure idéale pour la délibération et la prise de
décision. Elle établit une connexion interne entre les considérations pragmatiques, les
compromis, les discours de compréhension et de justice, ce qui conduit à un
fondement rationnel de l´équité. L´effet produit sur l´opinion publique par ces
interactions, dépend de l´institutionnalisation des procédures et des délibérations
institutionnalisées, mais de façon générale il s´agit d´un modèle de société décentrée,
où l´intersubjectivité d´ordre supérieur est régie par les processus de compréhension à
travers les procédures démocratiques ou les réseaux de communication des espaces
publics politiques. (Habermas, idem : 373-375.)
Les résolutions législatives exercent une influence sur l´espace de l´opinion
publique et contribuent à convertir le pouvoir généré par la communication en pouvoir
utilisable administrativement à travers l´activité législative. La société civile constitue
ainsi la base sociale d´espaces publics autonomes, différents de la société
économique et de l´administration publique, contribuant au déplacement de la relation
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Observatorio Socio Ambiental de la FLACSO – Working Paper No 020 – 2009/05
entre le savoir, le pouvoir et la solidarité. En effet, la formation démocratique de volonté
politique constitue une étape de la rationalisation des décisions administratives et de
gouvernement, liée au droit et à la loi, qui contribue à la légitimation et à l´exercice de
la souveraineté populaire. (Habermas, idem : 376.)
La politique délibérative associe en fait deux types de procédures : d´un côté
des procédures démocratiques formelles, qui structurent la formation de l´opinion et la
volonté politique à des fins de coopération pour des problèmes pratiques ; de l´autre
des processus informels associant les « publics faibles » de Fraser (1992) tels que les
minorités ethniques, les groupes non-représentés politiquement, dans des processus
de formation d´opinion et de volonté déconnectés de la prise de décision et de
décision. Dans le premier cas, l´espace public est structuré comme contexte de
justification (Parlement) et dépend du contexte de découverte (espace public nonrégulé, formé par l´ensemble des citoyens) ; dans le second, il s´agit d´un réseau
ouvert et inclusif d´espaces publics culturels aux limites temporelles, sociales et
objectives fluides. L´espace public informel est le plus exposé aux effets de la
répression et d´exclusion, fruits de la distribution inégale du pouvoir social, au pouvoir
structuré et à la communication systématiquement altérée. Mais il est le lieu de
communication sans restrictions, qui permet l´expression de nouveaux problèmes, de
discours d´auto-compréhension plus expressifs et extensifs, ainsi qu´une articulation
des identités collectives et une interprétation des nécessités plus spontanées.
(Habermas, Op. Cit. : 385.)
En fin de compte, l´association des processus de formation informelle d´opinion
et de volonté politique avec ceux de la communication régulée par les procédures
démocratiques permet d´associer l´opinion publique aux délibérations orientées vers la
prise de décision, tout en prenant la mesure de la complexité sociale. C´est ici que la
société civile joue un rôle déterminant dans la légitimation des normes et du droit
positif.
Les associations qui composent la société civile représentent des groupes
d´intérêt clairement définis, certaines à desseins politiques et partisans, d´autres,
d´inspiration culturelle ou d´utilité publique, d´autres encore d´obédience religieuse, qui
exercent un pouvoir de communication généré démocratiquement, face à l´aspiration
d´autonomie du pouvoir administratif et du pouvoir social. (Habermas, idem : 438.) Le
rôle de ces associations est d´identifier et de thématiser les problèmes latents
d´intégration de la société et de les introduire dans le système politique,
d´institutionnaliser les discours solutionneurs de problèmes, qui concernent des
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Observatorio Socio Ambiental de la FLACSO – Working Paper No 020 – 2009/05
questions d´intérêt général, dans le cadre d´espaces publics plus ou moins organisés.
(Habermas, idem : 447.) Ainsi, les acteurs de la société civile opèrent un lien entre « le
monde de la vie » et le système socio-économique qui structure les relations sociales.
Trois conditions sont nécessaires à l´exercice de cette fonction. Il faut d´abord
qu´il existe un « monde de la vie » déjà rationalisé, pour éviter que surgissent des
mouvements défensifs anti-démocratiques, angoissés par la modernisation capitaliste.
Ensuite, la société civile ne peut exercer qu´une influence (et non le pouvoir politique),
pour générer des débats dans les institutions démocratiquement structurées de la
formation de l´opinion. Enfin, elle doit s´auto-délimiter pour se transformer directement
et opérer indirectement sur la transformation du système politique structuré de l´État de
droit : ni au plan conceptuel, ni au plan politique elle ne saurait occuper le lieu d´un
sujet historique dont la mission serait à la fois de placer l´ensemble de la société sous
son contrôle et d´agir légitimement en son nom. (Habermas, idem : 452-453.)
