1 Historique et diagnostic V. Rivière Résumé Bien que récemment le nombre de publications scientifiques ou médiatiques concernant l’autisme ait connu une évolution exponentielle, l’histoire, la clinique et le diagnostic de l’autisme ont débuté très tôt avec l’avènement de la psychiatrie et de la psychologie scientifique au début du XIXe siècle. Ce chapitre retracera les grandes étapes de cette évolution. Nous verrons les différentes classifications permettant la pose d’un diagnostic et les problèmes qui y sont associés. Le développement d’un cadre international commun qui définit les troubles du spectre autistique est primordial pour la pose d’un diagnostic le plus précis possible, afin de mettre en œuvre une prise en charge adaptée. Une étude de cas permettra d’illustrer ces propos et conclura ce chapitre. Jean Itard (1774–1836) et le sauvage de l’Aveyron L’une des premières descriptions de l’autisme connue est celle de Victor, l’enfant sauvage de l’Aveyron, relatée par le médecin français Jean Itard. Victor était un enfant qui avait été retrouvé après avoir vécu dans les bois pendant quelque temps. Après avoir réintégré la communauté humaine, un grand nombre de médecins se sont penchés sur son cas qui n’a eu de cesse de fasciner l’opinion, au point d’inspirer un film à François Truffaut en 1970, L’enfant sauvage. Le diagnostic qui avait été posé par les autorités médicales était que l’enfant n’était pas sauvage, mais que tout simplement il présentait un retard mental profond. Cependant, Itard émit l’hypothèse que son retard provenait d’une privation sociale sévère et que l’éducation et l’entraînement pourraient l’aider à combler ces carences et à retrouver des comportements adaptés [1]. Son hypothèse, nous le verrons, était judicieuse car c’était imaginer que l’environnement peut modifier les comportements de l’enfant. Toutefois, cette thèse « environnementaliste » n’est toujours pas clairement acceptée de nos jours. Itard, pour tester son hypothèse, commença alors à mettre en place des entraînements intensifs et individualisés. Il apprit à Victor des moyens de communication et instaura des compétences scolaires. Victor put tolérer des interactions avec des personnes familières, mais il présentait des troubles importants en Prise en charge comportementale et cognitive du trouble du spectre autistique © 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. C0005.indd 15 03/01/15 12:57 AM 16 Prise en charge du trouble du spectre autistique (TSA)... présence de personnes inconnues. Itard commença à comprendre que les retards intellectuels n’étaient pas l’explication privilégiée des troubles de Victor. Les perturbations et les troubles des interactions sociales ainsi que les comportements répétitifs semblaient être, en fait, à l’origine de ce retard intellectuel. Dans l’histoire des sciences, il est fréquent de retrouver des études, des résultats ou des observations anciennes qui mettent en évidence des faits complètement d’actualité. Les observations d’Itard peuvent même nous paraître quelque peu en avance sur la façon dont sont conduites en France aujourd’hui les interventions destinées aux personnes présentant des troubles mentaux et, en particulier, les personnes présentant un trouble du spectre autistique (TSA). Elles ont pourtant plus de deux siècles, ce qui témoigne de la difficulté à faire admettre des pratiques qui vont à l’encontre des routines intellectuelles. Eugène Bleuler (1857–1939) et le concept d’autisme Il faudra attendre une centaine d’années, après Itard, pour voir apparaître le terme « autisme » en 1911, avec les travaux d’Eugène Bleuler. Historiquement, des exemples d’enfants considérés comme étranges, énigmatiques ou sauvages ont toujours reçu une attention particulière dans notre culture [2]. Bleuler décrit également des particularités chez certains patients, troubles neurologiques qu’il nomme synesthésie, pathologie où les sens semblent se mêler les uns aux autres (le toucher, le goût, l’odorat, la douleur, la couleur, les graphèmes, etc.). Nous verrons que ces observations ne sont pas de simples rappels historiques, mais nous transmettent de précieuses informations qui ont été négligées pour donner toute la place à d’autres orientations, dont le moins qu’on puisse dire est qu’elles n’aident guère les personnes présentant un TSA et leurs familles. Bleuler [2] utilise le terme d’autisme pour désigner une catégorie de troubles de la pensée observés chez des personnes schizophrènes comme la perte de contact avec la réalité, le rétrécissement des relations avec l’environnement, ainsi que l’exclusion de toute vie sociale par un mécanisme de repli sur soi. Leo Kanner (1894–1981) et Hans Asperger (1906–1980) En 1943, lorsque Kanner décrit l’autisme infantile, notamment les perturbations