L’expert
«Ons’attend àdesextrêmes de
précipitations plus fréquents
au printempset en automne»
Votre avis
GuillaumeAndré
«C’est inquiétant pour les gens et
pour l’agriculture. D’autant que le
problème dépasse l’aspect régional.
Notre connaissance des cycles clima-
tiques n’est pas susante.»
Jacqueline Girando
«Il y a toujours eu des cycles, mais on
dirait qu’ils se rapprochent. Les
orages semblent eectivement plus
forts. On canalise et on bétonne tout,
c’est normal que la nature se venge!»
CléoFeiner
«Peut-être sommes-nous dans une
année à intempéries? Les saisons
sont décalées, c’est vrai, mais on a
encore de super printemps et de
beaux automnes.»
Les fortes pluies qui se sont abat-
tues au début du mois sur toute la
Suisse romande sont-elles typiques
de mai?
De fortes pluies en mai ne sont pas in-
habituelles, mais des pluies aussi in-
tenses avec des conséquences impor-
tantes pour les crues telles qu’il y a
dix jours ne se sont pas manifestées
depuis 1999 et, dans une moindre me-
sure, en 2005. Ce qui pose problème,
c’est la combinaison de fortes pluies
qui tombent en altitude (par des tem-
pératures relativement élevées) sur
un manteau neigeux encore bien pré-
sent en moyenne et en haute mon-
tagne, ce qui amplie encore plus le
risque de crues puisque à l’eau de pluie
s’ajoute la fonte accélérée de la neige.
On a entendu parler d’un phéno-
mène appelé «Atmospheric River».
De quoi s’agit-il exactement?
Les «rivières atmosphériques» repré-
sentent un «corridor» d’humidité en
altitude qui, lorsque les conditions
sont réunies, peuvent fournir une
partie de l’eau nécessaire pour de
fortes pluies. Les dénitions varient,
mais un «lament» d’humidité en al-
titude de 100 à200 kilomètres de lar-
geur et de plusieurs centaines de kilo-
mètres de longueur ressemblerait,
sur une photo satellite, à un euve qui
méandre dans la haute atmosphère.
On estime qu’une «rivière atmos-
phérique» de taille moyenne est ca-
pable de véhiculer plus d’eau que les
plus grands euves de la planète tels
que l’Amazone, par exemple. C’est ce
qui a généré le déluge que nous avons
connu.
Ces fortes précipitations sont-elles
une conséquence directe de l’hiver
doux et peu neigeux que nous avons
eu cette année?
Non, car les précipitations sont fonc-
tion de l’apport d’humidité depuis un
océan, en l’occurrence l’Atlantique, ou
une mer, la Méditerranée. Elles ne
sont pas liées aux conditions locales
ou régionales, même si la présence
des montagnes amplie les processus
de condensation en forçant de l’air
humide à monter en altitude et donc à
se condenser. Ainsi la quantité de
neige ne va pas inuencer de ma-
nière signicative les pluies, par
contre la fonte des neiges peut aug-
menter les risques de crues.
En quoi ces intempéries sont-elles
liées ou non au phénomène de ré-
chauement climatique?
Il est dicile de mettre en évidence
des liens de causalité, vu que les der-
nière grandes intempéries du prin-
temps datent de 1999 et que le climat
s’est quand même réchaué depuis
cet épisode. Le réchauement est
certes une condition nécessaire – car
fournisseur de l’énergie pour engen-
drer des systèmes extrêmes – mais
pas susante. Il faut de nombreuses
autres conditions, en plus de la cha-
leur de l’atmosphère, pour générer
des intempéries importantes.
Crues historiques, glissements de
terrain, pluies diluviennes et orages
violents. Est-ce là un avant-goût de
la météo du futur?
Beaucoup de projections d’un climat
futur dans la région alpine tendent
vers une pluviosité accrue en hiver et
aussi au printemps, par rapport à la
situation d’aujourd’hui. On s’attend
aussi à des extrêmes de précipitations
nettement plus fréquents au
printemps et en automne que dans le
climat actuel. Ce que l’on vit ces jours
– ainsi qu’en1999 – est eectivement
quelque chose que l’on pourrait vivre
plus fréquemment ces prochaines
décennies.
Auquel cas, la Suisse est-elle parée
pour aronter ces changements de
climat?
Les systèmes d’alerte, mais aussi de
gestion des catastrophes, sont
excellents en Suisse et le pays est
certainement prêt à aronter des
intempéries de ce genre. Il faudrait
cependant anticiper un peu plus les
événements futurs, sur la base des
travaux des scientiques. Car, on le
sait, il vaut mieux prévenir que
guérir. MM
Martin Beniston,
climatologue et
professeur à l’Uni-
versité de Genève
SOCIÉTÉ |MM20, 11.5.2015|13