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Enseigner le théâtre
au lycée et en cours de français
Piste n° 4 - Le théâtre filmé : du bon usage des captations
Des films de théâtre
« Filmer le théâtre pour mieux le voir » : c’est ainsi que Philippe Miquel, réalisateur de plusieurs
captations disponibles à la COPAT1 – comme La Vie est un rêve ou Les Bonnes, dans les mises en
scène de Jacques Vincey – présente son travail. Et il faut reconnaître que les progrès techniques
effectués ces dix dernières années pour rendre le théâtre sans le trahir, ont été considérables. La
mise en image du théâtre, au service du théâtre, est devenue un art à part entière. Ni « faux cinéma »,
ni « capture » d’un événement théâtral ainsi embaumé, les réalisations les plus récentes méritent le
nom de « Films de Théâtre », que leur donne la COPAT :
Servie par les technologies les plus innovantes développées par la télévision, [la captation] sait
proposer un regard inédit et créatif. Confronté à une multitude de possibilités techniques, le réalisateur
doit opérer des choix. Il établit un minutieux découpage spatial : le placement des caméras et des
micros doit permettre de saisir tous les aspects constitutifs du spectacle (action, parole, décors…).
Filmer le théâtre n’est donc pas un art figé : aucun dispositif standard pour chaque pièce, chaque mise
en scène, chaque répertoire, chaque salle exige une nouvelle conception. Enfin, la captation est le
fruit d’un croisement d’intentions, le résultat d’un dialogue entre l’approche du réalisateur et le travail
du metteur en scène. Elle aboutit à la création d’un nouvel objet, le Film de Théâtre, participant des
deux disciplines: Théâtre et Cinéma2.
Pour chaque captation, un dispositif de prise de vue spécifique est ainsi mis en place ; il
s’accompagne d’une prise de son particulière, de l’emploi d’un(e) scripte, d’un directeur de la
photographie, lequel œuvre en dialogue étroit avec le créateur des lumières, tandis que tous
travaillent en intelligence et en empathie artistique avec le metteur en scène. C’est d’un dialogue de
compétences, et non de l’autorité narcissique de l’un (metteur en scène) ou de l’autre (réalisateur),
que naissent les DVD que nous connaissons. Pippo del Bono (Il Silenzio), Daniel Mesguich (Dom
Juan), Christian Schiaretti (Mademoiselle Julie et Créanciers, Une saison au Congo et bientôt Le Roi
Lear) travaillent ainsi en confiance avec leur monteur dont ils assistent le travail. Pour Joël Pommerat
(Ma chambre froide, Cendrillon…), il a fallu aux techniciens pousser la caméra au bout de l’épure dont
elle est capable pour préserver la force des effets de noir, si prenants mais si délicats à restituer à
l’écran ; simultanément, il fallait pouvoir rendre les variations de volume qui permettent au son
d’envelopper le spectateur au théâtre et que le canal télévisuel risquait d’écraser. La qualité du
résultat, dans ce cas comme dans la plupart des captations disponibles aujourd’hui, doit être
soulignée et saluée. Démonstration a été faite que la force de concentration de la caméra
pouvait se mettre au service du théâtre et de son émotion spécifique. Certes, jamais la
fréquentation personnelle, physique, d’une salle de spectacle ne saurait être remplacée par un écran.
Mais il serait regrettable, aujourd’hui, de se camper sur des positions d’arrière-garde pour rejeter en
bloc des instruments qui non seulement peuvent être d’un immense bénéfice pédagogique, mais se
révèlent en outre artistiquement très maîtrisés.
1 Créée en 1996, la « Coopérative de Production Audiovisuelle Théâtrale » (COPAT) regroupe une cinquantaine
de membres associés (théâtres, compagnies, tourneurs…) dans l’espace de la francophonie. La collection vidéo
COPAT, « Le meilleur du théâtre chez vous », comprend à ce jour près de 200 titres, et s’accroît d’environ un à
deux DVD par mois.
