THEATRE ET ARTS DE LA SCENE Henry VI Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen 06/01/12 1 THEATRE ET ARTS DE LA SCENE Henry VI 06/01/12 ―SOMMAIRE― Première partie : avant la représentation Présentation Affiches et attentes du spectateur L’ambition du drame historique shakespearien Chronique et drame historique La mise en scène de Thomas Jolly, monter Henry VI aujourd’hui La mise en intrigue Représentation de l’histoire (1) : la Guerre de Cent ans & (2) : la Guerre des Deux Roses Figures royales (1) le deuil d’Henry V & (2) le règne d’Henry VI Figures guerrières : Talbot, Jeanne d’Arc Figures politiques : Gloucester, York Pouvoirs de la scène élisabéthaine Les codes de représentation élisabéthains Les grandes lignes de la mise en scène, entretien avec la Piccola Familia 3 3 5 6 8 11 13 15 17 18 19 21 23 Crédits Impressions Ce qui reste en mémoire : les images Le rythme du spectacle La lisibilité de l’histoire Un théâtre festif Les personnages et le travail des costumes La scénographie Les lumières : ambiances et atmosphères Bilan 25 26 27 28 30 31 32 34 37 39 Biographie de William Shakespeare Présentation de la Piccola Famillia Henry VI vu par d’autres La transmission de la couronne Extraits, représentation de l’histoire (1) la Guerre de cent ans & (2) la Guerre des Deux Roses Extraits, figures royales (1) le deuil d’Henry V & (2) la figure d’Henry VI Extraits, figures politiques (1) Gloucester & (2) York Extraits, figures guerrières (1) Jeanne d’Arc & (2) Talbot Jeanne d’Arc, le mythe réinterprété Esquisses scénographiques pour la mise en scène de Thomas Jolly 40 42 44 45 46 48 49 51 53 54 Deuxième partie : après la représentation Annexes : La traduction retenue pour a mise en scène est celle de Line Cottegnies, publiée dans la Pléiade aux éditions Gallimard ; pour le présent dossier, il s’agit de la traduction de F.-V. Hugo, libre de droits. Pièces à vivre : une série de dossiers pédagogiques conçus en partenariat par la Délégation Académique à l’Action Culturelle de l’Académie de Caen et les structures théâtrales de l’académie à l’occasion de spectacles accueillis ou créés en Région Basse-Normandie. Le théâtre est vivant, il est crée, produit, accueilli souvent bien près des établissements scolaires ; les dossiers des « Pièces à vivre », construits par des enseignants en collaboration étroite avec l’équipe de création, visent à fournir aux professeurs des ressources pour exploiter au mieux en classe un spectacle vu. Divisés en deux parties, destinées l’une à préparer le spectacle en amont, l’autre à analyser la représentation, ils proposent un ensemble de pistes que les enseignants peuvent utiliser intégralement ou partiellement. Retrouvez ce dossier, ainsi que d’autres de la même collection et des ressources pour l’enseignement du théâtre sur le site de la Délégation Académique à l’action Culturelle de l’Académie de Caen : http://www.discip.ac-caen.fr/aca/ Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen 2 THEATRE ET ARTS DE LA SCENE Henry VI 06/01/12 Avant la représentation Présentation Pièce de jeunesse de Shakespeare (1592), Henry VI est une œuvre ambitieuse : elle recouvre trois parties de cinq actes chacune, et s’inscrit avec sa suite, Richard III, plus connue et parfois représentée de façon autonome, dans une tétralogie dépassant à l’époque déjà la dizaine d’heures de représentation. Tomas Jolly s’attelle aujourd’hui à sa mise en scène au travers de deux cycles programmés par la Piccola Familia en 2012 et 2013. Cette tragédie historique, directement inspirée par la chronique anglaise, présentait aux contemporains de Shakespeare des événements datant parfois seulement de 120 ans et qui avaient laissé de fortes traces dans la monarchie anglaise (crainte de la guerre civile, précédent des régicides et détrônement…). Sa mise en scène actuelle affronte plusieurs exigences : le rapport entre chronique historique et modernité, la représentation d’un monde complexe en plein basculement, et notamment la représentation de sujets labiles comme la guerre, le destin des nations, ou la capacité à organiser la masse foisonnante des individus et des événements. Le dossier ouvre donc, avant la représentation, plusieurs pistes, sur le matériau historique au théâtre et son foisonnement, puis sur la dramaturgie de Shakespeare qui organise et condense temps, lieux et personnages ; enfin la question de la gageure de la représentation de ces sujets sera abordée au travers de l’étude de la théâtralité élisabéthaine et des projets de Thomas Jolly et de la Piccola Familia. Les extraits proposés, reproduits en annexe, proposent quatre pistes distinctes qu’on exploitera tout ou partie : représentations de l’histoire, figures royales, figures guerrières et figures politiques. Affiches et attentes du spectateur Il est possible de se proposer de travailler diversement sur les attentes du spectateur pour les mettre en lien par la suite avec l’ambition dramatique de Shakespeare et le projet de mise en scène de la Piccola Familia. Si Shakespeare est un nom connu, et si certains titres peuvent être familiers des élèves (on pense à Hamlet, Roméo et Juliette, voire le Songe d’une nuit d’été ou Macbeth) et des occasions de repérer des thématiques dont on suivra la réalisation ou pas dans la pièce présente (passion amoureuse, interrogation métaphysique, lutte pour le pouvoir), le règne d’Henry VI n’est pas une référence historique évidente pour le spectateur français. On peut néanmoins se demander ce qu’engage la forme du titre, ainsi que la précision de l’existence de trois pièces intitulées Henry VI. Les questions du pouvoir, de la monarchie et, numéro faisant, de la légitimité royale semblent manifestes. En outre, on peut proposer également une analyse comparée des affiches de plusieurs mises en scène, françaises et anglaise, de la pièce, reproduites ici. On relèvera la sobriété du recours au symbole (couronne, roses, épée) plutôt que la mise en scène de l’individu. Sera également sensible l’utilisation et le traitement des symboles (matière en déliquescence, stylisation solaire). Certaines affiches posent la question de l’homme détenteur du pouvoir (couronne portée ou pas, tête couronnée ou sans couronne, main gantée tenant l’épée), entre valse des prétendants ou anonymat. L’une d’elles tranche en outre, affirmant moins le symbole royal qu’une allusion historique précise (la Guerre des Deux Roses) et le recours à la violence pour « trancher » le conflit. Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen 3 THEATRE ET ARTS DE LA SCENE Henry VI 06/01/12 1. Mise en scène de Michael Boyd (2006) 2. Mise en scène de Lionel Fernandez (2010) 3. Mise en scène de Nicolas Oton (2008) 4. Mise en scène de Thomas Jolly (2012) Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen 4 THEATRE ET ARTS DE LA SCENE Henry VI 06/01/12 L’ambition des drames historiques shakespeariens Pour commencer, parcourir la liste des personnages de la première partie d’Henry VI permet de rendre compte de l’ambition de la pièce historique élisabéthaine. Les listes des personnages L’usage des « dramatis personae » (liste des personnages) s’est imposé assez tardivement et était rare à l’époque de Shakespeare. Il relève d’une part de la volonté de faire éditer son texte, opération difficile pour le poète dramatique, puisque le texte appartenait à la troupe, et encore peu nécessaire à l’époque : l’édition constituait au mieux une forme de fixation de la propriété intellectuelle, mais le spectacle primait nettement sur le texte écrit. Les rôles féminins Les personnages sont nombreux, aussi les acteurs sont-ils amenés à jouer plusieurs rôles. Seuls les hommes peuvent monter sur les planches, les rôles féminins sont tenus par des adolescents imberbes, ce qui en limite le nombre. Ces jeunes garçons sont de vrais professionnels car dès leur plus jeune âge, ils apprennent le chant, la musique, la danse, la diction ainsi que les gestes et les intonations féminines. Cependant, leur sort est précaire et ils ne sont considérés que comme des apprentis auprès des comédiens chevronnés. On rendra les élèves sensibles notamment au grand nombre des personnages, au redoublement par les effectifs des deux nations. Aux personnages aristocratiques répond la présence du peuple ou des soldats au travers de personnages indifférenciés (« soldats, serviteurs »…) ou de rôles épisodiques emblématiques : « un geôlier, un juriste …». On peut interroger cette pléthore de personnages secondaires dont la mise en forme de la chronique ne fait pas l’économie : quelle fonction donner à cette volonté de maintenir le nombre sur le plateau, à ne pas concentrer l’action autour des seules têtes couronnées ? On notera également des personnages plus surprenants (« les démons » qui apparaîtront à Jeanne) qui nous rappellent que le théâtre élisabéthain ne recule pas devant la représentation du surnaturel. La rareté des personnages féminins (voir encadré) ― puisque Jeanne et la comtesse d’Auvergne ne trouveront d’écho qu’avec la reine Marguerite en deuxième partie ― témoigne aussi du recul de la thématique amoureuse, comme rejetée en périphérie de l’action guerrière (les soldats, canonniers , sentinelles…) et de l’intrigue dynastique. En effet, les qualités des personnages aristocratiques laissent augurer des dissensions et des appétits possibles : plusieurs oncles ou grands-oncles autour du roi, des nobles rendus égaux et donc rivaux par des titres équivalents (ducs, comtes). Une analyse plus fine ferait apparaître des enjeux spatiaux révélateurs : du côté anglais, la Tour de Londres, symbole de mise à mort et d’emprisonnement politique (l’apparition d’Edmund Mortimer qui constitue un rappel des événements dynastiques antérieurs prend place de façon révélatrice dans cette geôle) constitue déjà une clôture ou un horizon sinistre, rappelé par ses gardiens et geôliers : le sort de Gloucester, celui de Mortimer confirment au besoin cette proximité du pouvoir et de l’enfermement, voire de la mort. En France, on retrouve cette dynamique spatiale des personnages (sentinelle, portier, chef de garnison…) qui relève plus de l’état de siège. Si les effectifs des personnages de la pièce nous semblent déséquilibrés, il reflète la conception de l ‘histoire de l’époque : les menées des aristocrates ont des répercussions sur l’ensemble de la nation. Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen 5 THEATRE ET ARTS DE LA SCENE Henry VI 06/01/12 Chronique et drame historique Henry VI relève d’une mode théâtrale, d’une production abondante à la fin du 16 ème siècle dans l’Angleterre élisabéthaine : les « chronicle plays » (« pièces chroniques »), appelées aussi « histories ». Elles permettent de rappeler un matériau essentiel des œuvres dramatiques des temps modernes, les chroniques historiques qui sous différentes formes (chroniques, annales, vie, éloges…) ont inspiré les dramaturges. Les trois parties d' Henry VI et Richard III forment ce que l'on appelle la première tétralogie (ensemble de quatre œuvres reliées). La source principale du dramaturge est The union of the two Noble and illustre Families of Lancaster and York (1548) chronique d'Edward Hall. Les chercheurs pensent que Shakespeare n'est pas l'unique auteur et qu'il aurait eu des collaborateurs. Cela ne facilite sans doute pas la « vérité historique ». Comment Shakespeare revisite-t-il la chronique ? Au-delà de l'opposition avec la France, Shakespeare s'est surtout intéressé à la guerre civile. Les horreurs ne sont pas seulement sur le champ de bataille, mais aussi dans les assassinats, la cruauté, le sadisme des révoltés. Quand Edward Hall analyse les malheurs d'Henry VI, il ne se limite pas à une explication théologique, certes, certains pensent que sa chute est due à la punition divine qui frappa le petit-fils pour la faute de son grand-père. Mais beaucoup estimaient aussi que c'était un homme sans grande intelligence, soucieux de vertu et de piété. Ses ennemis soulignaient son manque de courage et d'esprit d'entreprise. Ce qui intéresse Shakespeare, c'est le comportement de ceux qui luttent pour obtenir le pouvoir. Quant au petit peuple, Shakespeare n'en fait pas un portrait très favorable, en particulier quand il se révolte. Les humbles sont brutaux et obstinés, jaloux des lettrés au point de vouloir les pendre. Le comique souligne le manque de sagesse dans le peuple par la parodie et évoque le risque de chaos menaçant l'Angleterre. Globalement, la théâtralisation de l'histoire se fait grâce à des trahisons ponctuelles. Toutefois, il s'agit d'obtenir une fidélité plus large aux soubresauts de la chronique. Shakespeare condense des événements, invente des possessions anglaises (Orléans, Poitiers). Ainsi, le dramaturge glorifie Talbot dans la première partie. Certes, c'était un grand soldat. Il n'était pas le seul, Bedford, l'était aussi. Or, Shakespeare le vieillit pour réduire son rôle et efface l'importance d'autres vaillants combattants. Talbot, sorte de héros national, se voit attribuer des exploits fictifs en France. Par ailleurs, son ennemie Jeanne d'Arc, ne ressemble pas à notre figure mythique. Pour les Anglais, elle représentait la sorcière, source du mal et triomphante seulement grâce à ses pouvoirs diaboliques car les soldats anglais étaient forcément supérieurs. Shakespeare suit donc les chroniqueurs anglais dans la vision avilissante de la Pucelle. Cependant, les événements historiques sont souvent anachroniques, contrairement aux données de Hall et de Holinshed. La prolongation de la vie de Jeanne permet ainsi à Shakespeare de la remplacer et de la mettre en concurrence avec une autre Française, capturée, Marguerite d' Anjou, plus belle, plus vénéneuse, personnage plus intrigant et plus dramatique, qui ruinera l'Angleterre. Quels sont les enjeux du recours à la chronique ? Comment comprendre ce recours à la chronique pour fonder le spectacle théâtral ? Et que peut devenir cette référence de nos jours ? Piste de réflexion En parallèle de la question de l’homme dans les genres de l’argumentation en première, on invitera les élèves à lire les textes suivants (A à D) pour en déduire les différents usages possibles de la chronique, de l’Histoire dans le drame shakespearien (mise au service d’un passé national et d’un héritage commun ? illustration morale des aléas de la Fortune ? analyse implacable d’un mécanisme politique ? étude anthropologiques des comportements des individus face au pouvoir ?). On s’efforcera de mesurer comment ces usages placent l’action humaine sous l’angle de l’historicité ou de l’universalité, et dans quelle mesure ils constituent une mise en évidence d’une nature humaine, bonne ou mauvaise, ou de la soumission à un ordre des choses. Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen 6 THEATRE ET ARTS DE LA SCENE Henry VI A. « Je ne viens plus vous faire rire : maintenant ce sont des choses d’un aspect considérable et sérieux, graves, élevées, imposantes, pleines de majesté et de tristesse, de nobles scènes faisant couler les pleurs des yeux, que nous vous présentons. Ici, ceux qui sont capables de pitié pourront, s’ils réfléchissent bien, laisser tomber une larme. Ceux qui donnent de l’argent dans l’espoir d’un récit digne de foi pourront ici trouver la vérité. (…) Imaginez que vous voyez les personnages mêmes de notre noble histoire, tels qu’ils étaient de leur vivant. Imaginez que vous les voyez puissants, et suivis de la foule haletante de leurs mille amis ; puis voyez comme, en un moment, cette grandeur se heurte à la détresse ! Et si alors vous pouvez être gais, je dirai qu’un homme peut pleurer le jour de ses noces ». (Prologue d’Henry VIII de Shakespeare et Fletcher). B. « La magie du théâtre permet de ressusciter les morts, de faire revivre sur scène le héros anglais par excellence pendant la Guerre de Cent Ans, de donner une sorte de matériau pour alimenter cette fièvre patriotique et nationaliste. Shakespeare a toujours une sorte de flair pour ce qui va plaire aux spectateurs. Il n’écrit pas pour la gloire, il écrit d’abord pour gagner sa vie en tant que comédien et directeur de troupe. (…) Il faut qu’il écrive des pièces qui plaisent, qui enthousiasment, qui enflamment le public. L’idée de Shakespeare est de mettre en scène, de transposer cette Histoire en la confiant à la scène professionnelle des théâtres publics, en faisant de l’Histoire l’équivalent des anciens Mystères, ces processions religieuses données dans les villes anglaises. » (François Laroque, la Passion du pouvoir) 06/01/12 C. « Le beau monde que voilà… Mais quel monde ? Celui de Richard III ? Celui de Shakespeare ? De quel monde parlait Shakespeare, quelle époque voulait-il montrer ? Les féodaux du 15ème siècle, se massacrant les uns les autres, ou bien, peut-être le règne de la bonne, sage et pieuse reine Elisabeth, qui fit décapiter Mary Stuart quand Shakespeare avait vingt-trois ans, et envoya à l’échafaud quinze cents Anglais, au nombre desquels ses propres amants et des ministres du royaume, des docteurs en théologie et des docteurs en droit, des chefs d’armée, des évêques, de grands juges ? Le beau monde que voilà… Mais peut-être Shakespeare montrait-il un monde où seul change le nom des rois, mais où le Grand Mécanisme est toujours le même, qu’autour de la longue table s’asseyent des chevaliers en heaume et en cotte de mailles, des seigneurs poudrés et souriants, aux perruques blanches, ou encore des hommes d’un certain âge, aux cheveux coupés court et aux vestons militaires boutonnés au ras du cou. » (Jan Kott, Shakespeare notre contemporain). D. « Toutes les pièces historiques montrent que l'histoire humaine est essentiellement conflictuelle, et c'est le conflit des personnalités très diverses que Shakespeare met en scène. L'ordre, l'harmonie d'un état et d'une société sont toujours précaires et menacés. Les rois sont présentés sans complaisance et sans déférence particulières. (…) Les souverains sont des hommes comme les autres avec leurs qualités et leurs défauts, mais les conséquences de leurs actions sont magnifiées par le pouvoir dont ils disposent. » (G. Monsarrat, préface aux œuvres complètes, éd. Robert Laffont). Prolongements 1. Dans le cadre de l’étude du théâtre au lycée, on s’emploiera à rendre les élèves sensibles aux choix des sujets, comme marques des grandes esthétiques théâtrales (tragédie antique, drame élisabéthain, tragédie classique, drame romantique, formes contemporaines) : sujet mythologique, historique ou inventé, recul dans le temps ou proximité des événements représentés. 2. Dans quelle mesure le langage dramatique peut-il servir l’histoire ? Dans quelle mesure l’histoire alimente-t-elle le drame ? Ce peut être l’occasion de poser la question de la poésie et de l’anecdote au théâtre, au travers de textes théoriques (livre IX de la Poétique d’Aristote, préfaces de Racine…). En outre, la mise en drame et la mise en scène de l’Histoire peuvent être l’objet de comparaisons éclairantes entre différentes périodes et esthétiques théâtrales : l’histoire et/ou le destin qui échappe au personnage antique instrumentalisé, l’histoire accomplie par les passions des personnages classiques, le héros romantique en lutte avec l’histoire, voire l’abstraction de l’Histoire dans les dramaturgies postmodernes depuis Beckett. Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen 7 THEATRE ET ARTS DE LA SCENE Henry VI 06/01/12 Le projet de la Piccola Familia Exploiter la note d’intention A partir de la lecture des notes d’intention et de répétition ci-dessous, on pourra interroger les élèves sur le projet de Thomas Jolly et de la Piccola Famillia de monter Henry VI : Quel état d’esprit actuel justifie le choix de cette pièce ? En quoi cette mise en scène constitue-t-elle un défi ? Et quelles références la troupe convoque-t-elle pour traiter cette œuvre ? On pourra utilement faire le lien avec le travail d’un autre metteur en scène sur Henry VI, Stuart Seide, dont les propos sont reproduits en annexe. Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen 8 THEATRE ET ARTS DE LA SCENE Henry VI Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen 06/01/12 9 THEATRE ET ARTS DE LA SCENE Henry VI Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen 06/01/12 10 THEATRE ET ARTS DE LA SCENE Henry VI 06/01/12 La mise en intrigue Henry VI est un drame fleuve en 15 actes, avec 150 personnages, une trilogie représentée en 1592. C'est la première pièce de Shakespeare et son premier drame historique. Elle retrace 50 ans d'histoire. La mise en scène de Thomas Jolly s'est attachée à rassembler l'épisode 1 et une partie de l'épisode 2 (jusqu'à la mort de Gloucester) ce qui constitue le CYCLE I, et à réunir la fin de l'épisode 2 et l'épisode 3 pour constituer le CYCLE II qui sera présenté ultérieurement (2012 ou 2013). Nous allons résumer ici les deux épisodes au complet et donner un aperçu du dernier épisode pour mieux cerner l'intégralité de l'œuvre. En transposant la chronique sous forme dramatique, Shakespeare réalise une mise en intrigue, c’est-à-dire qu’il choisit des événements, en suppriment d’autres et établit une forme de montage (effets d’enchaînement, de simultanéité, de contrastes). On pourra donc parcourir ce résumé analytique selon plusieurs possibilités permettant de décrire les procédés de mise en intrigue utilisés par Shakespeare : - le rythme des tableaux : agencement des lieux dramatiques (alternance France/Angleterre), contrastes des actions scéniques (scènes épiques sur le champ de bataille et scènes d’intrigue), symétrie des scènes (côté anglais, côté français, faction de la rose rouge, faction de la rose blanche…). - la construction de l’action autour de quelques figures : en s’appuyant sur les apparitions récurrentes et les actes de quelques personnages emblématiques, on peut dégager des lignes de force : on peut observer dans quelle mesure le roi Henry VI est présent, efficace, ou pas, comment Jeanne d’Arc s’impose aux Anglais avant d’être défaite, mais aussi comment l’héroïque Talbot est perdu ou encore par quels moyens, au milieu de ce chaos, York accomplit une à une les étapes de son plan. 1ère partie ou épisode I Acte I Henri V est enterré à Londres. Ses proches se disputent le pouvoir pendant la minorité d'Henri son fils. Trois messagers arrivent à la cour et annoncent : la perte de nombreuses villes en France, le couronnement du dauphin Charles à Reims (la noblesse française s'étant ralliée au souverain), la défaite des Anglais à Patay et la capture du général Talbot. Charles VII décide d'attaquer les Anglais qui assiègent Orléans avec l'aide de Jeanne d'Arc. A Londres, Gloucester et l'évêque Winchester qui rêve de gouverner, se battent, leurs serviteurs également, séparés par le Lord-maire. A Orléans, alterne ce qui se passe du côté français et du côté anglais. Le fils du canonnier chargé de monter la garde, tire sur les Anglais qui se montrent imprudemment à une embrasure de la citadelle. Deux des amis de Talbot sont tués et il jure de les venger. Il ne parvient pas à repousser Jeanne qui entre triomphalement dans Orléans. Le roi lui rend hommage. Acte II Talbot, Bedford et le Duc de Bourgogne préparent un plan pour reprendre la ville. Talbot est invité chez la comtesse d'Auvergne qui l'admire et rêve de le capturer. Elle a du mal à croire que cet homme peu attirant est le vrai Talbot. Il lui prouve son identité. A Londres, des jeunes nobles se querellent et forment deux clans, celui de la rose rouge de Somerset et celui de la rose blanche de Richard d'York. Mortimer reçoit Richard en prison avant de mourir. Richard jure de reprendre le pouvoir pour les York. Acte III Le jeune Henri VI, qui a 8 ans, voit la querelle de Winchester et de Gloucester. Il accepte de rendre à Richard les biens et titres confisqués par Henri V, son père. En France, Jeanne et ses soldats déguisés en paysans, entrent dans Rouen et le roi attaque la ville. Talbot doit prendre la fuite. Mais il reviendra en vainqueur. Henri vient se faire couronner à Paris (III,8) et fait de Talbot le comte de Shrewsburry, alors que tous les partisans des clans opposés s'injurient. Acte IV C'est le couronnement d'Henri VI. Talbot se moque de Falstaff qui a fui devant l'ennemi. Le roi tente de montrer aux clans opposés que les deux roses se valent. Il nomme York régent de France car il a tiré au hasard une Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen 11 THEATRE ET ARTS DE LA SCENE Henry VI 06/01/12 rose rouge. Talbot fait le siège de Bordeaux. York et Somerset se querellent sur leurs prétendues incompétences respectives. Talbot ordonne à son fils de fuir le champ de bataille, mais ce dernier refuse et meurt, son père également. C'est une victoire française. Acte V Henri cherche à faire la paix et accepte d'épouser la fille du comte d'Armagnac. En France, Jeanne demande en vain l'aide de ses démons pour gagner une bataille. Elle est capturée par Richard d'York. Le comte de Suffolk veut que Marguerite d'Anjou épouse Henri VI. Jeanne a renié son père, s'est déclarée enceinte, a invoqué sa noblesse pour éviter le bûcher, en vain. Henri accepte d'épouser Marguerite et envoie Suffolk la chercher en France. 2ème partie ou épisode 2 Acte I Suffolk arrive à la cour avec Marguerite d'Anjou pour la présenter à Henri, son futur époux. Il est si fasciné qu'il en oublie les clauses du contrat. Chaque noble donne son opinion avant de quitter les lieux. Le dernier, York, révèle son désir de destituer le Lancastre. Gloucester, lui, reste fidèle au roi et n'accepte pas les rêves de pouvoir de sa femme, amenée alors à comploter contre lui. Une querelle prend place ensuite entre un armurier et son apprenti, l'un assurant le droit à la couronne de York, l'autre le refusant. Gloucester est accusé de mal gérer les affaires du royaume. Sa femme Eléonore, par l'intermédiaire d'un prêtre mal intentionné, ennemi de Gloucester, reçoit et interroge une sorcière et un nécromancien. Mais ils sont arrêtés. Acte II Les attaques contre Gloucester reprennent. Cependant ce dernier, perspicace, montre ses capacités à démasquer un faux miraculé déclarant avoir recouvré la vue en priant St Alban. Toutefois, il doit laisser sa femme face à la justice, condamnée à l'exil pour avoir communiqué avec une sorcière. York reprend l'exposé de son oncle Mortimer pour expliquer son droit à la couronne à Salisbury et Warwick. La cour assiste au combat entre l'armurier et son apprenti qui doit résoudre leur conflit. Ce dernier gagne dans l'indifférence du roi. Acte III Le souverain ne défend pas Gloucester, toujours attaqué, jugé responsable des pertes de territoires français. Ses ennemis (Suffolk et le cardinal) décident de l'éliminer. On donne une armée à York pour réprimer une rébellion en Irlande et celui-ci prévoit des troubles en Angleterre grâce à Cade. Le roi s'évanouit devant le cadavre de Gloucester et accuse Suffolk que la reine défend. (Là s'arrête la mise en scène de Thomas Jolly pour le cycle I) Suffolk est finalement banni par le roi. La reine et l'exilé se quittent comme des amants. Le cardinal, malade et délirant, révèle sa culpabilité à Henri. Acte IV Un capitaine corsaire fait exécuter son captif, Suffolk, trop méprisant. Un noble décide de rapporter le corps et la tête à la reine. Pendant ce temps, Cade, à la tête d'insurgés, tient des propos subversifs contre les lettrés et décide de marcher sur Londres. Il refuse toutes négociations. Le roi voudrait éviter le massacre mais fuit devant la force des révoltés. Cade enivré par son nouveau pouvoir, permet les pires exactions. C'est alors que Clifford et Buckingham parviennent à détourner les mutins en faveur de la reconquête de la France. Mais York revient et fait à nouveau trembler le roi. Cade sera finalement abattu dans un jardin. Acte V York ayant réussi à obtenir l'emprisonnement de son ennemi Somerset, se déclare sujet du roi. Mais Somerset apparaît et York, furieux, exige le pouvoir. Des querelles s'enchaînent, déclenchées après des insultes à la reine. Puis la première bataille (St Albans) est perdue pour les Lancastre. Les souverains fuient à Londres. York, triomphant poursuit les fuyards. 3ème partie ou épisode 3 (aperçu) Le roi accepte que la couronne revienne à la maison des York après sa mort. Mais la reine refuse cela et vient Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen 12 THEATRE ET ARTS DE LA SCENE Henry VI 06/01/12 livrer bataille. York vaincu, meurt. Richard d'York a deux fils, Edouard et Richard. C'est la deuxième bataille de St Albans. Le roi se lamente et rêve d'une vie pastorale. Devant les massacres de la guerre, le roi pleure. Henri se réfugie en Ecosse. Edouard d'York s'est fait proclamer roi. Richard, duc de Gloucester, son frère, ne pense qu'au pouvoir, à la puissance. A la tour de Londres, Richard tue Henri, prisonnier. Et désormais, tous ceux qui vont lui barrer la route de la couronne, seront éliminés. Ce dernier épisode ouvre la voie au drame historique suivant : Richard III. Bilan Quels effets se dégagent de cette construction dramaturgique ? - Comment l’effet sur le spectateur peut-il justifier cette construction dramaturgique ? (intensité à maintenir, alternance des spectacles proposés, des tons…) - Quelle image est donnée globalement de la couronne anglaise au travers de cette structure dramaturgique ? - Quelle conclusion politique et morale la pièce sous-entend-elle quant au lien entre les revers de la Guerre de cent ans et les troubles des Deux Roses ? Représentation de l’histoire (1) : la Guerre de cent ans Retrouvez les extraits commentés ici reproduits en annexe. La guerre de cent ans Elle a duré de 1337 à 1453, mais pas dans la continuité (55 années de trêve, 61 ans de combats). Elle n'a pas concerné tout le royaume de France mais a semé la mort et la désolation sur les lieux de bataille. En 1400, après le meurtre du roi d'Angleterre, Richard II Plantagenêt, qui avait épousé Isabelle, fille du roi de France, s'ouvre une deuxième phase de cette guerre. Elle est menée par les Lancastre qui ont usurpé le pouvoir en Angleterre, après le meurtre de Richard. Ils espèrent trouver, dans la conquête de la France, facilitée par la folie du roi Charles VI (grand-père d'Henri VI), la confirmation de leur pouvoir. En 1415, Henri V de Lancastre, appuyé par le duc de Bourgogne, s'installe en Normandie et remporte la victoire d'Azincourt, véritable désastre pour les Français. Après s'être emparé de Rouen, il fera son entrée à Paris en 1418. Par le traité de Troyes (21 mai 1420), il obtiendra la main de Catherine de France, fille de Charles VI le roi fou, et la promesse du trône de France pour leur descendance, écartant ainsi le successeur légitime Charles (futur Charles VII). Henri V meurt le 30 août 1422. Son frère, le duc de Bedford, prend le titre de Régent de France et veille, dans le pays envahi (Normandie, Picardie, Ile de France, le nord de la Loire) aux intérêts de son neveu, futur Henri VI, roi de France et d'Angleterre. La pièce de Shakespeare se propose donc une matière singulièrement écrasante, qui est présente de façon régulière mais entrecoupée dans l’intrigue : faisant la navette entre France et Angleterre, la pièce invite à relier les actions militaires sur le terrain français avec la situation de la royauté anglaise. L’extrait choisi (I,5) permet de poser la question de la représentation de la guerre, d’abord au niveau dramaturgique (comment le texte dramatique inclut la représentation de la guerre) pour ensuite la poser au niveau de la mise en scène (voir « Pouvoirs de la scène élisabéthaine »). Pistes d’observation On invitera les élèves à observer comment la construction de la scène permet de représenter la confusion du champ de bataille (rythme et répétition des actions) et comment elle crée un écart entre les paroles des personnages et la réalité des faits. Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen 13 THEATRE ET ARTS DE LA SCENE Henry VI 06/01/12 Représentation de l’histoire (2) : la Guerre des Deux Roses Retrouvez les extraits commentés ici reproduits en annexe. La guerre des Deux Roses Il s'agit d'une série de guerres civiles en Angleterre entre la maison des Lancastre (rose rouge) et celle des York (rose blanche) pour obtenir le pouvoir. Elle dure de 1455 à 1487. Elle commence à la révolte de Richard d'York qui conteste le trône d'Henri VI, un Lancastre (maison au pouvoir après l'assassinat de Richard II). La faiblesse du roi Henri VI, sur le trône dès 8 ans, va favoriser les querelles intestines. Les conseillers (Somerset et Suffolk) sont impopulaires, on leur reproche leur incapacité à gérer les affaires du royaume, et surtout d'avoir perdu des territoires français gagnés par Henri V. De plus, Henri VI, donne de plus en plus des signes inquiétants de maladie mentale et cela va jouer un rôle incontestable dans le déclenchement du conflit. Le souverain alternera entre crises et rétablissements. Le pouvoir aussi, entre Henri et Richard et ce dernier sera nommé Lord Protector par un concile de Régence. Les familles des nobles prennent parti soit pour les York (Beaufort duc de Somerset, Percy duc de Northumberland), soit pour les Lancastre (Herbert comte de Pembroke, Howard duc de Norfolk). La première grande bataille est celle de Saint Alban en 1455, une défaite des Lancastre. Somerset et Northumberland sont tués. En 1460, nouvelle défaite pour les Lancastre. Mais les Lords décident qu'Henri VI restera roi. La bataille de Wakefield voit la mort de Richard, son fils et Salesbury sont décapités. Sur l'ordre de Marguerite, les trois têtes sont placées sur les portes d'York. Edouard prendra sa revanche à Warwick, l'autre fils de Richard régnera dix ans. Son fils, n'ayant que 12 ans à sa mort, c'est son frère Richard, duc de Gloucester, qui va convoiter le pouvoir pour devenir Richard III (drame historique que Shakespeare a donné après Henri VI). La guerre des Deux Roses a été perçue comme une leçon de morale, suggérant encore les luttes fratricides, la trahison, l'avidité, le meurtre et la cruauté. Ce fut un désastre pour l'influence anglaise en France. Il ne restait rien de ce qui avait été conquis durant la guerre de cent ans. La scène de Shakespeare imagine la querelle originelle qui aurait provoqué le conflit ; à la manière du jugement de Pâris dans la mythologie grecque, un choix d’alliance s’offre à plusieurs aristocrates et entraînera deux factions irrémédiablement adverses. Par contraste avec le théâtre des opérations françaises, la scène multiplie les indices de calme (jardin, silence, refus de trancher) ; mais cette quiétude est déjà grosse des violences à venir. Toutes les précautions, comme celles de Somerset qui appelle à un arbitrage, de Warwick qui refuse de juger ou de Vernon qui en appelle à un respect du choix de la majorité, sont aussi révélatrices de la lourdeur des enjeux ; et de fait les personnages en viennent tous à choisir un parti. Les symboles des deux clans (rose rouge et rose blanche) deviennent progressivement des signes d’hostilité (le rouge rappelle le sang, le blanc la pâleur de la peur ou de la mort) et des images rhétoriques pour influencer un personnage, en lui promettant de faire couler le sang au besoin par exemple. Activités Cette scène peut être l’occasion d’un travail de mise en voix avec variations : on pourra demander aux élèves, après une répartition des rôles sur plusieurs groupes, de donner une lecture de la scène en choisissant de marquer plus ou moins : - les pressions exercées par les voix d’York et Somerset (de la persuasion à la menace) - le temps entre les répliques, pouvant constituer une atmosphère étouffante (dilatation) ou le fait d’assumer un des partis (contraction). -l’humour possible des personnages qui peuvent dissimuler leur méfiance et/ou leur agressivité. On pourra également inviter les élèves à imaginer, par exemple au travers de croquis, comment, dans un espace vide hérité du théâtre élisabéthain, l’enjeu de cette scène peut être porté par l’utilisation des accessoires (roses), et le placement dans l’espace des acteurs. Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen 14 THEATRE ET ARTS DE LA SCENE Henry VI 06/01/12 Figures royales (1) : Henry V Retrouvez les extraits commentés ici reproduits en annexe. La première scène joue dans le drame élisabéthain le rôle d’une exposition, mais elle s’en distingue en présentant les enjeux en situation, en les rendant immédiatement sensibles plutôt qu’en fournissant de l’information. Elle est chargée de marquer le début de l’histoire mais aussi celui de la représentation théâtrale, d’où sa théâtralité, sorte de mise en abyme annonçant une pièce tragique conformément à la tradition dans les premiers vers, équivoques, de Bedford : « Ciel, tends-toi tout de noir ! Jour, fais place à la nuit ! ». On s’attachera à faire observer aux élèves le parti pris dramaturgique de commencer la pièce sur un deuil, une absence, et on en interrogera les conséquences. Pour rendre les élèves sensibles à la dramaturgie, on leur proposera d’observer les discours prononcés avant de s’intéresser à la situation précise de leur énonciation, leur rapport aux personnages et aux intérêts présents. L’éloge du roi défunt Les paroles des personnages présents tissent l’éloge funèbre du roi. On sera attentif à l’enchaînement des déplorations qui offre un effet presque choral jusqu’aux premières inimitiés. On demandera aux élèves d’observer d’abord la facture des discours prononcés, véritables panégyriques où l’hyperbole, l’épique dominent sous la forme de l’animalité merveilleuse (« Ses bras portaient plus loin que les ailes d'un dragon. / Ses yeux étincelants embrasés de fureur / Refoulaient ses ennemis, les aveuglant bien mieux / Que les feux du soleil vu de face, à midi ») et confinent à l’indicible (« Comment le dire ? Ses exploits dépassent tout discours »). Dans la réplique de Gloucester, vient ensuite un panégyrique du roi défunt et ses qualités sont honorées avec grandiloquence pour dépeindre un souverain exemplaire, idéal : dans la scène on notera pêle-mêle ses qualités militaires (« Il avait des vertus qu'il faut à qui commande... »), ses succès (« Jamais il n'a levé la main sans triompher ») et son association avec Dieu même (« c'était un roi qu'avait béni le Roi des Rois »). Le monde renversé La didascalie rappelle la marche funèbre et la présence du cercueil. On peut donc mettre en opposition l’éloge du souverain avec son absence, sa dépouille. Les paroles de louange se teintent alors ― c’est une piste possible pour le jeu ― de la douleur et de l’affliction. La scène est en effet placée sous le signe du manque, de la rupture : cortège de nobles qui suivent un cercueil « comme des captifs enchaînés à un char triomphal », triomphe de la mort où les nobles sont des vaincus (« en guise d’or nous déposerons nos armes en offrande/ les armes ne servent plus »). Ce deuil prend aussi des dimensions macrocosmiques, le sort du roi engageant tout le royaume : les planètes sont « adverses », les étoiles « rebelles ». Les puissances surnaturelles (« nécromants et sorciers » qui rappelleront les pratiques démoniaques prêtées à Jeanne d’Arc dans la pièce) et célestes (« comètes qui annoncez les révolutions dans els états ») sont partie prenante de la mort du roi. Les didascalies et le mouvement de la scène confirment cette résonnance globale de la mort individuelle : le deuil coïncide avec l’entrée du premier messager (d’autres suivront) qui annonce la perte des possessions françaises remportées par Henry V : « je vous apporte de France de bien tristes nouvelles / de pertes, de massacre et de défaite ». Le déclin semble entamé par la mort du roi, c’est la fin d’un monde. Les antagonismes naissants La liste des personnages nous rappelle que les présents sont nombreux à être proches de la couronne : deux oncles et deux grands-oncles notamment. Et l’expression de la douleur devient vite occasion de compétition voire de guerre ouverte. Gloucester et Winchester se mettent en cause individuellement : « Ta femme est fière et elle a sur toi plus d'emprise / que la religion, ses ministres ou Dieu lui-même. (…) ― Laisse donc la religion, toi qui aimes la chair (...) ». Le roi mort, l’unité des aristocrates se délite, les rivalités des clans pour s’emparer de la couronne commencent. On notera de plus l’absence d’Henry VI, héritier légitime, alors trop jeune, et dramaturgiquement déjà relégué à l’écart. Les prières des quelques nobles en faveur de la paix (« protège ce royaume, préserve-le des troubles civils ») sont déjà vaines et ne font que révéler l’envers de ce moment funèbre, la course des appétits. Pistes de prolongement 1. Pour la suite de l’histoire : quel modèle royal Henry V a-t-il imposé ? Dans quelle mesure complique-t-il la tâche de son héritier ? 2. Pour la mise en scène : comment rendre compte (scénographie, musique, costumes…) d’un monde ainsi brisé ? Du lien entre la mort individuelle et le destin national ? Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen 15 THEATRE ET ARTS DE LA SCENE Henry VI 06/01/12 Figures royales (2) : Henry VI Retrouvez les extraits commentés ici reproduits en annexe. Cette scène est très attendue puisque le roi Henry VI apparaît pour la première fois. Depuis la mort de son père, les intrigues vont bon train et les aristocrates se sont partagés en deux factions, identifiées par des roses cueillies dans un jardin : la rose blanche, faction fidèle à York, et la rose rouge, ensemble des partisans de Somerset. Alors que les aléas de la guerre causent la perte progressive des possessions françaises, les dissensions anglaises creusent la crise. Il est possible d’observer quelle place est donnée à Henry VI vis-à-vis du modèle paternel du début de la pièce. Henry VI mérite-t-il, en quelque sorte, le pouvoir et la place centrale que semble lui conférer le titre ? Violence d’un affrontement La scène débute par la querelle entre Winchester et Gloucester, les deux hommes devant partager le pouvoir, Henry VI étant mineur. Ces deux proches du roi se détestent et ne s'en cachent pas en se livrant à une joute verbale (on peut étudier le lexique de la culpabilité, du tribunal et toutes les techniques de l'art oratoire dont l'appui sur l'auditoire; on pourra revenir sur le mouvement de la scène et étudier l'alternance des tirades, répliques, stichomythies ou encore les procédés anaphoriques). On assiste à un spectacle, une rixe orchestrée par deux orateurs. Les allusions les plus basses, les attaques redoublent. La position du roi Toute cette scène serait d’une portée bien différente si on ne prêtait attention à la didascalie initiale qui nous rappelle que le roi est présent dès le début. Enfant, il est comme isolé, à l’extérieur à la situation qui lui échappe: en cela, ne peut-on dire que c'est un héros tragique? Il intervient tardivement, faisant peser d’autant plus son silence et son inaction en début de scène, que l’ensemble des événements se passe devant la cour, donc devant des témoins à la fois de la violence entre Winchester et Gloucester et de l’isolement passif du monarque. L’intervention de celle-ci relève encore de la jeunesse et de l’inexpérience : le roi allègue ses « tendres années » et rappelle que les deux adversaires sont ses oncles. Mais surtout il livre à la fois la vérité quant aux effets de la discorde (« elle ronge les entrailles de l’état ») et la clé de sa faiblesse : « je voudrais vous prier, si les prières pouvaient vous convaincre (…) quel scandale pour notre couronne que deux nobles pairs tels que vous soient en désaccord ! ». Scandale d’une cour agitée, frondeuse, et scandale d’un roi dont nul aura ne vient pacifier l’environnement. La spirale des violences Mais ce duel se double d'un autre: interviennent Somerset et Warwick, le premier soutient l'évêque et le second, le duc. Ils s’interposent pour calmer les deux adversaires mais aussitôt s’affrontent l’un l’autre. En plus des fleurs (rose blanche et rose rouge), symboles des familles opposées ; la couleur des cottes rappelle l'antagonisme entre Winchester (cottes fauves) et Gloucester (cottes bleues). Ces rivalités entraînent une guerre civile: « la discorde est un serpent maléfique ». La brutalité est partout: dans la langue des personnages et dans les actes. Cette première flambée de violences est reprise par le peuple dans les rues de Londres : la clameur entendue de l’intérieur puis le récit du maire viennent prouver que la rivalité a essaimé hors des intrigues du palais. Et cette rumeur se produit au moment où Henry VI a presque clamé les deux adversaires, autant dire que son discours de paix est presque immédiatement battu en brèche par les événements. D’un monde l’autre Entre les deux monarques, les deux époques, le monde a basculé et porte la trace des interrogations de la Renaissance : au monde cyclique, providentiel du moyen-âge, où l’homme s’inscrivait dans un ordre immuable et dans un système de valeurs reconnues, succède un monde moderne où rien n’est écrit ni prévisible, où tout est ouvert à l’action des hommes qui peuvent décider des événements et cesser de s’en remettre à Dieu. Un monde donc où la vertu ne brille plus (Talbot disparaît) et où l’opportunisme, le cynisme et la manipulation sont de nouvelles armes (York et plus tard Richard III en seront les maîtres). Pistes de prolongement 1. Pour la suite de l’histoire : qui détient effectivement le pouvoir ? Quelle différence la scène établit-elle entre les attributs du pouvoir, la légitimité héréditaire et l’autorité royale ? 2. Pour la mise en scène : comment rendre compte de l’absence et/ou de la passivité du roi ? Comment souligner concrètement sur le plateau qu’il est débordé, presque rejeté hors-cadre par la violence des affrontements entre rose rouge et rose blanche ? On proposera croquis scénographique ou mise en espace à l’appui. Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen 16 THEATRE ET ARTS DE LA SCENE Henry VI 06/01/12 Extraits : figures guerrières, Talbot et Jeanne d’Arc Retrouvez les extraits commentés ici reproduits en annexe. Véritable héros de la première partie, car jamais compromis dans les querelles politiques, Talbot incarne la vertu guerrière anglaise. Sur le champ de bataille, on multiplie au travers de ce personnage les anecdotes de grandeur, de générosité et de courage. Talbot maintient la réputation et l’honneur anglais, y compris dans les revers et les défaites toujours explicables : manque d’hommes, recours démoniaques des Français, lâcheté de certains officiers comme Falstoffe. Le véritable héros de l'épisode 1 demeure ce soldat valeureux. Il incarne la vaillance et la droiture, vertus chevaleresques par excellence. C'est à la bataille de Castillon que Talbot s'illustre par son abnégation. Se sentant en perdition, il veut sauver son fils et l'obliger à fuir. Tous deux conversent à l'opposé du discours cornélien, en prônant la fuite à l’autre, et finissent par mourir tous deux, glorieux et transfigurés par le sacrifice. Cette valorisation se fait auprès des Français, même dans leur fourberie, quand la comtesse d'Auvergne, admirative, lui tend un piège. Talbot sait lui prouver sa force invisible mais stratégique au-delà de son apparence. A l’opposé de Talbot, Jeanne d’Arc ne participe pas dans la pièce du mythe guerrier développé par les Français. C’est une figure ambiguë : son image se détériore au fil de la pièce. Sa spiritualité se transforme en diabolisme, sa virginité en grossesse honteuse. Talbot l'a accusée d'avoir maints amants (III,5). Shakespeare a prolongé son existence semblant faire de la mort de Jeanne, la vengeance de Talbot, sorte de héros national. Ses différentes interventions paraissent destinées à promouvoir le génie de Talbot, sa bravoure face au mal incarné. A l'acte V, Jeanne réclame l'aide des forces surnaturelles ; Shakespeare la présente avec insistance comme une sorcière terrifiante (V3). A la scène 6, elle espère échapper au bûcher. Elle est insultée, « putain », « suppôt d'enfer » et finit par maudire les Anglais avant de sortir sous escorte. Là cesse la présence de ce personnage. Le dramaturge ne nous la montre pas sous les flammes, ce qui pour nous reste l'image du sacrifice et du mythe. Il préfère l'effacer avec mépris, par une simple sortie physique, signe de sa disparition et de sa mort. Il atténue son image par un accompagnement viril des soldats et sans le secours de Dieu auquel elle s'adresse pourtant, selon nos propres chroniqueurs. Pistes de travail 1. Les apparitions de Jeanne posent la question du surnaturel au niveau de la dramaturgie (ses victoires ou sa clairvoyance s’expliquent-elles par sa magie, ses miracles ?) et de la représentation : comment faire représenter les démons évoqués par le deuxième extrait ? 2. La postérité cinématographique du personnage de Jeanne d’Arc (voir en annexe) est l’occasion de réfléchir au personnage que l’on souhaite faire apparaître : les extraits de Shakespeare peuvent ainsi être comparés aux photogrammes en annexe sur plusieurs points : féminité ou virilité guerrière ? Personnage commun ou attitude mystique ? 3. L’extrait présentant le dialogue entre Talbot et son fils, voués à une mort prochaine, peut être une occasion d’exploiter des mises en voix variées : comment chacun des deux Talbot peut-il convaincre l’autre de fuir, comportement contraire à son propre honneur : menace, mépris, supplique, démonstration peuvent ainsi alterner au cours du dialogue. Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen 17 THEATRE ET ARTS DE LA SCENE Henry VI 06/01/12 Figures politiques, Gloucester et York Retrouvez les extraits commentés ici reproduits en annexe. On peut se proposer de mettre en rapport le personnage de Gloucester et celui d’York en vertu de leur opposition et de leur place dans la dynamique dramaturgique shakespearienne. En effet, les deux passages concernés proviennent d’une seule et même scène longue : le conseil des aristocrates autour du roi complote d’accuser Gloucester pour le perdre aux yeux du souverain, à la fin de cette scène au cours de laquelle le personnage de Gloucester est interrogé et arrêté ― avant d’être exécuté sous peu ― le personnage de York, acteur et témoin du complot reste seul en scène à la fin et confie aux spectateurs ses pensées et ses desseins ambitieux : chute des uns, ascension des autres, le topos de la roue de la fortune, très présent à l’époque, est pleinement illustré. Structure de la scène On constate le contraste entre un début de scène avec un plateau très occupé (la cour au complet) et la fin de scène avec York seul. Le rapport au public est donc très différent entre la scène d’accusation, le véritable procès sommaire de Gloucester auquel le spectateur assiste et les confidences de York qui ouvre ses noirs desseins au public, le fait participer à ses menées. On notera le rapport de l’espace et du temps : Gloucester arrive en retard, décalage dans le temps, face à une cour déjà constituée autour du souverain, décalage dans l’espace. Il est donc isolé et que le plateau est déséquilibré entre présence collective et figure individuelle. Ce déséquilibre est de plus augmenté par la distribution de la parole : d’une part les accusateurs sont nombreux, divers (York, Winchester, Suffolk, Buckingham, la reine) et la parole passe de l’un à l’autre rendant toute défense malaisée. D’autre part, Gloucester ne s’adressera qu’une seule fois à une personne précise, le roi (« car, bon roi Henry, c’est ta chute que je crains »), et ce au moment où déjà on l’emmène. Et le roi ne répondra à son affliction que de façon différée. La scène repose donc sur deux enjeux contradictoires : la relation de Gloucester au souverain, que le duc pense suffisamment forte au point de négliger les attaques subies, et les incessantes accusations des nobles qui perdent Gloucester aux yeux du souverain : est-ce parce qu’il ne se défend pas assez ? Est-ce par influence du nombre ? Par jeunesse et inexpérience ? Par crainte de la guerre civile ? On retrouve le problème de la faiblesse de la figure royale. Gloucester, la figure du personnage pur Les réponses de Gloucester sont des réfutations point par point des accusations proférées : il se dégage de la parole du personnage des qualités de générosité, de pitié et de sincérité. Mais à qui s’adresse Gloucester pour que ce discours soit aussi peu efficace ? En tant que protecteur et oncle du roi, il semble ne devoir rendre de compte qu’à lui, ce que confirment ses réponses qui ne sont jamais nominatives ni seulement adressées au dernier interlocuteur qui a parlé contre lui. Plus encore, Gloucester est comme déjà résigné : il multiplie les adages, maximes et autres symboles (« qui veut noyer son chien l’accuse de la rage (…) ceux qui perdent ainsi ont bien le droit de parler (…) un cœur sans tache n’est pas si aisément intimidé (…) ainsi voilà le berger chassé loin de toi »). Il se défend des accusations portées mais n’accusent pas en retour, laissant l’initiative aux comploteurs. La conscience du piège tendu est pourtant manifeste : « tous ensemble vous vous êtes ligués, et j’ai moi-même eu vent de vos conciliabules ». Mais le calme Gloucester laisse champ libre à ses calomniateurs qui font mine de considérer comme insultants ses propos mesurés (« sires, ses invectives sont intolérables ») et lui prêtent leur propres intentions (« il va jouer sur les mots »). York, un machiavel en puissance A l’inverse de Gloucester, York ne fera pas mystère de sa véritable intention de s’emparer du pouvoir (« le cercle d’or posé sur ma tête »). La scène est maintenant vide, ce qui lui permet de maîtriser l’espace et l’adresse. Il met en scène des réponses aux seigneurs qui sont sortis (« fort bien, seigneurs, fort bien (…) je vous en sais gré »), planifie son action (« supposons qu’il soit pris (…) supposons qu’il réussisse… »). York semble hériter de l’image opportuniste cynique que le théâtre élisabéthain se faisait de Machiavel, référence incontournable à l’époque pour construire les personnages de villain. On notera la complaisance, l’enthousiasme de York à utiliser les images les plus sinistres (« serpent glacé, démon… »). Activités 1. Recherchez qui était Machiavel. En quoi sa pensée peut-elle nourrir un personnage comme York ? 2. Le monologue d’York peut être, tout ou partie, mis en voix puis en espace par un ou plusieurs élèves successivement en demandant d’effectuer des choix précis en termes d’intonation (froideur calculatrice, enthousiasme…), d’adresse (au public, à soi, aux nobles absents…), et d’attitude dans l’espace (agitation, calme, indifférence) au travers des déplacements ou de la gestualité. Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen 18 THEATRE ET ARTS DE LA SCENE Henry VI 06/01/12 Pouvoirs de la scène élisabéthaine L'Angleterre entre le milieu du XVIème et 1642 voit se développer un théâtre où s'illustrèrent Marlowe, Shakespeare, Ben Jonson, Le Tourneur entre autres auteurs connus. Il correspond à l'âge d'or du théâtre anglais (comme le 5ème siècle av. J.-C. dans la Grèce antique; le théâtre du Siècle d'or en Espagne et le théâtre classique en France.) et aux règnes d'Elisabeth, de Jacques Ier et de Charles Ier soit de 1558 à 1642 : une période prospère pour le royaume. Elle se terminera avec les troubles politiques qui amèneront Cromwell au pouvoir (1653) : ce puritain fait brutalement fermer tous les théâtres, promulguant une ordonnance qui signe la mort du théâtre élisabéthain. Un arrêt du Parlement stipule que "tous les auteurs [étaient] des coquins punissables; les scènes, galeries, sièges et loges [devaient] être détruits; les acteurs reconnus coupables, fouettés publiquement; les spectateurs condamnés à payer une amende de cinq shillings". L'agencement de la scène nous est connu par un seul dessin d'époque (page suivante), représentant le Swan, théâtre ainsi dénommé parce que son enseigne représentait un cygne. Il fut exécuté de mémoire, en 1596, par un voyageur hollandais, Johannes de Witt, à son retour en Hollande. Le lieu théâtral: le théâtre élisabéthain est né dans les cours d'auberges, où se produisent des troupes ambulantes, car elles y trouvent un dispositif propice et un public avide de divertissements. La cour, à ciel ouvert, est entourée de galeries à étages. Les comédiens adossent leurs tréteaux à l'un des côtés de la galerie: les spectateurs aisés s'installent dans les galeries couvertes, tandis que les moins riches assistent au spectacle debout, dans la cour, se plaçant tout autour de la scène. Le théâtre élisabéthain est Le Globe, théâtre de la troupe de Shakespeare Entièrement ravagé par un incendie en 1613 pendant une représentation d'Henry VIII, Le Globe fut reconstruit une première fois (avec un toit de tuiles et de chaume). De nouveau détruit, le « wooden O » a été rebâti en 1990 dans sa forme originale, en utilisant des matériaux et des procédés traditionnels. "Totus mundus agit histrionem" (« le monde entier fait l’acteur ») est l'adage gravé au fronton du Globe. donc un théâtre ouvert qui se joue à la lumière du jour. Les premiers théâtres publics construits à Londres sur ce modèle, dès le début du règne d'Elisabeth, the Theatre, the Curtain, the Globe, ont une forme circulaire, elliptique ou polygonale, qui perpétue la conception médiévale du théâtre en rond. Ils doivent à cette forme le surnom de Wooden O (« O en bois ») donné par Shakespeare au Globe dans sa pièce Henry V. Ce sont des structures légères, en bois, presque aussi aisément transportables qu'un chapiteau de cirque. Ce n'est qu'en 1623 que le premier théâtre en dur sera bâti: construit hors les murs, dans les Liberties de la ville, lieux de marginalisation où cohabitent prostituées, joueurs, ce théâtre accueille un public qui n'hésite pas à réagir, par ses rires ou par ses huées, au spectacle. Ces théâtres étaient populaires grâce au très large éventail des prix pratiqués par le "box office" de l'époque. La scène: estrade adossée aux galeries, elle lance son avant-scène (apron stage) jusqu'au milieu du parterre où se massent les spectateurs debout. Véritable passerelle de bois, cette partie de la scène presque au contact avec le Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen 19 THEATRE ET ARTS DE LA SCENE Henry VI 06/01/12 public est propice aux dialogues, tirades et monologues. La partie de la scène en retrait, derrière les colonnes, protégée par un auvent est la scène intérieure (inner stage) ; s’y jouent les scènes d’intérieur, de réception officielle. Fermée momentanément par un rideau, la scène d'intérieur favorise les méprises (surveillance, discrétion); c'est un moyen également de ménager des effets de surprise. Elle donne accès, par deux portes, aux coulisses (recess) qui deviennent à volonté portes de château, ou appartements privés. Dominant cette partie en retrait de la scène, le premier étage de la galerie sert de scène haute (upper stage) qui permet de simuler des lieux élevés (ex: les remparts d'Elseneur, le balcon de Roméo et Juliette). Quant au dernier étage de la galerie (deux fenêtres seulement sur le dessin), il est réservé aux musiciens dont la présence fait partie intégrante du jeu ou aux artificiers qui font tirer de petits canons à blanc. L'action: statique dans le théâtre médiéval, l'action est devenue dynamique grâce aux possibilités de mouvement qu'offrent les coulisses. Peter Stein, metteur en scène contemporain, note que "Shakespeare et ses acteurs ont beaucoup contribué à introduire l'action, au sens physique du terme, sur le plateau : ne serait-ce que pour se combattre, les acteurs étaient forcés de se regarder". La vaste scène élisabéthaine a permis à Shakespeare de créer un grand nombre de rôles, de laisser libre cours à son imagination pour figurer tant de mouvements de foule (fêtes, bataille, chevauchées en forêt...). La souplesse du dispositif élisabéthain qui utilise les trois dimensions de la scène, jouant sur la verticalité, favorise la représentation d'actions multiples. L'unité d'action n'a pas de raison d'être dans la dramaturgie élisabéthaine. Consécutive au décor unique, elle sera une création, quelques décennies plus tard, du théâtre classique. Victor Hugo a bien remarqué dans William Shakespeare (1864) cette construction baroque de l'intrigue, il note:" C'est une double action qui traverse le drame et qui la reflète en petit (...). L'idée bifurquée, l'idée se faisant écho à elle-même, un drame moindre copiant et coudoyant le drame principal, l'action traînant sa lune, une action plus petite, sa pareille, l'unité coupée en deux". Activité : En légendant une reproduction du dessin de De Witt ou à partir d’un croquis, on peut observer comment l’écriture dramatique de Shakespeare se déploie naturellement, dans l’espace du théâtre élisabéthain, invite à en utiliser tous les volumes. Pour ce faire, on proposera aux élèves de relire, crayon en main, le passage qui offre la rencontre de Jeanne et Talbot et de noter comment les différentes actions et paroles pouvaient prendre place dans les différents espaces de jeu (inner stage, upper stage, apron stage, recess) suivant leur fonction, et comment les sorties et entrées, individuelles ou collectives, utilisaient le dispositif théâtral. Ce travail peut aussi s’accompagner d’une mise en voix, texte en main, à même de faire sentir comment l’adresse varie (conciliabules des Français, dialogue de Talbot et Jeanne, monologue adressé au public de Talbot, invectives lancées à la cantonade…) et appelle à jouer de l’intensité, de la direction et de la tonalité de la voix. Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen 20 THEATRE ET ARTS DE LA SCENE Henry VI 06/01/12 Les codes de représentation élisabéthains Le théâtre élisabéthain produit, en vertu du lieu théâtral même, un forme de spectacle précise, dont les codes, connus et évidents pour le public de l’époque, nous sont aujourd’hui peu naturels, tant nous sommes inscrits dans d’autres codes, hérités du classicisme. L’observation du théâtre du Globe appelle en effet des remarques sur le jeu des acteurs et la dramaturgie de l’œuvre : la forme de la pièce, ses effets sont liés aux conditions concrètes de représentation. Sur la scène élisabéthaine où les spectateurs entourent l'aire de jeu sur trois côtés, une complicité s'établit entre les comédiens et le public. Les traîtres par exemple, lors d'adresses au public, lui livrent leurs plans (voir York); si cette connivence acteurs-spectateurs est habituelle dans la comédie, le procédé, en revanche, est spécifique de l'univers élisabéthain en matière de tragédie: la tragédie classique française n'y recourt jamais, les personnages sont toujours coupés du public. Cette exposition du comédien presque entouré par le public empêche toute illusion et tout décor car les points de vue sont trop nombreux. C’est ce qu’on appelle la « théâtralité », c’est-à-dire la visibilité du théâtre au-delà de toute illusion. En conséquence, si le visible est peu convaincant, presque symbolique, le théâtre élisabéthain repose sur les pouvoirs du langage et de l’imagination. Selon Yves Bonnefoy, "au Globe, le théâtre avait lieu dans la parole, et non la parole sur la scène. On ne devrait pas redoubler Shakespeare de trop d'actions scéniques, de trop de coups de théâtre, mais s'établir dans la voix comme il le faisait luimême". Le prologue d’Henry V (cicontre) en explique les mécanismes : Le prologue Le prologue est une forme particulière de l'adresse au public, hérité du théâtre latin et médiéval, il a pour fonction de renseigner le spectateur sur la situation dramatique (lieux et personnages). On peut à l'inverse, trouver l'épilogue ou clausule qui joue le rôle de la postface où l'auteur donne son avis sur les événements qui viennent d'être représentés. Ce commentaire peut être exécuté par un chœur, personnage collectif qui disparaît après sa déclamation ou par l'un des protagonistes. Activités sur le prologue d’Henry V On invitera les élèves à observer quels sont les sujets à représenter et les moyens théâtraux en conséquence. On observera comment la disparité entre les deux se résout par les impératifs à utiliser l’imagination (« figurez-vous, supposez, suppléez… »). Quels moyens concrets sont utilisés sur scène pour figurer ce qui échappe à l’illusion, et à la représentation ? Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen 21 THEATRE ET ARTS DE LA SCENE Henry VI 06/01/12 La scène élisabéthaine est donc épurée : pas de décor, un accessoire, un emblème (un fauteuil, une branche d’arbre, un pan de tissu) suffisent à suggérer le lieu (un palais, une forêt, un navire). C’est pourquoi la dramaturgie se permet des changements de temps et de lieux aussi radicaux que fréquents. Lorsqu'un personnage se déplace d'un lieu à un autre, il est censé s'écouler le temps nécessaire à son voyage, quelques heures ou des mois. La scène est un espace neutre, elle ne recourt pas à un décor construit. Voici ce qu'en dit Victor Hugo dans William Shakespeare: "les décors étaient simples. Deux épées croisées, quelquefois deux lattes, signifiaient une bataille; la chemise pardessus l'habit signifiait un chevalier (...). Un théâtre riche qui fit son inventaire en 1598, possédait « des membres de Maures, un dragon, un grand cheval avec ses jambes, une cage, un rocher, quatre têtes de Turcs et celle du vieux Mahomet, une roue pour le siège de Londres et une bouche d'enfer ». L'agencement des scènes est lié à l'architecture scénique. Le dispositif élisabéthain offrant aux regards des spectateurs la vision simultanée d'une multiplicité de lieux, la "scène" ne se définit pas selon les critères auxquels on se réfère habituellement en France depuis le classicisme (chaque entrée, chaque sortie ouvre une scène nouvelle). Dans le théâtre élisabéthain, des entrées et des sorties multiples peuvent s'opérer au cours d'une même scène, parfois très rapidement. Ce qui constitue l'unité de la scène dans la dramaturgie élisabéthaine, c'est le lieu. Comme dans le théâtre Les didascalies médiéval, les scènes sont la plupart du temps juxtaposées, l'action Les auteurs de l’époque élisabéthaine, pouvant se transporter instantanément d'un lieu à un autre, comme quand ils publient officiellement leurs dans un montage cinématographique. textes, ne pratiquent guère les didascalies, si ce n’est pour les entrées et sortie s de Si la parole et le geste pallient l'absence de décor sur la scène personnage. La plupart des didascalies élisabéthaine, costumes et objets scéniques sont également porteurs dans les textes shakespeariens sont des d'information; ils ont la fonction, descriptive ou narrative, d'évoquer un ajouts ultérieurs allographes (=d’une autre lieu ou de caractériser un personnage. Les costumes, fastueux à main que celle de l’auteur). l'époque élisabéthaine, font du personnage un véritable décor mouvant, On peut observer, par exemple en effaçant tout en renseignant sur sa condition ou sur son état d'âme. Comme les didascalies d’une scène chargée dans le théâtre grec, aucun accessoire ("propertie") n'est inutile dans le d’actions comme la rencontre de Jeanne et théâtre de Shakespeare. L'objet n'a pas d'existence indépendamment Talbot sur le champ de bataille, comment la du personnage dont il est le prolongement; il suffit pour créer un lieu. parole des personnages les rend superflues. Musique et bruitage ponctuent les grands moments du drame tout en ayant un rôle d'information: les tambours et les trompettes servent par exemple à rendre les scènes de batailles, de duel plus haletantes. Les musiciens sont parfois des personnages au même titre que les comédiens dans Hamlet. A la fin du spectacle, il n'était pas rare que les comédiens improvisent une petite farce chantée et satirique qu'ils dansaient au rythme d'une ballade, la gigue. Activités 1. Avec le cours d'anglais, on peut proposer d'établir une liste de mots "techniques" relatifs à la scène suivie d'une comparaison avec les termes français. 2. En seconde, une étude comparée pourrait être réalisée entre le théâtre élisabéthain et le théâtre classique, éventuellement avec le théâtre romantique, en mettant en regard les spécificités du lieu théâtral (scène élisabéthaine, scène à l’italienne) et ses effets, ainsi que la dramaturgie qui en découle (agencement de l’action, des temps et des lieux dans la fiction). A l'issue de cette étude, une écriture d'invention pourrait être formulée ainsi: « Vous êtes un dramaturge romantique et vous décidez d'écrire dans une revue spécialisée un article pour défendre le théâtre élisabéthain et son fonctionnement ». 3. A partir de ces codes de représentation, on peut demander aux élèves, comment, à partir d’un espace vide, représenter par exemple la scène de bataille : à la manière des esquisses de scénographie et accessoires de la Piccola Familia (esquisse en annexe), comment marquer le lieu (Orléans) ? Constituer les différents espaces (la ville, l’extérieur, la tour) ? Comment rendre compte de la présence des deux armées ? De leurs mouvements ? Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen 22 THEATRE ET ARTS DE LA SCENE Henry VI 06/01/12 Représenter Henry VI aujourd’hui : entretien avec la Piccola Familia Thomas Jolly (metteur en scène et comédien) et Julie Lerat-Gersant (collaboratrice dramaturgique, actrice) se sont prêtés à cet exercice avec beaucoup de sympathie et d'enthousiasme. C’est l’occasion de déterminer avant la représentation comment la mise en scène va affronter certains des enjeux définis en amont. Nous avons d'abord orienté l'entretien autour du choix de cette œuvre titanesque qu'est Henry VI de Shakespeare. Pour Thomas Jolly, la découverte de cette « saga » remonte à 2004 lors de tests de traduction au TNB dans le cadre des études théâtrales. Puis, progressivement, cette histoire qui fait penser aux productions hollywoodiennes, pleines d'actions, de rebondissements, de barbarie et d'humour, a ressurgi dans ses interrogations sur la théâtralité. Par ailleurs, elle résonne dans notre actualité, en ce qui concerne le pouvoir et les grandes questions qu'il soulève sur l'équité, la justice. La difficulté majeure résidait dans la lisibilité, car la complexité de l'histoire, entre la guerre de cent ans et celle des Deux Roses, entre les querelles de pouvoir au sein de l'Angleterre, devait être clarifiée pour un public contemporain bien éloigné des préoccupations des spectateurs du théâtre élisabéthain. Thomas Jolly a donc inventé un personnage, Joker, qui vient donner des explications indispensables à la compréhension de l'intrigue. Nous avons ensuite interrogé Thomas Jolly et Julie Lerat-Gersant sur la scénographie dans ses particularités : La première scène se passe à Westminster, pour l'enterrement d'Henri V. Une des présentations en réduction, dans une abbaye à Rouen, favorisait l'atmosphère spirituelle. Ici, un grand vitrail donne cette ambiance. Et toute la pièce se passera ensuite sur le tombeau du souverain, la marquant de sa présence illustre et celle de la mort, finalement la tragédie est aussitôt en marche. Cette idée provient donc du spectacle dans ce lieu symbolique de l'abbaye. Pour maintenir l'idée de ce sous-sol « hanté », les protagonistes, parfois, mettront la main au sol, en signe de déférence. Une passerelle reliera le plateau au fond du parterre, passant au milieu des spectateurs pour les intégrer au spectacle. Ils participeront ainsi à l'histoire, par un voyage sidérant dans l'espace et dans le temps. Bien sûr cette spatialisation s'inspire du théâtre élisabéthain, du Globe. La beauté des vers de Shakespeare trouvera sur la scène la poésie des accessoires. L'épée sera ruban dans le tracé aérien de son faisceau. Thomas Jolly avoue être inspiré par les dessins animés japonais de son enfance. Les comètes sont des lumières dont les queues descendantes ou ascendantes, selon notre perception optimiste ou pessimiste, dessinent sur fond noir l'espoir ou l'anéantissement. Ainsi, quand un liquide noir s'écoulera sous le lit de mort de Gloucester, le mal étendra progressivement ses ailes pour incarner, plus tard, l'image monstrueuse de Richard III. Les costumes, eux, sont simples et permettent une lisibilité immédiate, le peuple en sera dépourvu (les vêtements sont neutres, banalité d'un pull) pour focaliser sur la misère physique et morale. Pour clarifier l'alternance des lieux, une pancarte (évocation du théâtre didactique de Brecht) indique les villes françaises et anglaises où se situe l'action. De plus, la lumière est modifiée, créant une atmosphère spécifique à chaque pays. En ce qui concerne les comédiens qui ont le rôle de Gloucester et de Jeanne, deux particularités : le premier est joué par un anglais avec cet accent si typique de l'acteur shakespearien. Il représente un idéal impossible, une victime, le seul être positif, le « bon duc Humphrey », son accent permet de mettre en relief sa marginalité. Quant à Jeanne, sa perruque bleue (une idée proposée par la comédienne), étrange a priori, lui confère une ambiguïté propre au personnage du drame. C'est à la fois la séductrice perverse (proche du film de Lynch, Blue velvet, Mulholland drive) et la femme armée, sa coiffure faisant penser au casque de métal. De plus, Thomas Jolly a voulu la faire brûler sur scène, alors que Shakespeare ne lui accordait qu'une sortie Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen 23 THEATRE ET ARTS DE LA SCENE Henry VI 06/01/12 sous escorte. Le spectaculaire du feu peut être mis en parallèle, dans sa violence, avec la tempête que doit affronter le bateau dans lequel une autre Française, Marguerite d'Anjou, aborde les côtes anglaises pour épouser Henri VI. Cette dernière, contrairement à Jeanne, dominera par son pouvoir, bien réel, sur son faible mari. Deux femmes, dans la violence des éléments, pour faire face à la suprématie anglaise, une pour contester, une autre pour en profiter. Quant au roi, Thomas Jolly le voit comme un bon souverain ; il n'a pas choisi de régner. Il se voyait dans l'image pastorale, dans la quiétude et la paix de la nature. Il se trouve en fait dans la déchirure et la voix du comédien qui l'incarne, voilée, marque ici une irrémédiable tristesse. Le metteur en scène le montre impuissant face aux querelles dévastatrices des hommes ; il préfère se réfugier dans la spiritualité pour tenter de vivre. Cette forme de renoncement relève du pessimisme du dramaturge face à l'incapacité de l'être à la sagesse et à la lucidité Dans un troisième temps, nous nous sommes interrogés sur la musique. Le compositeur est Clément Mirguet. Il a créé des thèmes liés aux personnages ; Eléonore l'ambitieuse est évoquée par la corne de brume, pour Mortimer, il a utilisé un très vieux piano, à la limite désaccordé, alors qu'Henri, dans sa naïveté juvénile, est associé au xylophone. Le but est de partir d'instruments simples, voire symphoniques, puis d'aller vers des sons plus artificiels, électroniques, dans le cycle II. Pour conclure, Thomas Jolly a insisté sur le problème que pose l'œuvre de Shakespeare, c'est-à-dire la question du théâtre aujourd'hui. Ce spectacle se pense par la contrainte, la logistique, la tentation du nombre et l'aménagement du temps. L'intérêt de la pièce reste la temporalité, environ 50 ans donnés en 15 heures, la vision du monde dans une concentration tragique. Tous les personnages se posent la question existentielle : « Qui suis-je ? », « Qu'est-ce que je fais dans ce monde ? »... Le théâtre de Shakespeare serait-il une réflexion philosophique sur la vacuité, la vanité ? Les vers que Thomas Jolly a gardés en mémoire esquissent cette interprétation. En voici un parmi d'autres révélateurs : La reine : « Hélas ! Qu'est-ce que ce monde ? ». Et pour sous-titrer le cycle I, le metteur en scène hésite entre deux vers : « Heureux ceux qui jouissent du soleil ». Ou : « L'envie décharnée dans sa caverne immonde. » Entretien du 20 décembre 2011 En complément Thomas Jolly présente le travail de la Piccola Familia sur Henry VI et quelques images des étapes de travail. http://vimeo.com/16657886 Pistes de réflexion 1. Quelles solutions sont avancées pour faciliter le traitement des espaces différents, de la masse des événements et pour donner de la cohérence et de l’unité au spectacle ? Ces solutions visent-elles à produire l’illusion réaliste des événements ou constituent-elles des conventions, des symboles ? Lesquels parmi ces procédés vous semblent-ils relever de l’influence du théâtre élisabéthain ? De l’influence du cinéma et de la modernité ? Du théâtre antique ? 2. Thomas Jolly s’interroge sur la « théâtralité ». On définira ce terme, en recourant par exemple à un dictionnaire du théâtre (le Pavis ou le Corvin). Dans le cadre du programme de première, texte et représentation, on pourra avec profit opposer cette réflexion du metteur en scène sur la théâtralité, la convention à des textes de Diderot, d’Aubignac ou Antoine sur l’illusion théâtrale, et l’associer à des textes de Brecht. Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen 24 THEATRE ET ARTS DE LA SCENE Henry VI 06/01/12 Après la représentation Crédits Retrouvez l’actualité et les créations antérieures de la compagnie sur le site de la Piccola Familia : http://lapiccolafamilia.fr/ Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen 25 THEATRE ET ARTS DE LA SCENE Henry VI 06/01/12 Impressions Activité : les effets du spectacle On demandera aux élèves de lister à l’aide d’adjectifs par exemple, cinq points forts de la représentation. Après avoir croisé les réponses les plus récurrentes, on demandera à quelques élèves de développer individuellement à l’oral un de ces effets produits en faisant appel au besoin à des scènes, des éléments précis. Les enjeux et les réponses du spectacle : A partir des travaux choisis dans la partie « avant la représentation » et des souvenirs du spectacle, on s’efforcera de désigner les enjeux de l’œuvre et comment la mise en scène y a répondu : - Une œuvre-fleuve, longue et complexe ? - Un spectacle rythmé. - Un matériau historique dense, complexe et peu familier ? - Une trame rendue lisible. - Une page d’histoire sombre, guerrière, violente ? - L’intégration de l‘humour, du comique. - Des lieux, des temps, des ambiances très différentes à représenter ? - Le travail sur le symbole, la suggestion. - Une histoire reculée dans le temps, détachée de la modernité ? - Le mélange des références, des époques. - Des éléments difficiles à représenter (guerre, foule, surnaturel) ? - Le recours aux symboles, à la théâtralité. La mise en scène des extraits étudiés : Suivant les extraits reproduits en annexe qui auront été lus ou travaillés en cours avant la représentation, on pourra demander aux élèves d’expliquer précisément si la mise en scène de ces passages les a confirmés dans leur lec ture ou les a surpris, comment les éléments du spectacle ont répondu au texte, ont pu l’interpréter, le prolonger. - Quelles étaient leurs attentes sur ces passages ? - Ont-elles été remplies ? déçues ? déplacées ? Activité : du spectacle au jeu Le personnage marquant : on proposera aux élèves de choisir individuellement un personnage qui les a marqués et de proposer chacun à la classe une mise en jeu de son personnage, un développement de celui-ci pour le faire deviner. Plutôt qu’à des accessoires, on invitera les élèves à s’attachera au jeu, aux attitudes du personnage, à son discours. Le reste de la classe peut alors tenter d’identifier le personnage. Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen 26 THEATRE ET ARTS DE LA SCENE Henry VI 06/01/12 Ce qui reste en mémoire : les images Dans un tel spectacle fleuve, quelles impressions concrètes garde-t-on ? On invitera les élèves à rendre compte des images qu’ils gardent en mémoire ; pour cela, on leur demandera de les décrire, pour ensuite évoquer les émotions et interprétations qui s’en dégagent. Quelques pistes peuvent être proposées sans prétendre être exhaustives : Description Talbot et la comtesse d’Auvergne : jeux sur les tailles des ombres et surgissement des mains qui retiennent la comtesse. Scènes de combat entre Français et Anglais : lumières aveuglantes et obscurité, rubans au lieu d’armes. La scène de la chasse : les personnages courent en plantant des fleurs tandis que des silhouettes d’animaux glissent en fond de scène. L’explication de York sur ses droits à la couronne : dans une lumière aveuglante, des personnages fantomatiques et immobiles reconstituent l’arbre généalogique de la dynastie. Eléonore en linceul humiliée par les tomates que l’on jette sur elle, devant son mari Gloucester qui reste à distance. Effets Climat d’incertitude face à ce conflit, distance crée par le jeu des ombres et image d’un intérieur, d’une intimité vite démentie. Surprise devant le « truc » théâtral et admiration devant la suggestion de la force, du nombre. Perception floue, agression par le vacarme et la violence, allusions qui oscillent entre la science-fiction et la boîte de nuit. Comique dû à l’attitude des personnages comme à cheval, aux silhouettes d’animaux exotiques, aux excès du jeu (voix outrée, criarde, obséquieuse) qui tranche avec les situations précédentes. Solennité et irréalité de l’image, très impressionnante par le nombre d’acteurs présents et le caractère figé de la scène. Interprétation Le conflit fait alterner l’avantage mais le guerrier héroïque anglais domine par l’usage de la force et de la ruse. La guerre apparaît comme chaotique, incompréhensible, égarante, sans grande logique. Devant le roi, les nobles donnent dans la comédie, l’hypocrisie. York convainc Salisbury et Warwick par une mise en scène ; son discours sur ses droits à la couronne est relayé par la vision éclatante proposée par la scène. Image de la persuasion appuyée sur la dignité de la dynastie royale. Emotion au vu de la fragilité du personnage : Sentiment de la précarité de sentiment tragique face à l’isolement de la l’existence : comme dans le topos de la victime, malaise progressif face à roue de la fortune, la richesse et le l’humiliation répétée pouvoir sont proches de la misère et du dénuement. Les intrigues de palais et l’ambition aboutissent à une mise à mort sociale. Gloucester découvert mort dans son Scène tout en contraste : nobles vivants et Culpabilité collective, volontaire ou par lit, figé, et exhibé devant la cour. nombreux face au cadavre solitaire, horreur omission ; tragédie de la victime de la mort qui s’introduit dans la cour. sacrificielle et de la fin d’un monde. … … … Activité : les photographies de spectacle Les photographies de spectacle sont destinées à laisser une trace de la représentation, à suggérer son effet, sans pour autant divulguer la totalité du spectacle. En observant les clichés reproduits dans cette partie du dossier, sur quels effets, quelles ambiances le regard du photographe a-t-il choisi de s’arrêter ? Après le travail précédent sur les images restées en mémoire, mais sans se limiter aux exemples donnés, on demandera aux élèves d’imaginer quels seraient les quatre moments du spectacle qu’ils choisiraient. Ils motiveront leur choix en insistant sur l’effet des scènes choisies, la curiosité qu’elles peuvent susciter et l’aptitude du corpus de clichés à présenter une image fidèle de l’ensemble des tonalités du spectacle. Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen 27 THEATRE ET ARTS DE LA SCENE Henry VI 06/01/12 Le rythme du spectacle L’ampleur du sujet et du texte ont conduit Shakespeare dans son écriture et Thomas Jolly dans sa mise en scène à entretenir le rythme du spectacle, à éviter la monotonie ou la longueur. Sur quels procédés la mise en scène s’est-elle appuyée ? Le mélange du comique et du tragique. On proposera aux élèves d’essayer de classer les scènes dont ils ont le souvenir suivant qu’elles relèvent d’une tonalité plutôt tragique ou plutôt comique, en leur demandant de justifier leur choix. Moments comiques Moments tragiques ou pathétiques Scènes de combat ridiculisant les Français. La mort de Talbot. Scènes de révolte. Le procès de Jeanne. Scènes populaires (l’aveugle guéri). La mort de Gloucester. … … On observera que les mêmes sujets ou parfois les mêmes personnages prêtent tantôt à rire et tantôt à pleurer : la cour est ridiculisée par Gloucester qui a seul reconnu la supercherie du faux aveugle, mais cette même cour sera la cause de sa sinistre mise à mort peu après. La guerre est l’occasion de ridiculiser les Français mais elle entraîne le sacrifice de Talbot, véritable deuil national. Eléonore humiliée (© Nicolas Joubard) On rendra aussi les élèves sensibles au mélange des effets au sein d’une même scène : par exemple en s’appuyant sur les photographies du spectacle représentant le châtiment infâmant d’Eléonore. Quels éléments participent au tragique, au Quels éléments créent une dissonance, introduisent pathétique ? de la dérision ? La nudité et l’humilité de sa mise ensuite. La pancarte qui comportent les mots WITCH et BITCH. L’isolement du personnage face au groupe qui l’humilie Les tomates jetées qui font référence au sort proverbial et à son mari qui ne peut l’approcher. qui attendait le mauvais acteur. L‘attitude d’imploration et la plainte de l’actrice. La répétition et la longueur de l’humiliation. Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen 28 THEATRE ET ARTS DE LA SCENE Henry VI 06/01/12 Activité : du spectacle au jeu Le moment attachant : chaque élève peut jouer, seul, un moment, très bref qui l’a marqué dans le spectacle : moment lié à une attitude ou une action du personnage révélatrice de son caractère ou plus largement d’une thématique de la pièce. Ce moment est joué en boucle, puis associé à d’autres boucles jouées simultanément ou successivement. Ce travail s’appuiera sur la position dans l’espace, l’attitude et l’adresse de la parole. Une mise en scène dynamique et contrastée On rendra les élèves sensibles au rythme crée par les langages scéniques : ruptures et variations jouant sur les éléments représentés. En s’appuyant au besoin sur les activités de remémoration, les impressions ou les passages marquants, on conduira les élèves à comparer les traitements scéniques de plusieurs scènes selon les critères suivants : - Scène intime (un ou deux personnages) ou collective (un grand nombre de personnage) ? - Scène statique (l’action de la scène relève surtout de la parole échangée) ou dynamique (la scène repose sur le mouvement, la gestualité, les actes commis) ? - Scène jouée dans les lointains (escaliers, fond de scène derrière les portes métalliques…) ou à proximité du public (passerelle, avant-scène) ? - Scène jouée par des acteurs s’adressant davantage les uns aux autres ou frontalement face au public ? On mettra en lumière, en lien avec le jeu élisabéthain (voir partie « avant la représentation ») l’alternance entre des scènes dramatiques où l’on assiste à un événement, et des scènes épiques où les personnages semblent s’adresser aux spectateurs, les prendre à témoin. Gloucester déchu seul, la cour en haut au fond (© Nicolas Joubard) Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen 29 THEATRE ET ARTS DE LA SCENE Henry VI 06/01/12 La lisibilité de l’histoire Par quels procédés l’histoire complexe de la pièce est-elle rendue lisible ? On sensibilisera les élèves à la réflexion du metteur en scène sur la nécessité de fournir des repères, des informations et des indices sur la situation historique, l’identité des personnages, sans pour autant sombrer dans la reconstitution historique ou la pesanteur explicative. On proposera aux élèves d’essayer d’inventorier ces éléments à la manière du tableau suivant : Les éléments permettant de comprendre les enjeux de l’histoire anglaise, des dynasties royales. … Les éléments permettant de se repérer dans l’espace (lieux) et le temps (avancée de l’histoire). … Les éléments permettant d’identifier et repérer les personnages … Quelques exemples peuvent être fournis : -Les fraises, la couronne royale, le diadème du régent de France. -Les costumes oscillant entre complet noirs ou robes colorées et les vêtements quotidiens ou fripés aux étoffes frustres et pâles. -L’œil de verre de Somerset. -Les lunettes de Salisbury. -Les rubans rouges ou blancs pour les maisons de Lancastre et d’York. -Le bâton de Gloucester terminé par une sphère armillaire qui reprend en miniature celle qui domine la scène. -Les pancartes de lieux. -Les colonnes amovibles ; -Les arbres généalogiques dessinés ou figurés par de acteurs. -Le rhapsode, personnage ponctuant la représentation. Les explications de Mortimer à York (…) Cet inventaire effectué, on interrogera les élèves sur le choix de ces éléments et leur effet : - S’agit-il de reconstitution historique ou de symboles ? Eclaircissez les différentes raisons de ce choix : raisons d’ordre économique (l’exactitude induirait des changements de décor ou des costumes onéreux ou trop nombreux), esthétique (lien avec le théâtre élisabéthain, voir partie « avant la représentation », volonté de ne pas dissimuler le travail et la présence des acteurs), pratique (ne pas surcharger la scène d’éléments, la rendre facilement accessible). - Ces éléments sont-ils seulement informatifs ou sont-ils exploités par le jeu des comédiens ? On rendra les élèves sensibles à la volonté d’éviter que les procédés de lisibilité n’interrompent tout à fait l’action. Ainsi Mortimer semble-t-il agoniser et disparaître dans l’arbre généalogique de la dynastie cause de son incarcération ; le rhapsode manie l’humour et l’improvisation dans l’adresse aux spectateurs ; la couronne du régent est objet de lutte d’influences sur scène ; les rubans des deux clans sont repris comme armes de guerre. Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen 30 THEATRE ET ARTS DE LA SCENE Henry VI 06/01/12 Un théâtre festif Dans les réactions des élèves, une part sera probablement faite à l’humour qui, au-delà des scènes comiques, ponctue le spectacle. On interrogera les élèves sur la nature des éléments humoristiques et sur leur effet : créer une distance minimale, éviter l’interprétation trop univoque des personnages ou des scènes, entretenir la conscience de la théâtralité. On invitera les élèves à essayer d’inventorier des exemples de procédés humoristiques, dont voici quelques exemples non exhaustifs : Références modernes : On observera comment des clins d’œil à l’actualité, à la modernité parsèment les scènes jouées et suggèrent des références qui contrastent avec le drame historique ; voici quelques exemples : -Jeanne d’Arc, et son sac à dos, en baroudeuse. Lara Croft du jeu vidéo Tomb Raider. -Les cavaliers sans chevaux. Les Monty Python et le film Sacré Graal. -La traversée de la Manche par Suffolk et Marguerite. Le film Titanic de James Cameron. -Le salut de la reine Marguerite. Les magazines et reportages « people ». -Les tomates jetées sur Eléonore. L’image du mauvais acteur hué. … La théâtralité exhibée : On amènera les élèves à noter que ce théâtre ne pratique pas l’illusion mais reconstruit, artificiellement, de façon ludique et parfois bricoleuse le drame historique avec ses moyens : les contraintes d’effectif de la troupe, des moyens de représentation, les sujets difficiles à représenter ne sont pas dissimulés tant bien que mal mais souvent exhibés et objets de jeux savoureux : Les rôles doublés parfois perceptibles Les scènes d’apparition des démons, des esprits, les jeux d’ombre entre Talbot et la comtesse La femme du miraculé de St Albans … Le rhapsode : Par exemple le miraculé simulateur et l’armurier : éternel retour d’une figure populaire « forte en gueule ». « Trucs » théâtraux qui font osciller le spectateur entre l’admiration de l’effet et la simplicité des moyens Un homme, rappel de l’absence d’actrices féminines à l’époque élisabéthaine ? … On rendra les élèves sensibles au jeu et à l’apparence de la comédienne : d’un côté frontalité, solennité de l’adresse, rigueur d’une voix qui marque les intonations de la langue, réintroduit un prologue du passé, une diction parfois archaïsante, soit une maîtresse de cérémonie d’une autre époque (voir l’encadré sur le prologue dans la partie « avant la représentation »), de l’autre la capacité à improviser, à rendre compte du ménage effectué sur scène ou de la fatigue des spectateurs présents, à jouer de sa propre situation. Un mélange entre la figure presque historique et la prise en compte du présent. Traitement comique de certaines scènes On peut prendre des exemples de moments donnés du spectacle où le comique est crée : par exemple la scène du faux miraculé de St Albans. Hormis Gloucester, les membres de la cour, même les plus rusés et perfides sont persuadés de la sincérité du faux aveugle et surtout tous, roi, reine, Suffolk, évêque Winchester, ne cessent de donner de l’argent au prétendu pauvre homme et de se confondre en actions de grâce. Ces personnages redoutables, capables de complot et de noirceur dans d’autres scènes, sont ainsi moqués, épinglés humoristiquement pour leur clairvoyance parfois prise en défaut. Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen 31 THEATRE ET ARTS DE LA SCENE Henry VI 06/01/12 Les personnages et le travail des costumes Le traitement des costumes est extrêmement diversifié dans la mise en scène et il offre des tendances contrastées. Le mélange des références On invitera les élèves à se remémorer les costumes des principaux personnages et les différents éléments qui les constituent, en les reliant à leur époque et aux effets créés. York (© Nicolas Joubard) Costume du roi Henry VI, de Gloucester, de la reine, de Winchester… Costumes des grands nobles de la Cour Jeanne d’Arc et autres accessoires insolites Fraise, couronne, sceptre, manteau de fourrure, robes à traîne ou robe d’évêque, éléments d’armure… Veste, gilet, chemise, redingote, lunettes… Perruque bleue, couronne du régent de France… Des éléments rappelant l’histoire, le Moyen Age ou la Renaissance. Des éléments convoquant la modernité. Eléments plus symboliques, créant de l’étrangeté. Winchester, Henry VI et Gloucester (© Nicolas Joubard) Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen 32 THEATRE ET ARTS DE LA SCENE Henry VI 06/01/12 On soulignera le mélange possible : ainsi le costume de Talbot intègre modernité et éléments historiques (épaules rappelant l’armure…). Des lignes de partage entre les groupes de personnages En quoi ce choix est-il révélateur de l’interprétation de l’histoire, de la querelle dynastique ? On notera d’une part l’apparence historique, médiévale, presque passéiste des tenants de l’ancien ordre royal et ceux, plus modernes, des nobles arrivistes (Suffolk, Buckingham, Somerset, York…) qui s’activent pour leur propres intérêts. Deux autres lignes de partage entre les personnages sont retranscrites par les costumes : on invitera les élèves à repérer ce qui sépare dans la première partie les Français des Anglais, et dans la deuxième partie le petit peuple et les nobles : - Couleurs vives ou noir / tons pâles, blancs, bruns ou sales. - Coupes soignées, élégance / vêtements rapiécés, hétérogènes, trop étroits ou larges. - Sobriété des costumes, praticité / vêtements excessifs, entravant le corps ou la marche, déformations. - Costumes qui habillent / costumes qui laissent entrevoir la nudité. On soulignera là encore les mélanges possibles par exemple au travers de la déchéance d’Eléonore. Jeanne d’Arc et les Français (© Nicolas Joubard) Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen 33 THEATRE ET ARTS DE LA SCENE Henry VI 06/01/12 La scénographie Avant toute étude de la scénographie, il peut être souhaitable de demander aux élèves quelles images ils ont conservé de l’espace, des éléments qui occupent la scène, quelles impressions globales ils en retirent. Monumentalisme ? Volume, ampleur ? Mouvement de l’espace ? … Des espaces de jeux multiples Quels sont les différents espaces de jeux utilisés ? Et comment ses espaces sont-ils délimités voire comment évoluent-ils ? Dans quelle mesure retrouve-t-on des éléments du théâtre élisabéthain (voir la partie « avant la représentation ») ? On notera que la scène, large et profonde pour accueillir des groupes (scènes officielles à la cour comme pour la mort d’Henry V…) se prolonge au besoin derrière trois doubles portes métalliques qui permettent de figurer des intérieurs La scénographie Désignant à l’origine la peinture de décor de scènes, elle est devenue une création à part entière dans le théâtre ou l’opéra ; elle recouvre l’organisation de l’espace de jeu et prend en compte plusieurs contraintes : la perception du public, l’orientation de son regard, les éléments de la dramaturgie, les effets souhaités par le metteur en scène, les contraintes du lieu théâtral, les exigences d’espace en terme de jeu des comédiens, la création d’atmosphères, de symboles, d’ambiance ou de lieux. Contrairement au décor qui est à plat, la scénographie s’intéresse aux volumes : elle ne vise pas tant à reproduire un lieu qu’à suggérer des références et organiser l’espace de la représentation ; elle a partie liée avec les lumières qui contribuent à la mise en valeur de l’espace. (prison de Mortimer, chambre de Gloucester…) rappelant l’inner stage élisabéthaine. L’avant-scène propice à un jeu frontal (confidences au public des nobles, chacun en quête de pouvoir) s’augmente ici d’une passerelle qui traverse une partie de la salle et qui permet une grande proximité avec le public (intervention du rhapsode, entrée solennelle d’un personnage royal comme Gloucester ou la reine Marguerite…) ; cet espace semble reprendre le principe de l’apron stage élisabéthaine en l’appuyant. Enfin des escaliers peuvent prendre place en fond de scène et suggérer une hauteur pour des scènes solennelles ou des lieux particuliers (jugement de cour, remparts…) et rappeler l’upper stage élisabéthaine. Pour évoquer les effets de ces espaces de jeu, on peut aider les élèves en leur demandant de rendre à certaines scènes évoquées leur espace de jeu : Scène centrale … Effet : Fond de scène Passerelle dans la Avant-scène (derrière les portes salle public) métalliques) … … … Effet : Effet : Effet : (face Escaliers hauteurs en … Effet : Un espace conventionnel… On s’aidera au besoin des photographies du spectacle reproduites dans ce dossier ou des esquisses scénographiques reproduites en annexe. Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen 34 THEATRE ET ARTS DE LA SCENE Henry VI 06/01/12 Comment la scénographie marque-t-elle les lieux ? On demandera aux élèves comment étaient suggérés certains lieux de la pièce, par le biais de quels éléments : Scènes Eléments scénographiques Cortège funèbre d’Henry V Vitrail colorée en fond de scène, traversé de lumières. Palais Colonnes Chambre de Gloucester Lit La Cour Ligne de chaises … … On notera que, conformément à la théâtralité élisabéthaine, la scénographie ne cherche pas à représenter tous les lieux différents, mais à les suggérer. On rendra les élèves sensibles à la visibilité du lieu théâtral (projecteurs, rideaux…) qui permet de suggérer des espaces sans les représenter, à la nudité du plateau, qui reçoit ensuite quelques éléments amovibles (chaises, escaliers, portes…). Le pseudo-aveugle de St Albans (© Nicolas Joubard) …et symbolique Quels éléments demeurent présents et visibles en permanence ? Où se situent-ils et quel sens prennent-ils ? Au-dessus de la scène est suspendue une sphère armillaire, reproduite en miniature au bout du bâton de Gloucester. Pour aider les élèves à interpréter cet élément, on se souviendra de la première scène du cycle (reproduite en annexe : « figure royales : Henry V ») La sphère armillaire C’est un ancien objet d’étude astronomique, connu depuis l’Antiquité, constitué d’un ensemble de cercles en métal regroupés autour d’une sphère centrale. C’est une représentation mobile du mouvement des étoiles autour du Soleil et de la Terre, et des constellations du zodiaque. Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen 35 THEATRE ET ARTS DE LA SCENE Henry VI 06/01/12 qui mentionnait déjà les étoiles. Image du destin, de la révolution des astres, autrement dit de la fin d’un cycle et du commencement d’un nouveau, la sphère armillaire rappelle aussi la Renaissance, l’époque de Shakespeare et non d’Henry VI, une époque de connaissance où l’homme devient libre et responsable du cours du monde qu’il peut façonner, à l’image des nobles qui ne respectent plus l’hérédité royale mais tentent de capter la légitimité pour eux-mêmes. Autre symbole permanent, le tombeau d’Henry V, figuré par la croix au sol. La scène des hommes est ainsi tendue entre l’équilibre universel symbolisé par les astres, et l’héritage du passé, des rois antérieurs défunts, représenté par le tombeau. Il est l’image du règne précédent, des conquêtes de la France et de la victoire anglaise que les personnages ne cessent de revendiquer (Talbot) ou de regretter (York, Salisbury, Warwick) ; c’est aussi un élément à charge pour Henry VI qui est ainsi toujours confronté au modèle de son prédécesseur. Prolongement : histoire des arts On peut montrer la récurrence architecturale et artistique du motif du monde, ici la scène, intégrée dans une relation verticale entre le bas et le haut, moins le couple enfer et paradis que celui entre monde des morts, du passé, des cycles antérieurs, de l’existence humaine périssable d’une part, et ordre universel, éternel de l’autre. On retrouve cette symbolique des espaces tant dans l’architecture religieuse médiévale (cathédrale, abbaye), que dans l’architecture et la symbolique théâtrale depuis l’Antiquité (théâtre grec, élisabéthain, mystères médiévaux…) ; on peut se reporter utilement à l’étude du théâtre élisabéthain dans la partie « avant la représentation » et réfléchir au sens renouvelé que prenait dès lors sur scène tout appel aux astres, aux cieux. Le plateau (© Nicolas Joubard) Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen 36 THEATRE ET ARTS DE LA SCENE Henry VI 06/01/12 Les lumières : ambiances et atmosphères On pourra utilement prolonger le travail sur la scénographie avec une approche des lumières au théâtre, tant elles jouent ici dans les effets de la mise en scène. On s’interrogera sur la fabrication d’atmosphères, d’ambiances différentes suivant les scènes en observant comment les lumières peuvent y contribuer. L’étude de la photographie précédente permettra de repérer certaines directions de projecteurs. - Les « contres », éclairages en direction de la salle, éclairent les comédiens par derrière, créant de l’ombre sur leur visage et tendant à mettre davantage en valeur leur silhouette ; dirigée vers les spectateurs, ils peuvent créer une clarté difficile à soutenir, dissoudre les formes. - Les « faces » sont dirigées vers la scène et éclairent donc les personnages en face. Ils mettent en valeur les visages et limitent au maximum l’ombre sur les comédiens (ils ne peuvent être visibles sur la photographie car fixés en hauteur audessus de la scène ou de la salle). - Les « latéraux » disposés à cour et à jardin éclairent les comédiens par le côté et sont ainsi souvent utilisés symétriquement. Certains sont rasants (au niveau du sol) d’autres à hauteur d’homme. Les premiers éclairent les corps mais peu le sol, les seconds éclairent le sol et les corps. Dans les deux cas, on privilégie le corps plus que le visage. On pourra ainsi repérer les effets de la lumière en reliant certaines scènes évoquées dans les travaux précédents avec des effets particuliers où prédominent certains éclairages, par exemple : Face Tous les aristocrates, face public, exposent leurs intentions envers Gloucester individuellement avant de sortir. Contre York démontre à Salisbury et Warwick la légitimité de son droit à la couronne à l’aide d’un tableau généalogique « en volume ». Latéraux Eléonore est humiliée publiquement devant son mari Gloucester en punition de son recours à la sorcellerie. Eclairage direct des visages qui soutient le jeu frontal, la parole presque monologique, la confession au public, en en soulignant l’immédiateté. Ambiance aveuglante, floue, presque onirique. On devine des présences plus que des personnes, dans une clarté aveuglante qui serait celle de la démonstration d’York. Insistance sur un corps d’ailleurs brièvement dénudé et constamment agressé, souillé pendant que les personnages qui lui jettent les tomates sont maintenus dans un relatif contrejour. Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen 37 THEATRE ET ARTS DE LA SCENE Henry VI 06/01/12 Winchester couronnant Henry VI (© Nicolas Joubard) Winchester agonisant (© Nicolas Joubard) Activité On pourra s’attacher avec les élèves à décrire les photographies présentes, en s’appuyant sur l’observation des sources de lumière pour mieux relier leur choix à la construction d’une image et d’un effet : contraste agressif de l’obscurité des côtés avec la lumière du contre pour une gloire aveuglante, solaire du couronnement qui laisse les autres personnages dans l’ombre comme des présences inquiétantes ; latéraux qui contribuent à mettre à nu le corps tourmenté de l’évêque agonisant et avouant ses fautes au milieu des signes de la mort (médecins affublés de masques pour la peste, poudre qui accroche la lumière). Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen 38 THEATRE ET ARTS DE LA SCENE Henry VI 06/01/12 Bilan A l’issue de cette approche des procédés de la mise en scène d’Henry VI par Thomas Jolly, on s’interrogera sur le choix de monter Henry VI évoqué auparavant (voir la partie « avant la représentation »), et l’interprétation de la pièce qu’offre la représentation, en tenant compte du caractère inachevé de l’entreprise, la dernière partie du cycle étant programmé pour 2014. - Quelle image du monde est proposée ? Le monde est confus ― il suffit de penser aux scènes de bataille ― et témoigne à tous les niveaux de la difficulté que les personnages, même les plus calculateurs, rencontrent finalement à le contrôler. L’ombre, la fumée, l’agitation, le faux-semblant règnent tout particulièrement dans la mise en scène et mettent à mal les discours, les certitudes et les projets des personnages. - La mise en scène des deux parties marque-t-elle une progression, une évolution visible ? La première partie, faisant davantage de place à la guerre, est plus dynamique, la deuxième partie consacrée aux intrigues de palais propose un resserrement de l’espace et du temps autour de personnages affairés à se perdre mutuellement. - Quel sort est réservé aux personnages ? La plupart des personnages principaux se voient réservés un moment tragique, jusqu’à Jeanne que Shakespeare faisait simplement disparaître de la scène et qui est ici suppliciée à vue. On pourra pointer ces temps forts, individuels que sont la mort de Winchester, la déchéance d’Eléonore et Gloucester ou le bannissement de Suffolk. L’ambition des uns et des autres n’empêche pas leur capacité à émouvoir, à manifester la fragilité, le désarroi ou leur humanité. La guerre entre Français et Anglais avec Jeanne au centre (© Nicolas Joubard) Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen 39 THEATRE ET ARTS DE LA SCENE Henry VI 06/01/12 Annexes L’auteur : William Shakespeare Il reste et restera toujours des énigmes et des lacunes mais on constate qu'on en sait davantage ― après avoir écarté légendes et rumeurs ― sur la vie de Shakespeare que sur celle de la plupart des dramaturges de l'époque. William Shakespeare est né le 23 Avril 1564 à Stratford upon Avon, dans le Warwickshire, dans le centre de l'Angleterre. Il est le troisième enfant de la famille, l'aîné de huit enfants. Son père, fils de paysans, était un gantier qui fabriquait et vendait des articles de maroquinerie mais il tirait aussi profit du commerce de la laine et de la spéculation foncière. En épousant en 1557, Mary Arden, fille d'un riche fermier, il parvint à devenir un notable de la ville: après avoir été garde champêtre, il fut élu conseiller municipal de Stratford puis grand bailli (maire) en 1568. Sa réussite le poussa à solliciter des armoiries que son fils lui fera obtenir en 1596. On suppose qu'il est resté dans la foi catholique. Ce milieu bourgeois et