autistiques du contact affectif chez de jeunes enfants, il reprend le terme de Bleuler ce qui engendre, à l’époque, des confusions entre les troubles schizophréniques et les troubles dits autistiques. À la même époque C0005.indd 16 03/01/15 12:57 AM Historique et diagnostic 17 (1944), Asperger publie une description d’enfants ayant des caractéristiques comportementales perturbées : un manque d’empathie, des difficultés à se faire des amis et à se parler à soi-même (monologues et dialogues intérieurs) ; l’enfant peut aussi être absorbé par une activité spécifique sans qu’on puisse l’en sortir. Asperger nomme ces enfants, des « petits professeurs » du fait de leur habilité à discuter de leur thème favori de façon encyclopédique. Asperger considérait même qu’il présentait à un certain degré le syndrome qui porte maintenant son nom. Ces deux chercheurs décrivent avec une précision remarquable ce que nous appelons encore aujourd’hui « autisme ». On oppose toujours de nos jours l’autisme de Kanner et le syndrome d’Asperger, pourtant, en lisant les descriptions réalisées par Kanner [3], on s’aperçoit qu’elles ne sont pas différentes de celles d’Asperger [4]. Ainsi Kanner [3] décrit le cas de Donald, enfant de 5 ans, qu’il voit en consultation à l’université John Hopkins de Baltimore, Maryland : « Je fus frappé par le caractère unique des particularités que présentait Donald. Depuis l’âge de deux ans et demi il pouvait nommer tous les présidents et viceprésidents, réciter l’alphabet à l’endroit et à l’envers et, sans se tromper et à voix claire, réciter rapidement le vingt-troisième psaume. Il était cependant incapable de mener à bien une conversation normale. Il n’avait aucun contact avec les gens, alors qu’il manipulait adroitement les objets. Sa mémoire était phénoménale. Les rares fois où il s’adressait à quelqu’un – surtout pour combler ses désirs – il se référait à lui comme “vous” et à son interlocuteur comme “je”. Il ne pouvait passer aucun test d’intelligence mais il mettait en place avec adresse les pièces d’une planche d’encastrement compliquée. » Classifications internationales : CIM-10, DSM-IV et V Cette description reste toujours d’actualité et les critères définis par la CIM-101 le démontrent. Voici la définition utilisée par la CIM-10 pour décrire les troubles envahissants du développement : « Groupe de troubles caractérisés par des altérations qualitatives des interactions sociales réciproques et des modalités de communication, ainsi que par un répertoire d’intérêts et d’activités restreint, stéréotypé et répétitif. Ces anomalies qualitatives constituent une caractéristique envahissante du fonctionnement du sujet, en toutes situations. » On peut reprendre de la CIM-10 les deux grands groupes concernant les troubles envahissants du développement, l’autisme infantile et le syndrome d’Asperger. 1. C0005.indd 17 CIM-10 : Classification statistique internationale des maladies et des problèmes de santé connexes (2008), Organisation mondiale de la santé. 03/01/15 12:57 AM 18 Prise en charge du trouble du spectre autistique (TSA)... Voici la définition concernant l’autisme infantile : « Trouble envahissant du développement caractérisé par : a) un développement anormal ou altéré, manifeste avant l’âge de trois ans, avec b) une perturbation caractéristique du fonctionnement dans chacun des trois domaines psychopathologiques suivants : interactions sociales réciproques, communication, comportement (au caractère restreint, stéréotypé et répétitif). Par ailleurs, le trouble s’accompagne souvent de nombreuses autres manifestations non spécifiques, par exemple des phobies, des perturbations du sommeil et de l’alimentation, des crises de colère et des gestes auto-agressifs. » Le syndrome d’Asperger est, quant à lui, défini ainsi : « Trouble de validité nosologique incertaine, caractérisé par une altération qualitative des interactions sociales réciproques, semblable à celle observée dans l’autisme, associée à un répertoire d’intérêts et d’activités restreint, stéréotypé et répétitif. Il se différencie de l’autisme essentiellement par le fait qu’il ne s’accompagne pas d’un déficit ou trouble du langage, ou du développement cognitif. Les sujets présentant ce trouble sont habituellement très malhabiles. Les anomalies persistent souvent à l’adolescence et à l’âge adulte. Le trouble s’accompagne parfois d’épisodes psychotiques au début de l’âge adulte. » Une autre classification reconnue est la classification américaine, le DSMIV-TR ou le DSM-V [5], les deux versions les plus récentes du Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders. La nouvelle version DSM-V nous permet de mettre en évidence les éléments spécifiques liés à cette pathologie. Les chercheurs ont rassemblé deux domaines sur lesquels