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captations Décembre 2014
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2 Site de la COPAT, onglet « Filmer le théâtre » : http://www.copat.fr/enseignement/filmer-le-theatre.
Les exemples se multiplient d’ailleurs de metteurs en scène travaillant main dans la main avec
« leur » réalisateur. On imagine ainsi combien Patrice Chéreau, réalisateur lui-même – et avec quelle
exigence ! –, devait veiller à la qualité des captations de ses spectacles. Et on ne s’étonnera pas qu’il
ait tissé pour cela une étroite relation de confiance et de dialogue avec celui qui fut d’abord son
assistant, avant de tourner un premier reportage très intimiste, en 1995, sur les répétitions de Dans la
solitude des champs de coton (où jouaient Pascal Greggory et Patrice Chéreau lui-même)3, enfin de
devenir le réalisateur de toutes les captations de ses spectacles, jusqu’au dernier, Elektra de Richard
Strauss présentée au Festival d’Aix-en-Provence, dont il dût débuter le montage le jour de la mort du
metteur en scène. Le film que Stéphane Metge – c’est son nom – réalisa à partir de cette dernière
mise en scène eut les honneurs, très mérités, du Théâtre de la Ville à l’occasion de l’hommage rendu
en janvier 2014 au metteur en scène décédé six mois plus tôt. On mesure encore la confiance que lui
accordait Patrice Chéreau, et l’importance, pour nous, de cette œuvre filmique, en regardant les
documentaires que Stéphane Metge a consacré au travail mené sur Shakespeare avec de jeunes
élèves du Conservatoire (Cinq leçons de théâtre de Patrice Chéreau, 1999), ou de la carrière entière
de l’artiste, du théâtre à l’opéra et au cinéma (Patrice Chéreau, Le Corps au travail, 2008-2009).
Et l’on pourrait souligner la même exigence cinématographique dans les films réalisés par Ariane
Mnouchkine elle-même pour les spectacles du Théâtre du Soleil, depuis 1789 jusqu’au prochain
Macbeth – espérons-le ! –, en passant par Tambours sur la digue (2002), Le dernier Caravansérail
(Odyssées) (2006) ou Les Naufragés du Fol Espoir (2013). Signe de ce rapprochement du spectacle
avec sa trace audiovisuelle, certains spectacles semblent désormais marqués par une « pensée
filmique », comme s’ils intégraient d’avance leur future captation ou recréation. C’est l’impression, du
moins, que donne le récent Macbeth du Soleil : la pièce écossaise apparaît dans une veine
hollywoodienne, comme travaillée « en Cinémascope », et si profondément marquée par le règne
actuel de l’image que ses symboles mêmes conjuguent à la stylisation du visible l’image en
mouvement de leur métamorphose (comment oublier ce chemin de pétales de roses qui se
transforme en fleuve de sang ?). Et pourtant, on est en droit de regretter parfois, devant la version
filmée, par exemple, du Dernier Caravansérail, l’atmosphère unique de la Cartoucherie et jusqu’à la
pause chorégraphique, disparue dans le film, qu’imposaient, à intervalles réguliers, les changements
de décor. Si singuliers et signifiants, pourtant, les mouvements mêmes des personnages, alors
poussés sur des plateaux à roulettes, sont à peine visibles à l’écran. C’est que, comme le rappelle
très justement la COPAT, si « la recréation complète d’une pièce, filmée sans public dans un studio
ou au théâtre, est désormais possible », elle a l’inconvénient de « néglige[r] une dimension
essentielle : filmer des acteurs qui ne jouent plus pour un public mais pour une caméra relève
fondamentalement d’une démarche cinématographique, incapable de recréer l’émotion propre
au spectacle vivant et cette relation entre le spectateur et l’acteur, unique au théâtre »4. Les
véritables « captations », au contraire, saisissent le spectacle vivant au moment de sa représentation,
et tentent de « capter » jusqu’à sa fragilité, unique et intense.
