Quel est le rôle du Commerce équitable dans

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Quel est le rôle du Commerce équitable
dans une planète en évolution ?
Dans quarante ans, nous serons neuf milliards d’hommes sur terre. Aujourd’hui, nous sommes près de
sept milliards. Et des prophètes de malheur clament déjà que notre planète ne peut produire
suffisamment d’aliments pour nourrir toutes ces bouches. A cela s’ajoute la menace d’une
catastrophe climatique, lourde, elle aussi, de répercussions négatives sur la production alimentaire…
Tournant le dos à ces avis pessimistes, Max Havelaar cherche des réponses. La question posée au
cours du colloque Small Farmers Big Solutions était double : de quelle façon le Commerce équitable
apporte-t-il la meilleure réponse aux prix élevés des matières premières et comment contribue-t-il à
freiner le changement climatique ?
C’est un public très attentif qui a suivi, dans la salle du Beursschouwburg à Bruxelles, les débats et les
exposés sur l’avenir du Commerce équitable. Ann de Bie, journaliste à la VRT, a très
professionnellement animé les interventions tandis que Joris De Beer et Thomas De Vos se sont
occupés de la musique. On trouvera ci-dessous le compte-rendu de cet après-midi de réflexion sur le
Commerce équitable.
Le café est si cher maintenant
Introduction : Jos Algra
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Débat : John Kanjagaile, Grégory Dupuis & Patrick Vermaelen Le Commerce équitable est bien plus
que du commerce…
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Interview : Nicolas Steisel & Thomas Drogart
Témoins oculaires…
4
Remise de prix : Fairtrade@Work Awards
Désormais, ils sont trente !
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Question : Brigitte Gloire
climatique ?
Quel est le rôle du Commerce équitable face au changement
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Débat: Michael Commons, Bill Vorley, Pieter Louw
faire les agriculteurs ?
Récit : Aurelie Gerth
Le changement climatique, que peuvent y
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Ben & Jerry intégralement Fairtrade
Epilogue : Riccardo Petrella
Où est l’homme ?
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Introduction : Jos Algra
Le café est si cher maintenant…
1
Avant le lancement du débat sur le changement climatique et le rôle du Commerce équitable à cet
égard, la discussion roula d’abord sur un autre sujet. Max Havelaar doit-il continuer à garantir les prix
du Fairtrade pour les producteurs de café dans le monde maintenant que le prix du café est
tellement élevé ? Jos Algra, de Twin Novotrade, a essuyé les plâtres du débat. En un temps record, il
a inondé le public d’un paquet de statistiques démontrant l’évolution des prix du café en 2010. « Oui,
le prix du café a doublé entre 2010 et 2011 », expliqua-t-il, « mais depuis, la tendance est à nouveau
à la baisse. Et c’est là souvent que l’étau se resserre pour les producteurs de café. Le marché du café
est très volatil. De petits remous – au niveau du climat, par exemple – peuvent avoir de grandes
conséquences. »
Jos Algra montra ainsi comment, durant les dix dernières années, quelques aléas au Brésil ont fait
fluctuer les prix du café. « Le Brésil est le premier producteur de café au monde. En 1995, un gel
sévère y détruisit une grande partie de la récolte avec, pour conséquence directe, une augmentation
du prix. Mais cinq ans plus tard, donc aux environs de 2001, les cours se sont à nouveau effondrés.
Pour les producteurs de café confrontés à un marché aussi fluctuant, il est très difficile de garder la
tête hors de l’eau. »
Oui, pour Jos Algra, le Commerce équitable constitue une bonne réponse. Et ce, précisément, en
raison du prix fixe garanti. Une opinion qui fut confirmée ultérieurement au cours du débat,
notamment par John Kanjagaile, qui représentait la coopérative de café tanzanienne, KCU.
Le consommateur demande de l’équitable.
L’intérêt et l’utilité du Commerce équitable se fondent aussi sur deux autres constats, selon Jos Algra.