il faut se focaliser pour poser le diagnostic : • les déficits sociaux et/ou de communication ; • les intérêts restreints et les comportements répétitifs. Ces précisions sont importantes car nous pouvons repérer ces déficits très tôt au cours de l’enfance, ceux-ci étant observés sur tout le spectre de l’autisme. La dénomination de troubles envahissants du développement (TED) ou troubles du spectre autistique (TSA) permet d’insister sur le fait qu’il y a un phénomène qui perturbe le développement de l’enfant. Il est impossible à l’heure actuelle de fournir les éléments qui expliquent la causalité de ces troubles d’une manière entièrement satisfaisante. L’établissement d’un diagnostic précis permet également une orientation rapide vers les traitements adaptés pour l’enfant. Difficultés du diagnostic Nous pouvons observer toutes sortes de termes dans les dossiers des enfants vus en consultation : TED, traits autistiques, dysharmonie évolutive ou psychotique, troubles de la personnalité, psychose infantile, autisme atypique, schizophrénie infantile, dépression précoce autistique, etc. On parle aussi C0005.indd 18 03/01/15 12:57 AM Historique et diagnostic 19 de « trouble de la personnalité avec des angoisses spécifiques, des mécanismes défensifs pour les contenir ainsi que des modalités particulières de relation au monde et à autrui » [6]. Le fait de ne pas avoir clairement identifié le trouble va avoir des conséquences considérables sur la mise en place des traitements et de la réhabilitation. Certains professionnels seront partisans d’attendre un peu, d’autres, au contraire, d’agir rapidement, mais comment ? Pour le DSM-V, le terme de trouble du spectre autistique (TSA) est utilisé, regroupant les anciennes catégories du DSM-IV, à savoir le trouble autistique, le trouble d’Asperger, le trouble désintégratif de l’enfance et le trouble envahissant du développement non spécifié. L’intérêt de ces classifications internationales est qu’elles sont indépendantes de toute approche théorique et qu’elles ne font que décrire les manifestations observées par les cliniciens. Quels sont les éléments importants que l’on retrouve en consultation ? Le premier domaine du TSA est représenté par la présence d’un développement anormal de la communication et des interactions sociales. On observe des déficits dans la réciprocité socio-émotionnelle, dans le partage des émotions et dans les initiations aux interactions sociales. Pour un grand nombre de parents, l’hypothèse de la surdité est fréquemment mise en avant. En effet, le bébé peut ne pas se retourner lorsqu’on l’appelle et ne pas réagir même lors de bruits d’intensité élevée. Des interprétations apparaissent alors telles que le bébé serait trop concentré, etc. Pourtant ces éléments sont extrêmement importants à prendre en compte dans le dépistage de l’autisme. On observe également, au niveau de la communication sociale, des déficits concernant les relations allant de difficultés à ajuster les comportements en fonction des situations sociales à des difficultés de partage de jeux symboliques et des difficultés à se faire des amis. Les relations avec les enfants de même âge sont perturbées, celles-ci pouvant prendre des formes différentes selon le niveau de développement de l’enfant. Les jeunes enfants présentent aucune ou peu d’attirance envers des pairs. Les enfants plus âgés peuvent présenter un intérêt pour les autres mais avec une incompréhension des conventions sociales, un manque de spontanéité dans le partage des émotions comme la joie, l’intérêt ou la tristesse. On observe aussi des changements des états émotionnels brutaux, passage du rire aux pleurs par exemple, sans présence d’éléments déclencheurs visibles. On constate aussi des déficits dans les comportements non verbaux lors d’interactions sociales. Cela se remarque par l’absence de comportements de communication comme le pointage en direction d’un objet, d’une personne ou le fait d’apporter quelque chose à quelqu’un. Les personnes présentant un TSA préféreraient les activités solitaires. Les autres sont utilisées comme outil ou comme aide « mécanique ». Chez ces enfants, le contact C0005.indd 19 03/01/15 12:57 AM 20 Prise en charge du trouble du spectre autistique (TSA)... oculaire, le regard, l’expression faciale, les postures corporelles et gestuelles sont altérés. La communication est aussi altérée de façon importante au niveau des compétences verbales et non verbales. On note un retard dans l’acquisition ou une absence totale du développement du langage oral. Lorsque le langage oral est présent, il est généralement de mauvaise qualité et initier ou maintenir une conversation est souvent difficile. Si le langage apparaît, il est particulier, l’intonation n’est pas adaptée à la situation, la vitesse