La violence verbale esthétisée et sa dimension interculturelle

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Publié dans :
Mankou, Brice (éd.), Racisme, discriminations : sources de violences urbaines. Paris : Publibook,
2008, pp. 35-58.
Frank Jablonka (Beauvais/Amiens)
La violence verbale esthétisée et sa dimension
interculturelle
La sous-culture des banlieues françaises, au sein de laquelle émerge le phénomène que nous
appelons « violence urbaine », fait l’objet de nombreuses études notamment ethnologiques (cf. en
particulier Lepoutre 1997) ; elle intéresse également, et notamment, la sociolinguistique (cf. en
particulier Melliani 2000, 2001, ainsi que Jablonka 2001a, 2001b, 2002). En tant que sociolinguiste,
je souhaite apporter quelques réflexions qui s’inscrivent dans une théorie critique de la société du
point de vue des sciences du langage et de la communication, ce qui apparaît habituellement en
sciences sociales sous le label de Linguistic Turn.1
En effet, ce caractère de la sous-culture de banlieue, de faire à la fois partie intégrante de la société
française tout en s’opposant à celle-ci, a été formulé par moi-même (Jablonka 2001a : 165) et par F.
Melliani (2001) par la métaphore d’« opposition inclusive », qui s’inspire de la linguistique
structurale. Mais le Linguistic Turn en sciences sociales, appliqué à la problématique de la sousculture banlieusarde, est loin de se limiter au pur niveau métaphorique.
1. Il faut, bien sûr, dans un premier temps, constater la tendance à se démarquer par le
comportement symbolique verbal et non verbal (dont les productions culturelles et plus précisément
musicales) du domaine socioculturel majoritaire établi. La démarcation symbolique reflète la
frontière, certes poreuse, entre la cité de banlieue périphérique et la cité (civitas) dite légitime du
centre(-ville).2
1Pour la mise en œuvre du programme de l’analyse critique de la société du point de vue du langage, ici par
rapport à la sous-culture urbaine émergente, cf. Calvet (1994).
2J’ai développé la différence entre ces deux notions de cité – pourtant liées – dans Jablonka (2002). La
1.1. Il est évident que les questions de religion jouent un rôle non négligeable dans des opérations
de démarcation symbolique (Kepel 1991 ; pour le rap Jablonka 2004), et en général, on peut
constater que le recours à toutes sortes de mythologies est assez fréquent (mythologie du Nord, cf.
Lepoutre 1997 : 50 ss. ; la mythologie de l’Egypte liée à l’Islam chez IAM, cf. Herr/Ueckmann
2005). Ce qui est plus intéressant à notre propos, c’est le constat que le premier trait qui relève de
l’ordre mythologique dans la problématique de la sous-culture des banlieues peut être considéré non
comme islamique, mais comme diabolique. D’après le champion de la théorie des systèmes en
sociologie, Niklas Luhmann (1996 : 201), il serait propre du Diable (le verbe grec diabolein
exprime l’idée de briser une unité dans son intérieur et d’en séparer les éléments), de vouloir tracer
une ligne de démarcation dans une unité contre cette même unité. Selon Luhmann, les mouvements
sociaux partagent avec Satan cette opération : ces mouvements prétendent agir contre la société
dans l’intérêt de la société, et tout cela à l’intérieur de la société. Dans le même sens, la sousculture de banlieue est depuis un certain temps une partie intégrante du panorama de la société
française, tout en s’opposant à celle-ci, mais dans les termes des valeurs de la République : on
réclame, bien sûr, la reconnaissance dans les termes d’Egalité (et bien sûr aussi de Liberté et de
Fraternité), et ce n’est que dans la mesure où les intéressés se voient cette reconnaissance refusée,3 à
savoir par des mécanismes en grande partie impersonnelles et anonymes que nous caractérisons par
le terme de « violence structurelle »4 que la réaction se manifeste sous des formes de contreviolence, notamment sous forme symbolique.
C’est en effet dans ce sens que l’approche sociologique de Michel Maffesoli (2002) proposée dans
l’ouvrage La part du Diable peut être appliquée. Maffesoli souligne l’« effervescence » dionysiaque
et contestataire qui défie les structures établies et qui s’oppose à la prétention hégémonique de
celles-ci ; on s’« éclate » (Maffesoli 2002 : 120, 197) – en-deça et au-delà des conseils bienveillants
valeur poétique du morceau La cité (se) de Yazid (album Je suis l’Arabe) vit de ce double sens : « La cité /
Malgré sa violence est autre chose, mais elle n’a droit de cité que lorsqu’elle s’embrase ».
3Sur le caractère plus formel que réel de l’application des valeurs de la république cf. Kimminich (2006 :
528 s.) ; en effet, l’application de ces valeurs à part entière vis-à-vis des groupes d’immigrés est l’un des
principaux enjeux du rap et s’articule notamment sur la compilation 11’30 contre les lois racistes : « La
chasse à l’immigré. Et n’oublie pas tous les décrets et circulaires. Nous ne pardonnerons jamais la barbarie
de leurs lois inhumaines. / Un état raciste ne peut créer que des lois racistes. / Alors, assez de l’anti-racisme
folklorique et bon enfant dans l’euphorie des jours de fête. / Régularisation immédiate de tous les immigrés
sans papiers et de leurs familles. / Abrogation de toutes les lois racistes régissant le séjour des immigrés en
France. / Nous revendiquons l’émancipation de tous les exploités de ce pays, / Qu’ils soient Français ou
immigrés. »
4Pour ce terme cf. Ferréol (2004 : 344). La violence structurelle a pour origine une domination
socioéconomique et se répercute au niveau interindividuel, entre autres, sous forme de violence verbale et
d’autres formes de violence symbolique. Par celle-ci s’exprimerait l’emprise culturelle de la classe
dominante qui impose ses savoirs, goûts et « bonnes manières » aux classes subalternes. Ces dernières
peuvent toutefois, bien sûr, réagir de leur côté par des stratégies des contre-violence verbale ou généralement
symbolique.