L´espace social où se forme l´opinion publique est généré par l´« agir
communicationnel », c´est-à-dire une action rationnelle orientée par la prétention de
validité des discours et la compréhension réciproque entre les membres d´une société.
Dans les sociétés complexes, cet espace s´insère dans un enchevêtrement (ou un
réseau) d´espaces culturels, internationaux, nationaux, régionaux, municipaux,
perméables les uns par rapport aux autres, pourvus d´un potentiel d´autotransformation, ce qui donne lieu à une communication dont la complexité, les
contenus et la densité sont variables selon les contextes.
Les acteurs y jouent des rôles différents, selon leur degré d´autonomie. Ainsi
les acteurs collectifs (partis et grands groupes d´intérêt), les groupes identitaires et les
mouvements sociaux peuvent exercer leurs droits de communication contre la
répression et l´exclusion, tandis que les publicistes (médias) luttent pour la
dépolitisation de la communication publique, la liberté de la presse et l´autocompréhension éthique du journalisme. De même, la détermination des thèmes à
l´agenda dépend de l´origine des acteurs. L´initiative, à cet égard, donnera une
direction particulière à la communication, selon si elle est prise par des dirigeants
politiques ou par des forces externes au système politique. Selon le cas, elle orientera
les débats, soit vers le gouvernement ou l´administration, soit vers la pression de
l´opinion publique.
Nous sommes désormais en condition de caractériser les logiques rationnelles
et les interactions à l´œuvre dans les conflits environnementaux.
Les acteurs en conflits et leurs logiques rationnelles
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Observatorio Socio Ambiental de la FLACSO – Working Paper No 020 – 2009/05
Dans un État de droit, la sphère publique se divise en deux grands espaces : le
système institutionnel et la société civile. Entre ceux-ci circulent des informations et
des idées grâce à la presse et aux médias audiovisuels ou encore grâce aux réseaux
de communication alternatifs comme l´Internet. Cependant, la fonction communicative
de chaque espace est différente. D´un côté, la société civile traite et organise les
nécessités exprimées par la société dans son ensemble ; de l´autre, le système
institutionnel délibère sur les décisions prises par les acteurs politiques (par exemple
dans l´enceinte du Congrès ou du Parlement National). Lorsqu´elles répondent
exactement aux nécessités exprimées, les décisions prises peuvent être validées ;
dans le cas contraire, des désaccords voire des conflits peuvent surgir. Cette situation
est celle qui mène aux conflits environnementaux, en particulier ceux liés aux activités
pétrolières.
Dans ces conflits, on observe que la complémentarité entre système
institutionnel et société civile reflète l´opposition de quatre champs structurels. D´une
part, le système institutionnel articule le champ politique et le champ économique ; de
l´autre, la société civile articule le champ social et le champ éthique. Chacun est le lieu
privilégié de l´action d´un acteur stratégique, qui entre en relation avec les autres, non
seulement durant le conflit mais aussi après. En ce sens, l´institutionnalisation des
accords influence la résolution durable du conflit.
Le champ politique est traditionnellement le lieu de la structuration de l´État ; le
champ économique est celui des entreprises publiques et privées, nationales ou
multinationales. D´autre part, dans le champ éthique s´enracinent les communautés
autochtones et paysannes ; et dans le champ social se structurent les organisations
sociales ou non-gouvernementales (ONG). Chaque acteur stratégique ainsi identifié
agit en fonction d´une rationalité propre, qui conditionne sa vision du monde (en termes
de situation, altérité, etc.), ses valeurs morales (le bien, le juste, etc.) et ses demandes
(à partir des nécessités et intérêts).
L´État suit une logique d´action rationnelle de type bureaucratique, dans le sens
donné par Weber (Op. Cit.), d´un type de domination dont la légitimité repose sur le
monopole de la force et la médiation institutionnelle des relations interpersonnelles.
Cette logique ordonne et régule les conduites, à la fois entre les secteurs de l´État et
entre ces derniers et le reste de la société (acteurs sociaux et économiques, système
de partis) et même entre l´État et les États d´autres pays.
