Le théâtre filmé - Ministère de l`éducation nationale

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Enseigner le théâtre
au lycée et en cours de français
Piste n° 4 - Le théâtre filmé : du bon usage des captations
Des films de théâtre
« Filmer le théâtre pour mieux le voir » : c’est ainsi que Philippe Miquel, réalisateur de plusieurs
captations disponibles à la COPAT 1 – comme La Vie est un rêve ou Les Bonnes, dans les mises en
scène de Jacques Vincey – présente son travail. Et il faut reconnaître que les progrès techniques
effectués ces dix dernières années pour rendre le théâtre sans le trahir, ont été considérables. La
mise en image du théâtre, au service du théâtre, est devenue un art à part entière. Ni « faux cinéma »,
ni « capture » d’un événement théâtral ainsi embaumé, les réalisations les plus récentes méritent le
nom de « Films de Théâtre », que leur donne la COPAT :
Servie par les technologies les plus innovantes développées par la télévision, [la captation] sait
proposer un regard inédit et créatif. Confronté à une multitude de possibilités techniques, le réalisateur
doit opérer des choix. Il établit un minutieux découpage spatial : le placement des caméras et des
micros doit permettre de saisir tous les aspects constitutifs du spectacle (action, parole, décors…).
Filmer le théâtre n’est donc pas un art figé : aucun dispositif standard pour chaque pièce, chaque mise
en scène, chaque répertoire, chaque salle exige une nouvelle conception. Enfin, la captation est le
fruit d’un croisement d’intentions, le résultat d’un dialogue entre l’approche du réalisateur et le travail
du metteur en scène. Elle aboutit à la création d’un nouvel objet, le Film de Théâtre, participant des
deux disciplines: Théâtre et Cinéma 2 .
Pour chaque captation, un dispositif de prise de vue spécifique est ainsi mis en place ; il
s’accompagne d’une prise de son particulière, de l’emploi d’un(e) scripte, d’un directeur de la
photographie, lequel œuvre en dialogue étroit avec le créateur des lumières, tandis que tous
travaillent en intelligence et en empathie artistique avec le metteur en scène. C’est d’un dialogue de
compétences, et non de l’autorité narcissique de l’un (metteur en scène) ou de l’autre (réalisateur),
que naissent les DVD que nous connaissons. Pippo del Bono (Il Silenzio), Daniel Mesguich (Dom
Juan), Christian Schiaretti (Mademoiselle Julie et Créanciers, Une saison au Congo et bientôt Le Roi
Lear) travaillent ainsi en confiance avec leur monteur dont ils assistent le travail. Pour Joël Pommerat
(Ma chambre froide, Cendrillon…), il a fallu aux techniciens pousser la caméra au bout de l’épure dont
elle est capable pour préserver la force des effets de noir, si prenants mais si délicats à restituer à
l’écran ; simultanément, il fallait pouvoir rendre les variations de volume qui permettent au son
d’envelopper le spectateur au théâtre et que le canal télévisuel risquait d’écraser. La qualité du
résultat, dans ce cas comme dans la plupart des captations disponibles aujourd’hui, doit être
soulignée et saluée. Démonstration a été faite que la force de concentration de la caméra
pouvait se mettre au service du théâtre et de son émotion spécifique. Certes, jamais la
fréquentation personnelle, physique, d’une salle de spectacle ne saurait être remplacée par un écran.
Mais il serait regrettable, aujourd’hui, de se camper sur des positions d’arrière-garde pour rejeter en
bloc des instruments qui non seulement peuvent être d’un immense bénéfice pédagogique, mais se
révèlent en outre artistiquement très maîtrisés.
1
Créée en 1996, la « Coopérative de Production Audiovisuelle Théâtrale » (COPAT) regroupe une cinquantaine
de membres associés (théâtres, compagnies, tourneurs…) dans l’espace de la francophonie. La collection vidéo
COPAT, « Le meilleur du théâtre chez vous », comprend à ce jour près de 200 titres, et s’accroît d’environ un à
deux DVD par mois. 2
Site de la COPAT, onglet « Filmer le théâtre » : http://www.copat.fr/enseignement/filmer-le-theatre. Ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche - DGESCO - IGEN
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captations
Décembre 2014
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Les exemples se multiplient d’ailleurs de metteurs en scène travaillant main dans la main avec
« leur » réalisateur. On imagine ainsi combien Patrice Chéreau, réalisateur lui-même – et avec quelle
exigence ! –, devait veiller à la qualité des captations de ses spectacles. Et on ne s’étonnera pas qu’il
ait tissé pour cela une étroite relation de confiance et de dialogue avec celui qui fut d’abord son
assistant, avant de tourner un premier reportage très intimiste, en 1995, sur les répétitions de Dans la
solitude des champs de coton (où jouaient Pascal Greggory et Patrice Chéreau lui-même) 3 , enfin de
devenir le réalisateur de toutes les captations de ses spectacles, jusqu’au dernier, Elektra de Richard
Strauss présentée au Festival d’Aix-en-Provence, dont il dût débuter le montage le jour de la mort du
metteur en scène. Le film que Stéphane Metge – c’est son nom – réalisa à partir de cette dernière
mise en scène eut les honneurs, très mérités, du Théâtre de la Ville à l’occasion de l’hommage rendu
en janvier 2014 au metteur en scène décédé six mois plus tôt. On mesure encore la confiance que lui
accordait Patrice Chéreau, et l’importance, pour nous, de cette œuvre filmique, en regardant les
documentaires que Stéphane Metge a consacré au travail mené sur Shakespeare avec de jeunes
élèves du Conservatoire (Cinq leçons de théâtre de Patrice Chéreau, 1999), ou de la carrière entière
de l’artiste, du théâtre à l’opéra et au cinéma (Patrice Chéreau, Le Corps au travail, 2008-2009).