« La part de café certifié ne cesse de croître sur le marché de la consommation. Les amateurs de café
demandent toujours plus de café certifié de qualité. En 2010, cette part s’élevait à 8% de l’offre
totale de café ; ce qu’on appelle les cafés de spécialité représentaient 13% du marché et le reste 79% - revient provisoirement au café conventionnel. » Les consommateurs demandent donc du café
certifié. Et une grande partie d’entre eux affiche clairement sa confiance dans le label Fairtrade de
Max Havelaar. Pour Jos Algra, c’est déjà une bonne raison de ne pas laisser tomber le café équitable.
Il en voit encore une autre : l’impact du Commerce équitable sur la communauté locale des
producteurs de café. Et de citer deux exemples à ce propos : les coopératives Prodecoop du
Nicaragua et INC du Pérou. « La Prodecoop est un cas d’école sur la façon dont le Commerce
équitable contribue au progrès de la communauté locale », expliqua-t-il. « Il a permis d’améliorer la
qualité, d’investir dans des installations propres de séchage, de faire évoluer les relations entre
hommes et femmes, etc. » Toute une série d’effets positifs. Par ailleurs, au Pérou, le Commerce
équitable a un grand impact politique. « Il a permis à la culture du café de s’amplifier. Et à 80.000
familles d’acquérir des titres fonciers sur les terres qu’elles cultivaient. Voilà qui élimine déjà une
bonne part d’insécurité. »
Jos Algra avança un dernier argument, qui se révéla être en rapport avec le débat prévu ensuite : la
menace climatique qui pèse sur les producteurs de café. Cette menace génère une grande insécurité
et le marché du café demeure très instable. Si nous ne soutenons plus les petits producteurs par le
biais du Commerce équitable, cette situation leur sera très néfaste à terme.
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Débat : John Kanjagaile, Grégory Dupuis & Patrick Vermaelen
Le Commerce équitable est bien plus que du commerce…
John Kanjagaile, Grégory Dupuis, représentant l’importateur de café Coffeeteam, et Patrick
Vermaelen, de Café Beyers ont alors gagné le podium. John Kanjagaile est producteur de café depuis
20 ans. Il assure aussi la fonction d’export manager au sein de la coopérative KCU. Il commença par
esquisser le contexte historique et rappela les problèmes auxquels étaient confrontés les
producteurs de café avant l’arrivée du Commerce équitable.
John Kanjagaile : « Il y a vingt ans, les entreprises imposaient leur prix. Et ce prix n’était jamais bon
pour le petit producteur de café. A cela s’ajoutait un second problème : le café représentait souvent
un revenu pour les cultivateurs. Mais lorsque ce revenu était insignifiant, ils arrêtaient les cultures. Si
alors, la production de café diminuait, le prix augmentait. Et les cultivateurs recommençaient à
planter beaucoup de café. Ce qui provoquait une nouvelle chute des prix. Ces fluctuations ont fini par
pousser beaucoup de cultivateurs à l’abandon. Le Commerce équitable a contribué à briser ce cercle
vicieux. Il ne s’agit pas de charité, mais de commerce. Et il permet aux producteurs de retrouver du
plaisir à travailler et de croire à leur produit. Un bon café, c’est comme un bon vin : on en est fier. »
Désolé, pas de livraison aujourd’hui
En dépit des belles paroles et histoires, il survient parfois l’un ou l’autre problème entre les
producteurs de café, d’une part, et les importateurs et torréfacteurs, d’autre part. C’est en tout cas
ce qui est apparu au cours du colloque. L’importateur et le torréfacteur estimaient, en effet, que les
producteurs de café s’éloignaient parfois des accords conclus. Ce à quoi John Kanjagaile a réagi.
Grégory Dupuis : « Cela reste un problème aujourd’hui : lorsque le prix du café est élevé, les
producteurs de café ne livrent pas. Ou pas tous, en tout cas. Nous nous sommes alors adaptés, en
tant qu’importateurs de café Fairtrade, en achetant au départ plus de café que ce que nous avions
prévu de vendre… »
John Kanjagaile : « Nous ne pouvons pas livrer ? Il me semble que l’on parlait généralement d’une
demande insuffisante… »
Patrick Vermaelen : « Les torréfacteurs ont besoin d’un certain temps pour calculer, négocier,
mettre leurs affaires au point… Et pendant ce temps-là, il arrive que les prix changent une fois de
plus. Tout cela génère beaucoup de pression. Mais quand il n’y a pas de livraison, nous devons
trouver des solutions. Quoi qu’il arrive, nous devons assurer à nos clients la même qualité de café. «
Des solutions existent-elles ?
