BIOGRAPHIE
HEC 1985, Fréric Dalsace
est également diplômé
d’un MBA de Harvard et
dun PhD en management
spécialité marketing de
l’INSEAD. Il est Professeur
Associé au Département
Marketing du Groupe HEC
et responsable de la
spécialisation marketing
du MBA. Il enseigne le
veloppement de nou-
veaux produits, le mar-
keting BtoB et le marketing
stratégique. Ses centres
d’intérêt portent sur les
relations clients-four-
niseurs, les politiques dex-
ternalisation, le marketing
stratégique et industriel
et le développement de
nouveaux produits. Le
Professeur Dalsace a éga-
lement exercé dans le
monde de l’entreprise
notamment chez Mc-
Kinsey et chez Michelin.
En 2006, Frédéric Dalsace
a obtenu le prix Pierre
Vernimmen BNP Paribas
qui distingue le meilleur
enseignant parmi le corps
professoral d’HEC.
Faire vieillir sa marque avec ses consommateurs comme l’apprenti sorcier
grandit avec ses lecteurs : publiée en 2007 dans la liste des prestigieuses
« Breakthrough Ideas » de la Harvard Business Review, la thèse défendue
par Frédéric Dalsace fait figure de petite révolution dans l’univers de
la stratégie marketing.
Réalisé d’aps un entretien avec Fdéric Dalsace (H.85) et sur la base de son article« Brand Magic:
Harry Potter Marketing », co-signé avec Coralie Damay et David Dubois (Harvard Business Review, février 2007).
Harry Potter marketing
février-mars 2008 recherche@hec III
C’est en lisant « Harry Potter » que Frédéric Dalsace
a l’idée inédite d’appréhender la marque et ses
consommateurs de manière dynamique. En effet, si
lesuccèsducélèbresorcierimaginé parJ.K. Rowling
peut s’expliquer de multiples façons, il est convaincu
que le fait qu’il vieillisse (contrairement à la plupart
des héros traditionnels) permet une meilleure incar-
nation du personnage et donc une plus grande fidé-
lité des lecteurs. Pourquoi dès lors, de la même
manière, ne pas imaginer une marque qui vieillirait
avec ses consommateurs ? Frédéric Dalsace nous
explique sa théorie du Harry Potter marketing…
QUELLE EST LA LIMITE DE LA GESTION
TRADITIONNELLE DES MARQUES ?
La plupart des entreprises raisonnent en termes de
segments de consommateurs qui reposent sur des
tranches d’âge. Ainsi, un produit cosmétique à des-
tination des 45-55 ans sera progressivement aban-
donné par les individus sortant de la classe d’âge
et adopté par ceux qui y entrent. Les marketeurs
ciblent donc des catégories figées, ils s’intéressent
aux caractéristiques d’une population et prennent
donc en compte son âge, mais pas son vieillisse-
ment. Dès lors ils sont condamnés à « remonter le
courant » chaque année.
De deux choses l’une pour cette approche tradition-
nelle. Soit les personnes les plus âgées de la tranche
d’âge – attention, ils peuvent n’avoir que 6 ans ! –
quittent la marque de leur propre chef, soit ils res-
tent fidèles. Le premier cas nécessite que de nou-
veaux clients soient constamment recrutés. Or, ce
recrutement se fait généralement chez les plus
jeunes de la cible grâce à des campagnes dédiées
à cette population, campagnes qui ont également
pour effet de pousser les plus âgés hors de la cible.
De nombreuses marques dites « générationnelles»
comme le Club Med ou Gap ont connu une telle
évolution : plutôt que de laisser la marque évoluer
avec les consommateurs files, elles se sont atta-
chées à maintenir un positionnement figé sur une
tranche d’âge. De facto, l’objectif marketing est de
recruter pour remplacer les consommateurs par-
tis. La légitimité d’une telle approche est souvent
remise en cause par le ct du recrutement de nou-
veaux consommateurs, très supérieur à celui de
leur fidélisation.
Dans le cas contraire, les consommateurs les plus
âgés de la tranche d’âge restent attachés au pro-
duit. Ce qui apparaît au début comme une bonne
nouvelle fait pourtant courir à terme un danger
important à la marque. En effet, celle-ci risque de
progressivement perdre son pouvoir d’attraction
auprès des individus les plus jeunes. En d’autres
termes, la marque risque de se « ringardiser ». Des
actions vigoureuses sont alors prises pour reposi-
tionner la marque et cibler un public plus jeune.
Une telle action a par exemple été entreprise avec
talent par L’Oréal, qui s’inquiétait du vieillissement
de Lancôme, « victime » du sucs dIsabella
Rosselini comme égérie. Ici aussi, le coût est élevé
et la réussite pas nécessairement au rendez-vous.
VOUS PROPOSEZ DONC UNE GESTION
PLUS DYNAMIQUE DE LA MARQUE ?
