12 | MM20, 11.5.2015 | SOCIÉTÉ Participez à notre sondage sur la page d’accueil de migrosmagazine.ch Cette semaine Intempéries: un aperçu de la météo du futur? Les fortes pluies qui se sont abattues sur la Suisse occidentale, entraînant crues records et éboulements de terrain, ont réveillé les vieux démons: le ciel se détraque-t-il à cause du réchauffement climatique? Face aux peurs et impressions, la réponse des scientifiques. Texte: Patricia Brambilla Photos: Laurent Gilliéron/Keystone En chiffres 900 C’est le débit de l’Arve en m3/s au plus fort des intempéries. Le plus élevé depuis 1935. Cela correspond à plus de dix fois son débit moyen. 70 à 110 C’est le pourcentage des précipitations moyennes de tout le mois de mai, tombé en un week-end sur la Suisse romande. 1,5 En degrés, c’est l’augmentation de la température moyenne en Suisse depuis 1970. Source: Meteonews, Meteosuisse, OFEV. A Saint-Gingolph, la Morge est sortie de son lit endommageant plusieurs maisons et voitures. L es dictons météo ont du plomb dans l’aile. Le joli mois de mai, à l’annonce duquel on fait ce qu’il nous plaît, ressemble davantage cette année à un mauvais film. A regarder en bottes de pluie et imper ciré. Températures qui font le yo-yo, soufflant le chaud subtropical à La Brévine (NE) puis le froid au réveil. Et surtout des intempéries qui ont alerté toute la Suisse occidentale. On a ainsi vu en l’espace de deux jours s’abattre davantage de pluie qu’il en tombe habituellement en un mois tout entier. Bigre, les nappes phréatiques n’ont rien à craindre ce printemps... Partout, on entend parler de «crues historiques», de «niveaux exceptionnels» et de «seuils critiques». Même que les lacs de Thoune et de Neuchâtel sont sous haute surveillance, tandis que celui de Bienne est venu flirter avec la limite: son niveau s’est stabilisé à 430,27 mètres, soit à quelques centimètres de la cote d’alerte. Nourrie par tout le bassin de l’Oberland bernois, l’Aar a débordé par endroits, offrant un bain de pieds aux sangliers du parc zoologique. Sols saturés d’eau, effondrements de terrain à Saint-Gingolph (VS et F), Chablais détrempé, Les Crosets (VS) coupés du monde... Que des dégâts matériels heureusement. Mais faut-il craindre que ce genre de scénario se répète plus souvent à l’avenir? «Ça s’est déjà produit dans le passé! Tout expliquer par le réchauffement climatique est une liaison dangereuse. Ce qu’il faut, c’est adapter notre mode de vie à une situation climatique toujours en évolution», relativise Frédéric Glassey, météorologue. SOCIÉTÉ | MM20, 11.5.2015 | 13 Votre avis L’expert «On s’attend à des extrêmes de précipitations plus fréquents au printemps et en automne» Les fortes pluies qui se sont abattues au début du mois sur toute la Suisse romande sont-elles typiques de mai? De fortes pluies en mai ne sont pas inhabituelles, mais des pluies aussi intenses avec des conséquences importantes pour les crues telles qu’il y a dix jours ne se sont pas manifestées depuis 1999 et, dans une moindre mesure, en 2005. Ce qui pose problème, c’est la combinaison de fortes pluies qui tombent en altitude (par des températures relativement élevées) sur un manteau neigeux encore bien présent en moyenne et en haute montagne, ce qui amplifie encore plus le risque de crues puisque à l’eau de pluie s’ajoute la fonte accélérée de la neige. On a entendu parler d’un phénomène appelé «Atmospheric River». De quoi s’agit-il exactement? Les «rivières atmosphériques» représentent un «corridor» d’humidité en altitude qui, lorsque les conditions sont réunies, peuvent fournir une partie de l’eau nécessaire pour de fortes pluies. Les définitions varient, mais un «filament» d’humidité en altitude de 100 à 200 kilomètres de largeur et de plusieurs centaines de kilomètres de longueur ressemblerait, sur une photo satellite, à un fleuve qui méandre dans la haute atmosphère. On estime qu’une «rivière atmosphérique» de taille moyenne est capable de véhiculer plus d’eau que les plus grands fleuves de la planète tels que l’Amazone, par exemple. C’est ce qui a généré le déluge que nous avons connu. Ces fortes précipitations sont-elles une conséquence directe de l’hiver doux et peu neigeux que nous avons eu cette année? Non, car les précipitations sont fonction de l’apport d’humidité depuis un océan, en l’occurrence l’Atlantique, ou une mer, la Méditerranée. Elles ne sont pas liées aux conditions locales ou régionales, même si la présence des montagnes amplifie les processus de condensation en forçant de l’air humide à monter en altitude et donc à se condenser. Ainsi la quantité de neige ne va pas influencer de manière significative les pluies, par contre la fonte des neiges peut augmenter les risques de crues. En quoi ces intempéries sont-elles liées ou non au phénomène de réchauffement climatique? Il est difficile de mettre en évidence des liens de causalité, vu que les dernière grandes intempéries du printemps datent de 1999 et que le climat s’est quand même réchauffé depuis cet épisode. Le réchauffement est certes une condition nécessaire – car fournisseur de l’énergie pour engendrer des systèmes extrêmes – mais pas suffisante. Il faut de nombreuses autres conditions, en plus de la chaleur de l’atmosphère, pour générer des intempéries importantes. Crues historiques, glissements de terrain, pluies diluviennes et orages violents. Est-ce là un avant-goût de la météo du futur? Beaucoup de projections d’un climat futur dans la région alpine tendent vers une pluviosité accrue en hiver et aussi au printemps, par rapport à la situation d’aujourd’hui. On s’attend aussi à des extrêmes de précipitations nettement plus fréquents au printemps et en automne que dans le climat actuel. Ce que l’on vit ces jours – ainsi qu’en 1999 – est effectivement quelque chose que l’on pourrait vivre plus fréquemment ces prochaines décennies. Auquel cas, la Suisse est-elle parée pour affronter ces changements de climat? Les systèmes d’alerte, mais aussi de gestion des catastrophes, sont excellents en Suisse et le pays est certainement prêt à affronter des intempéries de ce genre. Il faudrait cependant anticiper un peu plus les événements futurs, sur la base des travaux des scientifiques. Car, on le sait, il vaut mieux prévenir que guérir. MM Guillaume André Martin Beniston, climatologue et professeur à l’Université de Genève «C’est inquiétant pour les gens et pour l’agriculture. D’autant que le problème dépasse l’aspect régional. Notre connaissance des cycles climatiques n’est pas suffisante.» Jacqueline Girando «Il y a toujours eu des cycles, mais on dirait qu’ils se rapprochent. Les orages semblent effectivement plus forts. On canalise et on bétonne tout, c’est normal que la nature se venge!» Cléo Feiner «Peut-être sommes-nous dans une année à intempéries? Les saisons sont décalées, c’est vrai, mais on a encore de super printemps et de beaux automnes.»