d’élocution ou le rythme de parole sont perturbés. Le ton de voix est souvent monotone. Les mots peuvent apparaître de façon répétée, sans signification. Des phrases entières sont dites sans relation avec le contexte. La compréhension du langage est souvent retardée et l’enfant peut être incapable de comprendre des consignes simples. Associer un geste à un mot est souvent problématique. Mais ces manifestations restent des éléments descriptifs. Le second domaine concerne les patterns des comportements restreints ou répétitifs, des intérêts ou des activités. Ces patterns de comportements se retrouvent à différents niveaux : un langage répétitif et stéréotypé, des mouvements moteurs et une utilisation des objets particulière. On observe également des écholalies, des stéréotypies motrices ou verbales, phrases répétées en boucle sans aucune fonction de communication. Ces troubles du comportement sont retrouvés également dans des routines qui sont respectées de façon excessive, des patterns ritualisés de comportements verbaux ou non verbaux. Une résistance au changement excessive est fréquente, ce qui peut se retrouver à différents niveaux, comme le comportement alimentaire, le sommeil ou les activités quotidiennes. Lors de changements de ces routines ou rituels, les troubles émotionnels sont considérables et disproportionnés. L’enfant peut, par exemple, ne manger que des aliments d’une certaine couleur ou d’une certaine texture. Il peut ne pouvoir dormir qu’avec une même personne ou vouloir réaliser toujours le même trajet en voiture ou à pied et hurler si un changement apparaît. Les activités à caractère restreint sont observées par une intensité ou une focalisation anormale. Un bébé de 15 mois pourra ainsi passer des heures à empiler des cubes de façon méticuleuse et recommencer si la précision n’est pas atteinte ou encore laisser tomber des objets pour observer les reflets et écouter le bruit que cela produit sans que l’interaction avec l’adulte ne vienne interrompre cette activité. Chez les personnes avec autisme, on observe un intérêt particulier pour des jeux impliquant le comptage, l’alignement des objets, le fait de toucher un certain nombre de fois un jouet, un intérêt particulier pour les dates, les numéros de téléphone ou les stations de métro. Des postures spécifiques peuvent être présentes : tapoter les objets ou faire des mouvements rapides avec les mains ou les bras. Ils peuvent aussi avoir une fascination pour des objets en mouvement : faire tourner les roues de petites voitures, fermer et ouvrir des portes ou toucher C0005.indd 20 03/01/15 12:57 AM Historique et diagnostic 21 les fils du téléphone. Ils peuvent être attachés à des objets inhabituels pour des enfants, une pièce d’un jeu ou une cordelette. Un autre point concerne l’hyper- ou l’hyposensibilité. Une fois de plus, les excès sont impressionnants. L’enfant peut sembler insensible à la douleur, au froid ou à la chaleur et par contre présenter une hypersensibilité à certains bruits, qui sont pour nous, anodins. Cette hypersensibilité peut se retrouver au niveau du toucher, du goût ou de l’odorat. Pour certains enfants, l’ensemble des sens peut être touché. Cette hypersensibilité peut se retrouver dans la fascination pour certains bruits, odeurs ou stimulations lumineuses. L’enfant va ainsi s’orienter vers des bruits comme ceux du lavevaisselle ou d’une porte automatique de voiture que l’on ferme, vers des lumières ou vers les pages d’un livre que l’on tourne pour en capter les odeurs ou le vent que ce mouvement produit. Les manifestations de ce trouble du spectre autistique varient de façon considérable selon le niveau de développement et l’âge chronologique2 de l’individu. Tous les éléments présentés peuvent se retrouver chez tous les enfants neurotypiques, mais l’intensité et la persistance sont les aspects sur lesquels il faudra se focaliser. C’est bien un envahissement du développement et non quelques petits troubles épars. Dans le TSA, il est important de prendre en compte également la sévérité du trouble. Différents niveaux peuvent être observés. En reprenant les deux domaines présentés, nous pourrons observer des différences dans la sévérité. Ainsi pour certains enfants avec trouble léger, nous allons pouvoir observer des déficits dans la communication sociale surtout au niveau des initiations et des patterns de réponses entravant la mise en place de ces comportements sociaux. L’enfant peut apparaître comme peu intéressé par les autres. Les comportements rituels et répétitifs sont la cause de perturbations dans un ou plusieurs contextes. Lors de l’arrêt par l’entourage de ces activités ou des comportements stéréotypés, on observe une résistance massive. Pour le niveau moyen, les déficits dans les compétences sociales verbales