Grégory Dupuis : « Pour éviter ce type de malentendu, il faudrait idéalement une sorte de système
d’avertissement. On pourrait instaurer, par exemple, que ceux qui ne respectent pas leur contrat
risquent de perdre leur certification. «
John Kanjagaile : « Je pense qu’il y a d’autres manières de résoudre le problème. Rapprochez-vous
de vos fournisseurs. Créez une vraie relation avec les producteurs. A partir du moment où les uns et
les autres se connaissent et scellent des amitiés, les problèmes relatifs au non respect des accords et
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des contrats sont beaucoup moins fréquents. Il y a deux choses. Premièrement, le producteur de café
doit être en mesure de faire ‘the right thing’.De cultiver du bon café de la bonne façon. Le Commerce
équitable joue à cet égard un rôle formateur indispensable. Le label prend alors une place à part. Il
ne se contente pas de nous dire comment produire, ce qui est souvent le cas avec d’autres labels. Il
nous offre aussi une contrepartie, à savoir un meilleur prix. La prime du Fairtrade est un signe
d’appréciation. Deuxièmement, le Commerce équitable est plus que du commerce. Il comporte un
aspect relationnel important. Il y a un véritable partenariat entre les importateurs, les torréfacteurs,
les consommateurs et nous. Notre mot d’ordre, c’est ‘la sécurité pour nous et pour le
consommateur’. Cet aspect relationnel est capital. »
La qualité, un sujet douloureux ?
Patrick Vermaelen : « Beaucoup de choses ont changé à cet égard au cours des dernières années. Le
café est redevenu sexy. Et les cafés certifiés et de spécialité ont vraiment la cote. Pour moi, cette
tendance va se confirme dans les années à venir. La demande de café certifié va continuer à
augmenter. Peut-être même va-t-elle dominer le marché. Nous devons donc, plus que jamais,
pouvoir compter à l’avenir sur du café certifié de qualité. »
Grégory Dupuis : « Et là le Commerce équitable joue un rôle irremplaçable. Il a notamment une
mission de sensibilisation et d’éducation. Le café, c’est toute une industrie et les producteurs de café
doivent connaître le rôle qu’ils jouent dans la filière. Ils doivent aussi comprendre le fonctionnement
de la bourse. Ceci dit, je suis d’accord avec John sur le fait que le Commerce équitable est également
une question de relation et de partenariat. »
Patrick Vermaelen : « Heureusement, l’implication des producteurs locaux augmente car, peu à peu,
ils cultivent aussi pour le marché local. Avant, le café quittait le pays à destination de consommateurs
inconnus. La qualité ne jouait pas un rôle aussi important. Maintenant qu’une partie du café est aussi
vendue sur le marché local, le vent a tourné et mis l’aspect qualité en relief. »
Grégory Dupuis : « Il y a eu beaucoup de changements ces dernières années. Dans le temps, les
producteurs ne testaient pas leur café. Maintenant, ils ont tous un laboratoire de dégustation. »
Un avertissement
En dépit de quelques petites divergences d’opinion et contradictions, les producteurs et les
torréfacteurs de café se comprennent bien. Mais John Kanjagaile met toutefois en garde contre le
risque de cannibalisme du label. « Max Havelaar doit être prudent et veiller à ce que le système ne
soit pas cannibalisé. » A la question du public lui demandant de préciser sa pensée, il répondit : « Les
grandes entreprises peuvent promouvoir le café Fairtrade. Et vu l’intérêt des consommateurs, elles
ne peuvent que s’en porter mieux. Mais cela ne peut mener à un détournement du label. ». Ou,
comme le suggéra un membre du public, il ne faut pas que l’on arrive à une sorte de FairtradeLight.