Bénéfices des bonus
On aurait d’autant plus tort de se priver de ces précieux outils qu’ils sont agrémentés, bien souvent,
de bonus fort utiles, soit pour le professeur, soit pour la classe. Outre leur vocation affichée, celle de
véhiculer l’enthousiasme vif d’un spectacle, ils apportent souvent de précieux éclairages sur ses
coulisses, ses origines ou ses intentions.
Revenu pour l’occasion dans le lycée où il fit ses études, le lycée Thiers de Marseille, à deux pas du
Théâtre du Gymnase où fut enregistré le spectacle, Daniel Mesguich répond ainsi, dans un dialogue
qui figure dans les bonus de son Dom Juan, aux élèves qui sont alors à sa place… Et l’échange n’est
pas inintéressant !
Mettant l’accent sur un aspect parfois négligé et soulignant par là l’importance d’un travail
délicatement situé entre l’art et l’artisanat, des techniciens y participent parfois : à côté de celle du
metteur en scène Roman Polanski, l’interview du décorateur d’Hedda Gabler – avec Emmanuelle
Seigner – apporte ainsi des précisions sur la « fabrique » du feu et de la cheminée, tandis que, dans
3 Stéphane Metge, Une autre solitude, Documentaire Théâtre, 1995.
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4 Site de la COPAT, onglet « Filmer le théâtre », déjà cité.
les bonus de Peines d’amour perdues, mise en scène d’Emmanuel Demarcy-Mota, c’est la costumière
qui précise son rôle dans la création du spectacle.
Et les perles sont nombreuses, que l’on découvre parfois au hasard, comme cette trentaine de
minutes – « extraits inédits » – du Tartuffe d’Ariane Mnouchkine présenté à Avignon en 1995 – le
fameux Tartuffe « islamiste » – et qui figure dans les bonus du documentaire Au Soleil même la nuit,
scènes d’accouchement ; ou bien ces quatre minutes, les « seules enregistrées », d’un « Macbeth
Vaudou » monté en 1936 par Orson Welles et que l’on découvre, à côté d’un reportage sur « Welles
et Shakespeare » et d’une analyse des décors – très théâtraux ! – du film, sur le DVD de son
Macbeth ; ou encore ce précieux reportage d’une demi-heure sur « l’influence du théâtre Nô » dans
Le Château de l’araignée, le film adapté de la même pièce par Akira Kurosawa en 1957 ; et on
pourrait citer encore le documentaire consacré à « la conception du spectacle » des Fables de Bob
Wilson à la Comédie-Française en 2004 ; ou le DVD entier accompagnant L’Acte inconnu pour nous
faire entrer visuellement « dans l’atelier de Valère Novarina »…
Sur quelques instruments de travail fort bien faits…
Avant d’énoncer quelques conseils sur l’usage de ces captations en classe, il faut rappeler encore
qu’il existe d’excellents volumes à l’intention des enseignants. Publiés par le SCEREN (CNDP-
CRDP), ils sont consacrés à des dramaturges, des pièces, des spectacles ou des metteurs ou scène
et, pour certains, accompagnés d’un DVD. On y trouve ainsi des titres sur Hamlet (Enigmes du texte,
réponses de la scène, dirigé par Catherine Treilhou-Balaudé, 2012), Feydeau (Un fil à la patte, On
purge bébé, par Violaine Heyraut, 2012), Cendrillon de Pommerat (par Christophe Triau, 2013),
Platonov de Tchekhov (par Marion Ferry et Yves Steinmetz, 2005), le Théâtre du Soleil (par Jean-
François Dusigne, 2003), Valère Novarina (L’Acte inconnu, Devant la parole, par Marion Ferry,
2010)… A chaque fois, la richesse de l’iconographie et la qualité des analyses en font des mines
d’idées et de documents pédagogiques extrêmement généreux. Mais on s’arrêtera plus avant ici sur
les volumes contenant des extraits vidéo. Il s’agit des Pièces de guerre I et II d’Edward Bond
(Bertrand Chauvet, Eric Duchâtel, Edward Bond, Jerôme Hankins et David Tuaillon, 2006), de
L’Illusion comique de Corneille (dirigé par Catherine Treilhou-Balaudé, 2009), de deux pièces de
Jean-Luc Lagarce (Juste la fin du monde et Nous, les héros, par Bertrand Chauvet et Eric Duchâtel,
2007) et de l’Agamemnon d’Eschyle (par Evelyne Ertel, Claire Lechevalier et Pierre Judet de la
Combe, 2009). DVD et analyses sont également d’une richesse inouïe.
