Processus morphogénétiques M. Alain prochIantz, membre de l`institut

Processusmorphonétiques
M. Alain prochIantz, membre de l’institut
(Académie des sciences), professeur
enseIgnement
Cours : Maladies neurologiqueset psychiatriques,
un éclairage développemental (suite)
riodes critiques, définitions
Au cours de l’année 2012-2103, nous avons continué notre flexion sur ce que le
veloppement et l’évolution du système nerveux peuvent nous apprendre sur
l’étiologie des maladies neurologiques et psychiatriquesa. On trouvera dans le sumé
de l’année précédente la logique sous-jacente àune telle démarche. Je n’yreviens pas
sauf pour souligner que nous avons accepté les nombreuses données de la littérature
sugrant que ce que nous appellerons « la schizophrénie »(sans remettre en cause
l’hétéronéité étiologiquequerecouvre ce terme) trouverait son origine dans un
défaut de développement. Selon ce quin’est qu’une hypothèse, ce défaut se
concrétiserait aux alentours de l’adolescence au cours d’une période critique du
veloppement du cortex préfrontal. J’utilise le terme de « concrétiser »pour souligner
que, même si le phénotype apparaîtàune période tardive du développement, cela ne
veut pas dire que les « causes premières », par exemple une ou plusieurs mutations
ou modifications épinétiques, ne sont pas très précoces, voire héréditaires.
Par « période critique »on entend une période au cours de laquelle une gion
corticale se modifie morphologiquement et physiologiquement en fonction des
informations qui lui parviennent. Un cas classique est fourni par la vision biloculaire.
Chez la souris, cette vision s’installe entre le jour post-natal 20 (P20) et P40. Cela
signifie que fermer un œil entre P20 et P40 rend la souris amblyope (les
représentations corticales de cet œil gressent au profit de celles de l’œil resté
ouvert). Cette plasticité n’opère ni avant P20, ni après P40 chez la souris. Pour les
a. Les enregistrements audio et vidéo du cours sont disponibles sur le site Internet du
Collège de France : http://www.college-de-france.fr/site/alain-prochiantz/course-2012-2013.
htm [Ndlr].
332 ALAIN PROCHIANTZ
humains, les enfants ayant une cataracte monoculaire non opérée avant l’âge de six
ans environ développent ce défaut de vision qui affecte entre 3 et 4 % de la
population mondiale. Toutes les périodes critiques ne sont pas synchrones, comme
l’illustrent les exemples de l’audition ou de l’apprentissage d’une langue étrangère
(Bavelier, 2010). Pour ce qui est de la schizophrénie, l’hypothèse est que le cortex
préfrontal ne s’adapte pas àla socialisation qui suit la maturation hormonale qui
précède et accompagne l’adolescence. Cette hypothèse, explorée cette année, est
sans aucun doute simplificatrice, mais néanmoins intéressante pour les recherches
sur cette maladie. Car s’il s’agit bien d’une maladie de la période critique et s’il
existe des mécanismes communs àtoutes les périodes critiques – évolution oblige –
alors la souris peut permettre de comprendre ces mécanismes et fournir un modèle
animal d’étude de cette pathologie humaine.
C’est sur cette base que nous avons ouvert le cours sur la découverte par Hubel
et Wiesel, prix Nobel de physiologie en 1981, de ce phénomène de plasticité
physiologique et morphologique. Ce sont en effet ces deux chercheurs qui démontrent
dès les années 1960 que la structure corticale est modifiée par l’expérience et qu’il
existe des périodes au cours desquelles cette plasticité est maximale (Wiesel, 1963).
Ces expériences sont menées sur le chat dont la structure du cortex visuel est proche
de celle des humains. La structure du cortex visuel est très différente chez la souris
avec, en particulier, une organisation plus dispersée et non organisée en une
alternance de colonnes corticales pondant àchaque œil. Mais sur le principe
d’une plasticité temporaire et sur les mécanismes impliqués, il existe une très
grande convergence entre tous les mammifères et, pour le système visuel comme
pour les autres modalités sensorielles, motrices ou cognitives, la souris s’est imposée
comme modèle du fait de l’importance des approches nétiques.
riodes critiques, neurones à parvalbumine
Pour ce qui est des mécanismes, nous avons deux séries parallèles de phénomènes.