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Interview : Nicolas Steisel & Thomas Drogart
Témoins oculaires…
Après le débat, vint le tour des témoins. Nicolas Steisel, d’Exki, a rendu visite, avec Max Havelaar, aux
producteurs de café de Bolivie en août dernier. Thomas Drogart, de Deli-Coffee Club, s’est, pour sa
part, rendu en Tanzanie au mois de juin. Qu’ont-ils constaté là-bas?
Nicolas Steisel : « Je peux vraiment souscrire aux termes de John Kanjagaile : il s’agit d’une question
de relation. Je l’ai vraiment bien remarqué durant ce voyage. Ce qui m’a le plus frappé, ce sont les
ravages que le cours très bas du café provoque auprès de ces producteurs. D’ici, en Europe, on ne
peut pas le voir. »
Thomas Drogart : « Entièrement d’accord. En Tanzanie aussi, j’ai pu constater que le Commerce
équitable forme une grande famille. J’ai d’ailleurs pu nouer des relations personnelles lors de cette
visite, ce qui a généré à la fois des liens et des responsabilités. Tout le monde est donc gagnant dans
le Commerce équitable. »
Ces voyages ont-ils modifié leur vision du Commerce équitable ?
Nicolas Steisel : « Je crois, plus que jamais, que le Commerce équitable peut vraiment offrir une
solution à la problématique du café. Je constate d’ailleurs que, chez Exki, nous vendons de plus en
plus de café Fairtrade. La demande augmente mais n’a certainement pas encore atteint son
plafond. »
Thomas Drogart : « Chez Deli-Coffee Club, nous avons du café Fairtrade depuis 2002 et nous
constatons effectivement qu’il prend une place toujours plus importante. Seul l’horeca reste encore
un peu en retrait. Car trop de clichés ont la vie dure, qui associent Fairtrade à café cher et goût
médiocre. Les exploitants ne sont pas toujours bien informés. Il y a encore du travail à faire à ce
niveau là ! »
Remise de prix : Fairtrade@Work Awards
Désormais, ils sont trente !
Juste avant la pause, Ann De Bie invita les lauréats du prix Fairtrade@Work à monter sur le podium.
Un prix dont les critères ont été renouvelés cette année. En effet, il couronne non plus les
entreprises ayant hissé pour un jour les couleurs du Commerce équitable mais bien celles qui le font
tout au long de l’année. Et ces entreprises gagnent de une à trois étoiles en fonction de la portée de
leur engagement.
Les lauréats primés en octobre 2011 sont Belgacom, Café Liégeois, KBC, Miko, Op-Stap, OVM
Overmolen, Triodos et WWF. Ils rejoignent ainsi les 23 autres entreprises qui ont déjà, par le passé,
signé une charte et reçu le trophée. Désormais, il y a donc 30 vrais ambassadeurs du Commerce
équitable au sein des entreprises et organisations du pays.
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Question : Brigitte Gloire
Quel est le rôle du Commerce équitable face au changement climatique ?
Brigitte Gloire, d’Oxfam Solidarité, fut la première à prendre la parole après la pause. Elle évoqua le
problème du changement climatique et de ses conséquences pour les petits producteurs. Et ce, sous
trois angles :
•
•
•
Le changement climatique est injuste à l’égard du Sud.
Il existe un lien entre le changement climatique, le système alimentaire mondial et
l’agriculture.
Nous sommes confrontés à un triple défi.
« Qui est responsable du changement climatique », interrogea Brigitte Gloire. « Et qui en porte
le poids le plus lourd ? La confrontation de deux cartes du monde suffit à donner immédiatement la
réponse : la majeure partie de l’impact sur le changement climatique provient du monde
industrialisé. Et les pays les plus durement touchés sont… les autres. Ceux qui provoquent le moins
de dégâts endurent les plus lourdes conséquences.