Les
entreprises
suivent
une
logique
d´accumulation,
qui
poursuit
la
maximisation des bénéfices et la minimisation des coûts. De même que la logique
bureaucratique, celle-ci régule les relations entre les acteurs mais cette fois la légitimité
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Observatorio Socio Ambiental de la FLACSO – Working Paper No 020 – 2009/05
du pouvoir repose sur un contrat. Ainsi, les entreprises rendent compte devant un
directoire ou une assemblée d´actionnaires de leurs décisions d´investissements ou de
politique corporative.
Les communautés obéissent à une logique rationnelle éthique, qui poursuit la
défense d´une identité collective. Cette logique régule les relations interpersonnelles –
directes et indirectes – fondée sur la parentèle, la religion, la langue, etc. Elle soutient
en outre la médiatisation croissante du pouvoir, par les us et coutumes, puis par le
droit positif.
Les organisations sociales et les ONG suivent une logique de mouvement
social, qui organise les actions en fonction des objectifs et fins politiques. Cette logique
régule les relations entre la communauté ou l´individu d´une part, et les acteurs du
système institutionnel ou le marché de l´autre. Il s´agit donc de fonder l´action
collective grâce à l´information, la mobilisation, la manifestation, etc.
L´institutionnalisation des accords à l´issue d´un conflit environnemental n´est
possible que si les enjeux du conflit sont cohérents avec les logiques d´action
rationnelle des acteurs. Celle-ci s´exprime à travers la formulation d´un projet que le
conflit met en évidence, soit au niveau du discours, soit au niveau des actions
entreprises par les protagonistes. Ce projet peut être, par exemple, l´amélioration de la
gestion de l´environnement d´une entreprise et de la politique écologique de l´État,
comme on le verra plus loin, au sujet de la gouvernance environnementale.
Ainsi, deux acteurs poursuivent un projet de long terme : le projet de l´État
s´exprime couramment en termes d´unité de l´État-nation et du territoire national ; celui
des communautés fait référence à la défense d´un style de vie particulier, associé à
une identité et un espace de vie (habitat ou territoire). Deux acteurs poursuivent des
projets de court et moyen termes : le projet des entreprises consiste a priori à
maximiser leur profits au moindre coût, à travers l´investissement ; celui des
organisations consiste en augmenter la participation et l´influence de la société civile
dans les processus de prise de décision des acteurs de l´État et du marché.
Le décalage qui peut surgir entre la portée temporelle des interactions dans le
conflit environnemental se traduisent par des enjeux distincts du conflit et de sa
conclusion, pour chaque acteur. Pour l´État, l´enjeu majeur est de consolider ou créer
les conditions optimales de la gouvernance démocratique ; alors que pour les
communautés, l´enjeu principal de ces conflits est la longévité à travers les
générations. Pour les entreprises, il s´agit de parvenir à une plus grande responsabilité
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Observatorio Socio Ambiental de la FLACSO – Working Paper No 020 – 2009/05
sociale et écologique ; tandis que pour les organisations il s´agit d´augmenter les
espaces et les processus de consultation et de participation.
Une fois reconnues les logiques d´action rationnelle qui orientent les acteurs, il
devient plus facile de comprendre comment ces derniers entrent en interaction avec
les autres dans les quatre champs identifiés comme les dimensions structurelles du
conflit environnemental. Le point de départ de l´analyse de ces interactions est l´enjeu
qui motive l´institutionnalisation des accords. Ensuite, il faut identifier les dimensions
interactives entre les champs, dans lesquelles les acteurs s´affrontent ou s´allient.
Pour les communautés, c´est la défense d´une identité et d´un style de vie
particulier, qui constitue le noyau de sens du champ éthique. Or, celles-ci font face à
des processus d´échange inégal ou d´intégration accélérée au marché, qui peuvent les
affaiblir s´ils ne sont pas canalisés dans le sens d´un développement contrôlé. Dès
lors, elles cherchent à se renforcer à travers un processus d´organisation qui leur
permet de traiter leur demandes de manière directe ou indirecte – soit à travers leurs
organisations représentatives, soit en ayant recours à la médiation d´organisations
non-gouvernementales locales, nationales ou internationales. Elles s´appuient sur les
droits et devoirs reconnus par la Constitution politique, tels que le droit à la consultation
préalable et à la participation, le droit à vivre dans un environnement sain et libre de
pollution, ou encore le devoir de l´État de reconnaître et protéger la diversité culturelle
et ethnique.