de travailleurs sociaux bien-pensants (cf. ibid., p. 13) – dans un éclatement émancipatoire : pour
briser le carcan de contraintes et d’aliénation sous lequel le sujet étouffe.5 « La vraie vie est partout
sauf dans les institutions. » (Maffesoli 2003 : 18) L’argumentation néomarxiste de Michael Hardt et
d’Antonio Negri (2004) dans leur ouvrage Multitude va dans le même sens : le nouveau sujet
révolutionnaire serait la masse des défavorisés (« the poors ») au sein de laquelle les migrants
joueraient un rôle clé d’avant-garde. Il est intéressant que ces deux auteurs (ibid., pp. 138-140)
rapprochent également ce sujet révolutionnaire du Diable, en raison de ce qu’on pourrait appeler
son « uni-pluralité »6 : le Diable s’identifie en affirmant : « Je suis légion », donc singularité et
pluralité à la fois. La Multitude serait dangereuse au pouvoir hégémonique7 établi parce qu’il
partagerait avec le Diable ce trait ambivalent. Or, il se trouve curieusement que les jeunes sujets
semblent partager cette attitude (cf. Jablonka 2001a : 163 s.) : dans des interviews avec des
collégiens, on trouve des affirmation du type « La téci est shatan » ou « Lui (Le caïd = chef d’une
bande de dealers) est shatan. », mais en même temps, ils trouvent cela « bien » que cet attribut
revienne à leur quartier. En même temps, il semblerait que la référence à l’Islam, ne serait-ce qu’en
creux, par réaction ou ex negativo soit très fréquemment au moins virtuellement présente (Billiez
1993 : 118) dans la sous-culture banlieusarde. Il s’avère donc une curieuse sorte d’oscillation
ambivalente entre un pôle « noir », « diabolique », et un pôle « pieux » avec la référence islamique
au centre. En effet, chez Hardt et Negri, nous trouvons à côté du caractère « diabolique » de la
Multitude potentiellement révolutionnaire aussi des références théologiques (en l’occurrence dans la
tradition judéo-chrétienne, non islamique8) ; les deux auteurs projettent en effet la mission de
libération universelle sur cette « classe » (s’agit-il véritablement d’une classe ?) bigarrée : « both
God’s love of humanity and humanity’s love of God are expressed and incarnated in the common
material political project of the multitude. We need to recover today this material and political sense
of love, a love as strong as death. […] love serves as the basis for our political projects in common
5Cf. dans la même intention aussi Hannah Arendt (1972 : 71) : « ‘l’homme vertueux’ ne se confond
nullement ici avec le ‘bon citoyen’ […]. Les hommes de vertu et de courage ne se révèlent que dans les
circonstances critiques ».
6Terme qui s’inspire de celui d’« unidualité», proposé par E. Morin (1986 : 171 ss.).
7Pour le concept d’hégémonie, reformulé à partir de Gramsci dans le paradigme méthodologique de
l’analyse du discours, cf. Laclau/Mouffe (2001), « discourse theory conceives society as a symbolic order in
which social antagonisms and structural crises cannot be reduced to essential class cores determinated by
economic processes and relations. It also implies that all ideological elements in a discursive field are
contingent, rather than fixed by a class essence, and that there is no fundamental social agency or political
project that determines processes of historical change in a a priori fashion. Instead, discourse theory puts
forward an alternative conceptual framework built around the primacy of political concepts and logics such
as hegemony, antagonism and dislocation. » (Howarth/Stavrakakis 2000 : 5 s.) Cette approche se prête à la
prise en compte de l’intégration de l’imaginaire et conjointement d’éléments mythiques dans la constitution
symbolico-discursive d’hégémonies (cf. Norval 2000). Cf. également Torfing (2003 : 115, 129 s., 151 et
passim).
8Contrairement à Luhmann (1996 : 210), où nous trouvons une référence explicite au soufisme.
and the construction of a new society. » (Hardt/Negri 2004 : 351 s.)
1.2. Nous trouvons la même idée dans le morceau de rap de Passi « Les flammes du mal »9 – « Le
sang et le feu sont réclamés par la foule / Sur le bitume l’engrenage se déroule / Foutre le da’wa,
niquer le hala / Les flammes de l’enfer vu que le paradis n’est pas ». Dans le titre, nous trouvons
une référence à la mythologie religieuse – dans le discours islamique : la Géhenne – mais
rapprochée ici d’un motif religieux, de la da’wa, c’est-à-dire l’activité pieuse qui a pour but
d’amener autrui à se convertir à l’Islam.10 Ici, ce terme est resémantisé, le sens s’est inversé, et les
valeurs morales sont renversées à leur tour – on serait tenté de parler d’une « transmutation des
valeurs » au sens nietzschéen : le motif à charge symbolique religieux réémerge au sens de chaos,
émeute, vandalisme, mais dans un esprit de règlement de compte purificateur et cathartique, d’un
dies irae.11 Il est très fréquent que dans le jargon jeune de banlieue, les expressions perdent leur sens
initial et s’intègrent dans une nouvelle variété argotique du français seulement parce que l’arabité
sert à marquer l’inadaptation aux règles établies (par ex. wesh – de l’interrogatif à formule de
salutation). De même, hala, qui signifie dans l’expression ya hala de l’arabe standard ‘bienvenue’,
et qui, d’après le Dico du Doc (Doc Gynéco 2002 : 89) signifie en arabe dialectal algérien ‘la fête’,
est resémantisé au sens de ‘faire la fête à quelqu’un’ – donc ‘semer la pagaille’, ‘semer l’émeute’.
Nous retrouvons donc manifestement dans l’imaginaire jeune de banlieue la même oscillation entre
le Bien et le Mal que nous avons relevée, précisément par rapport à la violence urbaine, dans la
théorie ; comme nous le voyons, ce rapport à la violence se prête à l’esthétisation, voire à la
commercialisation (cf. par. 6). Soulignons que cette oscillation est une configuration symbolique
polaire : les deux termes antagonistes ne s’excluent pas mutuellement, mais sont complémentaires :
il s’agit d’une structure polaire. Pour Maffesoli (2002 : 23), cette polarité caractérise l’un des points
forts de notre condition postmoderne : « la liaison organique du bien et du mal. Etonnant paradoxe,
c’est en acceptant le mal, sous ses diverses modulations, que l’on peut trouver une certaine joie de
vivre. »
1.3. La même ambivalence polaire peut être constatée par rapport au discours biface du feu qui
commence dès le titre du morceau cité de Passi : la référence à Méphisto dans le deuxième vers ne
laisse aucun doute qu’il s’agisse effectivement des flammes du Mal ; ceci n’empêche nullement que
le pôle opposé soit également présent – au contraire, il en exige la présence : « dansez, ce soir
9Le texte peut être consulté en ligne sous http://www.paroles.net/chansons/24259.htm. On trouves des
variantes sur d’autres sites.
10Queffélec (s.a. : 4) cite daâwa au sens de ‘appel à l’islam’ (et dans ce but prêcher la bonne parole).
11Selon Doc Gynéco (2002 : 62), cette duplicité sémantique s’expliquerait de par le sens de ‘provocation’
« en arabe dit classique ». Loin de contester cette entrée lexicographique, nous nous permettons néanmoins
de rappeler que la véritable autorité du Doc se situe sans doute dans des domaines autres que la
sociosémantique historique.