Et l’on pourrait souligner la même exigence cinématographique dans les films réalisés par Ariane
Mnouchkine elle-même pour les spectacles du Théâtre du Soleil, depuis 1789 jusqu’au prochain
Macbeth – espérons-le ! –, en passant par Tambours sur la digue (2002), Le dernier Caravansérail
(Odyssées) (2006) ou Les Naufragés du Fol Espoir (2013). Signe de ce rapprochement du spectacle
avec sa trace audiovisuelle, certains spectacles semblent désormais marqués par une « pensée
filmique », comme s’ils intégraient d’avance leur future captation ou recréation. C’est l’impression, du
moins, que donne le récent Macbeth du Soleil : la pièce écossaise apparaît dans une veine
hollywoodienne, comme travaillée « en Cinémascope », et si profondément marquée par le règne
actuel de l’image que ses symboles mêmes conjuguent à la stylisation du visible l’image en
mouvement de leur métamorphose (comment oublier ce chemin de pétales de roses qui se
transforme en fleuve de sang ?). Et pourtant, on est en droit de regretter parfois, devant la version
filmée, par exemple, du Dernier Caravansérail, l’atmosphère unique de la Cartoucherie et jusqu’à la
pause chorégraphique, disparue dans le film, qu’imposaient, à intervalles réguliers, les changements
de décor. Si singuliers et signifiants, pourtant, les mouvements mêmes des personnages, alors
poussés sur des plateaux à roulettes, sont à peine visibles à l’écran. C’est que, comme le rappelle
très justement la COPAT, si « la recréation complète d’une pièce, filmée sans public dans un studio
ou au théâtre, est désormais possible », elle a l’inconvénient de « néglige[r] une dimension
essentielle : filmer des acteurs qui ne jouent plus pour un public mais pour une caméra relève
fondamentalement d’une démarche cinématographique, incapable de recréer l’émotion propre
4
au spectacle vivant et cette relation entre le spectateur et l’acteur, unique au théâtre » . Les
véritables « captations », au contraire, saisissent le spectacle vivant au moment de sa représentation,
et tentent de « capter » jusqu’à sa fragilité, unique et intense.
Bénéfices des bonus
On aurait d’autant plus tort de se priver de ces précieux outils qu’ils sont agrémentés, bien souvent,
de bonus fort utiles, soit pour le professeur, soit pour la classe. Outre leur vocation affichée, celle de
véhiculer l’enthousiasme vif d’un spectacle, ils apportent souvent de précieux éclairages sur ses
coulisses, ses origines ou ses intentions.
Revenu pour l’occasion dans le lycée où il fit ses études, le lycée Thiers de Marseille, à deux pas du
Théâtre du Gymnase où fut enregistré le spectacle, Daniel Mesguich répond ainsi, dans un dialogue
qui figure dans les bonus de son Dom Juan, aux élèves qui sont alors à sa place… Et l’échange n’est
pas inintéressant !
Mettant l’accent sur un aspect parfois négligé et soulignant par là l’importance d’un travail
délicatement situé entre l’art et l’artisanat, des techniciens y participent parfois : à côté de celle du
metteur en scène Roman Polanski, l’interview du décorateur d’Hedda Gabler – avec Emmanuelle
Seigner – apporte ainsi des précisions sur la « fabrique » du feu et de la cheminée, tandis que, dans
3
Stéphane Metge, Une autre solitude, Documentaire Théâtre, 1995. Site de la COPAT, onglet « Filmer le théâtre », déjà cité. Ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche - DGESCO - IGEN
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les bonus de Peines d’amour perdues, mise en scène d’Emmanuel Demarcy-Mota, c’est la costumière
qui précise son rôle dans la création du spectacle.