Un premier phénomène consiste en une modification morphologiqueavec diminution
des territoires couverts par l’œil temporairement fermé (temporairement mais pendant
la période critique) ce qui se traduit par une perte de l’acuité visuelle de cet œil.
Parallèlement, le territoire couvert par l’autre œil augmente. Cette modification
morphologique s’accompagne d’une modification physiologiquequi est la conséquence
d’un défaut de maturation d’une classe particulière de neurones GABAergiques
inhibiteurs, appelés « cellules en panier àcharge rapide ». Ces cellules synthétisent
une protéine spécifique, la parvalbulmine (PV), ont une forme en panier, et sont
appelées « cellules PV »ou « PV basket », termes que j’utiliserai par la suite (Hensch,
2005). Pour aller très vite, la période critiques’ouvre au moment de la maturation de
ces neurones et se fermequand ils sont pleinement matures ce qui correspond, chez
la souris et pour le cortex visuel binoculaire, àla période P20-P40.
Ces neurones sont donc locaux, inhibiteurs et forment des synases sur les neurones
pyramidaux excitateurs glutamatergiques. Ces derniers sont les neurones de sortie
et ont aussi une connexion ciproque avec les cellules PV. Cette disposition crée
donc une boucle où les neurones pyramidaux activent les neurones inhibiteurs qui
en retour inhibent les activateurs. Le GABA libéré par les cellules PV interagit avec
des cepteurs de type alpha-1 présents sur les corps cellulaires des neurones
pyramidaux. Du fait de la désensibilisation rapide de ces cepteurs, une oscillation
de haute fréquence (entre 40 et 80 Hz correspondant àla bande gamma) se met en
PROCESSUS MORPHOGÉNÉTIQUES 333
place au cours de la période critique quand l’équilibre entre excitation et inhibition
(E/I) se déplace en faveur de l’inhibition (maturation des cellules PV inhibitrices)
(Hensch, 2005) (Alitto, 2010). J’y reviendrai àpropos des modèles cognitifs, mais
ces oscillations dans la bande gamma sont un signe d’une activité physiologique et
cognitive soutenue. Par ailleurs, elles impliquent une libération et une recapture des
ions au rythme des dépolarisations et repolarisations membranaires et nécessitent
une activité soutenue de la Na/K-ATPase, donc une très forte production d’ATP. Le
métabolisme énertique des cellules PV est dont très élevé et un manquement
métabolique peut avoir des conséquences physiologiques graves, y compris dans le
domaine des maladies neurologiques et psychiatriques.
Si l’on constate que la maturation de ces cellules PV gule l’adaptation du cortex
cérébral àl’environnement, on comprendra l’intérêt d’étudier les mécanismes
présidant àcette maturation. Il est impossible de tous les passer en revue dans ce
sumé et je vais m’attarder seulement sur deux molécules qui jouent un rôle
important. La première est le « Brain Derived Neurotrophic Factor »ou BDNF et
la seconde est Otx2, un facteur de transcription et un morphogène. Le BDNF est
un facteur de croissance de la famille des neurotrophines qui a de multiples fonctions
au cours du développement et joue un rôle dans la maturation des cellules PV
(Huang, 1999). Ce facteur synthétisé par les cellules pyramidales agit directement
sur la maturation des cellules PV via son cepteur spécifique TrkB. Interférer
nétiquement avec la transduction du signal BDNF joue directement sur la
maturation des neurones inhibiteurs sans toucher aux neurones excitateurs (d’où un
shift de la balance E/I) Cela a été particulièrement bien étudié dans le cortex
sensoriel primaire dont la période critique, chez la souris, s’étend de P7 àP30.
Pour Otx2, il s’agit d’un travail de mon laboratoire, en collaboration avec celui
dirigé par Takao Hensch àl’université de Harvard. Primitivement, ce travail se
place dans le contexte du transfert entre cellules de facteurs de transcription de la
classe des homéoprotéines, le cas – entre autres – d’Otx2. Pour des raisons que je
ne développe pas, nous avons étudié l’expression d’Otx2 dans le cortex visuel en
relation avec la maturation des cellules PV dont je viens de rappeler le rôle dans
l’ouverture de la période critique. Cette maturation, je le rappelle, ouvre la période
critique àP20 chez la souris puis la ferme àP40 quand les cellules sont quasiment
adultes dans le cortex visuel primaire. Nous avons constaté l’expression parallèle
d’Otx2 et de PV entre P20 et P40, ce qui est étonnant puisque le locus Otx2 n’est
pas actif dans le cortex. Cela signifie que la protéine est d’origine non corticale et
capturée par les cellules PV au moment de l’ouverture de la période critique. Nous
avons alors démontré que l’internalisation d’Otx2 induit la maturation des neurones
et l’ouverture de la plasticité àP20, puis que son accumulation au-delàd’un certain
seuil àP40 ferme cette plasticité. On peut donc dire qu’Otx2 est nécessaire et
suffisant pour ouvrir àP20 et fermer àP40, une période de plasticité corticale pour
la vision binoculaire (Sugiyama, 2008).