Méphisto à la côte, miséricorde à ceux qui vont en profiter ». La présence de Méphisto entraîne
évidemment, comme le nom l’indique, des signaux olfactifs ; ceux-ci renvoient connotativement au
feu des enfers qui, quant à lui, est rapproché de la da’wa, dont l’ambivalence polaire a été discutée
dans le par. 1.2. (vers 13 : « ça sent le soufre et la da’wa »). Ceci cadre par ailleurs tout-à-fait avec
l’ambivalence inhérente à Méphisto12 lui-même. Du point de vue symbolique, il est important de
renvoyer dans ce contexte à l’analyse du feu effectuée par Bachelard (1949) du point de vue
psychanalytique : selon cette approche, le feu est doté d’un caractère biface, dans la mesure où il
apporte à la fois la bénédiction et la damnation : « Parmi tous les phénomènes, il est vraiment le
seul qui puisse recevoir aussi nettement les deux valorisations contraires : le bien et le mal. Il brille
au Paradis. Il brûle à l’Enfer. Il est douceur et torture. Il est cuisine et apocalypse. » (Ibid., p. 23.)
On ne s’étonnera donc pas que dans le morceau de Passi, l’effet bénéfique du feu soit également
présent (« On fait appel à la flamme pour calmer les âmes ») ; dans l’avant-dernier vers apparaît
enfin, ne serait-ce que de façon ironique, la dimension spirituelle du feu soulignée par Bachelard
(« esprits brûlants »). Cette dimension est liée à des notions de lutte de classe prolétaire (« Le
prolétaire du PMU fonce-dé au rouge va te viser »), dans une attitude libératrice de l’oppression de
laquelle la dimension puisant dans le fonds imaginaire islamique (déjà relevée dans la présence de
la da’wa) n’est pas étrangère, du fait de la projection du Mal, en l’occurrence de l’ennemi
représenté par les forces de l’ordre, sur le concept de « porc » (« Des Bombes, CRS, des militaires,
‘A mort les porcs’ en décor sur les murs dehors »). Nous constatons en effet la présence de la force
« volcanique » archétypique à laquelle Hannah Arendt (1972 : 133) fait référence, en citant Sartre,
mais dans un but émancipatoire, libérateur, et en dernière instance humaniste.
1.4. Cette perspective humaniste et libératrice qui est propre aux impulsions dionysiaques
archétypiques rejoint l’approche de Negri et de Hardt dans leur analyse du « travail de Dionysos » :
dans un premier temps (1997 : 6, 120), leur approche marxiste permet à ces deux auteurs de
comparer la société bourgeoise à un sorcier qui perd le pouvoir sur les forces souterraines qu’il a
invoquées. Suite à cette analyse, Negri et Hardt en tirent la conclusion que le moment est venu de
descendre dans ce monde souterrain, afin de saisir la forme subjective et productive des forces qui
ont été déchaînes dans la profondeur des ténèbres (ibid., p. 120). La perspective biopolitique
adoptée par les deux auteurs leur impose d’explorer et de faire exploser la « bête sauvage » des
fortes émotions de la subjectivité vivante, ligotée jusque là en raison du dressage institutionnel dans
les appareils idéologiques, de retourner par voie subversive ces mêmes puissantes énergies
affectives contre les dits appareils idéologiques (ibid., p. 74).
12D’après Maffesoli (2002 : 241), l’étymologie de Méphistophélès est à la fois motivée par lat. mephistis
‘exhalation infeste’ et grec ophelos ‘puanteur utile’.
2. Suivant Maffesoli (2002 : 36), l’argot et notamment le « verlan » relèvent de la « part du diable »,
en inversant non seulement l’ordre des syllabes, mais aussi des mots (cf. Jablonka 2001a, 2001b,
2007).
2.1. Dans le morceau Sans permis je roule de Yazid,13 nous trouvons l’inversion tant des mots ou
bien syntagmes que des syllabes. Quant aux mots respectivement syntagmes, il suffit d’observer le
titre, qui remplace la construction syntaxique ‘sujet + verbe + complément’ « je roule sans permis ».
Dans le refrain, l’inversion des syllabes succède directement à celle des mots / syntagmes : « Le miper pour quoi faire ? » La verlanisation syntaxique et lexico-morphologique est ici composante
d’une technique d’esthétisation de l’infraction et de la transgressivité par la transgressivité
langagière et généralement symbolique, transgressivité qui s’emploie à dire un autre monde (cf.
Jablonka 1998, 2001a, 2001b). L’infraction de normes constitue en germe l’instauration de
nouvelles contre-normes et déstabilise les structures dévolues de la société. Ce travail symbolique
comme activité créative et irrépressible est, comme l’affirment Negri/Hardt (1997 : 74), source de
droit en remettant en cause les lois en vigueur. Il redonne la voix à ceux qui ont été dérobées de leur
destin, de leur responsabilité, de leur affectivité et de leur autonomie, emprisonnés dans une
conscience aliénée construite d’éléments symboliques et discursifs relevant des codes
hégémoniques (cf. Kimminich 2006 : 520).
2.2. Nous rejoignons en ceci de plus l’intention principale de Hardt/Negri (2004 : 357) : la
communication du message : « Un autre monde est possible ! » – un monde autre que celui que
l’ordre établi veut imposer. Il s’agit d’évoquer le kairos, le moment magique où la décision est prise
et où tout devient possible.14 La poétique de l’argot, comme celle de toute langue secrète, et plus
spécialement de l’argot banlieusard avec le verlan, renvoie à une sorte de « sagesse démoniaque »
(Maffesoli 2002 : 36), qui met l’accent sur l’entièreté de l’être, y compris dans ses aspects les plus
effrayants. Je mets l’accent sur cet aspect diabolique du verlan car il permet d’invoquer et
d’évoquer un monde à l’envers – procédé amplement discuté dans Jablonka (2001) – en raison de
son héritage kabbalistique : comme le remarque Maffesoli (2002 : 39) en se référant à
l’archétypologie jungienne, le renversement de lettres (ou, en l’occurrence, de syllables, mots et
syntagmes) est opérée « dans un but diabolique de renverser l’ordre divin et d’établir à la place un
désordre infernal ». Cette « déformation magique des mots » est paradigmatique. Toujours est-il,
nous permettons-nous d’objecter, que ce n’est pas le chaos des ténèbres qui est le principal objectif.
Il s’agit, au contraire, de l’ancien ordre, y compris son fondement métaphysique qui doit être
renversé dans le but de construire un nouvel ordre ; cette activité déconstructive s’inspire d’une
énergie métaphysique dont la source principale est l’islam, qui se marie chez NTM (groupe dont
13Album Je suis l’Arabe.
