de travailleurs sociaux bien-pensants (cf. ibid., p. 13) – dans un éclatement émancipatoire : pour
briser le carcan de contraintes et d’aliénation sous lequel le sujet étouffe.5 « La vraie vie est partout
sauf dans les institutions. » (Maffesoli 2003 : 18) L’argumentation néomarxiste de Michael Hardt et
d’Antonio Negri (2004) dans leur ouvrage Multitude va dans le même sens : le nouveau sujet
révolutionnaire serait la masse des défavorisés (« the poors ») au sein de laquelle les migrants
joueraient un rôle clé d’avant-garde. Il est intéressant que ces deux auteurs (ibid., pp. 138-140)
rapprochent également ce sujet révolutionnaire du Diable, en raison de ce qu’on pourrait appeler
son « uni-pluralité »6 : le Diable s’identifie en affirmant : « Je suis légion », donc singularité et
pluralité à la fois. La Multitude serait dangereuse au pouvoir hégémonique7 établi parce qu’il
partagerait avec le Diable ce trait ambivalent. Or, il se trouve curieusement que les jeunes sujets
semblent partager cette attitude (cf. Jablonka 2001a : 163 s.) : dans des interviews avec des
collégiens, on trouve des affirmation du type « La téci est shatan » ou « Lui (Le caïd = chef d’une
bande de dealers) est shatan. », mais en même temps, ils trouvent cela « bien » que cet attribut
revienne à leur quartier. En même temps, il semblerait que la référence à l’Islam, ne serait-ce qu’en
creux, par réaction ou ex negativo soit très fréquemment au moins virtuellement présente (Billiez
1993 : 118) dans la sous-culture banlieusarde. Il s’avère donc une curieuse sorte d’oscillation
ambivalente entre un pôle « noir », « diabolique », et un pôle « pieux » avec la référence islamique
au centre. En effet, chez Hardt et Negri, nous trouvons à côté du caractère « diabolique » de la
Multitude potentiellement révolutionnaire aussi des références théologiques (en l’occurrence dans la
tradition judéo-chrétienne, non islamique8) ; les deux auteurs projettent en effet la mission de
libération universelle sur cette « classe » (s’agit-il véritablement d’une classe ?) bigarrée : « both
God’s love of humanity and humanity’s love of God are expressed and incarnated in the common
material political project of the multitude. We need to recover today this material and political sense
of love, a love as strong as death. […] love serves as the basis for our political projects in common
5Cf. dans la même intention aussi Hannah Arendt (1972 : 71) : « ‘l’homme vertueux’ ne se confond
nullement ici avec le ‘bon citoyen’ […]. Les hommes de vertu et de courage ne se révèlent que dans les
circonstances critiques ».
6Terme qui s’inspire de celui d’« unidualité», proposé par E. Morin (1986 : 171 ss.).
7Pour le concept d’hégémonie, reformulé à partir de Gramsci dans le paradigme méthodologique de
l’analyse du discours, cf. Laclau/Mouffe (2001), « discourse theory conceives society as a symbolic order in
which social antagonisms and structural crises cannot be reduced to essential class cores determinated by
economic processes and relations. It also implies that all ideological elements in a discursive field are
contingent, rather than fixed by a class essence, and that there is no fundamental social agency or political
project that determines processes of historical change in a a priori fashion. Instead, discourse theory puts
forward an alternative conceptual framework built around the primacy of political concepts and logics such
as hegemony, antagonism and dislocation. » (Howarth/Stavrakakis 2000 : 5 s.) Cette approche se prête à la
prise en compte de l’intégration de l’imaginaire et conjointement d’éléments mythiques dans la constitution
symbolico-discursive d’hégémonies (cf. Norval 2000). Cf. également Torfing (2003 : 115, 129 s., 151 et
passim).
8Contrairement à Luhmann (1996 : 210), où nous trouvons une référence explicite au soufisme.