Par exemple, le DVD fourni avec Agamemnon propose, par thèmes (« le chœur », « Clytemnestre /
Agamemnon », « Cassandre », etc.), des extraits comparant les propositions de Peter Stein, Ariane
Mnouchkine, Georges Lavaudant, David Géry et Olivier Py. Le bénéfice de tels instruments de
comparaison est immédiat, et pensé pour servir une pédagogie dynamique et variée, au
service de la formation du goût et de l’esprit critique. Le même volume contient en outre de longs
extraits des répétitions des Atrides, monté par le Théâtre du Soleil, et des bonus sur « la tragédie en
Sorbonne » ou « Maria Casarès à Châteauvallon ».
Autre exemple : dans le volume consacré à L’illusion comique, deux DVD proposent, pour l’un, un
téléfilm réalisé par Robert Maurice et un documentaire sur la mise en scène de Jean-Marie Villégier,
pour l’autre, des analyses dramaturgiques d’extraits de mises en scène de Robert Maurice (1970),
Brigitte Jaques-Wajeman (2004), Alain Bézu (2006), Marion Berry (2007) et des archives sur les
versions de Georges Wilson (TNP) et de Giorgio Strehler (1984). Les extraits proposés rapprochent
des scènes ainsi classées : « Ouvertures / fermetures », « Clindor et le jeu amoureux », « La comédie
de Matamore », « Prestiges de l’illusion », etc. Là encore, ce travail comparatiste nous paraît
supérieurement efficace et judicieux, pour ouvrir de jeunes esprits à l’épaisseur de signes et
de sens de toute représentation, les initier à l’analyse de spectacles et voir mûrir leur jugement
de goût.
Sans qu’on ait besoin de détailler plus avant chacun de ses ouvrages, on aura compris que nous en
recommandons vivement la fréquentation et l’utilisation…
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Privilégier une approche comparatiste
Venons-en aux faits, c'est-à-dire à l’usage des captations en classe.
Et commençons, tant pis, par une remarque apparemment secondaire, parce que matérielle.
Pourquoi, si la possibilité nous en est donnée, ne pas s’offrir, et offrir à nos élèves, le luxe et le confort
de projeter les extraits vidéo que nous avons retenus avec le vidéo-projecteur, c'est-à-dire « en
grand » ? Les salles des établissements scolaires sont de plus en plus souvent équipées du matériel
nécessaire, avec parfois un ordinateur à disposition, qui permettra de mettre en pause une attitude, de
fixer un décor, de sauter rapidement une scène, de repasser un geste au ralenti… Le maniement de
ces instruments n’a rien de très difficile ; et c’est un détail pratique qui ne pourra qu’exhausser encore
la qualité des captations sollicitées.
Les usages didactiques qui peuvent être faits de ces captations sont aussi libres que multiples, bien
sûr ; néanmoins, il semble préférable de privilégier une approche comparatiste.