14Et après lequel tout devient impossible si on le rate …
Yazid est issu) avec des éléments marxisants.15 En effet, les rappeurs, dans la lutte pour
l’hégémonie, ont aussi la fonction gramscienne d’« intellectuels organiques » (Kimminich 2006 :
527), qui éclairent leur public sur leur situation et qui assument ainsi le rôle d’acteurs centraux dans
le changement politique, culturel et social.
2.3. Ces évolutions ont des implications théologiques dont nous ne pouvons pas sous-évaluer la
portée. Dans une perspective jungienne (Jung 1996), il s’agit visiblement de détrôner l’ancien Dieu
irresponsable et incapable de discerner, le Dieu qui représente l’essence de l’ordre social établi, afin
de parvenir à une nouvelle conception de Dieu, ce dernier étant identifié à Allah :16 l’islam est
« jugé » et « condamné » selon les lois de l’ancien ordre qui décline, mais son rayonnement à la
lumière du nouvel ordre s’annonce déjà : « Islam, on te juge, on te condamne, mais l’Islam est pour
l’élévation de l’esprit et de l’âme. Allah houa kbar, rien sur terre ne lui est égal, que ceux qui s’y
opposent soient prêts pour le jugement final. »17 Or, c’est précisément l’œuvre du Diable révolté de
détrôner l’ancien Dieu, acte sans lequel l’intrônisation d’un Dieu plus évolué incarnant un nouvel
ordre serait impossible. Car le passage d’un ordre à l’autre nécessite un combat – dans la
terminologie musulmane : un jihad – contre l’ennemi tant intérieur qu’extérieur ; ce n’est que dans
l’épreuve contre le Diable que le paradis peut être atteint. Et en effet, nous trouvons chez Lunatic :
« J’avoue, sur les prières j’étais radin, faut qu’j’me rattrape et qu’je défonce les portes du Paradis
[…] Les juges ont des cornes et le crime se vend en cornet. » D’autre part, voici le programme de
changement de paradigme : « Issu d’un peuple averti [i.e. les Arabes] / prends le relais dans un
15Avec l’allusion la plus explicite au Manifeste communiste dans le morceau Qu’est-ce qu’on attend (album
Paris sous les bombes) ; cette fois-ci, c’est un feu décidément révolutionnaire qui est allumé, et l’adresse est
on ne peut plus claire : « Nous n’avons rien à perdre, car nous n’avons jamais rien eu… / A votre place je ne
dormirais pas tranquille / La bourgeoisie peut trembler, car les cailleras sont dans la ville / Pas pour faire la
fête, qu’est-ce qu’on attend pour foutre le feu / Allons à l’Elysée, brûler les vieux ».
16L’injonction canonique ciblant la stabilisation d’un ordre établi vise le respect du dieu qui l’incarne :
« Obéis à Dieu plutôt qu’aux hommes. » Ce mécanisme de qui pro quo se révèle au moment de la réforme où
la remise en question du dieu va pari passu avec la remise en cause de l’ordre établi, et donc l’anticipation
d’une nouvelle conception de dieu se retourne contre les institutions religieuses assurant au niveau
idéologique la stabilité de l’ancien ordre (cf. Arendt 1972 : 72, cf. également Morin 1986 : 162 s.). L’idée de
la (contre-)violence dirigée contre l’ordre établi transparaît aussi dans l’impulsion de « foutre la da’wa », et
la proximité du blasphème est dans ce genre de processus tout à fait normal (cf. Arendt ibid.) ; je parlerais
même d’iconoclasme, car il faut souligner que toutes ces opérations se déroulent au niveau imaginaire : il
s’agit de restructurations de relations de valeurs symboliques dont l’univers sémiotique est le principal
théâtre. On tue un ordre social in effigie en tuant le dieu qui en est l’essence, et on le tue en s’attaquant à ses
symboles. – Renvoyons dans ce cadre aussi au morceau Creil City du groupe Alliance Ethnik (album
Comeback), où le chanteur appelle dans le style d’un muezzin non pas à la prière dans la mosquée, mais à la
danse dans une discothèque de Creil. Ramené à la terre, il serait adéquat de parler d’aspirations à
l’humanisation de l’homme dont « le trait commun de toutes les conceptions de l’homme se créant lui-même
est une révolte contre le donné réel de la condition humaine » (Arendt 1972 : 132).
17Islam, sur l’album Je suis l’Arabe. – La même idée est exprimée dans le morceau HLM 3 de Lunatic
(album Mauvais œil) : « L pour ma loi suprême représentée par l’Islam / A ceux qui nous comprennent Salam
/ Je représente l’homme et sa couleur / Donc comprend[s] que notre douleur devienne colère / Quand l’Etat
nous diabolise ».
monde perverti. »18 Tout compte fait, Révélation rime avec Révolution19 – en effet, la
complémentarité est évidente : si « le Paradis n’est pas » (Passi), il faut des efforts pour le conquérir
(Lunatic). Au pôle opposé, pour les rappeurs d’Arsenik, « le rap porte les cornes » (J’t’emmerde). Et
puisque le mal est notoirement associé au poison et à sa source, il convient de rappeler que
représenté par le serpent20 avec son venin, il s’avère aussi être l’accoucheur du verbe sacré : « les
langues de serpents se délient / ravale ton venin, nos destins tracés à c’qu’on dit / dans chacune de
nos paumes […] Pour le présent, nos psaumes récités par nos mômes de cité à cité / ne vois-tu pas
se succéder les signes / des astres jusqu’à nos corps mon bras, jambe, jambe, bras, tête légués par le
plus Grand ». (Avertisseurs)
Tout cela justifie l’affirmation de Maffesoli (2007 : 68) : « le clair et l’obscur s’ajustent,
harmonieusement, en une conjonction indéfinie. Le Bien comme le Mal ne sont pas exclusifs l’un
de l’autre. Dieu et Satan s’ajustent tant bien que mal. » Ou, comme les rappeurs de NTM
l’expriment dans leur morceau De personne je ne serai la cible : « Sachez allier le bien et le mal de
façon radicale ». De même, Lunatic, dans l’Introduction de leur album rappent : « Lunatic ainsi est
la vie, chaos et harmonie ».
3. La sublimation de la violence urbaine dans le domaine esthétique apparaît clairement dans le
morceau Paris sous les bombes de NTM,21 et ceci grâce à la polysémie de bombe.