Peri-neuronal nets et Otx2
La maturation des cellules PV est marquée par l’augmentation de la synthèse de
parvalbumine, ou de certains canaux (canaux potassiques dépendants du voltage
(Kv3.1)) ou des enzymes de synthèse du GABA, neuromédiateur inhibiteur. Un
autre « marqueur »de la maturation des cellules PV est la synthèse ou l’assemblage
de structures matricielles complexesqui les entourent et qu’on appelle, depuis
334 ALAIN PROCHIANTZ
Camilo Golgi, les peri-neuronal nets ou PNN. Ces PNN découverts par Golgi il y
a un peu plus de cent ans avaient été rangés au rayon des artefacts (Cajal n’y est
pas pour rien) avant d’être redécouverts dans les années 1960 (Celio, 1998). Il
devient clair alors qu’ils sont composés de molécules chares négativement, en
particulier de glycosaminoglycans (GAG). L’existence d’une matrice extracellulaire
s’est désormais imposée et les différents éléments des PNN ont été caractérisés,
même si nous sommes loin de tous les connaître ou surtout de comprendre la
diversité de ces ensembles qui ne sont probablement pas identiques entre les
différents types cellulaires et quiévoluent au cours du temps. Parmi les fonctions
supposées des PNN, on peut citer : la stabilisation des synapses, la cohésion du
tissu nerveux, la concentration de certains facteurs autour des neurones, la mise en
place d’un microenvironnement anionique dont le rôle serait de tamponner les
cations, la formation d’un lien avec le cytosquelette interne.
Pour ce qui est d’Otx2, nos travaux et ceux d’un collègue japonais, Hiroshi
Kitagawa ont démontré que des sucres complexes de la famille des GAG (des
chondroitines disulfatés) présents dans le PNN agissent comme des sites de fixation
àOtx2 et permettent àce facteur d’être spécifiquement internalisé par les cellules PV
(Beurdeley, 2012), (Miyata, 2012). Le schéma le plus probable aujourd’hui est que
l’activité visuelle vers P14 (l’âge auquel les yeux s’ouvrent chez la souris) provoque
l’assemblage des PNN et la capture d’Otx2 par les cellules. Cette capture àson tour
amplifie l’expression et/ou l’assemblage des PNN et la maturation des neurones.
Cela signifie qu’Otx2 contient un domaine de fixation aux GAG. Ce domaine a été
identifié (Beurdeley, 2012), point qui a une conséquence importante pour la suite de
l’histoire qui concerne non pas l’installation puis la disparition de la plasticité au
cours de la période critique, mais comment on peut la faire apparaître chez l’adulte.
Plasticité adulte, néralités
Avant de s’engager dans cette voie, le cours s’est interrosur la plasticité
normale chez l’adulte. Un point important est que la plasticité adulte n’est
probablement pas un reste de plasticité développementale mais un processus
physiologiquement distinct ; ce quiveut dire qu’apprendre chez l’adulte et apprendre
au cours du développement sont des choses différentes. Cela peut avoir son intérêt
quand nous parlons de cognition mais aussi des maladies de la dégénérescence qui
ne sont pas forcément des maladies d’un développement qui se poursuit chez
l’adulte. Par exemple, le Parkinson ou l’Alzheimer sont/seraient des pathologies de
la dégénérescence quand l’amblyopie et la schizophrénie sont/seraient des maladies
du développement cérébral. Bref, il y aurait plasticité et plasticité. C’est en tout cas
une possibilité àconsidérer, ce quin’exclut pas que des mécanismes communs
soient partas par les deux types de plasticité. Si soigner les maladies du
veloppement cérébral passe par une ouverture de la plasticité, alors la bonne
stratégie n’est pas forcément de renforcer un mécanisme de plasticité adulte. On
pencherait plutôt sur la ouverture d’une plasticité développementale.