ou non verbales sont importants. Les initiations sociales sont limitées et les réponses aux incitations d’interactions sont inadaptées. Les comportements répétitifs et les rituels sont rapidement observables par un observateur naïf et interfèrent avec le développement dans un grand nombre de situations. Les troubles émotionnels apparaissent lors de la rupture de ces rituels ou de ces comportements de stéréotypies. Pour le niveau sévère, dans le domaine de la communication sociale, les déficits des compétences sociales verbales ou non verbales provoquent des perturbations importantes du développement. Les interactions sociales sont 2. C0005.indd 21 L’âge chronologique fait référence à l’âge réel de l’enfant. Il est comparé à l’âge mental, âge obtenu lors d’évaluation standardisée par des tests spécifiques. 03/01/15 12:57 AM 22 Prise en charge du trouble du spectre autistique (TSA)... extrêmement limitées à la fois dans les initiations et dans les réponses, au contact de l’entourage. Les comportements de stéréotypies et rituels interfèrent de façon intense dans le développement à tous les niveaux. De gros troubles apparaissent lors de l’interruption par l’entourage de ces routines ou rituels. Il est très difficile d’orienter l’enfant vers d’autres activités. Dans les années 1960, les théories psychanalytiques présentent l’autisme comme une forme de schizophrénie, causée par la privation sociale et/ou la négligence parentale [7]. Pourtant, à la fois Kanner et Asperger s’orientent dès les années 1940 vers une hypothèse génétique du fait de leurs observations des familles concernées. On parle alors de troubles neurologiques et les recherches vont se développer dans ce sens. On retrouve des associations entre l’autisme et l’épilepsie, le retard intellectuel, le langage, les déficits cognitifs avec troubles de l’attention et des systèmes vestibulaires [8-10]. Dès les années 1960, Rimland semble en avance sur son temps [9]. Son ouvrage intitulé Autisme infantile : le syndrome et ses implications pour une théorie neurale du comportement3 en sont un exemple. Un autre point important pour l’époque concerne les recherches en génétique. Folstein et Rutter [11] trouvent des cas d’autisme de façon plus importante chez les jumeaux monozygotes que les jumeaux dizygotes. Mais un élément important repose sur le fait que ces jumeaux identiques génétiquement ne présentent pas les mêmes symptômes comportementaux, ce qui montre le caractère hétérogène du syndrome autistique. Cette hétérogénéité se retrouve à plusieurs niveaux. Lorsqu’on parle d’autisme, nous pouvons observer des personnes présentant des compétences intellectuelles hors norme, des personnes avec des troubles cognitifs importants et des personnes avec des troubles du comportement sévères sans comportement verbal. Cette hétérogénéité peut être expliquée par la variabilité de plusieurs facteurs comme la trajectoire développementale, le niveau de langage, les compétences en langage, le genre, les comportements adaptatifs et les troubles moteurs. De cette hétérogénéité, il semble que les mêmes facteurs étiologiques peuvent être expliqués par différents phénotypes [12]. Ces groupes de sujets vont également présenter des réponses aux traitements comportementaux différents. Pour certains enfants présentant un TSA, les symptômes sont présents très tôt au cours du développement (vers 8 mois) [13]. On observe alors une absence de communication et/ou de compétences sociales au cours de la première année. D’autres enfants présentent un développement typique au cours de la première année, mais il est observé une rupture dans la trajectoire développementale [14]. Cette régression soudaine est pourtant controversée, car il apparaît que lorsqu’on parle de trajectoire typique, certaines caractéristiques autistiques peuvent être retrouvées par une analyse fine des 3. C0005.indd 22 Traduit par nous. 03/01/15 12:57 AM Historique et diagnostic 23 comportements [15]. Ozonoff et al. [16] indiquent que la présence ou non de phénomènes de régression ne semble pas avoir d’incidence sur la sévérité du TSA, le fonctionnement intellectuel, les comportements adaptatifs ou la présence d’épilepsie. Le diagnostic d’autisme ne repose actuellement que sur des données comportementales. Malgré les recherches, aucune étiologie biologique n’a pu être établie de façon certaine à ce jour. Le diagnostic est posé après avoir éliminé toutes les autres possibilités. En parlant d’autisme, on indique tout simplement que l’on ne sait pas de quoi l’enfant est atteint. Il faut écarter d’abord un grand nombre de possibilités génétiques, métaboliques ou infectieuses pour parler alors de troubles envahissants du développement, comme précisé dans les définitions ci-dessus. Nous le verrons, repérer précocement