Et les perles sont nombreuses, que l’on découvre parfois au hasard, comme cette trentaine de
minutes – « extraits inédits » – du Tartuffe d’Ariane Mnouchkine présenté à Avignon en 1995 – le
fameux Tartuffe « islamiste » – et qui figure dans les bonus du documentaire Au Soleil même la nuit,
scènes d’accouchement ; ou bien ces quatre minutes, les « seules enregistrées », d’un « Macbeth
Vaudou » monté en 1936 par Orson Welles et que l’on découvre, à côté d’un reportage sur « Welles
et Shakespeare » et d’une analyse des décors – très théâtraux ! – du film, sur le DVD de son
Macbeth ; ou encore ce précieux reportage d’une demi-heure sur « l’influence du théâtre Nô » dans
Le Château de l’araignée, le film adapté de la même pièce par Akira Kurosawa en 1957 ; et on
pourrait citer encore le documentaire consacré à « la conception du spectacle » des Fables de Bob
Wilson à la Comédie-Française en 2004 ; ou le DVD entier accompagnant L’Acte inconnu pour nous
faire entrer visuellement « dans l’atelier de Valère Novarina »…
Sur quelques instruments de travail fort bien faits…
Avant d’énoncer quelques conseils sur l’usage de ces captations en classe, il faut rappeler encore
qu’il existe d’excellents volumes à l’intention des enseignants. Publiés par le SCEREN (CNDPCRDP), ils sont consacrés à des dramaturges, des pièces, des spectacles ou des metteurs ou scène
et, pour certains, accompagnés d’un DVD. On y trouve ainsi des titres sur Hamlet (Enigmes du texte,
réponses de la scène, dirigé par Catherine Treilhou-Balaudé, 2012), Feydeau (Un fil à la patte, On
purge bébé, par Violaine Heyraut, 2012), Cendrillon de Pommerat (par Christophe Triau, 2013),
Platonov de Tchekhov (par Marion Ferry et Yves Steinmetz, 2005), le Théâtre du Soleil (par JeanFrançois Dusigne, 2003), Valère Novarina (L’Acte inconnu, Devant la parole, par Marion Ferry,
2010)… A chaque fois, la richesse de l’iconographie et la qualité des analyses en font des mines
d’idées et de documents pédagogiques extrêmement généreux. Mais on s’arrêtera plus avant ici sur
les volumes contenant des extraits vidéo. Il s’agit des Pièces de guerre I et II d’Edward Bond
(Bertrand Chauvet, Eric Duchâtel, Edward Bond, Jerôme Hankins et David Tuaillon, 2006), de
L’Illusion comique de Corneille (dirigé par Catherine Treilhou-Balaudé, 2009), de deux pièces de
Jean-Luc Lagarce (Juste la fin du monde et Nous, les héros, par Bertrand Chauvet et Eric Duchâtel,
2007) et de l’Agamemnon d’Eschyle (par Evelyne Ertel, Claire Lechevalier et Pierre Judet de la
Combe, 2009). DVD et analyses sont également d’une richesse inouïe.
Par exemple, le DVD fourni avec Agamemnon propose, par thèmes (« le chœur », « Clytemnestre /
Agamemnon », « Cassandre », etc.), des extraits comparant les propositions de Peter Stein, Ariane
Mnouchkine, Georges Lavaudant, David Géry et Olivier Py. Le bénéfice de tels instruments de
comparaison est immédiat, et pensé pour servir une pédagogie dynamique et variée, au
service de la formation du goût et de l’esprit critique. Le même volume contient en outre de longs
extraits des répétitions des Atrides, monté par le Théâtre du Soleil, et des bonus sur « la tragédie en
Sorbonne » ou « Maria Casarès à Châteauvallon ».
Autre exemple : dans le volume consacré à L’illusion comique, deux DVD proposent, pour l’un, un
téléfilm réalisé par Robert Maurice et un documentaire sur la mise en scène de Jean-Marie Villégier,
pour l’autre, des analyses dramaturgiques d’extraits de mises en scène de Robert Maurice (1970),
Brigitte Jaques-Wajeman (2004), Alain Bézu (2006), Marion Berry (2007) et des archives sur les
versions de Georges Wilson (TNP) et de Giorgio Strehler (1984). Les extraits proposés rapprochent
des scènes ainsi classées : « Ouvertures / fermetures », « Clindor et le jeu amoureux », « La comédie
de Matamore », « Prestiges de l’illusion », etc. Là encore, ce travail comparatiste nous paraît
supérieurement efficace et judicieux, pour ouvrir de jeunes esprits à l’épaisseur de signes et
de sens de toute représentation, les initier à l’analyse de spectacles et voir mûrir leur jugement
de goût.
Sans qu’on ait besoin de détailler plus avant chacun de ses ouvrages, on aura compris que nous en
recommandons vivement la fréquentation et l’utilisation…
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Privilégier une approche comparatiste
Venons-en aux faits, c'est-à-dire à l’usage des captations en classe.
Et commençons, tant pis, par une remarque apparemment secondaire, parce que matérielle.
Pourquoi, si la possibilité nous en est donnée, ne pas s’offrir, et offrir à nos élèves, le luxe et le confort
de projeter les extraits vidéo que nous avons retenus avec le vidéo-projecteur, c'est-à-dire « en
grand » ? Les salles des établissements scolaires sont de plus en plus souvent équipées du matériel
nécessaire, avec parfois un ordinateur à disposition, qui permettra de mettre en pause une attitude, de
fixer un décor, de sauter rapidement une scène, de repasser un geste au ralenti… Le maniement de
ces instruments n’a rien de très difficile ; et c’est un détail pratique qui ne pourra qu’exhausser encore
la qualité des captations sollicitées.