3.1. La première signification de ‘bombe explosive’ est évoquée par le syntagme figé « sous les
bombes » ; de plus, il est question d’une « hécatombe » et de la « multitude d’impacts ». Cette
première signification est ensuite révoquée par la précision qu’il s’agit de bombes qui servent à
faire des graffiti (signification 2 : « Prêts pour lâcher les bombes / Prêts pour la couleur en
trombe »). Il est également évident que cette violence symbolique s’entende comme contrepoids à
la violence structurelle, ici représentée par les forces de l’ordre (« Nos aires de jeu à l’époque /
Quand il fallait qu’on se frotte avec les keufs ») et les conditions invivables dans le quartier
(« C’était aussi une façon pour nous / D’esquiver la monotonie du quartier / Où l’odeur de la cité
finit par te rendre fou / Alors on allait s’évader en bande »).
3.2. Cette révolte symbolique montre qu’il n’y a pas de coupure nette entre violence physique et
18Avertisseurs, sur l’album Mauvais œil.
19« C’est l’oppressé contre la répression / Lunatic révolution » (Lunatic, Le son qui met la pression, album
Mauvais œil).
20Pour la symbolique du serpent, hautement polyvalente et plurifonctionnelle dans l’économie de
l’imaginaire, cf. Durand (1992).
21Sur l’album homonyme.
violence réelle ; c’est plutôt une question de degré (cf. Arendt 1972 : 83) ;22 c’est dans sa force
explosive potentielle que réside le phénomène de violence symbolique. Dans Paris sous le bombes,
la centrale n’est pas physiquement explosée, mais seulement in effigie ; cette contre-violence crève
à l’Etat par voie symbolique le cœur qu’il n’a pas. Cependant, ces actes creusent, rongent
progressivement la base consensuelle du système de la société actuelle ; ces activités symboliques
représentent et préparent en même temps la contre-hégémonie qui, un jour, pourrait s’affirmer : le
jour où au « plébiscite de tous les jours » (Renan 1997 : 32),23 c’est le Non qui l’emporte, coupant
ainsi la dynamique de l’automatisme de la reproduction culturelle de l’Etat-nation capitaliste. Quant
à NTM, ce groupe semble avoir depuis longtemps fait le choix de cocher quotidiennement la case
du Non : « Quelle gratitude devrais-je avoir pour la France ? / Encore moi, Joey Starr / Révolté,
renégat de cette enculerie / Qu’on appelle système / Pour lequel je n’ai aucune gratitude ».24
3.3. Cette « intelligence du mal » (Baudrillard 2004) qui se manifeste dans les tags et graphs des
villes françaises et d’ailleurs, telle qu’elle s’exprime dans ce morceau choisi du groupe NTM, a plus
largement été analysée par le même auteur (Baudrillard 1976). Il serait, selon cette argumentation,
propre des tags et des graphs de rendre les systèmes désignatifs conventionnels inopérants. Jusque
là enfermés dans un univers purement fictionnel, ils font irruption et sont projetés dans la réalité
sociale tels qu’un cri ; il s’agirait d’un anti-discours qui se constitue paradoxalement en rejetant
toute élaboration syntaxique et par l’absence totale d’organisation discursive. Cet anti-discours
échappe radicalement au principe dénotatif du langage, car il s’agit de signifiants vides dont la
fonction sémiotique consiste en la corrosion de l’entourage symbolique urbain, environnement dans
lequel ils s’infiltrent à l’instar d’un virus. C’est précisément dans l’absence de signifié où réside leur
force subversive : l’idéologie véhiculée ne se situe pas au niveau de signifiés politiques, mais au
niveau de signifiants polyvalents ; cette stratégie s’avère révolutionnaire car elle touche le point
névralgique du système. La stratégie sous-jacente a évidemment été plus ou moins imposée par
l’histoire de ce mouvement, à l’origine duquel se situe la répression d’insurrections dans les ghettos
de la banlieue (surtout Nord) de Paris. Sous l’effet de la répression, la révolte s’est dédoublée :
d’une part dans une organisation doctrinaire marxiste-léniniste, d’autre part dans des mouvements
sous-culturels spontanéistes, désorganisés, sans but ni idéologie ni contenu explicites. Le problème
réside de toute évidence dans le caractère tout azimuth de ces activités, et à en croire Maffesoli
(2003 : 18 s.), cela semble être une caractéristique constante et typique de tous mouvements animés
22C’est pour cette raison que la boutade de l’homme politique allemand conservateur Zimmermann, ancien
ministre de l’intérieur, selon laquelle « la résistance non violente, c’est de la violence », a indubitablement,
au-delà son intention évidemment polémique, pour ainsi dire malgré lui, un grain de vérité.
23Ce principe a initialement été formulé par Renan par rapport à la nation, mais on peut l’élargir, dans la
situation actuelle, à l’ensemble de l’Etat-nation capitaliste est de la société hégémonique.
24Quelle gratitude ?, album Authentik.
par les impulsions dionysiaques. Or, une approche sociologique qui argumente d’un point de vue
nietzschéen, comme celle de Maffesoli, se doit impérativement d’organiser le chaos, sous peine de
s’y perdre (cf. Maffesoli 2003 : 18 s.). Dejà Hegel avait proposé de mettre la « bête sauvage » à la
laisse (cf. Negri/Hardt 1997 : 74), il est ainsi nécessaire de canaliser les énergies affectives
volcaniques et cathartiques dans la poursuite concertée d’un projet biopolitique bien défini. C’est
pour cette raison qu’il serait important de resynthétiser les deux tendances citées des grapheurs et
tagueurs. Cette nécessité d’organisation est présupposée dans les idées de Hardt/Negri (2002 : 414)
au sujet des possees (de réseaux de grapheurs et de tagueurs) que les deux auteurs semblent vouloir
styliser au point de voir en eux des prémonitions d’une contre-hégémonie future. Précisons que le
groupe
NTM
est
lui-même
issu
d’un
possee
nommé
93
NTM
(cf.
http://fr.wikipedia.org/wiki/NTM), cité dans le texte de Paris sous les bombes, en opposition et en
concurrence avec des posse(e)s rivaux. Hard/Negri (ibid.), en se référant à la trias esse – nosse –
posse (‘être – savoir – pouvoir’) de la Renaissance, se félicitent que le dernier terme ait resurgi dans
le rap et généralement dans la culture urbaine du HipHop : posse(e), le pouvoir de l’activité dans la
Renaissance, renaît aujourd’hui comme la force qui rythme la définition des groupes et qui
constitue la différence singulière de la multitude. Le vide sémantique constaté par Baudrillard serait
donc la base polymorphe de la célébration de l’altérité du contre-pouvoir qui se constitue à l’échelle
souterraine : posse(e) est devenu une force symbolique de la résistance qui se réfère au pouvoir du
savoir et de l’être de la multitude, avec l’ouverture du futur dont il s’agit de s’approprier.