Brigitte Gloire confirme ses dires à coup de chiffres et de statistiques. Du fait du dérèglement
climatique, les gens du Sud voient les revenus de leur travail se réduire – surtout dans le secteur
agricole. Les écosystèmes sont toujours plus sous pression et des terres autrefois fertiles souffrent
soit de sécheresse, soit d’inondations à répétition, ce qui les rend inutilisables. Conséquence : des
milliers de personnes se retrouvent sans moyens d’assurer leurs besoins et leur survie.
Les conséquences se font sentir.
Brigitte Gloire rappelle ce que les modèles démontrent : une hausse de température de 2 à 3 degrés
seulement est déjà susceptible de conséquences dramatiques. Surtout dans les régions où la
principale activité économique est l’agriculture, à savoir l’Afrique et une bonne partie de l’Asie et de
l’Amérique Centrale et du Sud.
Les récoltes diminuent, les réserves d’eau se réduisent de façon drastique, y compris dans les régions
voisines de la Méditerranée, des espèces disparaissent et des écosystèmes sont perturbés, le climat
devient plus extrême et marqué par plus de sécheresses et d’inondations…
Quel est le rôle de l’agriculture à cet égard ?
Pour l’oratrice, il y a un lien évident entre le système alimentaire mondial et le changement
climatique. Environ la moitié de toutes les émissions de CO2 proviennent d’activités liées à notre
production alimentaire. L’agriculture même est responsable de 11 à 15% de ces émissions. Mais la
déforestation, les traitements et les déchets en génèrent aussi une grande partie.
L’empreinte écologique de l’alimentation est élevée. Mais certains aliments ont un impact plus
important que d’autres. Brigitte Gloire place la production de viande en première position :
« L’empreinte de la viande est énorme– et en particulier celle de la viande rouge de bœuf. A
l’opposé, parmi tous les cash crops, c’est le riz qui a le plus faible impact. Et dans tous les cas, si
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l’agriculture et la production alimentaire doivent supporter les conséquences du dérèglement
climatique, elles en sont aussi partiellement responsables. »
Nous ne sommes pas assez bons…
La situation brossée par Brigitte Gloire n’est certes pas rose. Mais là n’est pas l’essentiel de son
message. « Il y a quelque chose à faire », lança-t-elle au public. « Nous devons massivement miser
sur la production durable. Le système alimentaire doit devenir plus équitable et nous devons en
maîtriser les risques ensemble. »
Le résultat positif à attendre de ces trois mesures, Brigitte Gloire l’expose dans un dernier tableau.
On y voit l’évolution de l’agriculture conventionnelle – assortie d’un input important de produits
chimiques et d’activités génératrices de CO2 – vers un système agro-écologique au sein duquel ces
inconvénients fâcheux restent en retrait.
« Ce que nous devons faire, c’est garantir des réserves alimentaires, garantir la souveraineté
alimentaire et éviter une catastrophe écologique. Et pour cela, il faut refuser les fausses solutions.
Les OGM ne vont pas améliorer ni assurer durablement l’approvisionnement alimentaire. Le
commerce de certificats CO2 ne va pas lutter contre le changement climatique. Le choix en faveur du
biocarburant ne va pas sauver l’environnement. » Et à l’intention des habitants d’Europe, l’oratrice
ajoute encore un message douloureux : il nous faut réduire nos émissions domestiques de 43% pour
équilibrer notre empreinte écologique. Un défi qu’on ne peut ignorer.
Débat: Michael Commons, Bill Vorley, Pieter Louw
Le changement climatique, que peuvent y faire les agriculteurs ?