Les usages didactiques qui peuvent être faits de ces captations sont aussi libres que multiples, bien
sûr ; néanmoins, il semble préférable de privilégier une approche comparatiste.
Dans l’optique d’initier les élèves à l’« état d’esprit dramaturgique » que prône Bernard Dort 5 , la
comparaison de plusieurs mises en scène d’un même texte, d’un même fragment, nous
apparaît incontournable. Car de ce parallèle peut émerger la notion même de « mise en scène », et
une conception sensible de ses liens avec la dramaturgie. Joseph Danan en propose ainsi une
conception élargie :
La dramaturgie ne serait-elle pas l’autre nom de cette part « immatérielle », pour reprendre, en
l’élargissant, la belle formule d’Antoine 6 , que l’on pourrait assigner à toute mise en scène (digne de ce
nom), la pensée, en somme, qui la traverse, la travaille et se constitue à travers elle, dans le creuset
de sa matérialité ? 7
Initier les élèves à cette « pensée du passage à la scène des pièces de théâtre » 8 est la visée même
de l’objet d’étude « texte et représentation », que la découverte du classicisme en seconde permet de
préparer. Les captations de L’Ecole des femmes, dans les mises en scène comparées de Didier
Bezace et de Jacques Lassalle révèlent des pensées dramaturgiques particulières du chef d’œuvre
de Molière. Dans ces deux cas, les scénographies et les directions d’acteur (et dans ce cas, surtout
d’actrices jouant Agnès) dans leurs divergences, éclairent deux lectures personnelles et justes de la
question du « cas » Arnolphe.
Une approche problématisée des questions théâtrales ouvre aussi le cours de français à de nombreux
extraits de pièces différentes. La notion de catharsis, par exemple, devient plus palpable en regard
des performances d’Isabelle Huppert (Médée, dans la mise en scène de Jacques Lassalle en 2000),
de Dominique Blanc (Phèdre, sous la direction de Patrice Chéreau en 2003) et de Nada Strancar
(Clytemnestre, distribuée par Olivier Py en 2008). L’approche comparée peut alors s’ouvrir à de
nombreux documents, dont les divergences permettent de mettre en lumière des questions scéniques
et leurs solutions. Peut-être serait-il ainsi plus stimulant pour les élèves d’entendre diverses manières
de dire l’alexandrin grâce à des extraits (on trouvera des captations de spectacles d’Antoine Vitez, de
Patrice Chéreau, de Luc Bondy, de Gildas Bourdet) que d’écouter Tartuffe intégralement dans une
seule et unique mise en scène…
En outre, et toujours dans cette optique comparatiste, il nous semble préférable d’associer
l’utilisation des captations non seulement à l’étude du ou des textes mis en scène, mais aussi
à une sortie au théâtre. Car c’est ainsi, nous semble-t-il, que l’on fera le mieux mesurer aux élèves
plusieurs aspects définitionnels de cet art, à commencer par l’écart irréductible entre le fait social,
public, de « la sortie au théâtre », avec son caractère cérémonieux, l’impact sur le spectateur (et son
« horizon d’attente ») de la nécessaire organisation à l’avance de cet « événement », de l’architecture
5
Bernard Dort, « L’état d’esprit dramaturgique », Théâtre/public n° 67, janvier-février 1986, p.8. André Antoine, « Causerie sur la mise en scène », 1903, in Antoine, L’invention de la mise en scène, Actes
Sud-Papiers, 1999, p.113. 7
Joseph Danan, Qu’est-ce que la dramaturgie ?, Actes Sud-papiers, 2010, p.20. 8
Idem, p.8. Ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche - DGESCO - IGEN
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du bâtiment et de la présence du public, et le fait individuel, pouvant se dissoudre dans la solitude, du
visionnage d’un film, même « de théâtre ». Mais plus encore, on fera mieux ressortir ainsi la qualité et
l’actualité d’une mise en scène, par ses écarts avec d’autres. Car, insistons-y, le principe de la
comparaison-confrontation des mises en scène nous paraît de très loin le plus pertinent. Si l’on
va voir « un » Tartuffe, il est aisé de projeter des extraits « d’autres » Tartuffe – celui de Mnouchkine,
celui de Braunschweig –, de s’appuyer sur des photographies – dans son numéro consacré à « l’ère
de la mise en scène » (n°10), la revue Théâtre d’aujourd’hui fournit un très riche dossier
iconographique et théorique sur « 9 mises en scène de Tartuffe »… – ou sur des textes
(contradictoires ?) de praticiens – note d’intention du metteur en scène, extrait de Jouvet ou de
Vitez…
Précisons ici qu’il nous semble rarement profitable de projeter des extraits très longs. Bien sûr, il
convient d’avoir assez d’images pour donner aux élèves une idée du spectacle dans son entier. Mais
est-il nécessaire de donner à voir l’intégralité des trois heures du Lorenzaccio de Franco Zeffirelli pour
en percevoir les grandes composantes dramaturgiques et les principes esthétiques ? Rappelons en
passant qu’il nous apparaît encore moins utile de projeter une longue vidéo, tout comme d’organiser
une sortie, sans l’accompagner de commentaires ou au moins d’une discussion constructive… Des
extraits de cinq à dix minutes peuvent donc suffire à élaborer de petites analyses
dramaturgiques comparées. Et l’on aura bien assez de matière à commenter si l’extrait est
judicieusement choisi et découpé, par exemple concernant l’utilisation de l’espace – au moment
central et tellement attendu du bal de Cendrillon, Joël Pommerat nous laisse à la porte du Palais du
Prince… –, des costumes – Brigitte Jaques-Wajeman habille Alcandre, Dorante et Pridamant en
manteaux noirs évoquant le polar américain et change en cigarette la baguette du Magicien –, de la
gestuelle – François Berreur fait entrer Louis, le fils condamné de Juste la fin du monde, en une
pirouette sur lui-même, les mains volant dans l’air autour de lui, comme un tragique Monsieur Loyal –,
de la musique – mélodramatique, celle qui enveloppe le baiser donné par Lorenzo à Tebaldeo dans la
mise en scène de Zeffirelli transforme ce moment en cliché cinématographique, etc.