Dans l’optique d’initier les élèves à l’« état d’esprit dramaturgique » que prône Bernard Dort5, la
comparaison de plusieurs mises en scène d’un même texte, d’un même fragment, nous
apparaît incontournable. Car de ce parallèle peut émerger la notion même de « mise en scène », et
une conception sensible de ses liens avec la dramaturgie. Joseph Danan en propose ainsi une
conception élargie :
La dramaturgie ne serait-elle pas l’autre nom de cette part « immatérielle », pour reprendre, en
l’élargissant, la belle formule d’Antoine6, que l’on pourrait assigner à toute mise en scène (digne de ce
nom), la pensée, en somme, qui la traverse, la travaille et se constitue à travers elle, dans le creuset
de sa matérialité ?7
Initier les élèves à cette « pensée du passage à la scène des pièces de théâtre »8 est la visée même
de l’objet d’étude « texte et représentation », que la découverte du classicisme en seconde permet de
préparer. Les captations de L’Ecole des femmes, dans les mises en scène comparées de Didier
Bezace et de Jacques Lassalle révèlent des pensées dramaturgiques particulières du chef d’œuvre
de Molière. Dans ces deux cas, les scénographies et les directions d’acteur (et dans ce cas, surtout
d’actrices jouant Agnès) dans leurs divergences, éclairent deux lectures personnelles et justes de la
question du « cas » Arnolphe.
Une approche problématisée des questions théâtrales ouvre aussi le cours de français à de nombreux
extraits de pièces différentes. La notion de catharsis, par exemple, devient plus palpable en regard
des performances d’Isabelle Huppert (Médée, dans la mise en scène de Jacques Lassalle en 2000),
de Dominique Blanc (Phèdre, sous la direction de Patrice Chéreau en 2003) et de Nada Strancar
(Clytemnestre, distribuée par Olivier Py en 2008). L’approche comparée peut alors s’ouvrir à de
nombreux documents, dont les divergences permettent de mettre en lumière des questions scéniques
et leurs solutions. Peut-être serait-il ainsi plus stimulant pour les élèves d’entendre diverses manières
de dire l’alexandrin grâce à des extraits (on trouvera des captations de spectacles d’Antoine Vitez, de
Patrice Chéreau, de Luc Bondy, de Gildas Bourdet) que d’écouter Tartuffe intégralement dans une
seule et unique mise en scène…
En outre, et toujours dans cette optique comparatiste, il nous semble préférable d’associer
l’utilisation des captations non seulement à l’étude du ou des textes mis en scène, mais aussi
à une sortie au théâtre. Car c’est ainsi, nous semble-t-il, que l’on fera le mieux mesurer aux élèves
plusieurs aspects définitionnels de cet art, à commencer par l’écart irréductible entre le fait social,
public, de « la sortie au théâtre », avec son caractère cérémonieux, l’impact sur le spectateur (et son
« horizon d’attente ») de la nécessaire organisation à l’avance de cet « événement », de l’architecture
5 Bernard Dort, « L’état d’esprit dramaturgique », Théâtre/public n° 67, janvier-février 1986, p.8.
6 André Antoine, « Causerie sur la mise en scène », 1903, in Antoine, L’invention de la mise en scène, Actes
Sud-Papiers, 1999, p.113.
7 Joseph Danan, Qu’est-ce que la dramaturgie ?, Actes Sud-papiers, 2010, p.20.
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8 Idem, p.8.