Nous proposons que les entreprises créent des
marques qui ne voient plus défiler les générations
successives, mais qui suivent l’évolution d’une géné-
ration en particulier. Comme le célèbre apprenti
sorcier Harry Potter grandit avec ses lecteurs, les
marques pourraient évoluer avec leurs consomma-
teurs. Cest ce que nous appelons le Harry
Potter marketing. Un exemple : plutôt que de cibler
les femmes de 35 à 45 ans, imaginons des produits
cosmétiques dont la cible serait les femmes nées
entre 1965 et 1975. Le fait que la cible ne change pas
permet aux marketeurs de renforcer le lien entre
consommateur et marque, notamment grâce à des
campagnes de communication misant sur des atouts
rationnels : musique, symboles, icônes, etc. La
marque sadapterait ainsi aux scificis de sa cible
et à lévolution de ses besoins et de ses habitudes en
modifiant la composition du produit, avec pour corol-
laire une plus grande fidélité des consommateurs
ciblés. Le Club Med, qui pendant plusieurs années
a subi les affres d’une stratégie marketing « clas-
sique », en décalage par rapport à l’évolution des
attentes de ses clients d’origine, s’est récemment
converti à une telle approche. Aujourd’hui, un de leur
slogan est : « Le Club Med a changé, il vous ressem-
ble ». Legroupe se réoriente vers sespremiers clients,
mais en tenant compte de leursaspirations actuelles:
le voyage de plus haut standing pour des personnes
qui ont vieilli… et dont le pouvoir d’achat a très sen-
siblement augmenté, et non plus le confort som-
maire des premiers clubs. Un club haut de gamme
« cinq tridents » vient ainsi d’être inauguré.
LE HARRY POTTER MARKETING SIGNE-T-IL
LA MORT PROGRAMMÉE DES MARQUES ?
Et pourquoi pas ? Nous touchons en effet à un tabou
du marketing…Trop de directeurs marketing rêvent
de laisser leur empreinte en créant des marques
« éternelles »… Pour quelques marques qui vivront
« longtemps » – après tout, personne ne peut prédire
si elles seront eternelles – combien auront une durée
de vie très limitée alors que leur lancement aura
hec
recherche
IV recherche@hec février-mars 2008
coûté des sommes consirables ? Accepter de
vieillir et finalement de disparaître, c’est aussi savoir
se tourner vers l’avenir. Les marques qui cherchent
à rester jeunes à tout prix n’y parviennent généra-
lement pas et passent finalement à côté des nou-
velles générations. Gap, qui fut pourtant un succès
majeur des années 90, peine par exemple à passer
le cap des années 2000 : elle a voulu rester jeune à
tout prix plutôt que s’adapter aux préférences de
ses consommateurs les plus fidèles. A contrario, le
marketing potterien incite à faire de l’exploration :
laisser la marque vieillir en réinvestissant une
partie des profits générés dans une nouvelle marque
à destination d’un segment plus jeune. La mort dune
marque ne doit donc pas nécessairement être vécue
comme un échec, d’autant que les marques les plus
fortes sont susceptibles de renaître et de séduire
de nouvelles générations, à l’instar de la Fiat 500,
de la New Beetle ou de la Mini! Ici aussi, la présence
d’un pnix (Fumseck) dans le livre « Harry Potter »
invite à réfléchir
COMMENT METTRE CONCRÈTEMENT
EN PLACE UNE MARQUE POTTERIENNE ?
Toutes les marques ne se prêtent pas au Harry
Potter marketing. Pour être « potterisables », les
marques doivent remplir en effet deux conditions :
d’une part les produits associés doivent pouvoir sus-
citer une implication forte du consommateur et d’au-
tre part, l’évolution physiologique des besoins des
consommateurs doit être importante. Par ailleurs,
l’entreprise n’est pas obligée de lancer une marque
en misant a priori sur une stratégie potterienne : la
bonne stratégie vise avant tout à créer une marque
forte qui suscitera l’adsion d’une génération.
Ensuite viendra la question de son éventuelle « pot-
terisation ». Enfin, de nombreuses entreprises pra-
tiquent le Harry Potter marketing sans en avoir
conscience. Le « Guide du Routard » en est un bon
exemple : depuis sa création, l’icône du cébre guide
a évolué (il s’est coupé les cheveux, a raccourci sa
moustache, etc.) et le guide a ajouté des adresses
de plus haut standing pour s’adapter à l’évolution
des exigences des premiers utilisateurs. Autre preuve
que le Harry Potter marketing n’est pas un simple
concept théorique, une entreprise comme L’Oréal
s’est montrée particulièrement séduite par la pré-
sentation que nous lui avons faite de nos travaux.
BREAKTHROUGH IDEAS
HARVARD BUSINESS REVIEW
Tous les ans, la Harvard Business Review publie une liste
des vingt idées et tendances les plus innovantes et les plus
prometteuses en matière de recherche en management.
L’article du Professeur Dalsace a fait partie en 2007 de cette
prestigieuse sélection, en attendant une publication prévue
pour l’année 2008 dans une revue dont le choix n’a pas
été encore défini.
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