Si les minutes d’un cours nous sont précieuses et comptées, il ne faudrait pourtant pas donner l'idée
d'un émiettement possible des œuvres et partant de la culture, ni risquer d’amputer ces captations
d’une part de leur saveur sous l’effet de leur sectionnement et de leur instrumentalisation
pédagogiques. Car il serait également regrettable de priver les élèves du plaisir et de l’intérêt
des œuvres intégrales ! Rappelons que les captations présentes dans les CDI leur sont en général
accessibles, et souvent empruntables, au moins pour les week-ends et les vacances. Une fois n’est
pas coutume : sachons céder à l’art de la persuasion publicitaire en les invitant à prolonger un travail
par un plaisir – culturel qui plus est ! – et à emprunter ces DVD, dont le catalogue est souvent bien
plus vaste que celui des sorties possibles : ils leur permettront non seulement de renouveler et de
prolonger l’éventuel plaisir pris devant un bref extrait, mais aussi d’explorer plus avant et dans la
durée le travail et l’esthétique d’un metteur en scène, de découvrir avec plus de facilité (et de plaisir…)
d’autres pièces d’un dramaturge, voire d’évaluer la souplesse de jeu d’un(e) comédien(ne) à travers
d’autres rôles… Ce qui confirme, si besoin était, l’importance des fonds des CDI, nous y reviendrons.
Théâtre et cinéma : un débat ?
Faut-il opposer théâtre et cinéma ? Il n’est pas exclu, tout au moins, de voir surgir une telle question à
l’occasion de l’utilisation d’une captation. N’en négligeons pas trop vite les bénéfices : elle pourrait
nous orienter vers une réflexion précise sur la nature et les différences des illusions théâtrale et
cinématographique.
« Au théâtre, on joue ; au cinéma, on a joué », disait Louis Jouvet qui ne répugnait pourtant pas à se
laisser filmer. Et encore : « le cinéma, c’est du théâtre en boîte ». Ces formules sévères nous
introduisent à une distinction ferme entre théâtre et cinéma.
Spectacle vivant et présent, le théâtre a en effet cette particularité d’être un art organique, ce
que, par un « remue-méninge » momentané – ou à l’aide d’extraits de films choisis pour servir de
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support de réflexion et de comparaison ? 9 –, l’on devrait pouvoir faire deviner à de jeunes esprits
habitués, sinon accoutumés, aux écrans et au règne du virtuel : « On va au théâtre […] pour voir une
présence réelle déjouer les enivrements virtuels », constate Olivier Py 10 . Le théâtre est également
collectif et, peut-être, créateur de communauté. Originellement politique, il crée de l’union, voire de la
communion. Et c’est le personnage, à en croire encore Louis Jouvet, qui en serait le ferment : « la
communion du théâtre, dit-il, est par le personnage » 11 . Le théâtre rapproche parce qu’il rend visible
et sensible la possibilité d’un partage simultané des émotions. Tout en célébrant le sujet et le subjectif
– c’est toujours mon corps qui sursaute, rit, sanglote… –, le théâtre démontre que le corps aussi a sa
raison, aussi universelle que l’autre, philosophique et abstraite. Le cinéma de son côté, plus
hypnotique et fascinant, autorise, voire favorise la solitude. La projection isole dans un monde
d’images qui nous est donné tout entier, offert sans faille, et qu’il est aisé de faire sien. Le théâtre
demeure également traversé d’altérités et de réalités. Singulièrement, l’architecture qui s’est imposée
en Occident, la forme à l’italienne, permet que « le spectacle », selon l’expression consacrée, « soit
aussi dans la salle » : Molière, Balzac ou Rostand, entre tant d’autres, peuvent témoigner que l’on s’y
rendait – et aujourd’hui ? – moins pour voir que pour être vu 12 .