ces troubles est un objectif essentiel pour la mise en place des traitements comportementaux. Ces manifestations comportementales sont assez faciles à observer mais sont souvent considérées par les professionnels comme normales ou peu graves du fait du jeune âge de l’enfant. Il est évident que chaque enfant est différent et par conséquence chaque enfant autiste aussi ! L’enfant avec un TSA ne présentera pas tous les symptômes et ceux-ci n’auront pas forcément la même intensité. En reprenant la définition présentée par la CIM-10 ou le DSM-IV ou V, il est malaisé, en l’absence de formation spécifique, de faire la différence entre des enfants, entre 10 et 20 mois, ayant des perturbations du sommeil et de l’alimentation, des crises de colère et des gestes auto-agressifs, et un TSA. Ces manifestations comportementales peuvent être observées chez l’enfant sans pour autant qu’on puisse parler de TSA. Ces perturbations peuvent même être normales chez l’enfant et bien des professionnels vont demander aux parents d’attendre avant d’entreprendre des analyses plus poussées. Des outils existent à l’heure actuelle pour recueillir des éléments de dépistage précoce : le M-CHAT (modified checklist for autism) [17]), le STAT (screening tool for autism in toddlers and young children, 2000) ou le CSBSD (communication and symbolic behavior scales developmental profile infant/toddler checklist, 2001). Il est à noter que ces évaluations, pourtant déjà anciennes, n’ont pas leur équivalent en langue française. Les préconisations de la Haute Autorité de santé [18] indiquent que les professionnels en première ligne doivent repérer un certain nombre d’éléments mais sans réellement pouvoir se référer à des outils spécifiques. Des tests standardisés peuvent être utilisés pour repérer un retard de développement, le Brunet-Lezine par exemple [19]. Les enfants que je vois en consultation ont souvent des manifestations comportementales qui permettraient, sans faire d’investigation profonde, de proposer assez rapidement un diagnostic selon les normes internationales. Nous exigeons toujours des examens complémentaires plus poussés. Ils sont indispensables pour établir un diagnostic. Utiliser un protocole C0005.indd 23 03/01/15 12:57 AM 24 Prise en charge du trouble du spectre autistique (TSA)... spécifique dès la suspicion de troubles permettrait de gagner un temps précieux à la mise en place des traitements comportementaux. Ce protocole existe dans d’autres pays européens ou sur le plan international (États-Unis, Canada, Québec, pays scandinaves, Pologne, etc.). La figure 1.1 représente un des protocoles qui se traduit par un algorithme de décision. Visites médicales et comportementales réguliéres Non La surveillance est poursuivie Dépistage 9, 18, 24 mois Dépistage des troubles autistiques 18, 24 mois Développement global ? Trouble du spectre autistique ? Oui Oui Transfére aux services spécialisés Transfére aux services spécialisés Non La surveillance est poursuivie Évaluation TSA spécifique Intervention précoce ou école locale Intervention précoce ou école locale Autre d’évaluation diagnostique : soudité, etc... Figure 1.1. Exemple de protocole de suivi pour le dépistage de troubles du développement et de l’orientation. Source : Council on Children With Disabilities, Section on Developmental Behavioral Pediatrics, Bright Futures Steering Committee and Medical Home Initiatives for Children With Special Needs Project Advisory Committee. Identifying infants and young children with developmental disorders in the medical home : an algorithm for developmental surveillance and screening. Pediatrics 2006 ; 118(1) : 405-20. C0005.indd 24 03/01/15 12:57 AM Historique et diagnostic 25 Étude de cas. Benoît, 6 ans. Le problème du diagnostic précoce et le parcours du combattant des parents Chez Benoît, les signes alarmants sont apparus très tôt, vers 8 mois. Les parents suspectent alors une surdité du fait de son désintérêt pour les sollicitations verbales de ses frères et sœurs. Il sourit peu. Dès la première consultation, le diagnostic de la surdité est écarté. Le pédiatre rassure les parents, précisant bien que chaque enfant avance à son rythme, il suffit de beaucoup lui parler. Ce pédiatre demande à la maman de consulter un psychologue pour traiter ses angoisses et l’apaiser. Le comportement angoissé de la mère peut être la cause du refus de contacts sociaux du bébé. La maman accepte donc un suivi. Elle comprend lors de ces séances qu’elle est responsable du « blocage » de son enfant. L’enfant est alors orienté vers un CAMSP (centre d’action médico-sociale précoce). Les parents se réjouissent à l’idée que leur enfant va pouvoir bénéficier d’une prise en charge si précoce. Ils s’y rendent rapidement. On leur indique que Benoît sera vu trois