Historiquement, le terme posse a survécu dans un contexte de résistance et est de ce fait devenu un
terme politique. A l’instar d’une infection virale, l’anti-code du posse(e) avec sa reproduction
générant de multiples variantes a, une fois injecté par voie subversive dans le labyrinthe des réseaux
sociaux, des effets corrosifs sur les discours actuellement hégémoniques (cf. Jablonka 1998 : 27) :
le posse(e) produit les « chromosomes » de son organisation future (Hardt/Negri 2002 : 416) –
évidemment au niveau symbolique et langagier par voie de l’activité communicative concertée.
Comme le dit Baudrillard (1976) à juste titre, il s’agit d’une stratégie de guérilla : d’une guérilla où
les bombes dans les mains du possee peuvent en effet devenir socialement explosives.
4. Il apparaît clairement que la violence verbale telle qu’elle se manifeste dans de nombreux
morceaux de rap s’entend comme réaction à la violence structurelle qui rend les conditions de vie
de nombreux sujets appartenant à la sous-culture banlieusarde difficilement supportable.
4.1. Si nous affirmons que la sous-culture de banlieue représente désormais une partie intégrante de
la société française, dans le sens « diabolique » que nous avons esquissé plus haut, on ne peut pas
s’empêcher de considérer que la production culturelle qui émerge au sein de cette sous-culture est
une composante de la société civile, et non la moindre. Or, il se trouve d’après Jürgen Habermas
(1992 : 626 s.) que la société civile dispose par son articulation dans l’espace public d’un potentiel
très important dans les processus de mutation sociale, car elle peut exercer des pressions sur les
instances décisionnelles. Dans les termes de Habermas, la société civile doit quasiment « assiéger »
la citadelle du pouvoir, pourtant « sans intention de conquête ». Toutefois, on est en droit de se
demander si les mandarins qui dirigent la citadelle finissent effectivement par prendre des décisions
dans l’intérêt de la « multitude » s’articulant dans l’espace public de la société civile, si au moins
l’éventualité de la prise de la citadelle n’est pas exclue. L’efficacité de la pression ne présuppose-telle pas que la menace soit crédible ? Cette discussion s’inscrit dans la problématique de la crise de
la légitimation dans les sociétés capitalistes. Et donc, la pression exercée par la « rue » trouve, quant
à elle, sa légitimation dans ce déficit de légitimité des pouvoirs officiels qui en réclament le
monopole, et qui en fait ne représentent que le segment majoritaire de la société. La contreviolence, qui répond à la violence structurelle cristallisée dans les structures du système social, a sur
son actif le droit de réclamer la dimension de l’universalité, qui était, au départ, la base des
institutions officielles de la société ; or, du point de vue de cette minorité, l’esprit universaliste se
voit bafoué par ces dernières (cf. par. 1.1.). Citons à cet égard Hannah Arendt (1972 : 80 s.) :
Des actes de désobéissance civile interviennent lorsqu’un certain nombre de citoyens ont acquis la
conviction que les mécanismes normaux de l’évolution ne fonctionnent plus ou que leurs réclamations
ne seront pas entendues ou ne seront suivies d’aucun effet – ou encore, tout au contraire, lorsqu’ils
croient possible de faire changer d’attitude un gouvernement qui s’est engagé dans une action dont la
légalité et la constitutionnalité sont gravement mises en doute.
Arendt semble tomber d’accord avec Marcuse sur ce point que la raison, dans certaines conditions,
a besoin de la violence pour s’imposer.25 Cette perspective sur la légitimité, voir le caractère
raisonnable de la violence, rejoint la discussion autour de la désobéissance civile. Toujours est-il
que ce potentiel contestataire irrépressible doit être canalisé et, de ce fait, organisé (cf. par. 3.3.) et
socialisé.
4.2. Car l’action individuelle et isolée, en dehors de toute concertation avec un groupe d’acteurs
organisé et avec une finalité bien définie se perd dans un actionnisme tout azimut, marginal et
anarchique. Comme le dit Hannah Arendt (1972 : 61 s.),
la désobéissance civile ne peut se manifester et exister que parmi les membres d’un groupe. Ce fait est
rarement reconnu, et, même dans ce cas, il ne lui est attribuée qu’une importance marginale ; la
désobéissance civile pratiquée par un individu isolé ne saurait tirer à conséquence. Le coupable est
alors considéré comme un excentrique qu’il sera plus intéressant d’observer que de condamner. La
25Cf. sur ce point la discussion et la critique de J. Habermas (1998 : 237 s.).
désobéissance civile réellement significative doit être le fait d’un certain nombre de personnes que
rassemble un fait commun. Or, l’une des principales caractéristiques de l’action elle-même – sa
« nature indirecte » de la désobéissance […] suppose une action de groupe.26
De plus, il faut insister sur ce fait que contrairement à la violence ‘normale’, celle qui s’entend
comme contre-violence s’opposant à la violence structurelle du système à titre de désobéissance
civile, incorpore toujours une composante symbolique. Si la première essaie de s’effacer au plus
vite, de passer inaperçue, la dernière veut être vue et entendue et comprise dans son intention en
défiant les autorités, car elle a pour but de s’instituer elle-même comme vecteur d’un autre droit.
(Ahrendt 1972 : 82) L’inauguration d’une nouvelle (contre-)norme par la violation intentionnelle de
normes existantes et en vigueur dans l’ordre social actuel s’inscrit dans la lutte pour l’hégémonie
culturelle, afin d’en finir avec le consensus hégémonique des segments majoritaires privilégiés de la
société et de donner une voix au « non-identique » (Adorno 1975 : 152 s., 191) qui échappe, dans
son irréductibilité, à la subsumption sous une totalité et à l’assimilation à ses impératifs, et qui est
source de friction dans le « monde lisse » (Hardt/Negri 2002 : 341 ss.) que les pouvoirs
hégémoniques cherchent à nous préparer. Ceci ouvre la voie à la canalisation artistique dans
l’esthétisation, voire stylisation, notamment dans le travail innovateur des rappeurs.
5. En nous référant aux recherches de Michel Wieviorka sur La violence (Wieviorka 2004), nous
pouvons souligner que nous sommes confrontés, dans la sous-culture de banlieue, à la quête de la
constitution de la « multitude » comme sujet collectif de la contestation.
