Cette semaine
Intempéries: un aperçu
de la odu futur?
Les fortes pluies qui se sont abattues sur la Suisse occidentale, entraînant crues records
et éboulements de terrain, ont réveillé les vieux démons: le ciel se détraque-t-il à cause du
réchauement climatique? Face aux peurs et impressions, la réponse des scientiques.
Texte:Patricia Brambilla Photos: Laurent Gilliéron/Keystone
Les dictons météo ont du
plomb dans l’aile. Le joli
mois de mai, à l’annonce
duquel on fait ce qu’il nous
plaît, ressemble davantage cette
année à un mauvais lm. A regar-
der en bottes de pluie et imper ciré.
Températures qui font le yo-yo,
souant le chaud subtropical à La
Brévine (NE) puis le froid au réveil.
Et surtout des intempéries qui ont
alerté toute la Suisse occidentale.
On a ainsi vu en l’espace de deux
jours s’abattre davantage de pluie
qu’il en tombe habituellement en
un mois tout entier. Bigre, les
nappes phréatiques n’ont rien à
craindre ce printemps...
Partout, on entend parler de
«crues historiques», de «niveaux
exceptionnels» et de «seuils cri-
tiques». me que les lacs de
Thoune et de Neuchâtel sont sous
haute surveillance, tandis que celui
de Bienne est venu irter avec la li-
mite: son niveau s’est stabilisé à
430,27 mètres, soit à quelques cen-
timètres de la cote d’alerte. Nour-
rie par tout le bassin de l’Oberland
bernois, l’Aar a débordé par en-
droits, orant un bain de pieds aux
sangliers du parc zoologique.
Sols saturés d’eau, eondrements
de terrain à Saint-Gingolph (VS et
F), Chablais détrempé, Les Crosets
(VS) coupés du monde... Que des
dégâts matériels heureusement.
Mais faut-il craindre que ce genre
de scénario se répète plus souvent
à l’avenir? «Ça s’est déjà produit
dans le passé! Tout expliquer
par le réchauement climatique
est une liaison dangereuse. Ce
qu’il faut, c’est adapter notre
mode de vie à une situation clima-
tique toujours en évolution»,
relativise Frédéric Glassey,
météorologue.
En chires
900
C’est le débit de l’Arve
en m3/s au plus fort des
intempéries. Le plus éle-
vé depuis 1935. Cela cor-
respond à plus de dix
fois son débit moyen.
70
à 110
C’est le pourcentage des
précipitations
moyennes de tout le
mois de mai, tombé en
un week-end sur la
Suisse romande.
1,5
En degrés, c’est l’aug-
mentation de la tempé-
rature moyenne en
Suisse depuis 1970.
Source: Meteonews, Meteo-
suisse, OFEV.
A Saint-Gingolph, la Morge est sortie de son lit endommageant plusieurs maisons et voitures.
12 |MM20, 11.5.2015 | SOC
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L’expert
«Ons’attend àdesextrêmes de
précipitations plus fréquents
au printempset en automn
Votre avis
GuillaumeAndré
«C’est inquiétant pour les gens et
pour l’agriculture. D’autant que le
problème dépasse l’aspect gional.
Notre connaissance des cycles clima-
tiques n’est pas susante.»
Jacqueline Girando
«Il y a toujours eu des cycles, mais on
dirait qu’ils se rapprochent. Les
orages semblent eectivement plus
forts. On canalise et on bétonne tout,
c’est normal que la nature se venge!»
CléoFeiner
«Peut-être sommes-nous dans une
année à intempéries? Les saisons
sont décalées, c’est vrai, mais on a
encore de super printemps et de
beaux automnes.»
Les fortes pluies qui se sont abat-
tues au début du mois sur toute la
Suisse romande sont-elles typiques
de mai?
De fortes pluies en mai ne sont pas in-
habituelles, mais des pluies aussi in-
tenses avec des conséquences impor-
tantes pour les crues telles qu’il y a
dix jours ne se sont pas manifestées
depuis 1999 et, dans une moindre me-
sure, en 2005. Ce qui pose problème,
c’est la combinaison de fortes pluies
qui tombent en altitude (par des tem-
pératures relativement élevées) sur
un manteau neigeux encore bien pré-
sent en moyenne et en haute mon-
tagne, ce qui amplie encore plus le
risque de crues puisque à l’eau de pluie
s’ajoute la fonte accélérée de la neige.
On a entendu parler d’un phéno-
mène appelé «Atmospheric River».
De quoi s’agit-il exactement?
Les «rivières atmosphériques» repré-
sentent un «corridor» d’humidité en
altitude qui, lorsque les conditions
sont réunies, peuvent fournir une
partie de l’eau nécessaire pour de
fortes pluies. Les dénitions varient,
mais un «lament» d’humidité en al-
titude de 100 à200 kilomètres de lar-
geur et de plusieurs centaines de kilo-
mètres de longueur ressemblerait,
sur une photo satellite, à un euve qui
méandre dans la haute atmosphère.
On estime quune «rivière atmos-
phérique» de taille moyenne est ca-
pable de hiculer plus d’eau que les
plus grands euves de la planète tels
que l’Amazone, par exemple. C’est ce
qui a néré le déluge que nous avons
connu.
Ces fortes précipitations sont-elles
une conséquence directe de l’hiver
doux et peu neigeux que nous avons
eu cette année?
Non, car les précipitations sont fonc-
tion de l’apport d’humidité depuis un
océan, en l’occurrence l’Atlantique, ou
une mer, la diterranée. Elles ne
sont pas liées aux conditions locales
ou régionales, même si la présence
des montagnes amplie les processus
de condensation en forçant de l’air
humide à monter en altitude et donc à
se condenser. Ainsi la quantité de
neige ne va pas inuencer de ma-
nière signicative les pluies, par
contre la fonte des neiges peut aug-
menter les risques de crues.
En quoi ces intempéries sont-elles
liées ou non au phénomène de ré-
chauement climatique?
Il est dicile de mettre en évidence
des liens de causalité, vu que les der-
nière grandes intempéries du prin-
temps datent de 1999 et que le climat
s’est quand même réchaué depuis
cet épisode. Le réchauement est
certes une condition nécessaire – car
fournisseur de l’énergie pour engen-
drer des systèmes extrêmes – mais
pas susante. Il faut de nombreuses
autres conditions, en plus de la cha-
leur de l’atmosphère, pour nérer
des intempéries importantes.
Crues historiques, glissements de
terrain, pluies diluviennes et orages
violents. Est-ce là un avant-goût de
la météo du futur?
Beaucoup de projections d’un climat
futur dans la région alpine tendent
vers une pluviosité accrue en hiver et
aussi au printemps, par rapport à la
situation d’aujourd’hui. On s’attend
aussi à des extrêmes de précipitations
nettement plus fréquents au
printemps et en automne que dans le
climat actuel. Ce que l’on vit ces jours
– ainsi qu’en1999 – est eectivement
quelque chose que l’on pourrait vivre
plus fréquemment ces prochaines
décennies.
Auquel cas, la Suisse est-elle parée
pour aronter ces changements de
climat?
Les systèmes d’alerte, mais aussi de
gestion des catastrophes, sont
excellents en Suisse et le pays est
certainement prêt à aronter des
intempéries de ce genre. Il faudrait
cependant anticiper un peu plus les
événements futurs, sur la base des
travaux des scientiques. Car, on le
sait, il vaut mieux prévenir que
guérir. MM
Martin Beniston,
climatologue et
professeur à l’Uni-
versité de Genève
SOC|MM20, 11.5.2015|13
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