Prise en charge comportementale et cognitive du trouble du spectre autistique
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Historique et diagnostic
V. Rivière
Résumé
Bien que récemment le nombre de publications scientifi ques ou
médiatiques concernant l’autisme ait connu une évolution exponen-
tielle, l’histoire, la clinique et le diagnostic de l’autisme ont débuté
très tôt avec l’avènement de la psychiatrie et de la psychologie
scientifi que au début du XIX
e siècle. Ce chapitre retracera les grandes
étapes de cette évolution. Nous verrons les différentes classifi cations
permettant la pose d’un diagnostic et les problèmes qui y sont
associés. Le développement d’un cadre international commun qui
défi nit les troubles du spectre autistique est primordial pour la pose
d’un diagnostic le plus précis possible, afi n de mettre en œuvre une
prise en charge adaptée. Une étude de cas permettra d’illustrer ces
propos et conclura ce chapitre.
Jean Itard (1774–1836) et le sauvage
del’Aveyron
L’une des premières descriptions de l’autisme connue est celle de Victor,
l’enfant sauvage de l’Aveyron, relatée par le médecin français Jean Itard.
Victor était un enfant qui avait été retrouvé après avoir vécu dans les bois
pendant quelque temps. Après avoir réintégré la communauté humaine,
un grand nombre de médecins se sont penchés sur son cas qui n’a eu de
cesse de fasciner l’opinion, au point d’inspirer un fi lm à François Truffaut
en 1970, L’enfant sauvage . Le diagnostic qui avait été posé par les autorités
médicales était que l’enfant n’était pas sauvage, mais que tout simplement
il présentait un retard mental profond. Cependant, Itard émit l’hypothèse
que son retard provenait d’une privation sociale sévère et que l’éducation
et l’entraînement pourraient l’aider à combler ces carences et à retrouver
des comportements adaptés [1] . Son hypothèse, nous le verrons, était
judicieuse car c’était imaginer que l’environnement peut modifi er les
comportements de l’enfant. Toutefois, cette thèse «environnementaliste»
n’est toujours pas clairement acceptée de nos jours. Itard, pour tester son
hypothèse, commença alors à mettre en place des entraînements intensifs
et individualisés. Il apprit à Victor des moyens de communication et ins-
taura des compétences scolaires. Victor put tolérer des interactions avec
des personnes familières, mais il présentait des troubles importants en
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présence de personnes inconnues. Itard commença à comprendre que les
retards intellectuels n’étaient pas l’explication privilégiée des troubles de
Victor. Les perturbations et les troubles des interactions sociales ainsi que
les comportements répétitifs semblaient être, en fait, à l’origine de ce retard
intellectuel.
Dans l’histoire des sciences, il est fréquent de retrouver des études, des
résultats ou des observations anciennes qui mettent en évidence des faits
complètement d’actualité. Les observations d’Itard peuvent même nous
paraître quelque peu en avance sur la façon dont sont conduites en France
aujourd’hui les interventions destinées aux personnes présentant des
troubles mentaux et, en particulier, les personnes présentant un trouble
du spectre autistique (TSA). Elles ont pourtant plus de deux siècles, ce qui
témoigne de la diffi culté à faire admettre des pratiques qui vont à l’encontre
des routines intellectuelles.
Eugène Bleuler (1857–1939) et le concept
d’autisme
Il faudra attendre une centaine d’années, après Itard, pour voir apparaître
le terme «autisme» en 1911, avec les travaux d’Eugène Bleuler. Historique-
ment, des exemples d’enfants considérés comme étranges, énigmatiques ou
sauvages ont toujours reçu une attention particulière dans notre culture [2] .
Bleuler décrit également des particularités chez certains patients, troubles
neurologiques qu’il nomme synesthésie, pathologie où les sens semblent se
mêler les uns aux autres (le toucher, le goût, l’odorat, la douleur, la couleur,
les graphèmes, etc.). Nous verrons que ces observations ne sont pas de sim-
ples rappels historiques, mais nous transmettent de précieuses informations
qui ont été négligées pour donner toute la place à d’autres orientations,
dont le moins qu’on puisse dire est qu’elles n’aident guère les personnes
présentant un TSA et leurs familles.
Bleuler [2] utilise le terme d’autisme pour désigner une catégorie de
troubles de la pensée observés chez des personnes schizophrènes comme la
perte de contact avec la réalité, le rétrécissement des relations avec l’envi-
ronnement, ainsi que l’exclusion de toute vie sociale par un mécanisme de
repli sur soi.