Il est par ailleurs difficile d’imaginer au cinéma une leçon d’esprit critique aussi élaborée que celle
prévue et déployée par un Brecht, par exemple, au théâtre. L’exhibition de l’artefact, qui semble si
naturelle, et peut-être inévitable, à ce dernier, perturbe jusqu’à la lisibilité du premier – on pense
notamment à Godard. C’est ce que rappellent Christian Biet et Christophe Triau, en conclusion d’une
section consacrée au cinéma dans Qu’est-ce que le théâtre ? :
Au lieu d’avoir à prendre position, comme le spectateur de théâtre, par rapport aux objets et aux corps
présents et bien réels qu’il voit, et à devoir oublier les vrais corps et les vrais objets pour les imaginer
et les transférer dans un univers virtuel tout en sachant qu’ils restent à jamais des objets et des corps
« véritables », le spectateur de cinéma n’a pas à négocier le poids de chair des comédiens, la
matérialité des objets et des décors, et n’a pas à passer une sorte de contrat de complicité
conventionnel avec les praticiens consistant à dire qu’il faut cesser de s’opposer au lieu scénique pour
pouvoir envisager l’espace dramatique — ou bien qu’il faut se mettre en un état paradoxal, qui est de
considérer simultanément l’un et l’autre.
L’identification du spectateur au spectacle cinématographique vient donc à la fois du fait qu’il y a bien
une grande somme d’indices de réalité accumulés et représentés sur l’écran, et du fait qu’une perception captive fonctionne à la fois grâce à la fascination de l’écran et à l’inclusion du spectateur dans la
bulle de projection.
[…] Le spectateur de théâtre, s’il peut être saisi par la fiction, n’est pas « englobé » dans la
salle et est ainsi plus apte que le spectateur de cinéma à toujours vérifier qu’il n’est pas seul à
voir et à entendre. Il est plus à même de sentir son propre corps (qui, ainsi, peut fort bien « résister »
consciemment ou non à la fiction), alors que le spectateur de cinéma aura tendance à oublier à la fois
son corps et le corps de ses voisins pour constituer (fantasmer) le corps virtuel et les indices de réalité
qui apparaissent sur la pellicule, non plus comme des signes visuels et sonores transmis par de la
lumière et du son, mais comme de la réalité tangible. […]
On pourrait donc dire que le théâtre, tel qu’il est généralement envisagé, est un art qui travaille
systématiquement sur la perception de la réalité, et qui en joue au point de supposer que le
spectateur assiste à des événements réels (le jeu, la présence, les transformations du lieu) qui lui
permettent de supposer qu’ils sont communs avec des événements fictionnels. En cela, le théâtre
s’ordonne dans un ensemble matériel et s’occupe de lui faire mimer de l’irréel […]. Le théâtre va
donc du concret, du réel, à de l’abstrait, ou à de la fiction, sans pouvoir oublier la concrétude du réel
scénique.
9
Nous pensons à des films évoquant explicitement le théâtre – de Lubitsch (To be or not to be, Jeux dangereux)
et Bergman (Après la répétition) à Al Pacino (Looking for Richard) – en usant parfois de ses techniques (La règle
du jeu de Renoir), ou à des adaptations (Dom Juan de M. Bluwal, Cyrano par J.-P. Rappeneau, les Macbeth
d’Orson Welles, de Kurosawa (Le Château de l’araignée) ou de Polanski, Beaucoup de bruit pour rien de K.
Branagh…). 10
O. Py, « De l’éducation », in Cultivez votre tempête, Actes Sud, 2012, p. 27. 11
Le Comédien désincarné, Flammarion, Champs, 2009 (1954), p. 186. 12
Voir Les Fâcheux, scène première ; Illusions perdues, « Un grand homme de province à Paris » ; Cyrano de
Bergerac, premier tableau. Ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche - DGESCO - IGEN
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Inversement, le cinéma est un art qui, lui, travaille systématiquement à partir de l’irréel […]. Ce
dispositif permet que le spectateur conçoive une autre réalité qui lui paraît plus tangible que la sienne
propre, à laquelle il peut croire, et qu’il peut ainsi prendre pour du réel. On va donc de l’abstrait, ou de
l’irréel, à de l’abstrait qui devient réel, en pouvant oublier le concret de la pellicule pour enfin croire
que toute cette construction passée existe bien dans le présent de la vision.