Michael Commons ouvre le débat par ces mots : « Actuellement, chaque année est une année
étrange ». Michel Commons représente la Earth Net Foundation Thailand, une organisation qui
réunit des milliers de cultivateurs thaïlandais et a pour objectif d’améliorer l’agriculture locale, de
renforcer les communautés agricoles et de rendre plus durable le marché local. « Notre organisation
compte un grand nombre de producteurs de riz. Et ceux-ci remarquent fort les conséquences du
changement climatique. Le climat fait les cabrioles les plus folles. Il y a trois ans, pas une seule goutte
d’eau n’est tombée en deux mois, durant la saison des pluies. Et cette année, c’est exactement
l’inverse : il n’arrête pas de pleuvoir. Dans les deux cas, l’effet sur la récolte est désastreux. » Face à
cette situation, les agriculteurs biologiques ont plus facile que leurs collègues conventionnels,
comme l’a expliqué Michael Commons. Car le sol de leurs champs est plus sain et leurs techniques
offrent une meilleure réponse. « Pour les agriculteurs conventionnels, le changement climatique
constitue une catastrophe absolue. » Et l’intervenant se lança alors dans un plaidoyer en faveur
d’une conversion radicale à l’agriculture biologique. « Nous ne pouvons continuer à regarder
passivement. Nous devons nous adapter, y compris en termes d’agriculture biologique. Le problème,
c’est qu’il n’y a pas de solution standard valable pour tous. La situation est différente d’un village à
l’autre. Chaque village doit donc rechercher ses propres solutions techniques agricoles. Les questions
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que nous devons nous poser, c’est : que se passe-t-il ? Quelles seront les conséquences ? Que
devons-nous faire à cet égard ? »
Pour Michael Commons, l’agriculture deviendra encore plus spécialisée à l’avenir. Il faudra travailler
à l’assainissement des sols et concocter de nouveaux systèmes d’alimentation en eau. Il faudra aussi
cultiver de nouvelles variétés et trouver des réponses à ce qu’on appelle la ‘crise alimentaire’. Que
pourrions-nous bien cultiver si tout le reste disparaît ? Michael Commons attribue ici une mission au
Commerce équitable : soutenir les cultivateurs et les aider à trouver ces solutions.
L’usage impropre des Food Miles
Bill Vorley travaille pour l’IIED (International Institute for Environment and Development). Il évoqua
la question suivante : est-il encore responsable de transporter des aliments du Sud vers l’Europe.
Pour lui, la discussion sur ces ‘food miles’ n’est absolument pas correcte. « Les fleurs du Kenya
provoquent moins d’émissions de CO2 que les tulipes en provenance des serres d’Amsterdam. Les
Food Miles ont en fait été lancés pour démontrer la rupture du lien avec notre alimentation. Car les
Européens mangeaient du bœuf argentin, par exemple, sans se demander d’où il venait, ni comment
il était produit. Aujourd’hui, cette même notion de Food Miles est utilisée contre tout aliment en
provenance du Sud. Ce n’est pas correct. L’Europe a une empreinte écologique bien plus grande que
celle des pays du Sud. Ce ne sont pas ces derniers qui doivent réduire leur empreinte écologique
mais bien nous. Et manger moins de viande rouge, même de provenance locale, pourrait déjà y
contribuer. »
Pour Bill Vorley, notre vision des choses est faussée et cela n’a aucun sens de refuser les aliments en
provenance du Sud. « Où trouve-t-on des terres agricoles fertiles ? Et où y a-t-il de la place pour
l’agriculture ? Plus en Europe. Ce qui est plus important, c’est de payer un prix correct pour les
aliments. Et c’est là qu’intervient le Commerce équitable. «
Que signifie « climat neutre’ ?
Dernier orateur sur le sujet, Pieter Louw prit ensuite la parole. Il travaille chez FLO Cert, l’organisme
de certification du Commerce équitable. Pieter Louw enchaîna sur le thème de la neutralité
climatique. « Le changement climatique constitue effectivement une menace pour
l’approvisionnement alimentaire mondial. Si la température augmente de 2 degrés au Kenya, il y sera
impossible de cultiver du thé, par exemple. Le changement climatique concerne donc les agriculteurs
de très près. Heureusement, le principe du changement climatique est de plus en plus admis par la
plupart des acteurs du marché alimentaire. Tous ne l’acceptent pas, mais ils sont nombreux à le faire.