aisé permit au jeune William de fréquenter l'école (la grammar school puis l'oratory) au centre de la ville où il apprit la langue et la littérature latines, l'histoire, la logique et la rhétorique. Pour cet enfant à l'esprit vif, la rhétorique fut un outil de composition exceptionnel. En 1577, il est retiré de l'école, sûrement pour gagner sa vie ou pour aider son père alors en difficulté. Le 28 Novembre 1582, à 18 ans, il épousa à la hâte Anne Hathaway, fille de gros fermiers d'un village limitrophe de Stratford; cette dernière était déjà enceinte... Après son mariage, on ne sait rien de ce qu'il fit (ce sont « les années perdues ») hormis qu'il quitta Stratford pour Londres et que sa femme mit au monde plusieurs enfants dont un, Hamnet, qui mourut à 11 ans: beaucoup de spécialistes suggèrent que ce décès inspira au dramaturge sa tragédie Hamlet. Il reparaît en 1592 : quelles ont été ses motivations pour laisser femme et enfants? De nombreuses hypothèses ont été données pour justifier son départ ; la plus plausible, peut-être, consiste à dire qu'il aurait rejoint les Comédiens de la Reine en 1587 alors qu'ils faisaient de Stratford une étape de leur tournée (on sait, par ailleurs, qu'on donnait souvent des représentations dans les grammar schools d'Angleterre). Une légende veut qu'il ait été valet d'écurie, gardant les chevaux des gentilshommes devant un théâtre ; on dit aussi qu'il a exercé le métier de son père, celui de précepteur et de clerc de notaire... En tous les cas, la seule preuve indiscutable de sa présence à Londres dans un théâtre, non plus en tant que valet d'écurie, est un pamphlet publié en 1592 après la mort de son auteur, Robert Greene, diplômé de Cambridge devenu dramaturge et fin observateur des coulisses de la vie londonienne. Il désigne alors Shakespeare comme « un corbeau parvenu, embelli de nos plumes, dont le cœur de tigre est caché sous la peau d'un acteur, et qui présume qu'il est capable de déglutir un vers aussi bien que les meilleurs d'entre vous : en plus d'être un misérable scribouillard, il se met en scène dans sa dramatique vanité ». Parodiant un vers de la troisième partie d'Henry VI, Greene reproche à ce simple comédien d'avoir l'audace de se faire dramaturge, osant se croire capable d'écrire aussi bien que des diplômés de l'université et de se croire « le seul branle-scène » (shake-scene: jeu de mots avec son patronyme) du pays. En 1592, Shakespeare avait déjà attiré l'attention sur lui, en tant que comédien et dramaturge. On sait que ses premières pièces, Titus Andronicus et les trois parties d'Henry VI, furent jouées par diverses troupes d'adultes. Pendant un temps, Shakespeare passa lui-même d'une troupe à l'autre en qualité d'acteur et de dramaturge puis il rejoignit ―on ne sait à quelle date ― la troupe dominée par la famille Burbage, qui allait devenir célèbre sous le nom des « Serviteurs du Lord Chambellan » et plus tard des « Serviteurs du Roi ». On sait qu'en 1595, avec Richard Burbage et le célèbre auteur comique William Kempe, il reçut au nom de ses collègues la rémunération prévue après une représentation devant la reine, ce qui indique qu'il occupait à cette époque une place éminente au sein de la troupe. Si les autres compagnies étaient éphémères, les Serviteurs du Lord Chambellan connurent le succès ; c'est en partie parce qu'ils étaient propriétaires de la plupart des théâtres où ils se produisaient. Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen 40 THEATRE ET ARTS DE LA SCENE Henry VI 06/01/12 En 1596, ils avaient acheté dans le quartier de Blackfriars un monastère désaffecté et l'avaient transformé en une petite salle fermée mais ce n'est pas avant 1608 que la compagnie de Shakespeare allait pouvoir utiliser elle même Blackfriars comme théâtre d'hiver. Le bail du terrain sur lequel se trouvait le théâtre, bâti en 1576 par James Burbage, arrivant à expiration, les membres de la troupe démantelèrent de nuit l'édifice et en transportèrent le bois réutilisable de l'autre côté de la Tamise, sur un site de la rive sud. C'est là, à Bankside, qu'ils entreprirent de construire Le Globe, le plus grand théâtre et aussi le plus somptueux que l'Angleterre eût jamais vu. Shakespeare ne fut pas le seul à écrire pour Les Serviteurs du Lord Chambellan ou Serviteurs du Roi, la plupart des meilleurs dramaturges de l'époque le firent ; cette troupe, dans les dernières années du règne d'Elisabeth, dépassait de loin ses concurrents par le nombre de ses représentations à la Cour et son excellence fut reconnue presque aussitôt sous le règne du nouveau monarque, Jacques Ier. En 1603, la troupe du grand Chambellan devint la troupe du Roi et porta la livrée royale de Jacques Ier. Il est impossible de préciser à quelle date Shakespeare cessa de faire l'acteur pour administrer la compagnie et pour se consacrer à l'écriture d'environ deux pièces par an destinées à sa troupe. On a calculé que de 1599 à 1609, une quinzaine de pièces nouvelles étaient créées au Globe chaque année, soit moins que dans certains autres théâtres londoniens, aux finances plus fragiles. Shakespeare jouait encore en 1603 car il figure sur la liste des acteurs de Séjan, la tragédie romaine de Ben Jonson. Il est peu probable qu'il ait joué les grands rôles de ses propres œuvres comme le fit plus tard Molière; la tradition lui attribue deux rôles: Adam dans Comme il vous plaira et le spectre dans Hamlet. Avant 1613, l'année de l'incendie du Globe, qui entraîna aussi la destruction d'innombrables manuscrits et la rapide reconstruction du théâtre sur une échelle encore plus grande, Shakespeare s'était retiré à Stratford où il avait acquis en 1597 une belle maison : New Place. Suffisamment riche, il avait également acheté à Londres une propriété dans le quartier londonien de Blackfriars (sur la rive nord de la Tamise). En 1615, il fut impliqué dans des démêlés judiciaires à propos de terrains qu'il possédait. En Mars 1616, sentant la mort prochaine, il rédigea son testament. Le 23 Avril de la même année, il mourut âgé de 52 ans ; comme il convenait à l'un des notables de Stratford, il fut inhumé dans le chœur de l'église de la Sainte-Trinité. Il eut ce droit parce qu'il était devenu sociétaire de l'église en payant la dîme de la paroisse (une somme importante). Sa femme lui survécut ainsi que ses deux filles, Judith et Susanna et sa sœur Joan. Par crainte que sa dépouille ne soit enlevée du tombeau (il était courant de faire de la place dans les tombeaux paroissiaux en les déplaçant dans un autre cimetière), on pense qu'il a composé cette épitaphe pour sa pierre tombale: Mon ami, pour l'amour du Sauveur, abstiens-toi De creuser la poussière déposée sur moi Béni soit l'homme qui épargnera ces pierres Mais maudit soit celui violant mon ossuaire. Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen 41 THEATRE ET ARTS DE LA SCENE Henry VI 06/01/12 Présentation de la Piccola Familia Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen 42 THEATRE ET ARTS DE LA SCENE Henry VI Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen 06/01/12 43 THEATRE ET ARTS DE LA SCENE Henry VI 06/01/12 Henry VI vu par d’autres Pour ouvrir les élèves aux possibles de la représentation à partir d’une même œuvre, on pourra exploiter utilement quelques éléments sur la mise en scène d’Henry VI par Stuart Seide au travers de l’entretien résumé ci-dessous. Stuart Seide a traduit et mis en scène Henry VI, sa création fut montée en coproduction avec le centre dramatique Poitou-Charentes et le théâtre de Gennevilliers et elle fut jouée en Février 1993 alors qu'il venait d'être nommé responsable du Centre dramatique Poitou-Charentes. Elle sera jouée en 1995 au festival d'Avignon (8h de représentation). Le 28 Mars de la même année (jour d'élections en France), il répondait aux questions de Bernard Sobel et d'Alain Etienne dans un entretien publié dans Théâtre Public, revue spécialisée éditée par le théâtre de Gennevilliers. A la question inaugurale: pourquoi Henry VI? Il répond tout d'abord qu'avec ce choix il affiche qui il est et ce en quoi il croit : « le théâtre élisabéthain est devenu mon théâtre de référence, par sa forme et par ses thèmes ». Selon lui, Henry VI est une pièce mésestimée, méconnue qui mérite justement d'être sortie de l'ombre mais c'est surtout la dimension politique de la pièce qui l'intéresse : « comme les autres histories, les pièces historiques de Shakespeare, relèvent d'un théâtre de la cité ». Le personnage principal, c'est la cité elle-même, multiforme, où les idéologies, les ambitions, les passions ― mesquines ou grandioses ― se confondent ». Stuart Seide poursuit en insistant sur le fait que dans la pièce, les individus qui ont le pouvoir ― politique en particulier ― sont chargés d'œuvrer pour le bien commun ; or, il constate qu'ils ne cherchent qu'à mettre des bâtons dans les roues de leurs adversaires mais aussi de leurs amis ou prétendus tels. Comment les petites ambitions d'hommes, vaniteux et médiocres, peuvent-elles déclencher une guerre civile? Comment le comprendre « psychologiquement »? Pour le personnage de Richard, c'est par cynisme (il l'avoue lui-même) ; en revanche, les autres personnages pensent n'avoir en tête que le bien commun... Bernard Sobel dit qu'il a vu dans le spectacle un questionnement politique; il a eu le sentiment d'assister à l'invention d'un laboratoire : la fabrique de « l'homme occidental ». Il dit: « Au fond, Henry VI, comme tout Shakespeare, met en scène l'effort que représente la fabrication, toujours à reprendre, de la loi, du symbolique, des valeurs en somme la fabrication de l'homme même (...). J'irais jusqu'à dire que cette pièce est écrite pour nous, que c'est aujourd'hui qu'elle put faire jouer toute son acuité ». S. Seide enchaîne en soulignant le danger à vouloir établir des rapports trop directs comme : Henry VI, c'est la guerre en ex-Yougoslavie. Sans aller jusqu'à ce genre de transpositions, il a conscience que la pièce éclaire la question du « nous et eux »; la question des nationalismes, des clans, des rejets : « Au fond, pour la plupart des personnages, il s'agit moins d'ambitions personnelles que de rivalités de clans ». La conversation s'est ensuite orientée vers des questions de dramaturgie : S. Seide pense avoir choisi cette pièce de Shakespeare parce qu'elle se situe à la jonction de deux types de théâtre : celui du moyen-âge, allégorique, aux visions historiques amples et schématiques et celui où l'on voit les personnages se poser des questions sur le monde, sur l'homme, aux dessins de visages individualisés, « caractérisés », c'est le théâtre qui a suivi la Renaissance. Alain Etienne dit avoir apprécié le jeu des comédiens, leur plaisir communicatif à « jouer » simplement et le côté bricolé du décor et des costumes: devant Henry VI, il a d'abord eu le sentiment de la « matière-théâtre ». S. Seide est d'accord avec l'idée que des costumes et des décors plus « beaux » auraient modifié le sens même du spectacle, la vision même de l'histoire, de la politique que propose la pièce : « je pense qu'une esthétique « institutionnalisée » n'aurait pas marché pour cette matière-là ! Ce serait entrer en disharmonie avec la substance même de cette pièce (...). Dans Henry VI, qui relève de la dramaturgie encore heurtée, naïve du jeune Shakespeare, j'ai cherché à conserver quelque chose de ce théâtre-grenier ». Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen 44 THEATRE ET ARTS DE LA SCENE Henry VI 06/01/12 Enfin S. Seide explique qu'il a cherché à faire évoluer la théâtralité de la mise en scène en fonction du changement de l'écriture au cours de l'œuvre. Dans la première partie, elle est encore conventionnelle, accrochée au moyen-âge, avec un côté épopée, roman d'images. Puis prend forme une pensée, la profondeur d'une pensée : les personnages sont de plus en plus contrastés. Pour lui, « il y a trois théâtralités: une théâtralité de toiles peintes ― la guerre de cent ans ―, une théâtralité violente de plateau nu, avec une forte présence de sang ― Cade et la guerre civile ― et une théâtralité de profondeur représentée par une guerre hivernale pour l'affrontement entre deux générations, à la fin de la Guerre des Roses (...) Au début, c'est « il était une fois... » Et sur la lancée de cette mécanique première, la pensée prend vie ». Dans un autre entretien, S.Seide parle du personnage Henry VI en disant qu'il est bon et seulement bon: il n'est pas un guerrier, il n'est pas assez politique, il ne veut pas utiliser la force. S'il avait été un peu moins bon, il aurait été meilleur roi. De ce fait, sa vertu devient faiblesse. Mais ce qui le fascine le plus, c'est la tragédie politique ou plutôt celle de l'aveuglement politique. Pour lui, la pièce est l'histoire d'une société, des hommes et des femmes. Ce sont aussi les relations entre pères et fils, entre les hommes et les femmes qui l'intéressent ; les pères transmettant à leur fils des haines, des fidélités, des désirs de vengeance. Ressources en ligne Une archive INA rend compte de la création d’Henry VI par Stuart Seide : http://www.ina.fr/video/CAC94071209/premiere-d-henry-vi-a-avignon.fr.html On peut aussi observer sur internet les costumes d’une autre mise en scène, celle de Lionel Fernandez : http://henryvi.free.fr/omallet.html La transmission de la couronne Extrait du Théâtre dessiné d’André Degaine. Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen 45 THEATRE ET ARTS DE LA SCENE Henry VI 06/01/12 Représentation de l’histoire (1) : la Guerre de cent ans Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen 46 THEATRE ET ARTS DE LA SCENE Henry VI 06/01/12 Représentation de l’histoire (2) : la Guerre des Deux Roses Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen 47 THEATRE ET ARTS DE LA SCENE Henry VI 06/01/12 Figures royales (1) : le deuil d’Henry V (extrait) Figures royales (2) : le règne d’Henry VI (extrait) Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen 48 THEATRE ET ARTS DE LA SCENE Henry VI 06/01/12 Figures politiques (1) : Gloucester (extrait) Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen 49 THEATRE ET ARTS DE LA SCENE Henry VI 06/01/12 Figures politiques (2) : York (extrait) Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen 50 THEATRE ET ARTS DE LA SCENE Henry VI 06/01/12 Figures guerrières (1), Talbot (extrait) Figures guerrières (2), Jeanne d’Arc (extraits) EXTRAIT 1 Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen 51 THEATRE ET ARTS DE LA SCENE Henry VI 06/01/12 EXTRAIT 2 Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen 52 THEATRE ET ARTS DE LA SCENE Henry VI 06/01/12 La figure de Jeanne d’Arc, du théâtre au cinéma Dessin en marge du procès Besson (1999) Duguay (1999) Rivette (1994) Manuscrit du XVème Dreyer (1928) DeMille (1016) Rossellini (1954) Shaw (1924) Preminger (1957) Ramos (2011) Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen 53 THEATRE ET ARTS DE LA SCENE Henry VI 06/01/12 Esquisses scénographiques : Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen 54 THEATRE ET ARTS DE LA SCENE Henry VI Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen 06/01/12 55 THEATRE ET ARTS DE LA SCENE Henry VI Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen 06/01/12 56 THEATRE ET ARTS DE LA SCENE Henry VI Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen 06/01/12 57 THEATRE ET ARTS DE LA SCENE Henry VI Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen 06/01/12 58