[…] le cinéma aura, lui, d’énormes difficultés à ne pas faire oublier la caméra, le cadrage, les artifices
propres à la réalisation et donc à produire une distance de laquelle le théâtre ne peut se passer […]. 13
En partant d’un apparent détail architectural et technique, le plein air en plein jour, on pourrait parvenir
à évoquer une autre composante majeure, nous semble-t-il, de la représentation théâtrale : sa
fragilité. Et pourquoi ne pas comparer un instant le théâtre et le sport ? C’est bien ce que propose
Roland Barthes en analysant les « pouvoirs de la tragédie antique ». Il réfléchit en même temps, dans
cet article célèbre (et sublime), sur les implications du « plein air » et les liens secrets du spectacle
vivant des Anciens avec le sport moderne. Nous citons un passage consacré au plein air et à la
fragilité inhérente au spectacle :
La puissance dramatique du plein air n’est nullement accessoire, décorative, comme on le croyait
jusqu’à la leçon récente des Festivals. Guy Dumur l’a indiqué ici même à propos d’Avignon, le lieu
naturel n’apporte pas seulement au spectacle un cadre (comme on le dit trop souvent pour allécher la
clientèle petite-bourgeoise, toujours friande d’une dramaturgie d’opéra) ; il le constitue dans sa
singularité, dans sa fragilité la plus précieuse, et ajoute un élément capital à sa mémorabilité. Il
n’est pas indifférent, il est même essentiel que le spectateur soit cet homme de peau, dont la
sensibilité, plus organique que cérébrale, accueille à chaque moment du drame, le mystère et
l’interrogation diffuse qui naissent du vent et des étoiles. La nature donne à la scène l’alibi d’un autre
monde, elle le soumet à un cosmos qui l’effleure de ses reflets imprévus. La plongée du spectateur
dans la polyphonie complexe du plein air (soleil qui se cache, vent qui se lève, oiseaux qui
s’envolent, bruits de la ville, courants de fraîcheur), restitue au drame la singularité miraculeuse
d’un événement qui n’a lieu qu’une fois. La puissance du plein air tient à sa fragilité : le
spectacle n’y est plus une habitude ou une essence, il est vulnérable comme un corps qui vit hic et
nunc, irremplaçable et pourtant mortel à la minute. D’où son pouvoir de déchirement, mais aussi
sa vertu de fraîcheur, qui purifie les planches de leur poussière, l’acteur de son métier, les
vêtements de leur artifice, et fait de tout cela le faisceau hasardeux d’une beauté qu’on croit ne jamais
14
plus revoir ainsi ordonnée .
Ce mot de « fragilité » nous semble exprimer une différence capitale entre théâtre et cinéma.
Paradoxalement, c’est de cette fragilité que le théâtre tire sa force – et sa longévité ! –
exceptionnelles : « seule la rose est assez fragile pour exprimer l’éternité » disait Claudel 15 . Christian
Biet le souligne aussi dans le Dictionnaire du corps, où l’on trouve justement – et judicieusement –
une entrée « théâtre » :
Là serait, d’une certaine manière, la fiction fondatrice du théâtre et en fin de compte définitionnelle de
l’identité théâtrale : une action corporelle conjointe de co-présence qui peut être interrompue,
perturbée et dont la qualité de présence tient aussi à l’éventualité de son effondrement. 16
La qualité particulière de présence, propre au théâtre, tiendrait donc à cette fragilité singulière du
spectacle.
13
Christian Biet, Christophe Triau, Qu’est-ce que le théâtre ?, Gallimard, Folio essais, 2006, p. 508-514. Roland Barthes, « Pouvoirs de la tragédie antique », Théâtre populaire, 1953, repris dans Ecrits sur le théâtre,
Seuil, Points, Paris, 2002, pp. 37-38. 15
Dans les Cent phrases pour éventails. 16
C. Biet, « Théâtre », in Dictionnaire du corps, M. Marzano dir., PUF, « Quadrige », Paris, 2007, pp. 921-922. Ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche - DGESCO - IGEN
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Adaptations et documentaires
De ceci, il ne faudrait pas conclure à l’exclusion pure et simple du cinéma, dans le cadre d’une étude
consacrée au théâtre. Bien au contraire : comme on l’a vu, cette distinction peut nous conduire à une
meilleure compréhension des mécanismes de l’illusion théâtrale. Ainsi, comment le plateau
transforme-t-il un objet quelconque en « accessoire », c'est-à-dire en support stylisé de
signification(s), et non seulement en « effet de réel », comme au cinéma ?