De leur côté, les organisations sociales et non-gouvernementales trouvent le
noyau de sens de leur action dans la participation et l´influence. Elles recherchent la
légitimité face aux communautés, en défendant l´équité et la justice, qui constitue la
dimension éthique du champ social. Pour ce faire, elles interpellent l´État pour
conquérir de nouveaux droits ou approfondir l´application des droits existants, ce qui
est connu comme l´« exigibilité » des droits et va souvent de paire avec des actions
d´incidence politique. Pour cela, elles s´appuient sur le conseil technique et la
professionnalisation de leurs membres, ce qui les rapproche des acteurs économiques,
bien qu´il s´agisse d´organisations à but non-lucratif.
Face aux communautés et aux organisations, les entreprises défendent un
projet d´accumulation des capitaux. Néanmoins, la gestion corporative se heurte de
plus en plus aux nécessités du développement durable, qui impliquent de nouvelles
responsabilités et constituent en ce sens la dimension éthique du champ économique
dans les conflits environnementaux. Elles doivent rendre compte des impacts sociaux
et écologiques que génèrent leurs activités, qui sont souvent dénoncés par les
organisations sociales et non-gouvernementales dans le champ social. Suite à ces
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Observatorio Socio Ambiental de la FLACSO – Working Paper No 020 – 2009/05
pressions, elles doivent obéir à des régulations sociales et écologiques de plus en plus
contraignantes – de niveau national ou international – qui s´ajoutent aux modalités déjà
connues de la globalisation (lutte pour la conquête de marchés et la compétitivité, aux
prises avec des acteurs transnationaux, etc.).
Finalement, la gouvernance démocratique peut être identifiée comme le noyau
de sens de l´action de l´État dans les conflits environnementaux. Au plan économique,
ce dernier fait face à la pression externe que représentent le poids de la dette publique
et l´exacerbation des effets de la mondialisation, en particulier les processus
d´intégration commerciale régionale. Au plan social, le principal défi que posent les
conflits environnementaux et leur résolution durable et équitable est la complexité
croissante des mécanismes de reddition de comptes (verticale et horizontale). Mais
c´est au plan éthique que l´institutionnalisation des accords trouve toute son
importance pour l´État, puisqu´il s´agit de renforcer la légitimité de ses actions et de
ses décisions, au-delà des modalités de la démocratie représentative.
Conclusion
La nature des relations entre les acteurs sociaux et le système institutionnel
dépend de la corrélation entre les décisions prises dans la sphère publique et les
nécessités exprimées dans la sphère privée. Ces relations se caractérisent par des flux
continus d´informations et d´idées, qui influencent la formation de l´opinion publique,
soit par la presse et l´industrie audiovisuelle, soit par des formes alternatives de
diffusion telles que l´Internet ou les bulletins associatifs électroniques. D´autre part, le
processus légitime de prise de décisions, qui vient du système institutionnel, passe par
les délibérations dans la sphère publique, en particulier par le pouvoir législatif. De son
côté, la société civile traite et organise les nécessités et les demandes formulées par la
population au niveau local, pour les transmettre ensuite au système institutionnel, à
travers les partis politiques, ou directement, à travers l´action collective.
Enfin, les relations entre l´État, la société civile, les communautés locales et les
entreprises, ainsi que l´institutionnalisation des accords se définissent par rapport au
projet central de chaque acteur. Ainsi, le projet central de l´État de garantir l´unité de la
nation et un niveau satisfaisant de développement économique doit compter avec le
projet central des entreprises, qui défend la liberté d´investissement et la sécurité
juridique des contrats. D´autre part, cette interaction doit s´accorder avec le projet
central des communautés locales affectées par les projets d´extraction, c´est-à-dire la
défense du « droit à la vie » grâce à des identités et des styles de vie particuliers. A
son tour, cette harmonisation doit coïncider avec le projet central des mouvements
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Observatorio Socio Ambiental de la FLACSO – Working Paper No 020 – 2009/05
écologistes, paysans ou autochtones, de mettre en œuvre un modèle de
développement équitable, grâce à des mécanismes de consultation et de participation.
1.3. Conclusion
Nous avons montré que les modalités de l´institutionnalisation des accords
issus des conflits environnementaux sont définies par des interactions entre acteurs
évoluant dans des champs d´action et selon des logiques distinctes. Or, même dans
les cas d´extrême polarisation, tout conflit qui survient dans un État de droit peut être
traité dans la sphère publique (régulée ou non) et donner lieu à une solution
démocratique et durable. C´est ici que s´articule la gouvernance environnementale
avec la gouvernance démocratique, comme nous le verrons dans le chapitre suivant.
De façon opérationnelle et provisoire, on peut définir la gouvernance démocratique
comme le processus d´institutionnalisation des interactions entre ces trois secteurs –
social, économique et politique – par le recours à des instruments et des institutions
démocratiques.
Bibliographie citée
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