Leo Kanner (1894–1981) et Hans Asperger
(1906–1980)
En 1943, lorsque Kanner décrit l’autisme infantile, notamment les pertur-
bations autistiques du contact affectif chez de jeunes enfants, il reprend
le terme de Bleuler ce qui engendre, à l’époque, des confusions entre les
troubles schizophréniques et les troubles dits autistiques. À la même époque
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(1944), Asperger publie une description d’enfants ayant des caractéristiques
comportementales perturbées : un manque d’empathie, des diffi cultés à
se faire des amis et à se parler à soi-même (monologues et dialogues inté-
rieurs) ; l’enfant peut aussi être absorbé par une activité spécifi que sans
qu’on puisse l’en sortir. Asperger nomme ces enfants, des «petits profes-
seurs» du fait de leur habilité à discuter de leur thème favori de façon ency-
clopédique. Asperger considérait même qu’il présentait à un certain degré
le syndrome qui porte maintenant son nom.
Ces deux chercheurs décrivent avec une précision remarquable ce que
nous appelons encore aujourd’hui «autisme». On oppose toujours de nos
jours l’autisme de Kanner et le syndrome d’Asperger, pourtant, en lisant
les descriptions réalisées par Kanner [3] , on s’aperçoit qu’elles ne sont pas
différentes de celles d’Asperger [4] . Ainsi Kanner [3] décrit le cas de Donald,
enfant de 5ans, qu’il voit en consultation à l’université John Hopkins de
Baltimore, Maryland:
« Je fus frappé par le caractère unique des particularités que présentait Donald.
Depuis l’âge de deuxans et demi il pouvait nommer tous les présidents et vice-
présidents, réciter l’alphabet à l’endroit et à l’envers et, sans se tromper et à voix
claire, réciter rapidement le vingt-troisième psaume. Il était cependant incapable
de mener à bien une conversation normale. Il n’avait aucun contact avec les gens,
alors qu’il manipulait adroitement les objets. Sa mémoire était phénoménale. Les
rares fois où il s’adressait à quelqu’un – surtout pour combler ses désirs – il se
référait à lui comme “vous” et à son interlocuteur comme “je”. Il ne pouvait passer
aucun test d’intelligence mais il mettait en place avec adresse les pièces d’une
planche d’encastrement compliquée.»
Classifi cations internationales: CIM-10,
DSM-IV etV
Cette description reste toujours d’actualité et les critères défi nis par la
CIM-10
1 le démontrent. Voici la défi nition utilisée par la CIM-10 pour
décrire les troubles envahissants du développement:
« Groupe de troubles caractérisés par des altérations qualitatives des inter-
actions sociales réciproques et des modalités de communication, ainsi que par un
répertoire d’intérêts et d’activités restreint, stéréotypé et répétitif. Ces anomalies
qualitatives constituent une caractéristique envahissante du fonctionnement du
sujet, en toutes situations.»
On peut reprendre de la CIM-10 les deux grands groupes concernant les
troubles envahissants du développement, l’autisme infantile et le syndrome
d’Asperger.
1 . CIM-10: Classifi cation statistique internationale des maladies et des problèmes
de santé connexes (2008), Organisation mondiale de la santé.
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Voici la défi nition concernant l’autisme infantile:
«Trouble envahissant du développement caractérisé par: a)un développement
anormal ou altéré, manifeste avant l’âge de troisans, avec b)une perturbation
caractéristique du fonctionnement dans chacun des trois domaines psychopatholo-
giques suivants: interactions sociales réciproques, communication, comportement
(au caractère restreint, stéréotypé et répétitif). Par ailleurs, le trouble s’accompagne
souvent de nombreuses autres manifestations non spécifi ques, par exemple des
phobies, des perturbations du sommeil et de l’alimentation, des crises de colère et
des gestes auto-agressifs.»
Le syndrome d’Asperger est, quant à lui, défi ni ainsi:
« Trouble de validité nosologique incertaine, caractérisé par une altération
qualitative des interactions sociales réciproques, semblable à celle observée dans
l’autisme, associée à un répertoire d’intérêts et d’activités restreint, stéréotypé et
répétitif. Il se différencie de l’autisme essentiellement par le fait qu’il ne s’accom-
pagne pas d’un défi cit ou trouble du langage, ou du développement cognitif. Les
sujets présentant ce trouble sont habituellement très malhabiles. Les anomalies
persistent souvent à l’adolescence et à l’âge adulte. Le trouble s’accompagne
parfois d’épisodes psychotiques au début de l’âge adulte.»