5.1. Cette contestation s’articule, en l’occurrence, notamment via la violence symbolique, et ceci
comme réponse aux conditions répressives de la violence structurelle (cf. Wieviorka 2004 : 43). Du
point de vue subjectif, il s’agit donc d’une subjectivation, ou, dans les termes du psychologue
systémique Helm Stierlin (1994 : 41 ss.), d’une « individuation contre » – contre la société dans
laquelle la sous-culture de banlieue est enchâssée en vertu de l’« opposition inclusive » – mais
aussi, et par ricochet, d’une « individuation avec » – avec la « multitude » qui émerge au cours du
même processus dans le milieu sous-culturel. Frantz Fanon (1991) avait compris que la violence est
une pratique éminemment émancipatoire par laquelle les « damnés de la terre » accomplissent leur
subjectivation.27 Dans le rap, et généralement dans les productions culturelles de la sous-culture de
26Sur la relation entre raison et violence cf. aussi Arendt (1972 : 175) ; il est en effet raisonnable d’opposer
la raison à la déraison si celle-ci tente de monopoliser l’apparence de la raison (cf. notre argumentation au
par. 2.3.).
27Jean-Paul Sartre a formulé des idées allant dans le même sens, ce qui n’est pas étonnant, puisqu’il est
l’auteur de la préface de Fanon (1991). Cf. pour l’évolution de cette pensée dans la ligne hégélo-marxienne
Arendt (1972 : 132).
banlieue, cet élan vital violent apparaît par voie de sublimation sous forme de violence symbolique.
Il s’agit de la révolte du sujet aliéné et dépossédé de sens face à l’absurdité des conditions de vie
dans lesquelles il est jeté (cf. Wieviorka 2004 : 220 ss.).28 Cette anomie ressort de façon dramatique
du refrain du morceau Etat d’urgence de Yazid (sur l’album Je suis l’Arabe) : « Je déclare l’état
d’urgence / Ma vie n’a plus de sens / J’approche de la démence ». Et puisque la quête du sens
n’aboutit à rien – précisément parce que le sens n’existe pas préfabriqué dans le monde extérieur –
l’homme révolté comprend que ce sens, il faut le construire, et poser, imposer, dans un acte
d’autonomie (cf. Jablonka 1998 : 117 ss. ; Wieviorka 2004 : 286, 304) :
La première et seule évidence qui me soit ainsi donnée, à l’intérieur de l’expérience absurde,
est la révolte. Privé de toute science […] je ne dispose que de cette évidence qui se renforce
encore du déchirement où je me trouve. La révolte naît du spectacle de la déraison, devant une
condition injuste et incompréhensible. Mais son élan aveugle revendique l’ordre au milieu du
chaos et l’unité au cœur de ce qui fuit et disparaît. Elle crie, elle exige que le scandale cesse et
que se fixe enfin ce qui jusqu’ici s’écrivait sans trêve sur la mer. Son souci est de transformer.
(Camus 1980 : 21 s.)
S’il en était ainsi pour confirmer Camus, les rappeurs de NTM synthétisent ce programme
existentialiste en quelques vers : « Unis par l’envie / L’envie de donner un sens à la vie / NTM
construit son univers et se forge un esprit. »29 Autrement dit : « Je me révolte, donc nous sommes. »
(Camus 1980 : 36) Réarticulé par rapport au rap, cette formule se mue en crédo postmoderne : « Je
rappe, donc je suis » (Kimminich 2006 : 523), lié aussi à de (vagues) espoirs d’ascension sociale.
5.2. En milieu banlieusard, il apparaît que le sens construit et posé s’inspire progressivement dans
une mesure non négligeable de l’islam, et sans doute en grande partie par réaction : non dans sa
pureté originale, mais sélectif, déconstruit, car déterritorialisé, ce qui explique, conjointement aux
tensions socio-économiques, une tendance à l’ethnisation de l’islam surtout du point de vue arabe,
qui s’articule aussi dans les lyrics30 des rappeurs dans une posture de contre-violence symbolique
apte à se démarquer du modèle culturel majoritaire et hégémonique, et de ce fait chargée de valeurs
identitaires. Dans ce contexte s’avère le potentiel constitutif négatif de l’individuation (en
28Yazid dans J’écris (album Je suis l’Arabe) : « J’écris et prie que soient entendus tes cris de révolte qui me
portent, qui m’emportent, de sorte que les cris qui m’escortent soient plus fortes ». Ceci est un exemple de la
canalisation de la violence par voie symbolique dans le processus de la création artistique – un cas classique
de sublimation.
29De personne je ne serai la cible, album Authentik.
30Par exemple dans la chanson Je suis l’Arabe de Yazid : « Oui, je suis l’Arabe, je viens du Maghreb, j’ai le
sang chaud / Essayez de me faire changer de peau serait un fiasco / Mais ma religion est mise en cause voilà
le drame / Le pays de la laïcité ne tolère pas l’Islam / Le chômage ravage, on parle d’immigration et lorsque
la banlieue s’enflamme on parle d’intégration ». Cf. la discussion dans Swedenburg (à paraître), notamment
par rapport à l’émergence d’un islam européen né de la « galère » de la diaspora islamique et sa conjonction
avec l’orientation politique de gauche ; la même perspective se trouve dans Kimminich (2006).
l’occurrence : contre) inhérent à la violence ; l’attribution d’une identité stigmatisée (cf. Goffman
1986) est renversée et par ce mouvement réappropriée : « La honte on vit avec, dans l’dos une
étiquette / Certains acceptent, d’autres rejettent et ça s’exprime en violence » (Yazid, Je suis
l’Arabe). Cette situation ouvre, bien entendu, aussi des perspectives au renouveau et à la
réorientation, compte tenu surtout d’une possible synergie et intégration de revendications ethnoreligieuses et socio-économiques, ainsi que généralement culturelles et politiques.31
6. Toutefois, l’esthétisation de la violence symbolique se prête aussi à sa commercialisation. C’est à
partir du milieu des années 90 du siècle passé que se développe le rap commercialisé en France.
Derrière la commercialisation systématique de ce (à l’époque) nouveau style d’expression musicale
était une loi prescrivant aux chaînes de radio un taux de 40 % de chansons françaises, afin de
contrer l’hégémonie anglo-américaine sur ce secteur à l’échelle mondiale (cf. Kimminich 2006 :
519).
6.1. Il est propre du caractère autoréflexif du rap (cf. Jablonka 2004) que les rappeurs invoquent
eux-mêmes la présence des médias dans leurs morceaux, 32 et ceci ne se fait presque jamais sans une
certaine dose de malice : car ici on sait que l’on joue avec le feu de l’Autre de l’Autre : avec celui
du « système », de l’adversaire représentant les valeurs bourgeoises de la société majoritaire rejetée,
dans laquelle les groupes marginalisés souhaitent néanmoins s’intégrer, ne serait-ce que par la
commercialisation de leurs protestations esthétisées. On sent le souffle, le soufre, de la trahison …
Ce même mouvement de réintégration dans le système global est observable au niveau
socioéducatif (cf. Kimminich 2006 : 520) : certains messages dans les lyrics des rappeurs renouent
avec la tradition de la chanson engagée ; ces textes font appel au public défavorisé d’adopter une
attitude positive et créative et non pas destructive face à sa situation, et en même temps, ils lui
montre le chemin vers une existence plus pacifiée. Deux des morceaux à cet égard les plus
importants figurent sur l’album Suprême NTM : Laisse pas traîner ton fils,33 et surtout Pose ton
31Sur ce complexe cf. Wieviorka (2004 : 293).