Et ils se rendent compte qu’ils doivent réduire leur empreinte climatologique. Mais ils ne le font pas
toujours de la bonne façon. Ainsi beaucoup d’entreprises du secteur alimentaire s’efforcent d’arriver
à une production qui soit climatiquement neutre. Seulement, cette neutralité, elles l’atteignent en
achetant des droits d’émission ; leur réelle contribution à des projets de réduction d’émission de CO2
en est donc moins claire. Cela doit cesser. Il est temps que les entreprises agissent elles-mêmes pour
atteindre la neutralité climatique. Elles pourraient aussi investir dans les projets de coopératives
Fairtrade avec, pour résultat, des Fair Carbon Credits. »
Mais les producteurs aussi – les agriculteurs – portent une responsabilité, selon Bill Vorley. « Il existe
des systèmes qui permettent de faire mieux, autrement. Et avec des avantages à la clé… » Et Michael
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Commons renchérit : « Avant, on disait : il ne faut pas donner du poisson aux gens mais une ligne
pour pêcher. Aujourd’hui, il faut aller un pas plus loin et leur apprendre comment mieux pêcher.
Notre savoir à ce sujet vaste. Nous devons le partager. «
Que devrait-il se passer à l’avenir ?
La lutte contre le changement climatique est un mouvement du type ‘tous contre un’, selon les trois
orateurs. Les agriculteurs y jouent un rôle, tout comme les professionnels du traitement, les
distributeurs et les consommateurs. « Nous pouvons intervenir par un comportement alimentaire
adapté, en évitant les gaspillages, etc. Nous ne pouvons pas nous fixer des objectifs trop faciles. »
Pour l’industrie, le temps des dictats est bien passé. « Jusqu’il y a peu, les entreprises pouvaient se
rendre chez les producteurs et leur dire ‘vous devez agir ainsi’. Cette époque est révolue, même si
toutes les entreprises ne l’ont pas encore réalisé. De plus, à l’avenir, nous devrons réduire les filières.
Des intermédiaires vont disparaître. Les échanges d’informations vont augmenter et les relations
prendront beaucoup plus d’importance. »
La Commerce équitable a aussi sa place dans ce scénario. Il va aider les producteurs à survivre au
changement climatique. Il va influencer le marché, fort de la confiance des consommateurs, une
confiance qu’il ne peut décevoir.
Récit : Aurelie Gerth
Ben & Jerry intégralement Fairtrade
C’est Aurelie Gerth, d’Unilever, qui boucla l’après-midi en présentant la décision d’Unilever de
convertir l’entièreté de la gamme Ben&Jerry’s au Fairtrade d’ici la fin 2012. « Notre marque de glace
a une image sociale forte. Et ce depuis sa création. Dès lors, le choix en faveur de l’équitable fut aisé.
Par contre, ce qui fut plus difficile, ce fut de trouver les matières premières. Mais à présent, nous les
avons. »
Unilever pourrait d’ailleurs étendre le changement à d’autres produits. « D’ici 2020, Unilever
n’utilisera plus que des matières premières durables. Nous trouvons cela important car il faut
absolument modifier maintenant nos modes de production et de consommation afin de préserver
notre planète. Pour Unilever, les produits doivent être économiquement durables, socialement
acceptables et écologiquement responsables. Et nous voulons nous y engager. »
Epilogue : Riccardo Petrella
Où est l’homme ?
C’est au professeur émérite Riccardo Petrella que revint le rôle de tirer les conclusions. Ricardo
Petrella a trouvé la rencontre particulièrement passionnante et intéressante. Mais certaines choses
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l’ont toutefois interpellé. Et notamment, le fait qu’on avait principalement parlé de ‘commerce’ et
très peu des ‘hommes’. « Tout passe par des bourses », déclara-t-il. « Il y a des bourses du café et
des céréales, des bourses pour les droits d’émission, et il y aura bientôt aussi des’ bourses de l’eau’.
Et va-t-on voir les soins de santé bientôt réglés par l’une ou l’autre bourse également ? Comme si le
monde ne pouvait fonctionner qu’à partir du moment où tout est commercialisé et contrôlé. Où est
le politique dans tout cela ? Où est l’intérêt public ? Riccardo Petrella a instamment prié Max
Havelaar de ne pas oublier l’homme qui se trouve derrière le ‘Trade’. « Faut-il vraiment que les
marchés règlent tout sur terre ? » demandait-il. Pour lui, en tout cas, la réponse est claire… c’est
non !
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