du bâtiment et de la présence du public, et le fait individuel, pouvant se dissoudre dans la solitude, du
visionnage d’un film, même « de théâtre ». Mais plus encore, on fera mieux ressortir ainsi la qualité et
l’actualité d’une mise en scène, par ses écarts avec d’autres. Car, insistons-y, le principe de la
comparaison-confrontation des mises en scène nous paraît de très loin le plus pertinent. Si l’on
va voir « un » Tartuffe, il est aisé de projeter des extraits « d’autres » Tartuffe – celui de Mnouchkine,
celui de Braunschweig –, de s’appuyer sur des photographies – dans son numéro consacré à « l’ère
de la mise en scène » (n°10), la revue Théâtre d’aujourd’hui fournit un très riche dossier
iconographique et théorique sur « 9 mises en scène de Tartuffe »… – ou sur des textes
(contradictoires ?) de praticiens – note d’intention du metteur en scène, extrait de Jouvet ou de
Vitez…
Précisons ici qu’il nous semble rarement profitable de projeter des extraits très longs. Bien sûr, il
convient d’avoir assez d’images pour donner aux élèves une idée du spectacle dans son entier. Mais
est-il nécessaire de donner à voir l’intégralité des trois heures du Lorenzaccio de Franco Zeffirelli pour
en percevoir les grandes composantes dramaturgiques et les principes esthétiques ? Rappelons en
passant qu’il nous apparaît encore moins utile de projeter une longue vidéo, tout comme d’organiser
une sortie, sans l’accompagner de commentaires ou au moins d’une discussion constructive… Des
extraits de cinq à dix minutes peuvent donc suffire à élaborer de petites analyses
dramaturgiques comparées. Et l’on aura bien assez de matière à commenter si l’extrait est
judicieusement choisi et découpé, par exemple concernant l’utilisation de l’espace – au moment
central et tellement attendu du bal de Cendrillon, Joël Pommerat nous laisse à la porte du Palais du
Prince… –, des costumes – Brigitte Jaques-Wajeman habille Alcandre, Dorante et Pridamant en
manteaux noirs évoquant le polar américain et change en cigarette la baguette du Magicien –, de la
gestuelle – François Berreur fait entrer Louis, le fils condamné de Juste la fin du monde, en une
pirouette sur lui-même, les mains volant dans l’air autour de lui, comme un tragique Monsieur Loyal –,
de la musique – mélodramatique, celle qui enveloppe le baiser donné par Lorenzo à Tebaldeo dans la
mise en scène de Zeffirelli transforme ce moment en cliché cinématographique, etc.
Si les minutes d’un cours nous sont précieuses et comptées, il ne faudrait pourtant pas donner l'idée
d'un émiettement possible des œuvres et partant de la culture, ni risquer d’amputer ces captations
d’une part de leur saveur sous l’effet de leur sectionnement et de leur instrumentalisation
pédagogiques. Car il serait également regrettable de priver les élèves du plaisir et de l’intérêt
des œuvres intégrales ! Rappelons que les captations présentes dans les CDI leur sont en général
accessibles, et souvent empruntables, au moins pour les week-ends et les vacances. Une fois n’est
pas coutume : sachons céder à l’art de la persuasion publicitaire en les invitant à prolonger un travail
par un plaisir – culturel qui plus est ! – et à emprunter ces DVD, dont le catalogue est souvent bien
plus vaste que celui des sorties possibles : ils leur permettront non seulement de renouveler et de
prolonger l’éventuel plaisir pris devant un bref extrait, mais aussi d’explorer plus avant et dans la
durée le travail et l’esthétique d’un metteur en scène, de découvrir avec plus de facilité (et de plaisir…)
d’autres pièces d’un dramaturge, voire d’évaluer la souplesse de jeu d’un(e) comédien(ne) à travers
d’autres rôles… Ce qui confirme, si besoin était, l’importance des fonds des CDI, nous y reviendrons.
Théâtre et cinéma : un débat ?
Faut-il opposer théâtre et cinéma ? Il n’est pas exclu, tout au moins, de voir surgir une telle question à
l’occasion de l’utilisation d’une captation. N’en négligeons pas trop vite les bénéfices : elle pourrait
nous orienter vers une réflexion précise sur la nature et les différences des illusions théâtrale et
cinématographique.
« Au théâtre, on joue ; au cinéma, on a joué », disait Louis Jouvet qui ne répugnait pourtant pas à se
laisser filmer. Et encore : « le cinéma, c’est du théâtre en boîte ». Ces formules sévères nous
introduisent à une distinction ferme entre théâtre et cinéma.
Spectacle vivant et présent, le théâtre a en effet cette particularité d’être un art organique, ce
que, par un « remue-méninge » momentané – ou à l’aide d’extraits de films choisis pour servir de
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