32Yazid, dans La cité (se) (album Je suis l’Arabe) : « La vérité est que / La cité sait que / Vous l’exploitez
dès que / Ça se corse mais que / Ça n’est que / Pour étancher la soif d’images forts que / Le média apparaît
aux portes de la cité. » NTM, dans Authentik (album homonyme) : « Donc sur ce beat chaotique / Piétinant
toute critique journalistique / Je suis authentique / AUTHENTIK, AUTHENTIK, … / NTM a su rester
véridique / Semant la panique / Défrayant la chronique / Le fléau s’installe / Impose son toucher digital /
POUR / La bonne cause, je m’étends ».
33« J’ai pas de conseil à donner, mais si tu veux pas qu’il glisse / Regarde-le, quand il parle, écoute-le ! / Le
laisse pas chercher ailleurs, l’amour qu’y devait y’avoir dans tes yeux / Laisse pas traîner ton fils / Si tu veux
pas qu’il glisse / Qu’il te ramène du vice ».
gun.34 Nous sommes ici en présence de la canalisation de potentiels de violence physique dans un
orientation socioéducative qui compense les défaillances du système, conjointement à la
sublimation sous forme de violence symbolique esthétisée objectivée en œuvres artistiques
musicales soumises à la loi du marché. La puissance intégrative de cette démarche est formulée on
ne peut plus clairement par un jeune d’origine maghrébine après un concert du groupe 113 à Colmar
en 2000 : « En écoutant les paroles des chansons, ça me donne envie de travailler à l’école ».
(Kimminich, ibid.)
6.2. Nous sommes maintenant dans la mesure d’idenfier avec précision le caractère inclusif de
l’opposition : le système globale de la société contre lequel la contre-culture de banlieue s’est à
l’origine révoltée parvient quasiment à réabsorber cette dernière, à la réintégrer.35 L’économie du
marché capitaliste fait preuve de sa force intégrative : de nombreuses productions culturelles,
notamment musicales, motivées par le sujet de la violence dans les quartiers sensibles, cités
marquées par la mixité multiculturelle, sont consommées sous forme de marchandise.
Ce constat montre aussi que la conception de « Multitude » comme nouveau sujet révolutionnaire
potentiel de Hardt/Negri (2004) n’est pas consistant. Au sens de la théorie sociologique des
systèmes (Luhmann 1996), il s’agit de ce qu’on appelle un re-entry : la violence urbaine, soit-elle
symbolique ou non, est le symptôme d’antagonismes dysfonctionnels qui se situent au niveau de la
structure du système global ; les crises – ou « cataclysmes », comme le dit Maffesoli (2003 : 52)
dans une terminologie un peu apocalyptique – ont aussi la fonction bénéfique d’amener le système à
une réadaptation – ou, autrement dit, ces phénomènes ont pour effet de « récalibrer » le système.
Dans une approche similaire, E. Morin (1994 : 197) conçoit l’évolution du système suite à une crise
déclenchée par des dysfonctions antagonistes : le système progresse grâce à l’émergence d’un cadre
conceptuel supérieur qui permet d’intégrer les deux termes antagonistes. Il est peu probable que la
« multitude » parvienne à accomplir sa mission de rédemption de l’humanité dans la révolution
finale, rôle que Hardt et Negri semblent vouloir conférer à ce nouveau sujet collectif. En revanche,
le dénouement beaucoup plus probable est que des réadaptations ou récalibrations périodiques
seront déclenchées par des contradictions et des crises qui émergent dans l’évolution progressive du
système social lui-même, d’où la mutation de la société dans son ensemble. Comme l’affirme
Morin, en se référant à des travaux moins récents de lui-même et d’Antonio Negri,36 d’un point de
34« Respecte les gens ! Pas leur ‘gent-ar’ / Qu’ils pèsent ou non, qu’ils viennent ou non du ‘tié-quar’ / C’est
fini le temps où, mon gars, tu pouvais tout / Contrôler, tout a changé, surtout / Pose ton gun, mec, sinon c’est
dix ans / Plus la mort d’un homme sur la conscience c’est pesant / Et puis si t’as les couilles de tirer / Va tirer
sur les fourgons blindés ».
35A en croire Maffesoli (2002 : 19), ce mouvement relève également de la « part du diable » : « on peut
comprendre que la ‘part destructrice’, celle de l’excès et de l’effervescence, est cela même qui, toujours,
précède une harmonie nouvelle ».
36La référence désormais quasiment classique où cette idée dialectico-polaire, que l’on peut considérer
vue tant dialectique que polaire : « La crise n’est pas le contraire du développement, mais sa forme
même. » (Morin 2004 : 330) Dans la théorie des systèmes, cette caractéristique paradoxale de
systèmes dynamiques est généralement appelée « métastabilité ». (Jantsch 1990 : 168)
6.3. Il convient, de ce point de vue, de remettre la violence à sa place, tant de la faire resurgir du
gouffre que de la descendre de son piédestal, et de la considérer comme un facteur potentiellement
extrêmement dynamisant de l’évolution politique et sociétale : « La violence, à l’encontre de ce
dont ses prophètes s’efforcent de nous persuader, est beaucoup plus l’arme des réformes que celle
de la révolution. » (Arendt 1972 : 190). Il n’y a aucun doute que des phénomènes de violence,
notamment sublimée et esthétisée dans la violence symbolique qui se manifeste dans la production
culturelle contestataire comme le rap, continueront à jouer un rôle non négligeable dans ce
processus : car l’enjeu est l’hégémonie culturelle que l’on se dispute dans ce discours. Ainsi, par le
biais de l’esthétisation, voire célébration de la violence (verbale) dans des contextes de contact
culturel et linguistique multiple, le dysfonctionnement qui frappe la société est « réintégré » dans le
fonctionnement du système. Le résultat est une contre-culture contestataire transculturelle issue du
contact multiple, mais dont la pointe révolutionnaire est brisée. La contre-culture fait ainsi, grâce à
la stylisation de la violence verbale, partie intégrante d’une culture francophone polymorphe et
pluricentrique qui est un important vecteur de variation sociolangagière, et qui doit sa stabilité
dynamique et sa dynamique stable à l’impulsion contestataire.
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