quarts d’heure par semaine pour une séance de « JEU » avec une infirmière. L’enfant est alors âgé de 12 mois. Il est évident que trois quarts d’heure par semaine de jeu avec une infirmière ne sont pas suffisants. L’angoisse de la maman ne cesse d’augmenter. Bien sûr, elle accepte être la cause de ce retard de communication, mais un suivi médical soi-disant précoce aussi lacunaire l’effraie ! Les parents regardent alors sur Internet. Ils lancent, comme la plupart des parents, une recherche en indiquant les mots clés suivants : Trouble – communication – retard. Peu à peu, leurs recherches les orientent vers l’autisme. On parle de troubles envahissants du développement, d’autisme de Kanner. Les parents demandent un rendez-vous au CAMPS afin de discuter du diagnostic de leur fils. La psychologue est outrée par le discours et l’attitude des parents : « NON votre fils n’est pas autiste ! Il faut vous sortir cela de la tête ! Le problème concerne la relation que vous tentez d’établir avec votre enfant ! Il faut apprendre à le récupérer, à ce qu’il ait ENVIE de communiquer avec vous. » À la sortie de la consultation, les parents sont démunis. Comme beaucoup de parents, ils sont acharnés et ne sont pas convaincus par les propos de la psychologue. Ils décident de consulter un neuropédiatre dans un centre hospitalier régional. Les bilans se font, après, là encore, une bataille effrénée : ponction lombaire, prises de sang et d’urines, IRM… Tous sont négatifs. L’enfant est âgé maintenant de 3 ans et demi. Au vu de ces résultats, il est envoyé, certes un peu tard, au centre de diagnostic précoce ! Verdict : autisme sévère. On précise aux parents que le mieux pour l’enfant est d’être placé au plus vite en hôpital de jour. Les parents souhaitent pourtant qu’il soit scolarisé quelques heures par semaine : C0005.indd 25 03/01/15 12:57 AM 26 Prise en charge du trouble du spectre autistique (TSA)... « Mais vous êtes inconscients ! Jamais votre enfant ne pourra aller à l’école ! Il faut maintenant faire le deuil d’une possible scolarité. Votre enfant doit être hospitalisé afin de travailler les interactions de groupe. » Benoît a maintenant 5 ans et demi. Il est suivi dans cet hôpital sans que les parents ne sachent concrètement ce qu’il y fait. Les progrès de Benoît sont minimes. Il ne parle toujours pas. Les crises augmentent progressivement. Un beau jour, ils reçoivent une convocation du pédopsychiatre : « Votre enfant ne peut plus être accueilli dans notre hôpital. Après avoir tout tenté, nous ne pouvons plus rien pour lui. Il devra quitter l’hôpital dans un délai de 6 mois ! Nous avons fait tout notre possible mais cela ne relève plus de notre établissement. » Les parents tentent alors de trouver une solution. En France, ce sont les parents qui recherchent les solutions : un SESSAD (service d’éducation spéciale et de soins à domicile) ? un IME (institut médico-éducatif) ? une école ? L’hôpital les contacte à nouveau en insistant fortement : « Vous n’avez qu’à l’inscrire à l’école. Il sera au moins quelque part ! De toute façon c’est obligatoire, il a plus de 6 ans ! » Voici sans la romancer, l’histoire de Benoît. Un enfant qui, du fait de l’incompétence et de l’ignorance des professionnels, s’est retrouvé abandonné, soutenu par une famille désemparée et perdue face à la pathologie de leur fils. Cette pathologie est pourtant connue et il faut rappeler que cette histoire a commencé en 2003. Cet exemple nous montre comment le diagnostic tarde à être donné alors que les parents eux-mêmes l’avaient suspecté dès 12 mois. Les propositions faites par le député Chossy [20] recommandaient pourtant un dépistage et un diagnostic le plus tôt possible, obligatoirement avant 3 ans, et si possible entre 15 et 18 mois. Par ailleurs, la discordance des avis donnés aux parents est criante : on passe de troubles psychologiques à un autisme sévère. Pourtant le diagnostic de Benoît n’était pas difficile à poser. Les professionnels avaient tous les éléments. Reprenons ceux qui sont nécessaires pour pouvoir évoquer la suspicion d’autisme avant 18 mois : selon Ferrari [6], il faut pouvoir retracer l’histoire clinique de l’enfant obtenue lors d’entretiens avec les parents. Puis un examen neuropédiatrique doit être réalisé soigneusement. Le mieux serait même de filmer les entretiens avec les parents et leur enfant, alors nous aurions tous les éléments pour poser ce fameux diagnostic. En outre, dès que les manifestations apparaissent, avant l’âge de 3 ans, nous pouvons selon Ferrari être sûrs de ne pas être dans le cas d’une dysharmonie psychotique selon la classification française, puisque les manifestations de ce trouble n’apparaissent que beaucoup plus tardivement. Dans l’exemple de Benoît, rien de tout cela n’a été réalisé, aucune piste