Pour en venir àla ouverture de la plasticité, je me suis appuyé sur la guérison
(chez la souris) de l’amblyopie considérée comme une maladie du développement
cérébral. Je me suis féré àplusieurs travaux qui proposent des stratégies différentes
mais convergentes. Il existe en effet différentes façons de manipuler la plasticité
chez l’adulte et/ou de rouvrir une période critique. Cette diversité illustre que nous
sommes dans un système physiologique àplusieurs entrées et niveaux de gulation.
PROCESSUS MORPHOGÉNÉTIQUES 335
C’est pourquoi les états pathologiques rassemblés sous le phénotype schizophrénie
peuvent avoir de nombreuses causes, ce qui interdit une vision simpliste de leur
origine. Le premier article discuté par Bavelier et ses collègues pose le problème
néral de la ouverture de la plasticité (Bavelier, 2010). Pour ces auteurs, il existe
deux types principaux de frein àcette ouverture. Le premier est l’apparition de
nouvelles structures accompagnant la maturation du système nerveux, par exemple
la myéline ou les PNN. Le second relève des changements fonctionnels qui se
traduisent par une modification de la balance E/I qui contrôle directement le
potentiel de plasticité des seaux de neurones. Une conception assez nouvelle
qu’on peut introduire est que le cerveau serait intrinsèquement plastique et que la
stabilisation, en fin de période critique, des seaux de neurones construits au cours
du développement correspondrait àune pression de cette plasticité.
Au cours de la maturation, la balance E/I se déplace en faveur de l’inhibition et
accompagne la stabilisation des seaux. Une fois stabilisés, ces seaux peuvent être
modifiés en particulier àtravers la mobilité des épines dendritiques. C’est un phénomène
essentiellement homéostatique qui implique des facteurs intrinsèques et des facteurs
qui sont sécrétés par les cellules gliales, comme le TNF-alpha ou la cascade du
complément (cours de 2010 et 2011). D’ailleurs, une des premières approchent
permettant de introduire de la plasticité a consisté àgreffer (en 1989) des astrocytes
immatures dans le cortex visuel adulte. Bref, il faut distinguer la mise en place de
nouvelles connexions sous les contrôles structuraux (mline, PNN) de la modification
fonctionnelle directe de la balance E/I. Sans oublier un lien possible entre les deux. Ce
n’est pas forcément l’un ou l’autre. Par exemple la perte des PNN lève peut être un
frein structurel mais a aussi une conséquence physiologique directe sur la balance E/I.
Mais pour en rester àla « physiologie pure », il semble que jouer sur les neuromédiateurs,
acétylcholine ou sérotonine peut rouvrir une période de plasticité.
Rouvrir la plasticité chez l’adulte
Je prendrai pour commencer l’exemple de la protéine Lynx1. L’article sur lequel
je m’appuie fait appel àune approche pharmacologique (Morishita, 2010). C’est
important car il y aurait un avantage évident àutiliser des médicaments connus, tout
particulièrement des médicaments déjàapprouvés par les agences de mise sur le
marché. De ce point de vue, on doit être intéressé par les éléments gulateurs que
sont la dopamine (DA), la noradrénaline (NE) ou l’acétylcholine (ACh) dont la
pharmacopée est riche. L’ACh irradie sur l’ensemble du cortex au même titre que
la DA et la NE. Lynx1 est une prototoxine endogène qui se fixe au cepteur
cholinergique nicotinique. Son expression dans le cortex visuel (plutôt dans la
couche 4) et dans le thalamus dorsal (qui projette sur le cortex visuel) augmente
après la période critique. Une souris KO pour Lynx1 (le gène est invalidé) se
veloppe normalement, mais si on impose une privation monoculaire brève (quatre
jours) chez l’adulte, on observe un léger shift de dominance oculaire marquant une
plasticité siduelle supérieure àla normale.
Lynx1 se fixe aux cepteurs nicotiniques et duit leur sensibilité àl’ACh. D’où
l’idée de mesurer les VEP (potentiel évoqué par la vision) chez les souris normales
et les souris KO. En ponse àla nicotine, ce potentiel évoqué augmente chez la
souris KO (la sensibilité àla nicotine est accrue) et, de façon spectaculaire, la
plasticité adulte obserechez le mutant est perdue dans tous les protocoles qui
« antagonisent »la ponse nicotinique. Afin de pondre àla question des
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