Une autre classifi cation reconnue est la classifi cation américaine, le DSM-
IV-TR ou le DSM-V [5] , les deux versions les plus récentes du Diagnostic and
Statistical Manual of Mental Disorders . La nouvelle version DSM-V nous per-
met de mettre en évidence les éléments spécifi ques liés à cette pathologie.
Les chercheurs ont rassemblé deux domaines sur lesquels il faut se focaliser
pour poser le diagnostic:
les défi cits sociaux et/ou de communication;
les intérêts restreints et les comportements répétitifs.
Ces précisions sont importantes car nous pouvons repérer ces défi cits
très tôt au cours de l’enfance, ceux-ci étant observés sur tout le spectre de
l’autisme.
La dénomination de troubles envahissants du développement (TED) ou
troubles du spectre autistique (TSA) permet d’insister sur le fait qu’il y a
un phénomène qui perturbe le développement de l’enfant. Il est impos-
sible à l’heure actuelle de fournir les éléments qui expliquent la causalité
de ces troubles d’une manière entièrement satisfaisante. L’établissement
d’un diagnostic précis permet également une orientation rapide vers les
traitements adaptés pour l’enfant.
Diffi cultés du diagnostic
Nous pouvons observer toutes sortes de termes dans les dossiers des enfants
vus en consultation: TED, traits autistiques, dysharmonie évolutive ou psy-
chotique, troubles de la personnalité, psychose infantile, autisme atypique,
schizophrénie infantile, dépression précoce autistique, etc. On parle aussi
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de «trouble de la personnalité avec des angoisses spécifi ques, des mécanismes
défensifs pour les contenir ainsi que des modalités particulières de relation au
monde et à autrui» [6] . Le fait de ne pas avoir clairement identifi é le trouble
va avoir des conséquences considérables sur la mise en place des traitements
et de la réhabilitation. Certains professionnels seront partisans d’attendre
un peu, d’autres, au contraire, d’agir rapidement, mais comment?
Pour le DSM-V, le terme de trouble du spectre autistique (TSA) est utilisé,
regroupant les anciennes catégories du DSM-IV, à savoir le trouble autis-
tique, le trouble d’Asperger, le trouble désintégratif de l’enfance et le trouble
envahissant du développement non spécifi é. L’intérêt de ces classifi cations
internationales est qu’elles sont indépendantes de toute approche théo-
rique et qu’elles ne font que décrire les manifestations observées par les
cliniciens.
Quels sont les éléments importants que l’on retrouve en consultation?
Le premier domaine du TSA est représenté par la présence d’un déve-
loppement anormal de la communication et des interactions sociales. On
observe des défi cits dans la réciprocité socio-émotionnelle, dans le partage
des émotions et dans les initiations aux interactions sociales. Pour un grand
nombre de parents, l’hypothèse de la surdité est fréquemment mise en
avant. En effet, le bébé peut ne pas se retourner lorsqu’on l’appelle et ne pas
réagir même lors de bruits d’intensité élevée. Des interprétations apparais-
sent alors telles que le bébé serait trop concentré, etc.
Pourtant ces éléments sont extrêmement importants à prendre en
compte dans le dépistage de l’autisme. On observe également, au niveau
de la communication sociale, des défi cits concernant les relations allant de
diffi cultés à ajuster les comportements en fonction des situations sociales
à des diffi cultés de partage de jeux symboliques et des diffi cultés à se faire
des amis.
Les relations avec les enfants de même âge sont perturbées, celles-ci pou-
vant prendre des formes différentes selon le niveau de développement de
l’enfant. Les jeunes enfants présentent aucune ou peu d’attirance envers
des pairs. Les enfants plus âgés peuvent présenter un intérêt pour les autres
mais avec une incompréhension des conventions sociales, un manque de
spontanéité dans le partage des émotions comme la joie, l’intérêt ou la tris-
tesse. On observe aussi des changements des états émotionnels brutaux,
passage du rire aux pleurs par exemple, sans présence d’éléments déclen-
cheurs visibles.
On constate aussi des défi cits dans les comportements non verbaux lors
d’interactions sociales. Cela se remarque par l’absence de comportements
de communication comme le pointage en direction d’un objet, d’une per-
sonne ou le fait d’apporter quelque chose à quelqu’un. Les personnes pré-
sentant un TSA préféreraient les activités solitaires. Les autres sont utilisées
comme outil ou comme aide «mécanique». Chez ces enfants, le contact
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