
Les exemples se multiplient d’ailleurs de metteurs en scène travaillant main dans la main avec
« leur » réalisateur. On imagine ainsi combien Patrice Chéreau, réalisateur lui-même – et avec quelle
exigence ! –, devait veiller à la qualité des captations de ses spectacles. Et on ne s’étonnera pas qu’il
ait tissé pour cela une étroite relation de confiance et de dialogue avec celui qui fut d’abord son
assistant, avant de tourner un premier reportage très intimiste, en 1995, sur les répétitions de Dans la
solitude des champs de coton (où jouaient Pascal Greggory et Patrice Chéreau lui-même)3, enfin de
devenir le réalisateur de toutes les captations de ses spectacles, jusqu’au dernier, Elektra de Richard
Strauss présentée au Festival d’Aix-en-Provence, dont il dût débuter le montage le jour de la mort du
metteur en scène. Le film que Stéphane Metge – c’est son nom – réalisa à partir de cette dernière
mise en scène eut les honneurs, très mérités, du Théâtre de la Ville à l’occasion de l’hommage rendu
en janvier 2014 au metteur en scène décédé six mois plus tôt. On mesure encore la confiance que lui
accordait Patrice Chéreau, et l’importance, pour nous, de cette œuvre filmique, en regardant les
documentaires que Stéphane Metge a consacré au travail mené sur Shakespeare avec de jeunes
élèves du Conservatoire (Cinq leçons de théâtre de Patrice Chéreau, 1999), ou de la carrière entière
de l’artiste, du théâtre à l’opéra et au cinéma (Patrice Chéreau, Le Corps au travail, 2008-2009).
Et l’on pourrait souligner la même exigence cinématographique dans les films réalisés par Ariane
Mnouchkine elle-même pour les spectacles du Théâtre du Soleil, depuis 1789 jusqu’au prochain
Macbeth – espérons-le ! –, en passant par Tambours sur la digue (2002), Le dernier Caravansérail
(Odyssées) (2006) ou Les Naufragés du Fol Espoir (2013). Signe de ce rapprochement du spectacle
avec sa trace audiovisuelle, certains spectacles semblent désormais marqués par une « pensée
filmique », comme s’ils intégraient d’avance leur future captation ou recréation. C’est l’impression, du
moins, que donne le récent Macbeth du Soleil : la pièce écossaise apparaît dans une veine
hollywoodienne, comme travaillée « en Cinémascope », et si profondément marquée par le règne
actuel de l’image que ses symboles mêmes conjuguent à la stylisation du visible l’image en
mouvement de leur métamorphose (comment oublier ce chemin de pétales de roses qui se
transforme en fleuve de sang ?). Et pourtant, on est en droit de regretter parfois, devant la version
filmée, par exemple, du Dernier Caravansérail, l’atmosphère unique de la Cartoucherie et jusqu’à la
pause chorégraphique, disparue dans le film, qu’imposaient, à intervalles réguliers, les changements
de décor. Si singuliers et signifiants, pourtant, les mouvements mêmes des personnages, alors
poussés sur des plateaux à roulettes, sont à peine visibles à l’écran. C’est que, comme le rappelle
très justement la COPAT, si « la recréation complète d’une pièce, filmée sans public dans un studio
ou au théâtre, est désormais possible », elle a l’inconvénient de « néglige[r] une dimension
essentielle : filmer des acteurs qui ne jouent plus pour un public mais pour une caméra relève
fondamentalement d’une démarche cinématographique, incapable de recréer l’émotion propre
au spectacle vivant et cette relation entre le spectateur et l’acteur, unique au théâtre »4. Les
véritables « captations », au contraire, saisissent le spectacle vivant au moment de sa représentation,
et tentent de « capter » jusqu’à sa fragilité, unique et intense.
Bénéfices des bonus
On aurait d’autant plus tort de se priver de ces précieux outils qu’ils sont agrémentés, bien souvent,
de bonus fort utiles, soit pour le professeur, soit pour la classe. Outre leur vocation affichée, celle de
véhiculer l’enthousiasme vif d’un spectacle, ils apportent souvent de précieux éclairages sur ses
coulisses, ses origines ou ses intentions.
Revenu pour l’occasion dans le lycée où il fit ses études, le lycée Thiers de Marseille, à deux pas du
Théâtre du Gymnase où fut enregistré le spectacle, Daniel Mesguich répond ainsi, dans un dialogue
qui figure dans les bonus de son Dom Juan, aux élèves qui sont alors à sa place… Et l’échange n’est
pas inintéressant !
Mettant l’accent sur un aspect parfois négligé et soulignant par là l’importance d’un travail
délicatement situé entre l’art et l’artisanat, des techniciens y participent parfois : à côté de celle du
metteur en scène Roman Polanski, l’interview du décorateur d’Hedda Gabler – avec Emmanuelle
Seigner – apporte ainsi des précisions sur la « fabrique » du feu et de la cheminée, tandis que, dans
3 Stéphane Metge, Une autre solitude, Documentaire Théâtre, 1995.
Ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche - DGESCO - IGEN
Enseigner le théâtre au lycée et en cours de français – Piste n°4 – Le théâtre filmé : du bon usage des
captations Page 2 sur 9
http://eduscol.education.fr/prog
4 Site de la COPAT, onglet « Filmer le théâtre », déjà cité.