possible, aucune orientation n’a été proposée. Rappelons que l’ouvrage de Ferrari date de 1999 [6] et que de nombreux ouvrages de psychiatrie C0005.indd 26 03/01/15 12:57 AM Historique et diagnostic 27 présentent les éléments de la même façon. La méthode d’investigation devrait ainsi être connue par tout professionnel, psychologue, éducateur, médecin généraliste, pédiatre et psychiatre. Cela ne demande pas, répétonsle, une connaissance approfondie pour orienter ensuite l’enfant vers les services spécialisés. Pour Benoît, non seulement le diagnostic n’a été émis que trop tardivement, mais surtout aucune prise en charge n’a été proposée, ni aucun traitement. Simplement attendre, emmener son enfant jouer trois quarts d’heure par semaine ! Aucune aide, aucune écoute de la part des professionnels mais une seule affirmation : l’anxiété supposée de la mère est sans aucun doute à l’origine des troubles de son enfant. Après des erreurs de diagnostic aussi flagrantes, aucune aide psychologique n’est apportée aux parents. On les laisse seuls avec leur enfant en difficulté. Dans les manuels que peuvent consulter les parents, tous ces éléments d’observation sont clairement présents pour la pose du diagnostic. Après les 3 ans de l’enfant, les professionnels auraient dû donner le diagnostic d’autisme sévère aux parents. Si l’enfant avait eu la chance d’être anglais, belge, espagnol ou américain, il n’aurait pas reçu un diagnostic si tardivement. La HAS [18] a rédigé un rapport concernant la prise en charge chez l’enfant et l’adulte avec autisme, dans lequel les traitements comportementaux sont recommandés pour la prise en charge de l’autisme. Cependant qu’entendons-nous par traitements comportementaux ? Des mélanges de terminologie sont souvent observés et nous allons donc établir d’abord à quoi ils font référence précisément (voir chapitre 2). Puis nous traiterons de l’analyse fonctionnelle qui est déterminante dans la perspective comportementale (voir chapitres 3 à 5) et de la façon dont nous pouvons gérer cette pathologie chez l’enfant et chez l’adulte (voir chapitre 6). Enfin, nous proposerons des exemples de techniques spécifiques chez ces enfants et adultes aux niveaux des troubles du comportement, du développement du comportement verbal et du développement social (voir chapitres 7 et 8). Références [1] Itard JMG. Mémoire et Rapport sur Victor de l’Aveyron (1801 et 1806). Édition numérique : Pierre Hidalgo. La Gaya Scienza ; © décembre 2011. En ligne : http://www.ac-grenoble.fr/PhiloSophie/file/jean_itard_memoire pdf [2] Bleuler E. Dementia Praecox oder Gruppe der Schizophrenien. Leipzig, Germany: Deuticke; 1911. [3] Kanner L. Autistic disturbances of affective contact. Nervous Child 1943;2(3): 217-50. [4] Asperger H. Die « Autistischen Psychopathen » im Kindesalter. Archiv fur Psychiatrie und Nervenkrankheiten 1944;117:76-136. [5] American Psychiatric Association. Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders. 5th edition Washington, DC: APA; 2013. [6] Ferrari P. L’autisme infantile. Coll. Que sais-je ? Paris: PUF; 1999. C0005.indd 27 03/01/15 12:57 AM 28 Prise en charge du trouble du spectre autistique (TSA)... [7] Bettelheim B. The empty fortress: infantile autism and the birth of the Self. New York: The Free Press; 1967. [8] Hermelin B, O’Connor N. Psychological experiments with autistic children. New York, NY: Pergamon; 1970. [9] Rimland B. Infantile autism: the syndrome and its implications for a neural theory of behavior. New York: Appleton-Century-Crofts; 1964. 282 p. [10] Rutter M, Schopler E, editors. Autism: a reappraisal of concepts and treatment. New York: Plenum Press; 1978. [11] Folstein S, Rutter M. A twin study of individuals with infantile autism. In: Rutter M, Schopler E, editors. Autism : a reappraisal of concepts and treatment. New York: Plenum Press; 1978. [12] Lord C, Corsello C. Diagnostic instruments in autistic spectrum disorders. In: Volkmar F, Paul R, Klin A, Cohen D, editors. Handbook of autism and pervasive developmental disorders, Vol. two: assessment, interventions, and policy. Hoboken, NJ: Wiley; 2005. p. 730-71. [13] Watson LR, Baranek GT, Crais EJ, Reznick JS, et al. The first year inventory: retrospective parent responses to a questionnaire designed to identify oneyear-olds at risk for autism. Journal of Autism and Developmental Disorders 2007;37:49-61. [14] Pickles A, Simonoff E, Conti-Ramsden G, Falcaro M, et al. Loss of language in early development of autism and specific language impairment. Journal of Child Psychology and Psychiatry 2009;50(7):843-52. [15] Lord C, Shulman C, DiLavore P. Regression and word loss in autistic spectrum disorders. Journal of Child Psychology and Psychiatry 2004;45(5):936-55. 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