Et pourquoi ne pas inviter plus largement le cinéma en cours de lettres ? Qu’on nous permette
de renvoyer ici au numéro 11 de la revue Théâtre Aujourd’hui pour l’analyse complète des œuvres de
plusieurs artistes de théâtre ayant tissé des liens avec le septième art (Antoine Vitez, Patrice
Chéreau, entre autres). L’exemple du film Molière, d’Ariane Mnouchkine, incontournable hommage au
théâtre, et support pédagogique d’exception, suffit à prouver que certains films ont leur place dans le
cours de français. La théâtralité de certains (Médée de Pier Paolo Pasolini, Macbeth, d’Orson Welles),
l’intelligence de l’adaptation (Vanya 42ème rue de Louis Malle), la langue de la version originale (La
Mouette, de Youli Karassik) leur ouvrent naturellement les portes des salles de classe. Charge au
professeur d’éclairer les liens qui les rattachent aux textes et aux problématiques étudiés. On pourrait
par exemple s’appuyer sur le premier quart d’heure du mémorable Cyrano de Bergerac de Jean-Paul
Rappeneau (1990), qui donne à voir la reconstitution d’une représentation à l’Hôtel de Bourgogne en
1640, pour introduire en classe, par le marchepied d’une intrigue chevaleresque qui, dès ses
prémices, a de quoi séduire, bien des apports historiques et critiques. Ainsi pourrait-on donner
simultanément aux élèves le début de la pièce d’Edmond Rostand (de 1897) avec sa longue
didascalie liminaire où la plus célèbre salle du XVIIe siècle est précisément décrite, voire y adjoindre
le monologue de Phédon qui ouvre La Clorise de Balthazar Baro et que Cyrano, dans la pièce de
Rostand, « interromp[t] sans remords », et jusqu’aux premières lignes, tellement immodestes, de
l’avertissement « Au lecteur » de l’édition de ce même Baro, justifiant et la colère, et le mépris du
17
gascon . L’intérêt historique du passage, en dépit des découvertes ultérieures, est évident ; mais son
intérêt formel n’est pas moindre, puisqu’il permet de vérifier la leçon apparemment paradoxale
d’André Bazin, selon laquelle le cinéma est d’autant plus fidèle à sa nature profonde qu’il avoue
l’origine théâtrale du texte, au lieu de la dissimuler 18 . C’est ce qui fait à ses yeux la grandeur du
Macbeth d’Orson Welles (tourné sur les remparts de Mogador), ou des Parents terribles de Cocteau
(exhibant ostensiblement le tournage en studio).
Jan Kott, dans son fameux essai sur Shakespeare va jusqu’à soutenir que « le Shakespeare de notre
temps a été montré d’abord par le film » :
Le cinéma a découvert le Shakespeare de la Renaissance. […] Lorsqu’on a commencé à filmer
Shakespeare, l’action est devenue tout aussi importante que le texte. Chacune de ses pièces est
un grand spectacle, pleine du fracas des armes, de défilés militaires et de duels ; on y voit des festins
et des beuveries, des ouragans et des tempêtes, l’amour physique, des atrocités et la souffrance. Le
théâtre élisabéthain était fait pour être regardé. Tout comme il faut regarder l’opéra chinois. Tout s’y
passait pour de bon. […]
La naissance de la tragédie élisabéthaine avait été très semblable à celle du cinéma. […] Jouez ces
deux scènes dans le style naturaliste. Ou selon n’importe quelle convention. Ce sera un massacre.
Shakespeare est plus vrai que la vie. On ne peut que le jouer littéralement. Les films d’Olivier sont
plus proches de cette littéralité que n’importe quel théâtre. Ils ont créé un nouveau langage scénique
shakespearien. Un langage fait de tension, sans un instant de répit. […]
Les temps morts ont été coupés au montage. Un grand film se compose des seuls moments de
tension. Comme dans Shakespeare.
[Et] Shakespeare opère constamment par gros plans. Comme dans un film 19 .
Le Shakespeare « cruel et vrai » recherché par Jan Kott, c’est ainsi celui du cinéma !
17
La pièce de Baro, dans l’édition originale de 1634, est téléchargeable sur le site Gallica :
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k739040.r=clorise+baro.langFR. 18
Voir André Bazin, « Théâtre et cinéma », Esprit, juin et juillet-août 1951, repris dans Qu’est-ce que le cinéma ?,
Cerf, Paris, 1955. 19
J. Kott, Shakespeare notre contemporain, Petite Bibliothèque Payot, 2006 (1962), pp. 371-375. Ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche - DGESCO - IGEN
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Enfin, précisons qu’il est des documentaires fort précieux. Les douze Leçons de théâtre d’Antoine
Vitez, filmées par Maria Koleva en 1976 20 , présentent des extraits du répertoire mondial commentés
par cet immense professeur et joués par ses élèves du Conservatoire National. Ce documentaire
historique représente une source d’interrogations très stimulantes sur les relations entre l’Histoire, le
texte et la scène. Et ce n’est qu’un exemple parmi beaucoup, disponibles en DVD…
Participer à la constitution d’un fonds de documentation théâtrale
dans les CDI
Pour conclure, il convient d’insister sur le rôle que peuvent et doivent jouer, pour favoriser l’utilisation
des captations dans l’étude du théâtre, les Centres de Documentation et d’Information. Eux seuls en
effet peuvent offrir un réservoir de captations et de films en nombre suffisant pour permettre une vraie
réflexion sur le rapport entre texte et représentation. Par expérience, nous inclinons à penser que les
CDI pourraient et devraient être mieux fournis ; mais ce déficit est autant sans doute le fait des
documentalistes que des professeurs de Lettres. Car c’est à nous que revient la tâche de veiller,
comme beaucoup le font déjà, à ce que l’utilisation des fonds se fasse aussi en direction du théâtre et
du spectacle vivant. Il en va des ressources de notre enseignement, et de la culture de nos jeunes
héros…
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Se référer au catalogue de l’ADAV. Ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche - DGESCO - IGEN
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